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10/27/2021

LE TERRIER DE FRANZ KAFKA

 


VIVRE SOUS LA MENACE

Le Terrier de Franz Kafka

Alain Parrau


« Kafka ne croit guère à la loi, à la culpabilité, à l’angoisse, à l’intériorité. Ni aux symboles, aux métaphores ou aux allégories. Il ne croit qu’à des architectures et à des agencements dessinés par toutes les formes de désir. Ses lignes de fuite ne sont jamais un refuge, une sortie hors du monde. C’est au contraire un moyen de détecter ce qui se prépare, et de devancer les “ puissances diaboliques ” du proche avenir » (Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka, Editions de Minuit, 1975).

« C’est moi qui ai agencé le terrier, et il semble que ce soit une réussite » [1]. Ainsi débute le récit, sur le mode de la satisfaction du travail accompli que toute la suite du texte va s’acharner à défaire : défaite matérielle (le terrier n’est pas sûr), et défaite du moi qui espérait y trouver un abri définitif. Le récit de Kafka n’est que le déroulement obsédant des réflexions et des émotions suscitées par le terrier dans la conscience de celui qui dit « Je » (animal du genre taupe, blaireau ou renard) : monologue épuisant, ressassement infini où se pressent des constructions mentales de toutes sortes qui relancent chaque fois la pensée. Celle-ci semble ne jamais pouvoir s’arrêter : la menace ne provoque pas la sidération de la pensée, mais son affolement.

Dès le début du récit, le « Je » est livré aux hypothèses qui vont empêcher toute possibilité de repos. Contemplant le grand trou qu’il a creusé pour faire croire qu’il s’agit de l’entrée de son terrier (alors que celle-ci se trouve plus loin, masquée par de la mousse), il est très vite la proie de ce constat désabusé et sans espoir : « Je le sais bien, et c’est à peine si ma vie, même à son actuel apogée, connaît une heure de complète tranquillité ; cet endroit lointain sous la mousse obscure est celui où je suis mortel et c’est souvent que, dans mes rêves, une gueule concupiscente renifle alentour et sans trêve ». Le terrier apparaît déjà comme le lieu où le « Je » peut mourir de mort violente, un futur tombeau ; il faillit ainsi à sa fonction essentielle d’abri et de protection de soi : « je veux que le terrier ne soit rien d’autre que le trou destiné à me sauver la vie, et que, de cette tâche clairement définie, il s’acquitte avec toute la perfection possible […] Seulement, dans la réalité, il assure bien une grande sécurité, mais nullement suffisante ». Cette perfection qui garantirait enfin une sécurité absolue est impossible : la puissance de la menace, en tant que telle, suffit à en interdire l’hypothèse. L’imagination se met à son service pour entamer la possibilité d’échapper à des ennemis invisibles, qui peuvent surgir n’importe où et n’importe quand : « Et ce ne sont pas seulement les ennemis extérieurs qui me menacent ; il en est aussi dans le sein de la terre ; je ne les ai encore jamais vus, mais les légendes en parlent et j’y crois fermement. Ce sont des êtres de l’intérieur de la terre ; la légende elle-même ne saurait les décrire ; même ceux qui en ont été les victimes les ont à peine vus ». Avec ces ennemis légendaires et sans visage la terre elle-même, qui devait constituer une enveloppe protectrice et sûre, est contaminée par la menace, devient source d’une peur immaîtrisable.

Exposé à cette menace invisible, l’esprit avide de repos est condamné au travail épuisant de la pensée qui veut l’identifier, la prévoir et la prévenir, la conjurer pour s’en libérer. Cet épuisement de la pensée et de l’imagination, provoqué par l’attente de ce qui va certainement arriver mais n’arrive toujours pas, ne pourrait cesser qu’avec l’apparition de l’ennemi, le combat victorieux contre lui « pour qu’enfin – ce serait l’essentiel – je sois à nouveau dans mon terrier, tout disposé cette fois à en admirer même le labyrinthe, mais d’abord à tirer sur moi le couvercle de mousse et à me reposer, je crois, pour tout le temps qui me reste à vivre ! ». Tant que cet ennemi ne surgit pas, ne devient pas enfin visible (et, dans le récit, il ne surgira pas) la pensée se nourrit de cette attente anxieuse, se déploie avec toute l’énergie sans limites que libère l’absence de son objet réel.

La pensée insomniaque

Ce régime infernal de la pensée est intimement lié au sommeil, parce qu’il provoque l’impossibilité de dormir, ou l’interruption angoissée du sommeil. Au début du texte, pourtant, le sommeil semble encore le plus fort. Ayant aménagé dans le labyrinthe de son terrier des petites places rondes destinées au repos, le « Je » affirme : « Je dors là du doux sommeil de la paix, du désir calmé, du but atteint, de la propriété de ses propres murs ». La crainte du danger le réveille certes plusieurs fois, mais ces réveils ne se prolongent pas en une vigilance inquiète, au contraire : « Je ne sais si c’est une habitude héritée de temps anciens, ou bien si, même en cette demeure, les périls sont suffisamment forts pour m’éveiller : régulièrement, de temps en temps, j’émerge avec effroi d’un profond sommeil et je tends l’oreille, j’épie ce silence qui règne immuablement jour et nuit, je souris rassuré et, les membres détendus, je plonge dans un sommeil encore plus profond ». Dormir dans un abri sûr, ce désir lié à l’enfance et à son besoin de protection semble assuré par le terrier à son constructeur [2]. Parce que ce que le terrier « a de plus beau, c’est son silence ». Constatation immédiatement relativisée par une phrase qui annonce « le sifflement à peine audible » lequel, au milieu du récit, va définitivement rendre ce sommeil apaisé impossible : « certes, ce silence est trompeur ; il peut être interrompu tout d’un coup, et ce sera la fin ».

Une autre occurrence de ce sommeil profond apparaît ailleurs. Cette fois-ci, il n’est plus garanti par le silence, mais par un rêve, celui d’une construction parfaite de l’entrée du terrier qui le rend « imprenable » : « le sommeil où me viennent de tels rêves est le plus doux de tous ; des larmes de joie et de délivrance brillent encore à mes moustaches quand je m’éveille ». Le rêve surgit du plus intime du « Je » pour protéger le sommeil, il enveloppe le rêveur d’images rassurantes qui naissent du plus profond de lui-même et se répandent en lui comme un baume délicieux. Qu’elle vienne de l’extérieur (le silence) ou de l’intérieur de soi (le rêve), le sommeil a besoin de cette garantie pour être possible, il ne peut pas compter uniquement sur ses propres forces. Il apparaît donc comme une expérience fragile et incertaine, lorsqu’il est exposé à une menace, réelle ou imaginaire. Le récit de Kafka témoigne aussi de cette fragilité essentielle. On retrouve celle-ci dans les expériences où la violence du pouvoir veut détruire le plus intime de l’individu, dans les camps de concentration par exemple. Lisant le chapitre intitulé « Nos nuits » du livre de Primo Levi, Si c’est un homme, Pierre Pachet écrit ces lignes si justement accordées à ce que décrit Kafka : « La faculté de s’aménager des entours habitables est animale ; est humaine, en revanche, la suranimalité qui fait survivre cette faculté quand elle est contrainte à cohabiter avec la pensée – propre à l’homme, celle-là – qu’il n’y a plus de paix possible. La pensée est éminemment humaine, on le sait bien ; la dépasse pourtant en humanité le simple désir de dormir, de dormir avec la pensée d’un homme terrifié. Le nazisme vise cela ; il ne vise pas que la liberté de la pensée ; ou plutôt, s’il veut l’atteindre, c’est à travers le tiède, le tendre désir de dormir  [3] ».

Protecteur du sommeil, le rêve peut pourtant trahir le rêveur, se mettre au service de la menace : lorsqu’il devient le cauchemar de cette « gueule concupiscente qui renifle alentour et sans trêve », ou celui de la certitude effrayante de l’imperfection du terrier : « Plus terrible est l’impression que j’ai parfois, généralement en me réveillant en sursaut, que la répartition en cours est une erreur totale, qu’elle est susceptible d’entraîner de grands dangers et qu’il faut de toute urgence la rectifier, sans égard pour ma fatigue et mon envie de dormir ; alors je me précipite, je vole, je n’ai pas le temps de me livrer à des calculs ». Le réveil, ici, n’est plus suivi d’un sommeil profond et paisible : avec lui commence une veille qui voudrait ne jamais s’interrompre, une vigilance qui aimerait pouvoir supprimer le sommeil. La menace fait surgir une puissante volonté insomniaque qui s’empare du « Je » et l’assujettit : il faut que la conscience reste toujours en éveil, aux aguets, car lorsque « c’est moi qui dors, veille celui qui veut ma perte ». Dormir, c’est s’abandonner à la vigilance de l’ennemi, se livrer à elle. La passivité absolue du dormeur en fait déjà une proie offerte, sans défense.

Cette volonté insomniaque est exacerbée par la nécessité d’une surveillance permanente de l’entrée du terrier, qui seule pourrait en assurer une défense efficace. Le « Je », alors, voudrait pouvoir sortir de soi, s’extraire de lui-même pour se dédoubler, devenir à la fois celui qui veille et celui qui dort. Fantasme d’une conscience toujours vigile, qui protégerait simultanément l’entrée du terrier et le sommeil de son habitant. L’imagination surmonte le besoin indispensable de dormir par un scénario fantastique, à l’attrait irrésistible : « Je me cherche une bonne cachette et je surveille l’entrée de ma demeure – cette fois de l’extérieur – des jours et des nuits durant. On peut dire que c’est insensé, mais cela me cause une indicible joie, mieux encore, cela me tranquillise. J’ai alors l’impression d’être non pas devant ma maison, mais devant moi-même pendant mon sommeil, comme si j’avais la chance de dormir profondément et de pouvoir en même temps me surveiller intensément ». Ailleurs dans le texte, le désir de surprendre l’ennemi est tel que le « Je » se dédouble à nouveau, il devient à la fois celui qui surveille et l’animal prêt à s’introduire dans le terrier : « Je ne m’écarte plus, même extérieurement, de l’entrée ; patrouiller en rond autour d’elle devient mon occupation favorite ; c’est déjà presque comme si c’était moi l’ennemi et que j’épiais l’occasion favorable pour réussir à m’y introduire par effraction ». Le dédoublement de soi est la seule « solution » qui s’offre à l’habitant du terrier, que l’impossibilité de faire confiance à quiconque condamne à une solitude absolue : « Si seulement j’avais je ne sais qui sur qui compter, que je puisse poster en observation à ma place, alors je pourrais assurément descendre le cœur léger […] Mais de l’intérieur du terrier, donc d’un autre monde, faire confiance à quelqu’un d’extérieur – je crois que c’est impossible ».

Prisonnier du mouvement incessant de sa pensée, qui le précipite dans des modifications de l’organisation du terrier toujours insatisfaisantes, le « Je » intériorise à ce point la menace qu’il semble, par moments, devenir une menace pour lui-même, au bord d’une folie de la pensée qu’il ne maîtrise plus et dont il est la proie. Il se révèle littéralement traversé par un fonctionnement mental qui le submerge. La pensée insomniaque, alors, brouille la distinction de la veille et du sommeil, ouvre l’espace d’une expérience ambiguë où les repères de la réalité se troublent. Évoquant à nouveau ses multiples travaux d’amélioration du terrier, le « Je » conclut : « Tout cela métamorphose ma fatigue en agitation et en zèle, c’est comme si, pendant l’instant où j’ai pénétré dans le terrier, j’avais fait un long et profond somme » [4].

Le « sifflement » de la menace

A peu près au milieu du texte, le sommeil de l’habitant du terrier est interrompu par le bruit ténu d’un sifflement : « J’ai sans doute dormi très longtemps ; je n’émerge que du dernier sommeil, celui qui déjà se dissipait de lui-même ; mon sommeil doit déjà être très léger, car c’est un sifflement à peine audible en lui-même qui me réveille ». Pour le sommeil de celui qui se sait menacé, le moindre bruit peut être signe d’un danger, provoque le réveil et la vigilance. A partir de ce moment, toute l’activité mentale de la conscience va se concentrer sur ce sifflement : déterminer l’animal qui le produit, localiser le bruit, le supprimer. La menace n’a pas enfin un visage, mais un son, sur lequel vont se fixer toutes les hypothèses, tous les plans de l’habitant du terrier. La pensée insomniaque devient la proie du sifflement [5].

Ce sifflement, le narrateur croit pouvoir immédiatement en identifier l’origine : il est provoqué par un passage creusé par les « petites bestioles », qu’il a « beaucoup trop peu surveillées et beaucoup trop épargnées » jusqu’à présent. L’inquiétude suscitée par ce bruit ne débouche alors que sur un plan d’action efficace et rationnel : « Il faudra que je commence, en auscultant les parois de ma galerie, par localiser l’avarie grâce à des sondages, et ensuite que je supprime ce bruit ». Plan dont l’objectif final est l’anéantissement des « petites bêtes » : « Aucune ne devra être épargnée ». L’imagination se donne ici un adversaire taillé sur mesure : rien à voir avec les « ennemis légendaires » qui infligent une mort si rapide que leurs victimes les ont à peine vus, ou avec l’inquiétante « gueule concupiscente » qui renifle autour de l’entrée du terrier. Les « petites bêtes » semblent d’abord pouvoir conjurer la menace en lui offrant l’incarnation la plus rassurante. Mais le travail de recherches et les quelques sondages effectués par le « Je » pour localiser le sifflement se révèlent très vite sans résultat. Non seulement le bruit persiste, mais il donne l’impression de venir de partout à la fois : « Mais c’est justement cette uniformité en tous lieux qui me trouble le plus, car elle est incompatible avec mon hypothèse de départ ». Le plan efficace et rationnel va se défaire avec la persistance et l’impossibilité de localiser le sifflement ; celui-ci, peu à peu, ruine toutes les explications imaginées par l’habitant du terrier. L’hypothèse des petites bêtes est abandonnée pour laisser la place à une autre, bien plus inquiétante : « Mais peut-être – cette pensée aussi s’insinue en moi – s’agit-il d’un animal que je ne connais pas encore ». Un animal qui, un peu plus loin, est imaginé « gros » et travaillant « à une vitesse folle ».

Reprenant ces petits sondages aléatoires dans les parois de son terrier, le « Je » ne peut que constater qu’ils ne mènent à rien, et que l’anxiété qui le pousse à ces travaux désordonnés l’épuise, le plonge dans un état quasi somnambulique : « Plus d’une fois déjà, je me suis pour un moment endormi au travail dans quelque trou, une patte levée et crispée dans la terre que, à demi endormi, je m’apprêtais à arracher ». Un nouveau plan s’impose, « bâtir dans les règles une grande tranchée en direction du bruit », « plan raisonnable » qui suppose d’abord que le « Je » répare les dégâts occasionnés par ses précédents sondages, comble les trous qu’il a lui-même creusés dans les parois. Mais ce travail, l’habitant du terrier, à bout de forces et hanté par la persistance du sifflement, n’arrive pas à le réaliser, alors même qu’il savait l’effectuer, assure-t-il, d’une « façon inégalable » : « Mais cette fois, j’ai du mal ; je suis trop distrait ; sans cesse, en plein travail, j’appuie l’oreille à la paroi et j’écoute, et je laisse avec indifférence la terre que j’ai ramassée retomber en ruisselant dans la galerie au-dessous de moi ».

La menace décompose toute forme de rationalité, théorique ou pratique, qui s’efforce de la prévenir et de la conjurer. Elle retourne les efforts du « Je » contre lui-même, fait de l’écoute une véritable torture : « Et que de temps, que de tension exige cette longue écoute de ce bruit intermittent ! ». Elle révèle un régime de la pensée qui l’emporte au-delà d’elle-même, dans une fuite en avant sans fin. Avec elle la conscience devient, non plus l’abri d’une liberté ou d’un « bonheur » (celui de se laisser aller à ses pensées les plus spontanées), mais un instrument de supplice : « Mais à quoi bon tous ces rappels au calme : l’imagination galope, et je ne démords pas de l’idée – inutile de vouloir se l’ôter de la tête – que le sifflement provient d’un animal, non pas de nombreux petits animaux, mais d’un seul, et gros ». Avec le renforcement du sifflement c’est encore l’imagination qui installe, peu à peu, dans la conscience de l’habitant du terrier, la certitude angoissante de son encerclement : « Il a bien dû déjà, autour de mon terrier, parcourir quelques cercles, depuis que je l’observe. Et voilà maintenant que le bruit se renforce bel et bien, que les cercles par conséquent se rétrécissent ». Cet encerclement provoque alors une forme de déploration : le « Je » se reproche son « insouciance puérile », d’avoir négligé tous les avertissements, de ne s’être préoccupé que des « petits dangers » en oubliant « de penser réellement aux dangers réels ». Vaincue par la puissance du sifflement la conscience ne peut plus, alors, que se raccrocher à une ultime rêverie rassurante, dernière et dérisoire protestation contre la violence qui lui est infligée : « Certes, l’animal semble très éloigné ; s’il s’éloignait ne fût-ce qu’un peu davantage, sans doute le bruit disparaîtrait-il ; peut-être alors que tout pourrait s’arranger comme au bon vieux temps ; ce ne serait plus alors qu’une mauvaise expérience, mais bénéfique, elle m’inciterait aux améliorations les plus diverses ».

Evoquant « la métamorphose en ce qui est petit » si fréquente dans les textes de Kafka, et en particulier celle en petits animaux, Elias Canetti l’interprète comme un moyen « d’échapper à la menace en devenant trop insignifiant pour elle » [6]. Le Terrier peut être lu comme l’échec de cette tentative. Impossible, face à la menace, de trouver un abri, ni dans la pensée, ni dans la réalité extérieure. De cette expérience si proche de ce qui a été vécu (et l’est encore dans certains pays) par des hommes exposés à la terreur, le récit de Kafka offre une préfiguration saisissante. Mais ne garde-t-il pas aussi la trace du cataclysme que fut la première guerre mondiale ? Les galeries, les boyaux sans cesse creusés dans Le Terrier évoquent les tranchées, dans lesquelles des millions d’hommes ont fait l’épreuve d’une nouvelle forme de guerre. Les conditions extrêmes de cette guerre ont révélé un rapport des combattants à la terre sans précédent : « Pour personne, la terre n’a autant d’importance que pour le soldat. Lorsqu’il se presse contre elle longuement, avec violence, lorsqu’il enfonce profondément en elle son visage et ses membres, dans les affres mortelles du feu, elle est alors son unique ami, son frère, sa mère. Sa peur et ses cris gémissent dans son silence et dans son asile : elle les accueille et de nouveau elle le laisse partir pour dix autres secondes de course et de vie, puis elle le ressaisit – parfois pour toujours » [7]. Creuser, s’enfouir dans la terre pour se protéger d’une menace de mort anonyme, sans visage, annoncée par les bruits des différents obus et projectiles fut le quotidien de la plupart des combattants du front. Abri provisoire et fragile, la terre est aussi, comme dans le récit de Kafka, matière dangereuse, annonciatrice de mort, linceul ou tombe. Roland Dorgelès rapporte, dans Les Croix de bois, l’effroi provoqué par le bruit sourd des pioches des Allemands qui creusent, sous la tranchée, une galerie pour y installer une mine. La menace qui venait du ciel naît soudain du cœur de la terre elle-même : « Nous prîmes la veille. Les obus tombaient toujours, mais ils faisaient moins peur à présent. On écoutait la pioche » [8] ; « Tous assis sur le bord de nos litières, nous regardions la terre, comme un désespéré regarde couler l’eau sombre, avant le seau. Il nous semblait que la pioche cognait plus fort à présent, aussi fort que nos cœurs battants. Malgré soi, on s’agenouillait, pour l’écouter encore » [9] . Comme le sifflement du terrier, les coups entendus dans la tranchée signent cette condition nouvelle de l’homme : nul abri sûr pour lui, désormais.

Ne reste peut-être, alors, que la compassion pour l’être sans défense exposé à la menace, l’accueil muet de sa fragilité et de sa détresse. Dans une lettre à Max Brod datée de 1904, Kafka écrit : « Telle la taupe, nous nous frayons une voie souterraine et nous sortons tout noircis, avec un pelage de velours, de nos monticules de sable écroulés, nos pauvres petites pattes rouges tendues en un geste de tendre pitié » [10].

Alain Parrau

[1Franz Kafka, Le Terrier (Der Bau) traduction de Bernard Lortholary, Garnier-Flammarion, 1993, p.125. Ce récit inachevé, rédigé à Berlin pendant l’hiver 1923-1924, est le dernier des textes inédits de Kafka. Il sera publié une première fois par Max Brod en 1931. Le champ sémantique du mot allemand Bau est large : il désigne le terrier des petits carnassiers, mais aussi toute activité de construction ou n’importe quel édifice qui en résulte.

[2Dans son livre L’Autre Procès, Elias Canetti écrit, à propos de Kafka (qui souffrait d’insomnies) : « Il y a chez lui une sorte d’adoration du sommeil, il le considère comme un remède à tous les maux, ce qu’il peut recommander de mieux à Felice quand l’état de cette dernière l’inquiète : « Dors ! Dors ! ». Le lecteur lui-même ressent cette exhortation comme un envoûtement, une grâce divine » (L’Autre Procès, Gallimard, 1972, p.39).

[3Pierre Pachet, La Force de dormir, Gallimard, 1988, p.26.

[4Ce brouillage de la distinction veille/sommeil, réalité/rêve, peut être rapproché de la « condensation du réel et du fantastique » caractéristique, selon Claude Lefort, du totalitarisme, un régime politique où la terreur, la surveillance dont chacun se sent l’objet et la méfiance mutuelle qui en résulte, aboutissent à ce que « nul n’est sûr d’être à l’abri dans son lieu propre ».

[5Dans les expériences réelles des sujets exposés à la terreur, ce sont d’autres bruits qui incarnent la menace : celui de l’ascenseur, la nuit, dans les mémoires de Nadejda Mandelstam (les arrestations avaient lieu le plus souvent la nuit), celui des voitures de la Gestapo dans le Journal de Victor Klemperer.

[6Elias Canetti, L’autre procès, op. cit., p.113.

[7Erich Maria Remarque, A l’Ouest rien de nouveau, Le livre de poche, 1992, p.57.

[8Roland Dorgelès, Les Croix de bois, Le livre de poche, 1972, p.215.

[9Ibid., p.219. Ce sont les soldats de la relève qui seront victimes de cette mine.

[10Citée par Elias Canetti, L’Autre Procès, op.cit., p.114.


paru dans lundimatin#310, le 26 octobre 2021

3/27/2021

Little-Known Short Story by Franz Kafka

 

Returning to Riva: Close Reading a Little-Known Short Story by Franz Kafka

Daniel Heller-Roazen on Fleeting Narrators, Disappearing Text, and "The Hunter Gracchus"

Today, in a little harbour, which apart from fishing boats is normally used only by the two passenger steamers that ply the lake, there lay a strange bark. A clumsy old craft, relatively low and very broad, as filthy as if it had been swamped with bilge water, which still see med to be dripping down the yellowish sides; the masts incomprehensibly tall, the upper third of the main­mast snapped; wrinkled, coarse, yellowish-brown sails stretched in confusion between the yards; patch-work, too weak for the slightest gust.

I gazed in amazement at it for a time, waited for someone to show himself on deck. No one appeared. A workman sat down beside me on the harbour wall. “Whose ship is that?” I asked. ”This is the first time I have seen it.” “It puts in every two or three years,” said the man, “and belongs to the hunter Gracchus.”’

No introduction or commentary accompanies these sentences, which Kafka most likely wrote while in his Prague apartment. They evoke a set of events and conversations that he had begun to record in his notebooks four months earlier. 

A longer sequence in the so-called Oktavhefte, dated to December 1916, sets out a similar scene of arrival in fuller detail:

Two boys were sitting on the harbor wall playing dice. On the steps of a monument a man was reading a newspaper in the shadow of the sword-wielding hero. A girl was filling her tub at the fountain. A fruit-seller was lying beside his wares, looking out across the lake. Through the empty window and door openings of a tavern two men could be seen drinking their wine in the depths. Out in front the proprietor was sitting at a table dozing. A bark glided silently into the little harbour, as if borne on water. A man in a blue overall climbed ashore and drew the ropes through the wings. Two other men, wearing dark coats with silver buttons, carried out past the boatman a bier draped with a great tasseled cloth of flower-patterned silk, beneath which there evidently lay a human being. No one on the quay troubled about the newcomers; even when they lowered the bier to wait for the boatman, who was still busy with the ropes, no one approached, no one asked them a question, no one gave them a closer look.

This passage identifies the place of these occurrences. It is the town of Riva, on the northern shores of Lake Garda, where Kafka spent holidays in 1909 and 1913. It is striking that in both the diary entry and this sequence from the notebook, certain human beings are awaited and yet missing from the scene. The author of the text in the diary recalls expecting “someone to show himself on deck” before specifying this general absence: “no one appeared.” In the longer rendition in the notebook, the desertion is developed into a series of sentences about “no one.” 

In both texts, however, the observation of absence gives way to the introduction of a name and title belonging to one person. Each time, the reader learns that the hunter Gracchus has arrived—or rather that he has returned in his customary fashion. Men in “dark coats and silver buttons,” in the notebook, proceed to convey the hunter’s bier to a “yellowish two-storied house that rose abruptly on the left close to the water.” Next, they carry it “through the low but gracefully pillared doorway” into a “cool, spacious room at the rear side of the building, from which no other house, but only a bare grey-black wall of rock was to be seen.” The “carriers” light candles at the head of the bier, but it seems that only a play of shades is perceptible. The candles “gave no light to the room; it was just as if shadows had been merely startled from their rest and sent flickering over the walls.”

It is striking that in both the diary entry and this sequence from the notebook, certain human beings are awaited and yet missing from the scene.

At this point in this longer sequence from the Oktavhefte, the “human being” aboard the barge is described. “The cloth covering the bier had been thrown back. Lying there was a man with wildly matted hair and beard, his skin sunburned, rather like a hunter in appearance. He lay there with his eyes closed, motionless and apparently without breathing, yet only the surroundings indicated that perhaps this man was dead.” The seemingly incidental word “perhaps” (vielleicht) soon shows itself to be crucial. A “gentleman” of considerable importance, “an old man with a top-hat and a mourning band,” enters the house, proceeds to the room, and steps up to the bier, laying “his hand on the brow of the recumbent figure.”

He kneels down to pray, indicating to the “carriers” as well as the solitary boatman that he is to be left alone with the body of the unknown “human being.” “At once” the man lying on the bier opens his eyes, turns “his face towards the gentleman with a painful smile,” addressing him: “Who are you?” That question is easily answered; the distinguished gentleman is Salvatore, burgomaster of Riva. Far less certain are the terms with which the reclining hunter himself responds to his interlocutor’s queries: ‘”Are you dead?’ ‘Yes,’ said the hunter, ‘as you see. Many years ago, indeed it must be an uncommonly long time ago, I fell from a rock in the Black Forest—that is in Germany—when I was hunting a chamois. Since then I have been dead.’ ‘But you are alive, too,’ said the burgomaster. ‘To some extent,’ said the hunter, ‘to some extent I am alive too.”‘

Undoubtedly deceased and yet also “to some extent” (gewisser­maßen) alive, the hunter Gracchus has been forced to become a traveler. “My death boat went off course,” he avows. “A wrong turn of the wheel, a moment’s absence of mind on the part of the helmsman, the distraction of my lovely native country, I cannot tell what it was; I only know this, that I remained on earth and that ever since my boat has been sailing.” Gracchus is, in his words, “forever on the great stairway” to the other world. “On that infinitely wide and open stairway I clamber about, sometimes up, sometimes down, sometimes on the right, sometimes on the left, always in motion. But when I soar up with a supreme effort and can already see the gate shining above me, I wake up on my old boat, still forlornly stranded in some earthly sea.” To the burgomaster’s pointed and far from uninterested question as to whether the hunter now means to take up residence in his lakeside city, Gracchus, making light of such a possibility, offers few assurances. “‘Now have you a mind to stay here in Riva with us?’ ‘I have no mind,’ said the hunter with a smile, and to excuse the jest he laid his hand on the burgomaster’s knee. ‘I am here, more than that I do not know, more than that I cannot do. My boat has no rudder; it is driven by the wind that blows in the nethermost regions of death.”‘ 

The hunter Gracchus is a diminished human being in a sense that is new in this investigation into variously missing persons. It would be imprecise and insufficient to consider him an “absentee” according to any traditional definition of that term, even if by his own account his whereabouts have been unknown for an unusually long time: “Fifteen hundred years,” as he wistfully recalls in one of Kafka’s other accounts of him. Unlike a missing person in the legal sense, he cannot be presumed to be alive; in his every appearance, he insists that he has died. It would be at least as dissatisfying, however, to infer that he is a nonperson after the manner of those who suffer a “decrease of the head.” Although it is likely that Gracchus may not lay claim to the rights and prerogatives of any ordinary subject of the law, it is certain that the death that he claims to have suffered is not exclusively civil. His case, in short, is neither that of the legal person crafted in the absence of a body nor that of the living body that persists in the diminution or nullification of the legal person.

Nonetheless, like the representation fashioned in the aftermath of the missing body and the peculiar status of the human being diminished by some formal legal or social procedure, the hunter Gracchus is, in a precise sense, a nonperson. For he is a being about whom—or which—it is impossible to maintain either of these contradictory propositions: that “he is a person” or that he “is not a person.” In his return to Riva, as in his intermittent appearances in Kafka’s papers, he raises a disquieting, yet intractable question: the question of what, in a human being, outlasts death, being “to some extent” alive.

Each time, the reader learns that the hunter Gracchus has arrived—or rather that he has returned in his customary fashion.

Any consideration of Kafka’s accounts of Gracchus must begin with the observation that they are unpublished and unauthorized; in principle, all were to be destroyed according to the author’s wishes. None of the surviving texts can be considered complete in any simple sense, and the variations, commonalities, and breaks among the extant “versions” of the material have been variously interpreted. It remains uncertain how many Gracchus texts there are. Some scholars argue for the existence of three versions of the material, others for five. Malcolm Pasley, the editor of the German critical edition, suggests, on the basis of a convincing study of Kafka’s papers, that there are four “Gracchus fragments.”

The surest point of entry into the universe of this multiple, yet insistently loquacious dead man may lie in the formal architecture of Kafka’s four narrations. They rely on a single set of grammatical possibilities: those afforded by personal pronouns. Each time, it is by means of an/, a you, or a he that Gracchus is announced. 

The “fragments” can be ordered by means of the role these persons play. The diary entry consists first of sentences belonging to some third person’s perspective and then of an exchange in direct discourse, involving an / and a you. This sequence first relates the events that occurred “today, in the little harbour,” in an impersonal voice; then it introduces the view of a narrator, who appears as a witness to the arrival of the “clumsy old craft.” He recalls striking up a conversation, in perplexity, with a workman near the water: “I gazed at it in astonishment for some time, waited for someone to show himself on deck. No one appeared. A workman sat down beside me on the harbour wall. ‘Whose ship is that?’ I asked.” The passage ends with an answer, in direct discourse, which concerns neither the speaker nor the addressee, but the unseen owner of the bark: “‘It puts in every two or three years,’ said the man, ‘and belongs to the hunter Gracchus.”‘

By contrast, the longest of the Gracchus narratives in the notebooks lacks any reference to a narrator. This sequence begins resolutely in the third person, with sentences that seem to admit of no subjective perspective, according to the Flaubertian model of impersonality that Kafka admired and made his own. The scene at Riva is laid out absolutely, without any indication of time with respect to storytelling, such as “today,” and without any indication of perspective with respect to the origin of the discourse, such as “I” or “you.” No one recounts these few details: “Two boys were sitting on the harbour playing dice. On the steps of a monument a man was reading a newspaper.” It is only once the burgomaster and Gracchus are alone in the dark room that the discourse shifts. Diegesis gives way to mimesis. The first words are those of the man on the bier: “Who are you?” The two men begin to converse. Each addresses the other as a second person; each uses the first person for himself. This text ends with the words of the hunter, which do not explicitly evoke anyone: “My boat has no rudder; it is driven by the wind that blows in the nethermost regions of death.”

The notebooks contain a further account of Gracchus that possesses a different grammatical and literary form. This sequence begins and proceeds without any narration, consisting solely of the exchange of direct discourse in conversation. Everything occurs within one cabin on the “old boat.” The inception is a question that is addressed to the hunter and that refers to speech omitted from the text: ‘”What is it you say, hunter Gracchus, you have been sailing for hundreds of years now in this old boat?’ ‘For fifteen hundred years.’ ‘And always in this ship?’ ‘Always in this bark. Bark, I believe, is the correct expression. You aren’t familiar with nautical matters?'” Here there are only two persons, and both are speakers. Over a bottle of wine, Gracchus answers his interlocutor’s questions about his vessel, its recently deceased master, and his own origins, death, and survival—until he learns of his conversation partner’s ignorance. Belatedly, it occurs to the pensive hunter to pose a question whose answer proves the occasion for the end of the discussion:

“I say, do you know the Black Forest?” “No.” “You really don’t know anything. The little child of the helmsman knows more, truly far more, than you do. Who wafted you in here anyway? It’s a calamity. Your initial modest y was only too well justified. You’re a mere nothing I am filling up with wine. So now you don’t even know the Black Forest. And I was born there. Until I was twenty-five I hunted there. If only the chamois hadn’t led me on—well, now you know it—I’d have had a long and happy hunter’s life, but I was lured by the chamois! I fell and was killed on the rocks below. Don’t ask any more. Here I am, dead, dead, dead. Don’t know why I’m here.” 

Any consideration of Kafka’s accounts of Gracchus must begin with the observation that they are unpublished and unauthorized; in principle, all were to be destroyed according to the author’s wishes.

This rapid summary of the syntax of three Gracchus texts suffices to define their permutations of grammatical and narrative form. There are, in short, two sequences that begin in a third person before passing into dialog and introducing speakers: the diary entry and the extended narrative from the notebooks. There is, moreover, one sequence that consists wholly of dialog: the conversation in the cabin. The fourth “fragment,” however, is of another form. It knows neither the third person nor the second; in it, narration and dialog remain equally absent. There, a first person writes alone. He reflects on his condition: “As I write this I am lying on a wooden board; I wear—it is no pleasure to look at me—a filthy winding-sheet; my legs are covered by a large woman’s shawl of flower-patterned silk with long fringes.” He recalls the origins of his state:

I have been lying here ever since the time when I, still the live hunter Gracchus at home in the Black Forest, was hunting a chamois and fell. Everything happened in good order. I gave chase, I fell, I bled to death in a ravine, I was dead, and this bark was supposed to convey me to the next world. I can still remember how cheerfully I stretched myself out on this board for the first time; never had the mountains heard such song from me as was heard then by these four still shadowy walls. I had been glad to live and was glad to die; before stepping aboard I joyfully flung down my miserable accoutrements, rifle, knapsack, hunting coat, that I had always worn with pride, and I slipped into my winding sheet like a girl into her wedding-dress. I lay there and waited.

The fourth version might seem to complete a circuit of narrative possibilities drawn out in the other three “fragments.” After texts of narration in the third person and texts of dialog in which each speaker addresses a second person, the reader encounters a statement in the first person. But the truth is that this fourth rendition stands apart. The others contain elements suggesting the possibility of a transition, in storytelling, between speaking subjects. From a third person, they move to a first person and to a second person; from a first person, they pass to a second person and conversely leave open the eventuality of a transition to a third. Yet the sequence in which Gracchus writes on his wooden board refuses the perspective of any third person; this recounting excludes any viewpoint but that of the solitary writer. For this reason, it precludes the possibility of an interlocutor, forbidding dialog as such. Alone, the writer draws out this consequence:

No one will read what I write here. No one will come to help me. Even if there were a commandment to help me, all the doors of all the houses would remain closed; all the windows would stay closed; all the people would lie in their beds with the blankets drawn over their heads; the whole earth one great nocturnal lodging. And there is sense in that, for no one knows of me; and if anyone knew of me, he would not know where I could be found; and if anyone knew where I could be found, he would not know how to help me. The idea of wanting to help me is a sickness, and it has to be cured in bed. 

It has often been noted that by its structure, writing in general anticipates the vanishing of its author, being language crafted to survive the cessation of speech. This text renders that disappearance brightly visible. In the notebook, this passage appears to follow the statement, “I am the hunter Gracchus; my home is in the Black Forest in Germany.” But after those words of self-identification, Kafka draws a line. Only then does he write “No one will read what I write here.” As Roland Reuß has noted, the consequence is that it is not immediately evident to whom this statement belongs; only in the next folio is it referred to the hunter Gracchus. The most striking feature of this passage, however, concerns not the effacement of the writer, but the programmatic denial of the possibility of a reader. “No one will read what I write here” seems to be the statement of an uncompromising exclusion. The truth is that it is equivocal. In a first sense, it establishes a simple inexistence: there will be no reader for what is written. In a second sense, the statement has a different meaning: according to the paradoxically affirmative syntax of its form, it suggests that there is a reader—one who is, however, “No One.”

This rapid summary of the syntax of three Gracchus texts suffices to define their permutations of grammatical and narrative form.

This would be Kafka’s Roman hunter’s variation on Odysseus’s ancient ruse. Gracchus guarantees that even—or especially—where his words are heard, they will be perceived by someone utterly lacking in identity or individuality, or both. They are for No One. To the obvious question of who might this No One be? Gracchus suggests an answer: it is a person such as himself, the solitary writer. Reader and writer share in a single impossibility. Each is no one, either on account of being of no consequence, “a mere nothing being filled up with wine,” according to the dialogic sequence of the material, which casts the hunter’s conversation partner as an amiable Polyphemus, or on account of being so untimely as to be unknowable. Yet there is also a further sense in which the writer, like the reader he denies, is no one, and it is still more disquieting. Being someone or something that is “to a certain extent” alive past death, Gracchus eludes the very idea of a human being. He is not person, but rather the indeterminate and indeterminable remains of one.

What is certain is that Gracchus writes, and he does so solely for himself, whoever or whatever he may be. Without troubling himself to add an indication of time or place, he composes a diary of a kind, if only on a single page, without preface or continuation. In this sense, he is not entirely unlike the writer called “Kafka,” which in Czech means “jackdaw” or, in the language of the Romans, gracchus. An imagined No One or the real and only author, a first person, a second person, or a third, the hunter Gracchus can in any case be only an absentee. Nonetheless—and for this very reason—he and the questions he raises make appearances and reappearances, visits and visitations, in Kafka’s own books and diaries and beyond them: in the variegated fields of law, mythology, ritual, and theology. From time to time, Gracchus returns to Riva, place and also “shore” (riva), living on, defying the power to name and to represent. 

Absentees: On Variously Missing Persons by Daniel Heller-Roazen

From Absentees: On Variously Missing Persons by Daniel Heller-Roazen. Used with the permission of Princeton University Press and Zone Books. Copyright © 2021 by Daniel Heller-Roazen.



Daniel Heller-Roazen
Daniel Heller-Roazen
Daniel Heller-Roazen is the Arthur W. Marks ’19 Professor of Comparative Literature and the Council of Humanities at Princeton University. He is the author, most recently, of No One’s Ways: An Essay on Infinite Naming, Dark Tongues: The Art of Rogues and Riddlers, and The Fifth Hammer: Pythagoras and the Disharmony of the World
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