5/17/2021

Ouranopolis

 

Ouranopolis (Anne et Patrick Poirier): exploration d’une bibliothèque

J’ai découvert le travail d’Anne et Patrick Poirier en 1978, lors de la fascinante exposition Domus Aurea présentée au Centre Georges Pompidou. J’ai suivi ensuite les différentes étapes de leur archéologie de la mémoire, de leur cartographie des mondes intérieurs, avant de les rencontrer à l’automne 1995 à Los Angeles, où nous avons bénéficié d’une année de scholarship au Getty Research Institute, qui se trouvait encore situé dans un immeuble de Santa Monica, à deux pas du rivage du Pacifique.

Une grande amitié est née entre nous, nourrie par une commune passion pour l’archéologie et les bibliothèques, pour les lieux de mémoire et de savoir. Leur univers, leurs créations m’ont toujours donné beaucoup à réfléchir et à rêver, et j’ai assisté, pendant cette année californienne, à la conception et à la matérialisation d’Ouranopolis.

Comme l’expliquent Anne et Patrick Poirier, ils ont construit « cette Bibliothèque – Musée idéale, vaste bâtiment elliptique et volant, sorte d’ovni, capable de s’envoler vers d’autres mondes avec sa moisson de mémoire, au moindre signe de catastrophe. Ouranopolis se présente donc comme un objet très pur, suspendu dans l’espace. »

Connaissant ma passion pour l’antique bibliothèque du Musée d’Alexandrie, Anne et Patrick m’ont nommé bibliothécaire et gardien d’Ouranopolis. Tâche immense et fascinante qui m’a permis d’explorer cette archive aérienne de tous les savoirs, de toute la mémoire du monde, des arts et de la pensée, des rêves et de l’imaginaire.

Nous avons alors entamé une correspondance (par email) déployant le fil fictif de mes déambulations et de mon travail dans cette architecture, peut-être qu’un jour nous en ferons un livre à trois mains…

Comme le soulignent Anne et Patrick, « de l’extérieur, presque rien n’est visible. Mais le visiteur attentif remarquera de minuscules hublots tout autour de ce vaisseau spatial, et en collant son oeil à ces petits orifices munis de lentilles, il découvrira l’intérieur des quarante vastes salles qui composent ce Musée – Bibliothèque ».

Cette immense architecture dans laquelle j’ai eu l’occasion de circuler en rêve est organisée selon le principe des théâtres et des palais de la mémoire, découpés en une multitude de lieux, de cases, d’étagères, de salles, où l’on pouvait ranger les souvenirs et les idées, les images et les sons, les livres et les savoirs.

Dans certaines galeries, les fragments de statues de marbre venus d’une Antiquité oubliée s’alignent à perte de vue, attendant les archéologues qui sauront les assembler.

Bien des secteurs de cette immense Bibliothèque restent à explorer et dissimulent sans doute des trésors insoupçonnés: rouleaux de papyrus ou de soie, lamelles de bambou et tablettes d’argile, lourds codices de parchemin, correspondances manuscrites et livres imprimés, fichiers .epub et .pdf encore lisibles sur des écrans archaïques à la luminosité évanescente.

Ouranopolis, cette utopie de la mémoire, est pour moi, depuis 1995 l’un des archétypes des lieux de savoir:  immense Musée – Bibliothèque, elle est aussi une architecture mentale, une carte cognitive et sensible, une matérialisation du cerveau, à moins qu’il ne s’agisse de la mémoire d’un ordinateur défiant l’éternité.

Dans mon travail d’historien des bibliothèques, d’explorateur des mondes lettrés, Ouranopolis est une invitation à la réflexion, un mythe profond et sublime, une énigme à déchiffrer, proche à certains égards du monolithe noir de 2001 l’Odyssée de l’Espace.

Je rêve d’une édition numérique des Lieux de savoir dont l’interface reposerait sur cette architecture.

Images publiées avec l’accord d’Anne et Patrick Poirier

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