
Toute culture commence avec un conte – la nôtre, apparemment, 
finira avec une légende où cultures, peuples, dieux maîtrisés ou non, 
paysages et logiques danseront comme des lutins ou comme des nymphes, et
 nul ne saura dire s’il s’agit d’une danse macabre ou d’un ballet 
optimiste, de résignation ironique ou du fondement d’une nouvelle santé.
Quatrième tome du Bréviaire de Saint-Orphée, Europa Minor s’ancre comme le tome précédent dans l’Espagne du 16ème siècle. Mais, en lieu et place du François Borgia de Escorial,
 c’est de Saint Toribio qu’il opère l’hagiographie. Né en 1538 et mort 
en 1606, ce saint très particulier fut nommé président du Tribunal 
d’Inquisition en 1552 par Philippe II alors qu’il était… laïc, puis 
Archevêque de Lima dès 1581. Dès cette date, il n’eut de cesse, toute sa
 carrière, d’œuvrer pour ses pauvres. N’hésitant pas, pour ce faire, à 
heurter les puissants en place et à utiliser, fort adroitement, toutes 
les ficelles du pouvoir. Ainsi ce personnage est-il aujourd’hui encore 
célébré, dans nombre de chansons populaires américaines, comme une sorte
 de Robin des Bois hispanique. Cette alliance entre le temporel le plus 
incarné et le spirituel ne pouvait que plaire à l’Ogre de Budapest.
Placé sous cet exergue, toute la suite du tome s’articule autour de 
trois personnages principaux : Elizabeth de Valois (1545-1568), Akbar 
(1542-1605) et Marie Tudor (1516-1558). Chacun de ceux-ci recevant une 
voix à laquelle vient bien entendu se mêler celle de l’auteur, cette 
dernière s’entremêlant elle-même de textes censément ramenés par Francis
 Drake  (1540-1596). Et dans l’entrelacs, peu à peu, se dessine une 
idée, un thème : l’Europe est bien plus la résultante de l’Orient qu’un 
reliquat de l’Antiquité. Et l’avenir de l’Europe – si un avenir est 
encore possible – ne pourrait dès lors tenir en un retour, forcément 
illusoire, à une Héllade fantasmée, mais ne serait possible que par la 
prise en compte, pleine et entière, de cette origine. L’Europe sera 
orientale ou elle ne sera pas…
Composé alors même que l’Europe sombrait dans le chaos (Europa Minor 
fut écrit originalement en 1937, puis revu en 1973), ce quatrième tome 
est bien entendu l’occasion, pour son auteur, de nous donner à lire des 
fantaisies de son cru (les histoires tirées du livre d’Akbar ne sont pas
 loin de la fantasy la plus délirante) et des considérations esthétiques
 définitives et éclairées (le mondain est perfection, l’ornement est 
l’art ultime) mais il est donc aussi l’occasion d’une réflexion, 
toujours nécessaire, sur nos origines.
En rendant à ses personnages leur complexité (Drake, serviteur de la 
couronne et corsaire ; Akbar, machiavel moghol et premier instigateur 
d’un syncrétisme des trois monothéismes ; Toribio, religieux et voleur, 
etc…), il leur rend aussi leur historicité. Et par là même, aux 
antipodes d’un érudit (si besoin en était encore, ce tome-ci est 
l’occasion parfaite pour vérifier l’ampleur sans fond de sa culture) 
glosant en chambre close, par ses tentatives – réussies – d’épouser le 
réel dans sa totalité, il fait ô combien œuvre utile.
Miklos Szentkuthy, Europa Minor, 2017, Vies Parallèles, trad. Georges Kassaï et Robert Sctrick avec la collaboration d’Elizabeth Minik.