1/25/2021

révolution Grothendieck


Mathématique et Apocalypse

La révolution Grothendieck
Jacques Fradin


Le refus total contre le refus parcellaire

Le texte sera divisé en deux parties :
Une première partie continue, exposera les thèmes essentiels.
Une seconde partie, placée en note, sera composée de références, nombreuses mais très limitées, références classées par thèmes et qui devraient permettre, pour chaque point, conflictuel ou anxiogène, de développer les critiques et les réflexions.
L’ancrage de la seconde partie, référentielle, sur la première partie se fera au moyen de « noms », noms suivis d’un numéro de renvoi à la bibliographie. Par exemple : Freyd Scedrov 10.4 – la question des « signatures ».

Mais nous mettrons à part « le testament » d’Alexandre Grothendieck, Récoltes et Semailles, Réflexion et témoignage sur un passé de mathématicien, document non publié, en ligne université de Paris 13, lipn.univ-paris13.fr.
C’est ce « document » de plus de 900 pages (929) que nous allons tenter de « résumer ».
Sans parler d’une introduction à la théorie mathématique des catégories (renvoi à Jean-Pierre Marquis 8.3).
Pour une introduction générale à la révolution Grothendieck (Bourbaki) voir la partie 1 des notes bibliographiques. Pour une introduction mathématique à la théorie des catégories renvoyons simplement à Wikipédia (en anglais), articles Topos, Categorie, etc. Aussi Olivia Caramello, 10.8, 10.9.
Un résumé des thèses retenues est proposé en section 2 (plus bas).

1

Il est très difficile de faire « comprendre » la mathématique, surtout celle qui résulte de la révolution Grothendieck, à qui n’est pas mathématicien. Autant, qu’ici, le « comprendre » ne peut se distinguer de « l’apprendre ».
Et autant que toutes les écoles philosophiques (antiques) ont mis l’apprentissage mathématique (géométrique) à la base de toute pensée, à la base de toute dynamique de pensée.
Et non pas pour « mécaniser » cette pensée (comme le pensait Pascal ou, d’un autre point de vue, Lacan, « les mathèmes » – la mécanisation du mathématique ou la mathématique comme mécanique de la pensée, voilà ce contre quoi s’acte le soulèvement Bourbakiste, bientôt sous les couleurs de Grothendieck).
Mais, au contraire, pour en manifester le caractère « mystique ».
La mathématique, selon Grothendieck, doit donc « s’appréhender » (toujours « le prendre ») comme « mystique ».
La parole du silence.
La ragazza indicibile, pour gloser, traduire, transformer Giorgio Agamben (Agamben que nous placerons AVEC Grothendieck).
Cette parole silencieuse, la mathématique n’est qu’écriture « mystérieuse », « révèle » les grands mystères : mais « révélation » de quoi ? Et de quels mystères ? Du monde ou de l’au-delà ? – on connaît bien l’ambiguïté des « oracles », voire leur caractère incompréhensible et soumis aux plus violents conflits d’interprétations – la mathématique oraculaire est plongée au cœur d’un tel conflit violent : langage structural « pur » ou engrenage d’emprise sur le monde (le mystère du monde « écrit » en caractères mathématiques) ?
Cette parole silencieuse fait trépigner tous les empiristes, tous les positivistes, tous les pragmatistes, tous ceux pour qui « le langage est un outil », politique, démagogique, et la mathématique une arme (de destruction massive).
Que peut-elle, donc, « révéler » d’autre que « les grands mystères du monde » ?
Et, alors, ne peut-elle pas être « enrégimentée », rendue utile & agréable ?
On connaît bien les relations difficiles entre les rois (militaires) et « les devins » (qui « devinent », et formulent des pré-visions, à leurs risques et périls).
On connaît bien le sinistre destin du Zen japonais : de la mystique, de l’apophatique, de la profération négative – le Koan zen – à la caserne, au déplacement sur les lieux de la positivité intégrale et apocalyptique, là où la révélation se confond avec la destruction, l’apocalypse.
On connaît bien la généalogie militaire des sciences de l’ingénieur et des mathématiques appliquées à ces sciences (ou à l’informatique).
Alexandre Grothendieck, « le plus génial des mathématiciens », s’est heurté au mystère et à son administration.

Grothendieck énonce que « la profération mathématique », la parole du silence, ne « révèle » aucun autre mystère que celui du VIDE dynamique – « l’au-delà » que tente de structurer la physique des énergies.
Grothendieck énonce : le mystère est qu’il n’y a aucun mystère !
RIEN que des flux de paroles silencieuses, vides et à vide. Et des formations de domination.
Mais cette parole oraculaire, évidemment énigmatique, du Sphinx Grothendieck, cette parole pouvait (et devait) être « interprétée » par des légions de « mystagogues » (démagogues), les « mathématichiens », et « retournée », corrompue, en force de frappe militaire (la mathématique « pure » bourbakiste devient la base de lancement des missiles des mathématiques pour les ingénieurs ou les informaticiens).
En résulte un gigantesque conflit autour de la question du « mystère » et des interprétations.
La révolution Grothendieck se situe au cœur du conflit et tente de faire basculer la parole silencieuse, mathématique, du côté d’une « révélation » apophatique de « l’au-delà », du réel des puissances de pulsation ou de l’univers énergétique (sans substance).
Développer un énorme appareil mathématique vers de plus en plus de « généralisations » ou de questions « universelles » (au sens apophatique du terme « universel », Franke 6.1, Palmgren 7.4).

Mais une telle révolution ne pouvait que se heurter « au monde », à la vision empiriste, positiviste, pragmatiste, utilitariste.
La révolution Grothendieck devait donc se terminer, inévitablement, par un échec.
Échec qui « décidera » de la sécession « écologiste » (le recours à la forêt) de Grothendieck. Et qui se traduira par une critique « décidée » (et qui rompt, coupe) de toute techno-science ; techno-science dont le prototype est la chimie.

Comme il est très difficile de faire « apercevoir » l’ampleur mathématique, dans l’ordre de la pensée, de la révolution Grothendieck, révolution DANS la mathématique et DANS la pensée, nous avons tenté, ce qui compose cet « essai », de présenter cette révolution en « mobilisant » Giorgio Agamben.
Et, de détourner, essentiellement, les méditations d’Agamben sur la parole, la voix, le langage, la poésie (les références 5).
Car on peut dire que Grothendieck concevait la mathématique comme un gigantesque chant poétique, le chant des flux et des transformations (relire tout Gilles Châtelet, dont L’enchantement du virtuel – les enjeux du mobile).

Comme d’habitude, un des plus « grands » livres d’Agamben est un « petit » ouvrage.
C’est ce petit ouvrage (en collaboration avec Monica Ferrando) que nous placerons au centre de cet « essai » (Agamben, 5.5, 5.5b).
La ragazza indicibile, Mito e Misterio di Kore, 2010 ;
The Unspeakable Girl, 2014.
Il n’existe pas de traduction française.

La parole du silence : l’indécidabilité entre la voix et le silence (entre la voie et la catastrophe).
La décision linguistique qui transforme, de manière indécidable (par un coup nomique), l’indécidabilité en ordre de bataille.
La décision, la coupure sanglante, qui « fond » voix et voie.
Ce merveilleux petit ouvrage d’Agamben sera donc placé au centre de cet « essai » consacré à la révolution Grothendieck et, j’insiste, révolution DANS la mathématique.

Dans cet « essai » nous tenterons d’expliquer que la sécession écologiste, pour Grothendieck, est la conséquence de la révolution mathématique (de la théorie des catégories) et, exactement, la conséquence de l’ÉCHEC de cette révolution.

2
[Résumé]

La révolution Grothendieck est l’expression la plus « pure » de ce qu’Agamben nomme « nouvel usage des choses » ou « jeu avec les objets traditionnels » (la destitution, la désactivation). Le messianisme faible (lié au « nouvel usage »), mais radicalement révolutionnaire, d’Alexandre Grothendieck, ce messianisme repensé en termes d’Agamben, est, d’abord, un vaste éclat de rire, puis la reformulation, joueuse et en termes de jeu, de l’objet « mathématique » en entier. Un enfant rieur détruisant les constructions établies. Pour remonter de nouvelles structures. Qui seront, sans cesse, « déconstruites ».

La révolution Grothendieck n’est rien d’autre que « la révolutionnarisation » de la mathématique, afin de jeter sur le côté, afin de destituer ou de rendre inopérante toute « application », toute prétention à déployer une mathématique appliquée, utile, productive, etc.

La révolution Grothendieck est l’aboutissement du projet à la Bourbaki, bourbakiste ou bourbachique (Dieudonné, 1.4), des « mathématiques pures » (structurales). L’élève devenu le maître.
Pour la révolution Grothendieck, il s’agit de déployer un nouvel usage de la mathématique, manière Bourbaki, nous l’avons dit ; il s’agit d’étendre un jeu, le grand jeu, jouer avec les éléments mathématiques, les reconfigurer ; et, surtout, règle essentielle du grand jeu, interdire les mathématiques appliquées, des sciences de l’ingénieur à l’informatique (l’informatique, la bête noire) et à l’économie entière (fondée comme comptabilité), procéder à la désactivation des mathématiques traditionnelles (les mathématiques des épiciers, les nombres, les calculs, Hellman 7.3), rejeter tout ce qui passe pour « mathématiques utiles », utilitaires ou moyens pour des développements de force.
Car, pensée conséquente de cette révolution, toute application (réalisation « utile ») est « dévoilée » comme une opération de force, capture, emprise, extraction, réduction (Jivaro), exclusion par inclusion.
Le jeu, au sens d’Agamben, c’est l’étude, sans finalité pratique. Et « sans fin » (le « sans pourquoi » du « désœuvrement »). Étude qu’introduit la Théorie des Catégories, étude mathématique de la mathématique (et, donc, pensée réflexive, mathématique philosophique de la mathématique).

3

Récemment, dans LM, est paru un article du « groupe Grothendieck », émanation de l’esprit de révolte et de sécession d’Alexandre Grothendieck (LM 269, 4 janvier 2021, Avis aux chercheurs, aux professeurs, aux ingénieurs, Dix thèses sur la technoscience – Groupe Grothendieck, 4.6).
Il est bien connu que cette sécession, l’abandon de l’université à son triste sort (toute la rubrique 4), triste sort utilitariste de laboratoire techno-militaire ou techno-policier ou, encore, pour être mode, techno-génétique, il est bien connu que cette sécession a été « l’acte révolutionnaire » [1] fondateur de l’écologie politique (Survivre et Vivre, 1.7).

La sécession de Grothendieck est un acte politique de refus de la corruption de l’université, université devenue, au mieux, une école d’ingénieurs, au pire un centre technique (sociologique ou psychologique ou même « éthique »), c’est-à-dire un rouage de la machine techno-militariste ou techno-économique (la corruption de l’université s’exprimant, alors, par la soumission au « chantage à l’emploi » : il faut donner du boulot aux jeunes en les formant à la discipline productive).

Comme il a beaucoup été écrit sur ce sujet de « la destruction des humanités » (Rey, 4.4, ou Blanchet, 4.5) ou de la perversion de cette formation « universelle » à la pensée universelle (ce pourquoi l’université se nomme « université », l’héritage des écoles philosophiques qui étaient, toujours, des écoles mathématiques) ou de l’abandon de toute « vocation universitaire », nous voudrions déplacer la critique pour en arriver, peut-être, à « la raison » de la sécession d’Alexandre Grothendieck.

Pour cela il faut en revenir à la révolution Grothendieck, à « l’événement Grothendieck », pour parler comme Badiou (Nicolas, 3.1), à la grande révolution mathématique ; puis à son étouffement, selon une trajectoire thermidorienne, versaillaise ou stalinienne, étouffement si prévisible (et qui est la cause de la sécession : tenter de continuer la révolution, en prenant le maquis et en agissant par coups de poing « écologistes »).
La contre-révolution (des mathématiques appliquées, de l’informatique – l’informatique est intégralement contre-révolutionnaire) avec son lot de « renégats », les universitaires Thénardiers, a visé à (contre) anéantir, destituer la destitution, effacer la désactivation que visait Grothendieck. À ramener à l’ordre économique.
La révolution a, certes, eu ses fidèles, fidèles à « l’idée » de la nouvelle mathématique conceptuelle (Lawvere, 10.1) ; mais, surtout, a engendré beaucoup de « traîtres », qui n’ont pu abandonner le chemin pratique, utilitaire, de « l’application » (ou des « modèles mathématiques ») et qui ont participé à l’écrasement de la révolution « catégorique » ou conceptuelle, pour ramener (façon sauce thermidor) la révolution à un nouveau champ de formalisation pour l’ingénieur, ou pour l’économiste ou pour le sociologue ; ramener la mathématique conceptuelle à son statut traditionnel « d’outil de jardinage » (cette tradition que cherche, avant toute chose, à anéantir la révolution Grothendieck – mais que la contre révolution a restaurée).
La mathématique conçue comme outil, de formalisation, de calcul, la mathématique pour l’informatique, voilà l’ennemi qu’il fallait abattre ; et qui s’est révélé le plus fort ; car cet outil était l’âme de la force (armée, policière, économique – la calculabilité qu’il fallait désactiver).

La nouvelle mathématique, qui aurait résulté de la révolution Grothendieck, cette mathématique pure ou cette « musique de la raison » (Dieudonné), aurait dû permettre de revivifier l’université, en lui redonnant, à nouveaux frais, sa « vocation universelle » (retour aux écoles philosophiques antiques, où la mathématique joue un rôle central) ; vocation universelle d’école classique « des humanités » (Prado, 4.1).

Mais, ainsi, l’université, selon la révolution Grothendieck, serait devenue, ou redevenue, « une puissance de nuisance », une puissance destituante de critique, et non pas de construction positive, se dressant contre l’emprisonnement technique, techno-militaire ou techno-sociologique.
Une université radicalement inutile (au sens technique ou économique admis) et, pire, centre de critique ; voilà ce qui est impossible !
Une université qui retrouverait sa vocation (constituante des écoles platoniciennes) de permettre de construire « l’humanité universelle » par la plus haute culture, par la pensée critique radicale, par « les Lumières radicales » ; voilà ce qui est intolérable !
Y a-t-il, encore, des « universitaires » ayant la vocation « universitaire » ? Et n’ayant pas comme fonction fondamentale celle de « nourrir leur famille » ?

Il est arrivé à Grothendieck la même aventure qu’à Damascius (Damascius, le dernier scolarque de l’Académie d’Athènes fondée par Platon). Celui d’être nommé « le destructeur des âmes pieuses » par les nouveaux croyants ; les chrétiens armés pour Damascius, les techniciens zélés de l’atome pour Grothendieck.
Comme l’édit de Justinien, qui interdit l’enseignement de la philosophie (païenne) et ouvre l’époque des persécutions au nom du christ (ou de dieu), le jeu de force des subventions de recherche, le jeu des « contrats de missions », cela exerce la plus radicale censure et, finalement, amène à l’interdiction de la pensée.
Or la révolution Grothendieck avait pour objectif de remettre en activité la pensée critique (en suivant exactement le chemin des écoles anciennes qui lient mathématique et philosophie).
Pensée philosophique à la manière même des platoniciens, pour Grothendieck la mathématique était la voie royale (platonicienne) vers la pensée universelle « anti-utilitariste » – à condition que cette voie refuse toute direction pratique ou pragmatique, physique expérimentale, informatique, économique.
Rejeter la croyance en la force, militaire ou économique, des « modèles mathématiques ».
Car la mathématique n’est pas une fontaine « à modèles », ni un puits de modélisations.
La révolution Grothendieck brise toutes les prétentions technocratiques (dont se couvrent les mathématiciens – mathématiciens qui se transforment alors en « mathématichiens » poursuivant l’Alexandre).
Prétentions utilitaires, du reste bien manipulées par ces « mathématichiens », qui s’affirment « utiles à la cité » et, ainsi, cherchent à conserver leurs prébendes ou leurs crédits recherche en surfant sur l’idéologie scientiste positiviste pragmatique (peut-on se déclarer « inutile » ? – même les poètes cherchent à faire reconnaître « une utilité », visionnaire, morale, éthique ou autre à inventer).
La révolution Grothendieck était la hache de guerre qui s’abattait sur la dévotion techno-scientifique et sur l’idéologie positiviste des sciences appliquées (pour le bonheur de tous).
La révolution Grothendieck définissait la mathématique comme champ de « potentialité », « ouvroir de pensées potentielles », source de création philosophique.
La mathématique conceptuelle, à la Grothendieck, se présentait comme la forme aboutie de l’auto-réflexion philosophique : penser la pensée.
Là où le langage devient le seul objet du langage (mathématique pure de Dieudonné) et « ouvre » à une infinie création intra-discursive ; la mathématique comme musique ou comme poésie (voir commentaire de la note 3.1).
La mathématique structurale de Bourbaki répond à la formule de Derrida « il n’y a pas de hors texte » (formule structuraliste construite sous un chapeau bourbakiste) ; formule qui se prolonge en analyse « déconstructive » ou en déconstruction de l’illusion que le langage parle d’un extérieur à lui. Déconstruction de l’illusion empiriste qui dicte la formule thermidorienne des mathématiques appliquées : la doctrine pseudo-platonicienne (ou vendue comme platonisme du pauvre, Badiou, 2.1) de la forme du monde « réellement » gravée en termes mathématiques, curieusement calculables ou analytiques.
La mathématique conceptuelle de la révolution Grothendieck pousse la réflexivité philosophique au 3e degré de la création mathématique de « concepts mathématiques » permettant l’auto-réflexion, la réflexivité de 2e degré, la réflexivité intra-mathématique (Shapiro 7.1, Marquis 8.1, Marquis 8.2, Krömer 9.1).
Et, surtout pour Grothendieck, cette mathématique catégorique emporte une fonction politique : la fonction politique du mathématique (que nous ferons penser en traversant l’analyse de « la potentialité », analyse introduite par Agamben).
Fonction politique de la critique réflexive mathématique, révolutionnaire, conceptuelle, fonction politique de la critique de l’idéologie scientiste des mathématiques pour ingénieur ; et, par exemple, de la nature théologique du stupéfiant « calcul des variations », « la nature cherche le mieux ».
Fonction politique de la critique de la confusion entretenue, technocratiquement sectaire, entre mathématique et calcul ou calculabilité. Il n’y a pas de calcul en mathématique ; ou, ce qui est calculable n’est pas de l’ordre du mathématique mais du pouvoir politique autoritaire.
La confusion épicière ou la réduction comptable du mathématique au nombre, au calcul, au compte n’a qu’une finalité de légitimation idéologique : faire passer l’épicier qui compte pour un savant et, inversement, bien montrer que les savants sont de bons épiciers (qui savent, au moins, bien gérer leur carrière) ; tous mis sur un même plan comptable, l’expert-comptable, l’agent comptable, le conseiller auditeur (building a better working world), le directeur de labo, le chercheur vacataire attendant son enveloppe. La maîtrise du calcul comptable (ou de l’audit – nous sommes bien loin des mathématiques pythagoriciennes ou platoniciennes) étant censée jouer un rôle essentiel dans la création d’un monde meilleur.
Et l’on retrouve tous les arguments des fanatiques chrétiens qui poussèrent Justinien (le démagogue ?) à faire fermer les écoles platoniciennes (reprendre la référence à Damascius). Combien de Justiniens (technocrates aujourd’hui) pour pourchasser les infidèles, les mathématiciens conceptuels ?

4

Alexandre Grothendieck sera notre héros.
Il aura toujours été notre héros.
Notre « saint patron » (an-archiste) : Mégalexandros.
L’incarnation parfaite de ce qu’Agamben nomme « forme-de-vie » (avec des tirets), une vie inséparable de ses formes ou, plutôt, de son mouvement de pensée. Une vie de pensée et la pensée en vie.
Et la vie « en exil », « en fuite ».
Alexandre, notre héros, est celui qui a théorisé réflexivement la pensée réflexive et porté la mathématique comme expression supérieure de la philosophie, pensée comme pensée de la pensée.
La révolution Grothendieck, qui souffle en tornade (l’ange de Benjamin), de la mathématique vers l’administration des « choses » (supposées) libère « l’ouvert » des « potentialités » (et nous utiliserons la sémantique d’Agamben pour tenter de définir, au 3e degré, cette « puissance révolutionnaire » : penser la pensée de la pensée, alors même que cette puissance (de penser) ne se connaît que par ses effets de pensée ou ses constructions conceptuelles).
En (se) pensant réflexivement, la mathématique Grothendieck étant une pensée, ou en pensant la dynamique de la pensée, du structuralisme à la philosophie non standard et aux géométries et aux logiques non standard (tout le 9 des références, 9.3 en particulier), la mathématique réflexive de Grothendieck « dévoile », dégage, découvre, alétheia, la caractéristique performative et intrinsèquement politique du langage.
Le langage « interpelle », jamais ne « décrit ».
Alors l’histoire, qui est histoire de formations langagières (ou de calculs appliqués), cette histoire se manifeste comme une immense « fuite sans fin », apocalyptique certainement.
En croyant « décrire » la langue « prescrit » et « performe » ; et déplace sans cesse « les choses performées », entraînées dans une dynamique apocalyptique (mais « sans fin » : le royaume des mathématiques appliquées est celui des « fins suspendues », comme le montre exactement l’économie, cette forme triomphante de la numéricisation du monde).
La théorie mathématique Grothendieck, catégories, toposes, est l’énoncé de ce tragique de l’exil infini (qui s’exprime par « la forme-de-vie » Grothendieck et la sécession).
Pensée que la pensée pense uniquement par déplacements (morphismes), sans point d’arrêt, sans « réalité ultime », sans « chose en soi », sans perspective (la perspective étant de l’ordre des géométries canoniques) ; apocalypse sans téléologie ni eschatologie.
Pensée que la pensée est lancée comme un train infernal et à un train infernal (s’accélérant avec l’empilement des couches discursives).
Et d’autant plus que l’illusion empiriste positiviste « empêche de voir » cette fuite accélérée (en imaginant un point d’arrêt ou un point d’ancrage) – l’illusion mortelle, apocalyptique, qu’il y aurait un arrêt, une substance, une réalité stable (au fond), un point pour s’accrocher au milieu de la tempête performative, cette illusion accélère encore la fuite (« bientôt nous aurons trouvé » !).
Alexandre Grothendieck est notre Grand Katechon.
Mais inversé : en montrant que « l’arrêt » ne réside que dans « la sortie » (la sortie des simulacres ou des abstractions réalisées).
Alexandre Grothendieck est celui dont la révolution (éponyme) adopte les leçons de Walter Benjamin : la révolution est le frein d’urgence.
La révolution Grothendieck consiste à barrer la route de toute forme de mathématique appliquée, des dites sciences de l’ingénieur à l’informatique désastreuse et à la finance mathématique, cette arme de destruction massive.
La mathématique conceptuelle est l’étude réflexive du langage mathématique « pur », ce n’est qu’une critique ou « une écriture sans voix », une analyse structurale au 3e degré de la fermeture sur soi de 2e degré du langage mathématique (voir références 10, Caramello 10.8 et 10.9) ; une analyse de cette fermeture structurale qui, paradoxalement, mène à « l’ouvert » des « potentialités » (et, encore, nous utilisons le vocabulaire d’Agamben pour introduire « la puissance à vide » ou la puissance négative, sans objet, simple poussée).
Il y a une puissance de la pensée, puissance sans ancrage, « inopérative », mais qui « jette » des formes, linguistiques ou mathématiques, et qui « projette » sans trêve, ni répit, sans objet.
Le fantasme, Averroès (Brenet 5.9).
La folie humaine.
Qui s’exprime si bien par « le désastre écologique ».
Puissance terrible qui ne peut être canalisée que par une violence encore plus terrible (et qui hérite sa force de cette puissance déchaînée) : la violence des mathématiques appliquées ou des exercices des ingénieurs ou la violence de l’économie.
Le cercle vicieux (de la volonté de puissance – ou de la souveraineté).
Tout réduire au calculable ; alors même que cela est impossible et ne peut arrêter la fuite (il n’y a pas de série convergente) – penser à l’imaginaire de « la grande libération » qu’aurait dû apporter l’informatique, alors même que cette informatique déploie une force politique autoritaire (performative, constructiviste) et ne vise plus rien d’autre que la seule accélération de son mouvement d’abstraction ou de « super-vision ». Penser au rôle autoritaire de la performation comptable et à l’emprisonnement généralisé dans la forme de la mesure valeur, dans l’économie comme mathématique réalisée.
La révolution Grothendieck, en critiquant l’idéologie positiviste du langage, du bon langage qui parlerait des véritables choses, s’est affrontée à la coalition des « praticiens ».
Le terrible conflit des mathématiques pures conceptuelles et des mathématiques appliquées (ou de la physique théorique et de la physique expérimentale), ce conflit est le conflit pour « la libération de la liberté ».
La libération de la puissance de ne pas, la puissance négative qui résulte du refus de toutes les magies (les applications étant des exercices de magie, non pas noire mais politique), du refus de l’idéologie du langage pragmatique supposé s’accrocher à une réalité non linguistique ou permettre de manipuler les choses (la magie égyptienne classique).
Il y a la création poétique illimitée des mathématiques pures.
Et il y a la violence terrible de l’emprise.

Il est maintenant temps de comprendre la signification de la fermeture structurale du langage (ce que permet la révolution Grothendieck) et des « décisions » qui correspondent à cette fermeture. Ainsi nous pourrons comprendre pourquoi la fuite en avant « progressiste » est apocalyptique.

5

Grothendieck, Agamben et Benveniste.
Posons brutalement (nous y reviendrons, car c’est le cœur de la révolution) qu’il y a une coupure entre la sémantique et la sémiologie (ce qu’Agamben nomme « impasse de Benveniste », mais qui n’est pas une impasse du tout).
Cette coupure désigne le passage d’une conception « naturaliste », naïve, « magique » (ou magicienne) du langage – les mots et les choses (supposées) seraient mis en correspondance ou « en prise » (à lire emprise), il y aurait un engrenage – à une conception politique, nécessairement de 2e degré, où c’est le thème de « l’en prise » qui est pensé (et non plus posé), en prise alors pensée comme emprise, ce qui décale toute la réflexion.
Le langage « n’ouvre » pas aux choses, au monde, choses et mondes qui seraient déjà là avant leur désignation ou nomination. Le langage constitue, performe un monde « virtuel », imaginaire (et fou) – ce qu’il est commun de nommer « abstraction réalisée » – un monde « magique », si magique désigne la sauvagerie politique de l’imposition, de la mesure, de l’extraction, si magique est pris en un autre sens que celui des hiéroglyphes égyptiens.
Et c’est ce monde projeté, établi, constitué, réalisé, qui est pensé, par rétro-projection, « naturel » (ou même « réel »).
En croyant « décrire » le monde, qui serait déjà là, on en projette un nouveau ; nouveau qui s’impose de force par exclusion, exploitation, extraction ; et qui devient le « nouveau naturel » imposé.
Un mouvement permanent de déplacement (et notons que les déplacements sont au cœur de la mathématique conceptuelle) entraîne cette « fuite sans fin » nommée « progrès ».
Et, spécifiquement, entraîne une montée dans l’abstraction (encore une fois, montée analysée par la théorie des catégories au titre des « généralisations »), c’est-à-dire dans le désastre, écologique, en particulier (l’artificialisation).
La révolution Grothendieck, comme pièce de la grande coupure du 20e siècle, vise précisément cette « fuite sans fin » qu’exprime la mathématique appliquée ; l’engrenage supposé des mots aux choses et qui pulvérise ces choses en les transformant en matériaux exploitables, matériaux à leur tour socles d’une nouvelle montée dans l’abstraction.
La révolution Grothendieck anticipe la politique négative à la Agamben, celle de « la désactivation », de la désactivation des machines linguistiques ou mathématiques – désactivation d’abord en « dénonçant » ces machines comme des engrenages d’emprise, puis en définissant une politique associée à cette « dénonciation », une politique négative de sécession menant au désœuvrement ou à l’inopérativité.
La révolution Grothendieck, aboutissement du projet Bourbaki, est celle de « la désactivation » de la machinerie performative d’emprise des mathématiques appliquées : les mathématiques en prise qui constituent une emprise, mesure et abstraction galopante.
Le Grand Œuvre de Grothendieck, l’analyse mathématique du mathématique, mathématique définie comme structure fermée, la théorie des catégories qui est une théorie réflexive, philosophique, mais déployée en langage mathématique (la mathématique parle des mathématiques), la révolution Grothendieck a pour objet de casser l’idéologie commune de la langue, en introduisant une gigantesque théorie du simulacre et en développant des jeux dans les simulacres (Grothendieck est le Robbe-Grillet des mathématiques). Elle mène à une politique analogue à celle d’Agamben, « politique de destitution », expression de la puissance destituante.
La puissance de la révolution Grothendieck, son mouvement conceptuel intra-mathématique, est une puissance destituante (pour une introduction à cette question, Didi-Huberman 5.10).
La coupure époquale consiste en l’identification d’une logique d’abstraction, logique qui tisse le mouvement historial (de la fuite sans fin). Logique qu’Agamben nomme « logique de présupposition » (voir Agamben 5.1 à 5.7).
La structure de « présupposition » résulte de « l’événement du langage », de l’anthropo-genèse, par lequel le langage exclut et sépare de lui-même le non linguistique et, dans le même mouvement d’exclusion, capture le non linguistique qui est incorporé, ingéré, par abstraction structurale (notons que cette analyse est la même que celle du pouvoir souverain, qui inclut par exclusion, qui colonise, indiquant que la « signification » est toujours politiquement conformée – tout le problème du religieux, au sens romain, impérial, se tient là).
Le non linguistique, « la réalité », est ainsi absorbé, abstrait ; et disparaît comme « inconnaissable » – le connaissable n’étant que le « dicible ».
Une machine folle « anthropologique » se met en branle qui conduit de la magie naïve à la religion politique et à la techno-science utilitaire.
Alors, il n’est pas du tout innocent que l’adversaire, thermidorien ou versaillais, de la révolution Grothendieck, soit l’informatique, les mathématiques pour l’informatique, et la production à flux tendus de « nouveaux langages », langages opérationnels (qui renouent avec la magie antique) et non pas mathématiques, au sens de la réflexivité.
La mise à l’index de l’informatique par le groupe Bourbaki était un point de rupture non négociable.
Bien sûr, des générations de besogneux de l’informatique, « les programmeurs avancés », ont constitué l’armée contre révolutionnaire la plus terrible, une armée réactionnaire intégriste qui ne pouvait accepter la critique réflexive de leurs langages (trop visiblement constituants ou « objectaux »).
Armée qui avançait sous le drapeau, un autre « mensonge déconcertant », des mathématiques, mais des mathématiques utiles (surtout à la police).

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Simple note sur le « tournant linguistique ».
Ce tournant, qui fait l’objet de la critique la plus virulente de Badiou et des « nouveaux réalistes » (réalistes spéculatifs ou matérialistes transcendantaux), a été intégré par la révolution structuraliste Grothendieck.
Révolution structuraliste qui anticipe le post-structuralisme et, plus encore, le fameux réalisme spéculatif et qui peut facilement s’exposer en termes de « philosophie non standard » de l’irréversibilité (ce que nous faisons implicitement depuis le début de cette tentative – notons que la théorie des catégories a bouleversé le champ de ce qui était nommé « logique », en intégrant la logique à la géométrie, puis en permettant un foisonnement de « logiques non standard », correspondant aux géométries potentielles, Benthem 9.3, Goldblatt 10.6).
Ce structuralisme mathématique énonce qu’il existe « un Réel », « une matière », le Réel des potentialités ou des puissances « pures » négatives, « les puissances de ne pas ».
Un Réel qu’il faut adjoindre aux abstractions performées et qui explique la dynamique de l’abstraction.
Rajoutons à notre bibliographie (très) partielle, cependant indicative, la pensée pivot de Ray Brassier, Nihil Unbound.
Renvoyons à la partie 6 de la bibliographie, à laquelle ajouter Ashley Woodward, Nihilism in Post Modernity, excellente introduction à Baudrillard, dont la pensée serpente autour de celle du structuralisme (relire les classiques Le crime parfait, 1995, puis, plus ancien, Simulacres et Simulations, 1981 – précisément l’activité informatique ou des mathématiques appliquée constitue « un crime parfait »).
Et comme l’explique très bien Agamben, le Réel n’est pas une substance (statique) mais une dynamique, un flux énergétique, pensable en termes d’ontologie modale.

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Encore Grothendieck et Agamben.
Le projet Bourbakiste est un projet radicalement structuraliste.
C’est sans doute le projet fondateur du structuralisme ; autant ou plus que l’anthropologie de Lévi-Strauss, qui se réfère à Bourbaki (l’ascendance Évariste Galois – contre celle de Joseph Fourier).
Mais dans le projet structuraliste Bourbakiste, la révolution Grothendieck vise à aller plus loin, ce que l’on nommera post-structuralisme.
La révolution Grothendieck ne se contente pas de réorganiser, façon Bourbaki, la mathématique autour de systèmes de structures ou de théories de plus en plus englobantes – ce qui n’est qu’un 1er degré de réflexivité, celui de l’ordre interne ; elle montre, au 2e degré de réflexivité, que cet ordre est l’effet d’une critique interne de la mathématique par la mathématique (les généralisations et les problèmes universels).
Ainsi apparaît la théorie des catégories qui, en une vingtaine d’années (de 1950 à 1970), va permettre de repenser la mathématique et les entités mathématiques (Marquis 8.2).
Puis faire passer à un 3e niveau de réflexivité, celui de la pensée dynamique (les objets disparaissent au profit des flèches).
La révolution Grothendieck est celle-là. Grothendieck avait l’ambition de « révolutionner » la mathématique. Non seulement son ordre, Bourbakiste, au 1er degré, mais la manière même dont l’ordre était structuré, au 2e degré, puis la manière dont l’ordre était généré, au 3e degré.
À une pensée structuraliste synchronique s’adjoignait un schéma diachronique (celui des transformations) interne à la mathématique. Ce que Dieudonné résume sous le titre « catégories et faisceaux », Dieudonné 1.4, Godement 9.6, Mac Lane 9.8.
Et c’était cela, véritablement, la poussée Grothendieck, reconstruire la mathématique en termes dynamiques.
Reconstruction conceptuelle ou « pure » puisque la finalité Bourbakiste était de couper la mathématique de toute application.
Et ainsi de résoudre, de manière révolutionnaire, la question positiviste de l’accointance louche des mathématiques (appliquées) avec le militaire ou avec l’informatique ou avec l’économie.
L’application est une performance « extractiviste » qui consiste à opérer un prélèvement, effectuer une « exploitation », sur une infime partie du corpus mathématique, part généralement « la plus simpliste » (voir le Traité d’Analyse de Dieudonné 1.5 et le fameux « calcul marginal ») et qui se prête depuis des siècles à cette exploitation (la comptabilité est-elle mathématique ? – toujours Hellman 7.3, le nombre est-il une entité mathématique ?).
En rajoutant, thème essentiel de la révolution Grothendieck, que ces performances extractivistes sont des constitutions ou des conformations : la partie extraite du corpus mathématique est « projetée » et devient instituante (cadastres, comptabilités, tout un monde de potentialités écrasées pour permettre la calculabilité commune).
Les géométries et les logiques, qui sont des géométries, et qui permettent, par exemple, la comptabilité, puis, de fil en aiguille, « la calculabilité » ou l’informatique, sont toujours des géométries ou des logiques « antiques », mais qui sont incrustées et imposent au monde « calculable » des structures conservatrices (nous pourrions répondre à la question, que nous avons développée de biais – la conspiration des ingénieurs –, pourquoi les mathématiques pour ingénieurs sont-elles si conservatrices ? Et pourquoi les ingénieurs sont-ils si conformistes ? Même et surtout les as de la finance mathématique de l’École Polytechnique !).

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La révolution post-structuraliste Grothendieck consiste en deux opérations confondues :
1 – Repenser conceptuellement la mathématique en déployant une réflexivité généralisée. Et, sans doute, le seul exemple complet de pensée réflexive (ou philosophique), pensée de la pensée et de la manière dont la pensée produit des « jections » ; ce qui pourrait se dire, en détournant Badiou : la mathématique est non pas ontologie (ce qui reste trop ambigu), mais est pensée réflexive de soi (ce qui peut s’arrimer à une ontologie dynamique « ouverte »).
2 – Cette première opération de fermeture structurale, pensée dynamiquement comme inclusion par exclusion, se déploie en une seconde opération, celle de l’exclusion radicale de toute « application ».
Et c’est là où le caractère « intégral » du refus des applications rejoint le principe politique central du groupe Grothendieck : le refus total contre le refus parcellaire.

La révolution Grothendieck peut, encore, être pensée comme la tentative de pousser à bout le schéma heideggérien du poétique : non pas la poésie comme « dévoilement » de l’être, mais la poésie comme « poussée en réel », création de mondes (l’être est le vide).
La mathématique conceptuelle est la poussée illimitée de création de mondes « poétiques », jamais « opérationnels », sauf par capture politique, au moyen des sciences de l’ingénieur.
Ainsi se retrouve l’analyse de la potentialité, si importante pour Agamben.
La mathématique de la révolution Grothendieck est « l’ouvroir de mondes potentiels ». Mondes potentiels dont la réalisation est toujours désastreuse.
« La forme-de-vie » correspondant à cette potentialité, « l’ouverture de l’ouvroir », est la sécession.
Aussi Grothendieck est-il plus disciple d’Agamben qu’Agamben lui-même !

9

Nous pouvons alors tenter de reprendre notre chemin d’une manière plus directe.

Pour faire comprendre la teneur de la révolution Grothendieck, nous avons posé qu’il pouvait être intéressant de rapprocher le programme de « la mathématique conceptuelle » des réflexions d’Agamben sur le langage.

La théorie des catégories, l’auto-analyse mathématique et dans les termes mathématiques de la théorie des catégories, cette auto-analyse du champ mathématique, de ce continent immense, nommé mathématique, cette auto-analyse énonce que la mathématique est une pensée réflexive ou une pensée hyper-philosophique qui pense son chemin de pensée.

Si l’on pose que la mathématique est langage, avec sa syntaxe, sa grammaire, la mathématique conceptuelle de la révolution Grothendieck se déploie sur TROIS niveaux de réflexivité.

1 – L’invention du langage lui-même (la recherche mathématique foisonnante).
Et, spécifiquement pour Grothendieck, cette inventivité est le marqueur de la singularité Grothendieck (référence 3).
Cette singularité est liée à la révolution (ou à l’événement).
La mathématique se pose, donc, d’emblée comme « ouverte ».
Ouverture non pas sur les choses ou les objets, sur les mondes (qui seraient extérieurs ou « en soi »), mais ouverture à sa propre génération « auto-poïétique », la réflexivité de 1er niveau.
Le langage parle du langage et ne parle que du langage.
Mais réflexivité de 1er niveau qui doit être thématisée, structurée, théorisée, formalisée (et la formalisation du langage par lui-même se tient à ce niveau).
L’auto-analyse du langage, sans métalangage – il n’y a pas de métalangage mathématique, Shapiro 7.1, 7.2 – voilà le contenu de la réflexivité de 1er degré : le langage n’ouvre pas « au monde », supposé extérieur, mais « constitue un monde » ; un monde fermé sur lui-même (il n’y a pas de hors texte).

2 – Le langage ontologique ou, précisément, « onto-Nomique », l’invention mathématique, génère, sans cesse, de nouveaux mondes, de nouvelles géométries ; géométries qu’il faudra ensuite classer, comparer, et, encore, transformer, dynamiser, volatiliser.
L’idéologie empiriste positiviste du langage mathématique, est rejetée sans ménagement par le processus même de l’invention interne au langage.
La théorie mathématique amène, alors, à la pleine conscience, cette propriété que porte le langage de générer des mondes, de projeter des « abstractions », de générer, à flux tendus, des mondes nouveaux (ce pourquoi les mathématiciens conceptuels sont « anarchistes » et, exactement, « an-archistes »). Ce pourquoi toutes les écoles philosophiques antiques exigeaient une formation mathématique préalable : que nul n’entre s’il n’est géomètre ! Ce pourquoi ces écoles philosophiques étaient toujours suspectées de « fomenter des rébellions » ou, au moins, de « cultiver l’impiété » (revenir au cas Damascius) – les « libres esprits » de la pensée réflexive.

La mathématique va bien au-delà de la poésie, si l’on entend par « poésie » le retournement réflexif du langage sur lui-même ; la poésie comme auto-analyse réflexive du langage par lui-même, voilà ce que rend conscient la mathématique.
La mathématique conceptuelle de la révolution Grothendieck frappe et casse radicalement l’idéologie qu’il y aurait un monde préalable, extérieur, en soi ou que le langage servirait à décrire ce monde. La révolution Grothendieck entraîne une révolution dans le matérialisme, sitôt que celui-ci est réductionniste ; il devient nécessaire de repenser un matérialisme de second niveau, spéculatif ou transcendantal – et ce nouveau matérialisme peut intégrer les pensées les plus difficiles de la physique théorique, quantique essentiellement (où la mesure « transforme sans représentation »).
Écrire n’est pas décrire.
L’écriture, l’invention hyper-poétique par la mathématique, n’est pas une « préhension », ni même une « com-préhension ». Écrire c’est inventer, sans cesse, selon des règles qui, elles-mêmes, s’inventent sans cesse dans le processus d’écriture (l’an-archie mathématique).
Par réflexivité, la mathématique conceptuelle est alors la théorie (l’écriture) d’un monde, abstrait, interne et fermé sur lui-même, mais ouvert sur l’infini, au moyen de l’invention (la mathématique est anarchiste).
Musique de la raison, répétait Jean Dieudonné.
Expression de la grande puissance illimité de la pensée, la mathématique est « divine », « démiurgique ».
Portant, au plus haut, le projet poétique de recréation du monde ; au-delà de tout ce que « l’ontologie formelle » peut imaginer.
Badiou nous dit : la mathématique est l’ontologie, la théorie de l’être de l’être.
Il faut ajouter, pour balayer toute ambiguïté positiviste, la mathématique, puissance démiurgique, génère « de l’être » (et c’est cet aspect « miraculeux », magique, mystique, qui fascine tant les forces cadastrales – et qui conduit aux pires désastres, dont l’informatique est le paradigme).
Et, encore une fois, pour balayer l’ambiguïté positiviste, pour suivre l’esprit « pur » de la révolution Grothendieck, il faut rejeter toutes les idéologies communes qui imaginent la mathématique comme une sorte de miroir du monde (monde qui serait déjà mathématique – et qui est pensé « en substance »).
Miroir magique ou, plutôt, diabolique, puisque c’est le monde (supposé) qui prendrait la forme « formelle » de son image ; image ou imaginaire, également supposée. Miroir qui ne « reflèterait » pas, mais « convertirait », transformerait le monde « à son image » (c’est pour sortir de ces cercles que la mathématique conceptuelle ne s’intéresse qu’aux transformations, à la dynamique, jamais aux, supposés, objets « substantiels » et statiques – voir la manière dont la physique quantique envisage « les choses »).
L’énoncé radical que « le monde » N’est PAS écrit en langage mathématique, la critique radicale de l’idée narcissique que « le monde » serait à l’image de la pensée construite (la critique du « corrélationisme », mais d’une manière différente de la critique développée par Meillassoux), l’énoncé qu’il N’y a PAS de relation (de corrélation) entre « le monde », supposé, et la pensée, toujours formalisée, poétique ou mathématique, et que, donc, les hilarantes (ou tristes) mathématiques appliquées, le calcul SUR le monde, compter SUR le monde, que ces passions (d’ingénieur) ne sont que des hallucinations fantasmatiques.
Hallucinations réalisées ou abstractions réalisées : des coups orthonomiques.

3 – La mathématique est alors politique.
C’est à ce niveau de réflexivité, après tout ce chemin, qu’il faut comprendre la révolution Grothendieck et la sécession.
Comment rester et subsister dans cet univers anthropomorphe, narcissique, où les « mathématichiens », pour des raisons louches de carrière ou de « recherche » de subventions de recherche, où les mathématiciens embarqués NIENT ce qui est l’honneur de la création mathématique, ce qui fait sa qualité philosophique, la réflexivité. Réflexivité, retour sur soi, qui est aplatie en « préhension » ; circuit écrasé en ligne droite.
Comment côtoyer ces traitres, vendus, corrompus, qui, par décision nihiliste techno-militaire (ou utilitariste) – par idéologie spontanément positiviste – CACHENT que (la dite) « application utile des mathématiques » (toujours l’informatique ! les modélisations !) est une opération coloniale (extractiviste) d’emprise, d’exploitation, d’éradication.
Face à l’honneur de la mathématique conceptuelle, l’horreur des mathématiques appliquées.

Horreur dont témoigne, nous l’avons assez répété, depuis l’origine lointaine des comptabilités, des cadastres, des recensements, de toutes les statistiques « d’états » (les tiques d’état), le rôle autoritaire de la mesure et la colonisation économique.
La mathématique n’est ni un formulaire de calculs, ni un « langage artificiel » (la comptabilité aboutissant à l’informatique). Cette idée de langage informatique étant la plus pernicieuse ; puisqu’elle se déploie comme un cancer mortel sur le noyau même du mathématique, être effectivement une langue – mais pas une langue mécanisée (contra Pascal).
Le langage informatique, comme le langage de l’économie (la comptabilité), est cancéreux et destructeur, puisqu’il passe à côté de la réflexivité, pour se déployer « platement » comme un calcul de la langue, pour rendre la langue auto-matique (et non pas auto-réflexive). Ce qui oblige l’informatique, ou les mathématiques pour l’informatique, à IGNORER l’infini, à « l’approximer » ; cet infini qui est un élément essentiel de la pensée mathématique (renvoyons ici à Badiou).
Générer le monde « par approximation », voilà le business du comptable ou du calculable.
Le péché originel des mathématiques appliquées étant « la troncature » des séries infinies en « approximations finies ».
La troncature, la réduction : tout le programme colonialiste des mathématiques appliquées ; dont l’économie est le splendide résultat (économie ayant pour centre « l’abstraction réalisée », la numéricisation du monde).
Au lieu d’amener à réfléchir (de porter à la réflexivité) sur la puissance et les limites du langage, au lieu de développer « des logiques » – il faut ici insister sur cette idée que ce n’est pas la mathématique qui est logique, mais la logique qui est mathématique – le Grand Œuvre de Grothendieck est aussi celui de la géométrisation de la logique, Goldblatt 10.6 – les mathématiciens de ménage, obéissant aux pouvoirs temporels impérieux, se sont engouffrés dans la voie destructrice, militarisée, ouverte par la croyance positiviste que le langage « décrit » une « réalité », SANS VOIR – et là réside le destructif – qu’ils projetaient des mondes, imaginaires mais réduits, calculables, opérationnels et qu’ils les projetaient à flux tendus (comme le montre bien le désastre informatique), SANS VOIR (ou ne voulant pas voir, dénégation) que la mathématique appliquée est résolument apocalyptique.
En programmant des fins, des finalités, des utilités, le praticien des mathématiques coupées (de leur réflexivité) « annonce » la fin.
Weapons of Math Destruction.
Et c’est exactement là que se situe l’insurrection Grothendieck.
Plus que le simple fait de la dépendance des mathématiques appliquées ou des sciences de l’ingénieur à la perfusion militaire ou économique (utilitariste, pragmatiste), puis, de fil en aiguille (avec le chas – il est plus facile à un chameau, etc.), la dépendance (militaro-économique) des mathématiques pures aux applications légitimantes, et, ainsi, bien financées, c’est le fait que les mathématiciens « trahissent l’honneur » (devenant « mathématichiens ») ou, plus simplement (la bêtise) ne comprennent pas ce qu’est la mathématique – qui est une vaste onto-poésie – c’est la trahison des mathématichiens qui explique le désastre.

Les mathématichiens sont les chevaliers infernaux de l’apocalypse.
Pris par l’idéologie utilitariste, les mathématichiens sont des « nihilistes » qui s’aveuglent sur ce qu’ils font ; ils alimentent la charge apocalyptique menée par le système techno-militaro-économique ; la charge lourde de l’anéantissement du monde, dont témoigne, allègrement, l’économique ou la physique nucléaire (des hautes énergies).
Le rôle infernal de ces mathématichiens (ou des ingénieurs ou des « génies de la finance mathématique ») ne peut être minoré.
Dès que l’on comprend que le langage est uniquement performatif – c’est cela qu’énonce la mathématique conceptuelle catégorique (développée en termes de la théorie des catégories) et la géométrisation des logiques (le rapatriement de la logique DANS la mathématique) – l’idée « d’application » devient satanique (mais Satan n’est-il pas « le roi du monde » ?).
Car une, supposée, application, une modélisation, par exemple, ou la construction d’un programme informatique, une telle chose (non pensée réflexivement) est une poussée supplémentaire dans la course à l’artificialisation du monde, dans la fuite apocalyptique.
En croyant décrire de mieux en mieux le monde, le mathématicien appliqué, ou l’ingénieur recherche, voue ce monde à l’écrasement, à l’enfermement ; comme en témoigne, le plus clairement, l’économie – la comptabilité, le compte, étant la perversion originelle qui décide du destin désastreux de toutes les autres mathématiques pour ingénieurs.

Tout l’effort bourbakiste et de Grothendieck, de sortir la mathématique du bourbier des techniques pour les ingénieurs, se heurte à un mur d’hostilité.
Mur d’hostilité qui explique que la seule solution, qui restait pour une personne aussi forte que Grothendieck, était la désertion.
Grothendieck s’inscrivait, alors, dans une lignée immémoriale de renonçants, de déserteurs, voire de saboteurs. Dans la lignée de tous ceux qui, comme Nagarjuna, ont « dévoilé » que le langage était « en vide » (et que seul un principe de vacuité fonde an-archiquement la réalité).
Et que donc le pouvoir politique, un effet de langage stabilisé par la force, était « sans fondement ».
La pensée mathématique de Grothendieck s’inscrit dans le vaste et méconnu domaine de la pensée apophatique (voir le point 6 des références).
Il est alors possible de rapprocher Grothendieck d’Agamben.
Sitôt que l’on comprend que le centre de la pensée d’Agamben est le langage – avec une pensée du langage qui glisse dans la voie déconstructrice (apophatique, donc) en continuation de celle de Derrida – et est, donc, une analyse apophatique du langage, une lecture, même superficielle, mais bien orientée, des thèmes d’Agamben sur le langage peut permettre de mieux comprendre la conception du mathématique en termes de théorie des catégories.

Toute l’analyse, ontologique, théologique, politique, d’Agamben repose sur une théorie structurale du langage ; et, exactement, sur une théorie structurale telle que Grothendieck l’a déployée.
Insistons sur ce terme « structural ».
Qui renvoie, ici, à la théorie mathématique des catégories (qui est structurale et dynamique). Mais qui renvoie, également, à Derrida et à la déconstruction (toujours les années 70).
L’analyse d’Agamben part d’une mise entre parenthèses de l’expérience ordinaire du langage (à quoi se limite la philosophie ordinaire ; qui méconnaît l’économie, par exemple ; qui ignore le problème posé par « l’abstraction réalisée »). L’idée de performativité ou d’abstraction réalisée n’est pas ordinaire ; mais est radicalement politique.
Et, inversement, l’idée ordinaire de « vérité » est toujours pensée en termes d’adéquation.
La vérité comme adéquation, cette idée ordinaire déjà critiquée par Heidegger et dont la critique est reprise et développée par Agamben, voilà la cible de la torpille Grothendieck.
Agamben cherche le lien entre l’analyse réflexive (apophatique) du langage – qu’Agamben associe à l’esthétique poétique – et la violence politique conformatrice – qui résulte inévitablement de la performativité du langage, performance qui ne peut être stabilisée que de force – la violence, le flux déchainé de la violence, constituant le seul « réel extra-langagier », réel qui n’est pas un état ou une substance mais une dynamique historiale.
Toutes les langues historiques concrètes, de tous les groupes humains, nous entraînent vers « une expérience universelle ». Celle de la mise en cause du langage comme « outil », voire « bon outil » – la langue est toujours un « mauvais outil » ; mauvais outil associé à des formes « universelles » de « démagogie » ou de « mensonge ».
En revenant, par une lecture critique, par un déplacement donc (tout commentaire étant un déplacement), à la théorie des Idées de Platon, Agamben caractérise cette « expérience universelle », cette analyse réflexive du langage, comme une expérience de la « potentialité » ou de la puissance.
La dialectique de la puissance, les paradoxes et apories du concept de potentialité, permettent d’entrer dans le domaine du pouvoir politique (par la grande porte de la religion).
La théorie du langage, comme expérience supra-individuelle, est la matrice de la théorie du pouvoir. Le même vide, le même ouvert.
La distinction célèbre, que construit Agamben en transformant Aristote, la distinction entre puissance (dynamique) et réalisation (énergie, force) nous renvoie au 1er niveau de l’analyse réflexive du langage, le 1er niveau de la théorie des catégories.
Le langage est puissance à vide et déchaînée, qui ne trouve d’ancrage (de fondement en une réalité) qu’après coup, qu’après une construction structurale « im-posée ».
Ce qui explique l’infinie variation des langues historiques ; cette infinie variation que théorise la théorie mathématique des catégories (en recherchant les nœuds structuraux et les transformations).
La stabilisation communautaire n’est qu’un coup normatif, contingent, fragile, évolutif, résultat de l’an-archie des langues.
Mais alors qu’Agamben semble penser que la puissance réelle peut se réaliser sous forme d’actions poétiques – mais dans les limites étroites de la pensée explicitement réflexive et qui se pense en pensant – nous avons vu que le 2e niveau de la réflexivité, introduit par la théorie des catégories, correspondait à une irréversibilité, à une fuite sans fin dans les performations – la poésie n’est pas eschatologique mais apocalyptique.
Et, contrairement à ce que pense Agamben, l’irréversibilité, la course frénétique à l’abyme, cette fuite sans arrêt doit être intégrée comme pièce essentielle de l’analyse réflexive (ce que permet la mathématique pure de Grothendieck).
Les constructions de langage FUIENT sans cesse ; à tous les sens du mot « fuir » et de « la fuite ».
La mathématique est une fuite.
La poésie est une fuite.
Mais en associant puissance & impuissance – puissance « de ne pas » – potentialité & impotentialité – impotence – Agamben arrive à une pensée radicale de la pensée ou de la puissance de penser, détachée de toute réalisation.
Ou, inversement, Agamben arrive à une pensée de la pensée qui ne peut se réaliser qu’en générant « la fuite en avant » – la glose illimitée des textes d’Agamben.
D’une manière très générale, et, disons, prospective, Grothendieck et Agamben appartiennent au même cercle de la pensée apophatique ; cercle que nous avons désigné par le nom de Damascius le Scolarque ; mais que l’on pourrait désigner sous le nom de Nagarjuna.
Il ne peut y avoir de langage « fini » ; il ne peut y avoir de métalangage.
Tout langage est une mise en forme située historiquement.
Mise en forme qui s’explicite, réflexivement, en termes de structures historialement évolutives ou an-archiques : la fuite sans fin (de l’histoire du mensonge).
La question posée par la révolution Grothendieck est alors la suivante : si le langage est une structure fermée (« démonstrative »), si c’est un simple système structural de signes qui se renvoient les uns aux autres (en une théorie complète – le schéma du dictionnaire), « de quoi » parle le langage ?
La langue ne parle pas : elle est parole du silence.
La langue ne parle pas « de quelque chose », mais organise des systèmes fuyants – des systèmes de significations « pures » et sans engrenage sur une réalité (autre que constituée par le langage – toujours le modèle de l’économie).
Cette organisation performative explique le caractère illimité de la création linguistique, poétique, mathématique.
Et, également, c’est le problème politique central de Bourbaki et de Grothendieck, le danger radical que représente cette créativité illimitée, déchaînée, dès lors qu’elle n’est pas pensée réflexivement ; dès lors qu’elle est déniée et « réinscrite » comme « progrès » vers « la vérité », vers une fin.
Les mathématiques appliquées, qui sont l’expression aboutie de cette dénégation – de ce nihilisme – qui sont l’expression aboutie du grand imaginaire de la chasse, ces mathématiques, fleuron de l’humanité, nous entraînent dans une course apocalyptique.
Où « le savoir » devient indistinct de la destruction ; où la prédation, l’enfermement, le confinement, la réduction, la troncation, sont posés comme « le savoir » (et, peut-être, « le véritable savoir », celui des chasseurs). Alors que ce « savoir » ne sait même pas qu’il ne parle que de lui-même ; en cercle vicieux et désastreux ; incapable d’arriver à la réflexivité la plus antique du « se penser soi-même ».

La théorie des catégories est une théorie réflexive du langage mathématique et non pas un outil supplémentaire de prédation compréhension du monde (vide de significations, autres qu’imposées).
C’est là où commence et où s’enracine la subversion Grothendieck : dans le rejet de toute positivité (positiviste).
Dans la reprise de l’impasse de Saussure ; pour laquelle il n’y a pas d’articulation entre le sémantique et le sémiologique.
Et pour résoudre l’aporie, il faut rejeter le sémiologique. Ou introduire ce sémiologique comme le mouvement historial an-archiste du sémantique. Dynamiter, dynamiser le sémiologique.
La théorie mathématique de Grothendieck est la forme complexifiée (en 3 niveaux de réflexivité) de résolution des apories linguistiques (bien structurées par Benveniste et méditées par Agamben).
Ce ne peut être, en aucune manière, une nouvelle mine (ou exploitation) pour toujours plus de calculabilité.
Mais comme l’attrait utilitariste des formalisations ou des modèles mathématiques semble une force illimité de perversions, il ne reste plus qu’à DÉSERTER.

10
[Conclusion]

La caractéristique politique (performative) du langage se traduit par une fuite en avant, une fuite sans fin – qui caractérise « l’humanité », après l’anthropogenèse par la langue.
Dès que cette caractéristique est complétement assumée, comme c’est la cas pour la révolution Grothendieck, elle se traduit par un mouvement révolutionnaire, voire, toujours le cas Grothendieck, par une tempête révolutionnaire.
Mais un tel mouvement de révolution permanent ne peut se poursuivre : il s’épuise et se corrompt.
Il se retourne en imaginaire empiriste ; imaginaire pour lequel il y aurait un objet, un but, une fin, à atteindre.
Peu de personnes pouvant supporter le poids de l’ouverture sur le vide pulsant, peu de personnes pouvant supporter la liberté an-archique, l’ouvert se referme vite.
Récupération pragmatique, alignement orthodoxe, écrasement, falsifications, contraintes budgétaires, la grande censure.
Les niveaux multiples de la réflexivité se replient, alors, les uns sur les autres. De nouveau, le grand retour, le langage est supposé décrire (une réalité qui ne serait pas co-constituée par lui). L’administration courante, autoritaire, reprend le dessus. La loi (qui est un texte) est censée redevenir naturelle, simple expression des choses mêmes.
Le nœud de la révolution Grothendieck est la critique de l’idée de « chose même ».
Ceci correspondant à une critique de la phénoménologie ou au passage, à la Agamben, d’une ontologie substantive à une ontologie modale, au passage d’une vision statique (étatique) à une vision dynamique (révolutionnaire).
Rejet radical de l’image de la pensée comme convergence à l’infini « sur l’objet ». Car, sans cesse, le dit objet, co-constitué par le langage, se déploie, se dérobe, se défile. Sans point d’arrêt.
Destin tragique de l’humanité : son EXIL illimité.
Dont la personne Grothendieck porte témoignage.

La révolution Grothendieck peut être superposée à la réflexion d’Agamben sur l’anthropogenèse, sur la question du langage et de la potentialité.
Grothendieck & Agamben, parlent, chacun à leur manière, de « la machine anthropologique ».
Le langage, les structures, les institutions, s’imposent, « s’auto-organisent », et cette auto-organisation s’effectue par exclusion (l’inclusion par exclusion d’Agamben).
La puissance de la pensée est retournée.
La machine, qui produit le retournement, qui génère la stabilisation, la fermeture structurale, opère par captation, canalisation, redressement – opération orthonomique, nomothétique ou économique.
Le problème politique, révolutionnaire, n’est pas celui de réformer ou d’améliorer le fonctionnement de la machine d’emprise ; il est celui de stopper la machine, de la bloquer.
En montrant comment les structures se déploient les unes à partir des autres, et à des niveaux d’abstraction croissants, Grothendieck désigne le point essentiel : l’absence d’ancrage du structural, du langage, des institutions – qui sont an-archiques.
Leur aspect de palais volant dans les airs.
Il n’est donc pas question (1) de retrouver un socle ou un fondement – impossible de dépasser l’an-archie, (2) ni de tomber dans l’illusion du pseudo-fondement inversé qui s’exprimerait par des applications à la mode positiviste.

Car, dans cet imaginaire (2) de solution pragmatique, nous serions entraîné dans un mouvement cataclysmique (le mouvement de l’humanité désirante) ; dans un cercle vicieux où l’illusion de « la prise » ou de l’ancrage – la chasse, l’exploitation, l’extraction – lancerait un mouvement permanent, ce mouvement « boule de neige » si caractéristique de l’apocalypse écologique.
La prise est une poussée.
Jamais un arrêt.
Ce que découvre la révolution Grothendieck, c’est l’auto-constitution structurale illimité.
Et c’est que l’effet, supposé positif, de ces constitutions consiste en un mouvement irréversible de désastre ; mouvement qui ne peut se « terminer » que par l’arasement complet, l’apocalypse des mathématiques appliquées inconscientes d’elles-mêmes (irréflexives).

Comme il est impossible de maîtriser ce mouvement circulaire d’aspiration, il ne reste plus qu’à le « désœuvrer ». En désertant.

Mathématique et Apocalypse : Orientation bibliographique.

1 – Alexandre Grothendieck

1.1 – Amir Aczel, Nicolas Bourbaki, Histoire d’un génie des mathématiques qui n’a jamais existé.

1.2 – Georges Bringuier, Alexandre Grothendieck, Histoire d’un mathématicien hors norme.

1.3 – Leila Scheps editor, Alexandre Grothendieck, A Mathematical Portrait.

1.4 – Jean Dieudonné, Panorama des mathématiques pures, Le choix Bourbachique.

Lire l’introduction. Voir aussi chapitre : Catégories et Faisceaux.

1.5 – Jean Dieudonné, Éléments d’Analyse, en 9 volumes.

Volume 1 : les connaissances minimales.

1.6 – Revue Mnémosyne, n°4-5, juillet 1993, IREM Université Paris 7 (Paris Diderot)

Hommage à Jean Dieudonné ;

Lire allocution de Jean Dieudonné à l’Université de Nice, 20 novembre 1969, sur le groupe Bourbaki et la conception « bourbachique » des mathématiques.

1.7 – Survivre et Vivre, Critique de la science, naissance de l’écologie.

(Dans l’après 68, Survivre et Vivre, le mouvement de scientifiques critiques rassemblés autour du grand mathématicien Alexandre Grothendieck, dénonce la militarisation de la recherche et l’orientation mortifère du développement technoscientifique)

Pour une introduction à la théorie des catégories et des topoï (ou toposes) :

Voir Wikipedia : History of Topos Theory, Topos, Categories, Formal Ontology, etc.

2 – Alain Badiou

2.1 – Court Traité d’Ontologie Transitoire (1998)

La mathématique est une pensée ;

Platonisme et Ontologie Mathématique ;

Premières remarques sur le concept de Topos ;

L’être du nombre ;

Groupe, Catégorie, Sujet.

2.2 – Éloge des mathématiques (2015)

2.3 – Alain Badiou, Penser le Multiple

Textes réunis et édités par Charles Ramond, Colloque de 1999, publié en 2002.

2.4 – Jean-Michel Salanskis (in Alain Badiou, Penser le Multiple)

Les mathématiques chez x, avec x = Alain Badiou.

2.5 – J-M. Salanskis, Category Theory and Philosophy of Mathematics

Conférence du 5 novembre 2016 (en ligne : www.sphere.univ-paris-diderot.fr).

3 – Avec Alain Badiou : singularité, coupure, événement, révolution.

3.1 – François Nicolas, La singularité Schoenberg.

Peut-être faut-il ajouter aux coupures, analysées par Foucault (Les Mots et les Choses, L’Archéologie du Savoir), une nouvelle coupure qui s’étend sur tout le 20e siècle, depuis la révolution Schoenberg en musique ou l’événement Malevitch en peinture, en passant par l’invention de la linguistique, que nous associerons à Benveniste (le grand inspirateur d’Agamben), jusqu’à la révolution Grothendieck en mathématique et le structuralisme.

Cette coupure est celle de la scission radicale sémantique / sémiologie, et de l’introduction du « sens » ou de « la signification » comme imposition performation (à la hache, Reiner Schürmann). L’arbitraire du sens place le pouvoir et la force au cœur des significations, « autoritaires » par construction (et parce que ce sont des constructions impératives).

Nous renvoyons à notre « théorie de la valeur mesure » comme exemple limité de cette coupure.

Cette coupure peut être analysée en termes « spéculatifs », du réalisme spéculatif au matérialisme spéculatif et à la philosophie non standard, en termes de « nécessité de la contingence » (Meillassoux) ou d’irréversibilité des performations linguistiques.

Le circuit fermé des « discursivités » (toujours Foucault), qu’elles soient musicales, picturales ou mathématiques, construit sa propre « réalité » (semblant, simulacre) qui s’impose, en dualité, par la violence des constructions structurales fermées, des « constrictions ».

Mais cette réalité « artificielle » est « an-archique », se déplaçant au gré des jeux de force, évolutive, historiale, contingente.

Elle n’est qu’une forme locale (époquale) de « l’ouvroir des structures potentielles ».

4 – Sur l’Université, comme corps de police.

4.1 – Plino Prado, Le Principe d’Université.

Cet appel normatif, visant à définir une université ouverte (ou traditionnelle au sens des Humanités ou de Humboldt), peut servir comme test pour critiquer le projet techno-économique de l’école technique, de « la nouvelle université » procurant des emplois.

Le conflit entre science et techno-science, conflit que nous mettons en jeu sous les noms de Bourbaki et de Grothendieck, est celui qui divise l’université ; en voulant la rendre servante de l’économie ou de l’utilité. C’est-à-dire en voulant « fermer » le déploiement illimité des « potentialités » (renvoi à ce terme d’Agamben, plus bas). En croyant ou forçant à croire que les projections, les proférations langagières ou mathématiques, les constructions structurales, sont « fondées » ou « accrochées » à un socle stable (qu’il convient d’attraper ou de comprendre : doctrine de la mytiliculture ou du langage mytilicole).

4.2 – Emmanuel Barrot, Révolution dans l’Université.

4.3 – Christian Laval, Francis Vergne, Pierre Clément, Guy Dreux, La Nouvelle École Capitaliste.

4.4 – Angélique del Rey, À l’École des Compétences, De l’éducation à la fabrique de l’élève performant.

4.5 – Philippe Blanchet, Main Basse sur l’Université.

4.6 – Groupe Grothendieck, L’université désintégrée, 2021.

5 – Giorgio Agamben : Potentialités.

5.1 – Le langage et la mort, place de la négativité, 1982 (1991).

5.2 – Potentialités, 1997.

5.3 – Idée de la Prose, 1998 ;

5.4 – La fin du poème, études poétiques (Problèmes généraux de poétique), 1999.

5.5 – La ragazza indicibile, Mito et Misterio di Kore (Perséphone), 2010 ;

5.5b – The Unspeakable Girl : The Myth and Mystery of Kore, 2014.

5.6 – La Puissance de la Pensée, 2011.

Ce dernier ouvrage, essentiel, doit être lu en même temps que l’on médite la révolution Grothendieck, la révolution de « la potentialité » – la mathématique (poésie) comme « ouvroir des structures potentielles » (et qui doivent rester « potentielles », sous peine d’involution techno-scientiste ou positiviste).

5.7 – Le Royaume et le Jardin, 2019 (2020).

5.8 – Giorgio Agamben, Jean-Baptiste Brenet, Intellect d’Amour, 2018.

5.9 – Jean-Baptiste Brenet, Je Fantasme, Averroès et l’espace potentiel, 2017.

Et commentaire intéressant de cette doctrine de la potentialité :

5.10 – Georges Didi-Huberman, Puissance de ne pas ou la politique du Désœuvrement, Critique 2017, 1-2, n° 836-837, pp. 14-30.

6 – Interprétation générale d’Agamben, au moyen de l’analyse du thème de la potentialité (ou de la puissance désœuvrée).

6.1 – William Franke, On the Universality of What is Not.

6.2 – Thomas Lynch, Apocalyptic Political Theology.

6.3 – Greg Bird, Containing Community, From Political Economy to Ontology in Agamben, Esposito and Nancy.

6.4 – Aaron Hillyer, The Disappearance of Literature, Blanchot, Agamben and the Writers of the No (on “Désœuvrement”).

7 – Catégories et Structures (Charles Ehresmann).

7.1 – Steward Shapiro, Categories, Structures and the Frege-Hilbert Controversy, The Status of Meta-Mathematics, Philosophia Mathematica, 2005.

7.2 – Steward Shapiro, Philosophy of Mathematics, Structure and Ontology (mathematics is the science of structure).

7.3 – G. Hellman, Mathematics without Numbers.

7.4 – Palmgren, Category Theory and Structuralism.

7.5 – Hans Halvorson, Category Theory in Philosophy of Mathematics and Philosophy of Science.

7.6 – Andrei Rodin, Axiomatic Method and Category Theory, 2014.

7.7 – Andrei Rodin, Axiomatic Architecture of Scientific Theories, june 2020.

7.8 – Alberto Peruzzi, Category Theory and the Search for Universals, A very short guide for philosophers, 2016.

7.9 – Landry editor, Categories for the Working Philosopher, Oxford, 2018.

8 – Jean-Pierre Marquis.

8.1 – From a Geometrical Point of View, A Story of the History and Philosophy of Category Theory, 2009 (Grothendieck Toposes and Geometric Logic : Categories as Language).

8.2 – Categories, Sets and the Nature of Mathematical Entities, in Rebuschi/Visser, The Age of Alternative Logics.

8.3 – Category Theory, Stanford Encyclopaedia of Philosophy.

Brief Historical Sketch (sur la révolution Grothendieck) ;

Philosophical Significance.

9 – Théorie des Catégories et Logique Géométrique.

9.1 – Ralf Krömer, Tool and Object, A History and Philosophy of Category Theory.

9.2 – Steward Shapiro editor, The Oxford Handbook of Philosophy of Mathematics and Logics (structuralism, structuralism reconsidered).

Renvoi à 7.2, 7.3, 7.4.

9.3 – Johan van Benthem, Gerhard Heizmann, Manuel Rebuschi, Henk Visser, The Age of Alternative Logics.

Voir 8.2.

9.4 – Bart Jacobs, Categorical Logic and Type Theory.

9.5 – J. Lambek, P.J. Scott, Introduction to Higher Order Categorical Logic.

9.6 – Roger Godement, Théorie des Faisceaux, 1964.

9.7 – Masaki Kashiwara, Pierre Schapira, Categories and Sheaves, 2006.

9.8 – Saunders Mac Lane, Ieke Moerdijk, Sheaves in Geometry and Logic, A First Introduction to Topos Theory, 1992.

10 – Conceptual Mathematics.

10.1 – William Lawvere, Stephen Schanuel, Conceptual Mathematics, A First Introduction to Categories, second edition.

10.2 – William Lawvere, Robert Rosebrugh, Sets for Mathematics.

10.3 – Maria Cristina Pedicchio, Walter Tholen, Categorical Foundations.

10.4 – Peter Freyd, Andrei Scedrov, Categories, Allegories.

10.5 – J.L. Bell, Toposes and Local Set Theories.

10.6 – Robert Goldblatt, Topoi, The Categorical Analysis of Logic.

10.7 – Peter Tennant Johnstone, Topos Theory.

10.8 – Olivia Caramello, Grothendieck Toposes as unifying bridges in Mathematics, 2016.

The Unification of Mathematics via Topos Theory.

10.9 – Olivia Caramello, Theories, Sites, Toposes, Relating and studying mathematical theories through Topos theoretic bridges, Oxford, 2017.

Et pour s’arrêter, un contre-exemple (des mathématiques pour l’ingénieur) :

Courant, Hilbert, Methods of Mathematical Physics, en deux volumes, 1924.

Traitement complet des méthodes de la physique mathématique, en 1000 pages.

[1La grande question de la sécession.
Le style sécessionniste (Sezessionsstil) se retrouve dans toute l’histoire de l’humanité.
Depuis l’Inde, le bouddhisme en particulier, jusqu’aux « déserts » de Syrie – et « déserter » est devenu synonyme de « faire sécession » – en passant par toutes les « installations » de monastères « retirés » – le « retrait » est un nouveau synonyme, comme « prendre le maquis », etc. – abbayes du Désert, Saint Désert.
Il y aurait à écrire une histoire complète de la sécession. Histoire qui montrerait que la sécession accompagne le (contre) mouvement de « récupération » ou « d’établissement » d’une poussée révolutionnaire, poussée toujours « spirituelle » (« conceptuelle ») mais qui est « ingérée » par le (contre) mouvement de « réalisation » (ce qui, depuis toujours, est nommé « corruption »).
Comme le montre clairement la trajectoire Grothendieck, la sécession apparaît comme « style de vie » ou « forme-de-vie » lorsque la révolution devient « état » ou se fige statiquement.
Lorsque la révolution mathématique « pure » (des pures potentialités) s’invertit en carrière, à la fois mine de futures « applications » rentables et source de reconnaissance lucrative (ou désespérée).
La sécession correspond au refus de « la normalisation », cette normalisation inhérente à la réalisation de la poussée révolutionnaire. La sécession correspond à la tentative de « maintenir » (le Grand Katechon, mais inversé), de poursuivre la poussée percée ; alors même que cette tentative « katechonique » devient déficiente. Les « installations » monacales dans les vallées désertes deviennent vite des lieux commerciaux de pèlerinage.
Le style sécessionniste ou la « forme-de-vie » sécessionniste tente de retenir le dégueuli de la révolution ; ce pouvoir de Katechon s’inverse en pouvoir de conservation – je maintiendrai – mais maintien d’une dynamique qui NE peut PAS être conservée. La glissade vomitive de la révolution est inévitable.
Il y aura toujours des mathématiciens (« mathématichiens ») bien intentionnés pour rendre « utiles & agréables » les plus « pures » créations.
Comme simple introduction à ce livre « potentiel » sur la sécession, sécession considérée comme caractéristique universelle, il est possible de citer un manifeste de « la sécession viennoise » :
Notre art n’est pas un combat des artistes modernes contre les anciens, mais la promotion des arts contre les colporteurs qui se font passer pour des artistes et qui ont un intérêt commercial à ne pas laisser l’art s’épanouir. Le commerce ou l’art, tel est l’enjeu de la Sécession. Il ne s’agit pas d’un débat esthétique, mais d’une confrontation entre deux états d’esprit.

Si la révolution est la poussée « singulière plurielle » (Jean-Luc Nancy) ou la « potentialité pure » (Agamben), toute révolution DOIT s’achever.
La réalisation de la révolution est le retournement de la poussée, ou de la puissance en force (qui s’accouple à un objet) ; la puissance « pure » devient force constructive « appliquée ».
Aux derniers moments révolutionnaires, correspond la sécession et le style sécessionniste.
La sécession désigne cette phase intermédiaire où la révolution commence à être ingérée.

paru dans lundimatin#272, le 25 janvier 2021

 

 

 

 

 

 

Notre ami Jacques Fradin nous fait part ici d’un texte précieux puisqu’il revient sur la pensée d’Alexandre Grothendieck, le célèbre mathématicien qui avait rejoint les milieux contestataires vers 1968 et fondé, avec d’autres, le groupe « Survivre et vivre » pour propager ses idées antimilitaristes et écologistes. La particularité de ce texte est qu’il s’intéresse à la pensée mathématique de Grothendieck sur le plan mathématique en essayant de la relier à celle de Giorgio Agamben sur le langage et d’en déplier les conséquences politiques. Le résultat : un long article, un peu sinueux mais absolument formidable en même temps.

En plus de ces précisions, voici comment son auteur nous a présenté sa propre tentative : "Suite à la lecture du texte important du groupe grothendieck, lecture qui a ravivé de très vieux souvenirs (des années 1970
1975), je me suis lancé dans une aventure un peu désespérée :
Tenter de faire comprendre ce que pouvait être la révolution Grothendieck
(Bourbaki) DANS les mathématiques : théorie des catégories, toposes,
faisceaux, logiques géométriques non standard, etc. Et, surtout, tenter de faire comprendre en quoi cette révolution DANS les mathématiques est ce qui a conduit Grothendieck à la DÉSERTION, désertion « écologique » en particulier (mais désertion anarchiste plus exactement). Désertion liée à la contre révolution des mathématiques appliquées, de l’informatique essentiellement (l’informatique étant la bête noire que l’on
pouvait espérer écraser, dans les années 1970 – comme le néolibéralisme
naissant).
C’est un sujet qui me tient à cœur depuis ce moment (et même un peu avant,
dès 1965) et que j’ai poursuivi dans la direction spécifique de "la critique
de l’économie« , l’économie pouvant être considérée comme le prototype des »applications des mathématiques" ; la comptabilité étant l’ancêtre de
l’informatique (comptes, calculs, opérations)."

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