1/25/2021

révolution Grothendieck


Mathématique et Apocalypse

La révolution Grothendieck
Jacques Fradin


Le refus total contre le refus parcellaire

Le texte sera divisé en deux parties :
Une première partie continue, exposera les thèmes essentiels.
Une seconde partie, placée en note, sera composée de références, nombreuses mais très limitées, références classées par thèmes et qui devraient permettre, pour chaque point, conflictuel ou anxiogène, de développer les critiques et les réflexions.
L’ancrage de la seconde partie, référentielle, sur la première partie se fera au moyen de « noms », noms suivis d’un numéro de renvoi à la bibliographie. Par exemple : Freyd Scedrov 10.4 – la question des « signatures ».

Mais nous mettrons à part « le testament » d’Alexandre Grothendieck, Récoltes et Semailles, Réflexion et témoignage sur un passé de mathématicien, document non publié, en ligne université de Paris 13, lipn.univ-paris13.fr.
C’est ce « document » de plus de 900 pages (929) que nous allons tenter de « résumer ».
Sans parler d’une introduction à la théorie mathématique des catégories (renvoi à Jean-Pierre Marquis 8.3).
Pour une introduction générale à la révolution Grothendieck (Bourbaki) voir la partie 1 des notes bibliographiques. Pour une introduction mathématique à la théorie des catégories renvoyons simplement à Wikipédia (en anglais), articles Topos, Categorie, etc. Aussi Olivia Caramello, 10.8, 10.9.
Un résumé des thèses retenues est proposé en section 2 (plus bas).

1

Il est très difficile de faire « comprendre » la mathématique, surtout celle qui résulte de la révolution Grothendieck, à qui n’est pas mathématicien. Autant, qu’ici, le « comprendre » ne peut se distinguer de « l’apprendre ».
Et autant que toutes les écoles philosophiques (antiques) ont mis l’apprentissage mathématique (géométrique) à la base de toute pensée, à la base de toute dynamique de pensée.
Et non pas pour « mécaniser » cette pensée (comme le pensait Pascal ou, d’un autre point de vue, Lacan, « les mathèmes » – la mécanisation du mathématique ou la mathématique comme mécanique de la pensée, voilà ce contre quoi s’acte le soulèvement Bourbakiste, bientôt sous les couleurs de Grothendieck).
Mais, au contraire, pour en manifester le caractère « mystique ».
La mathématique, selon Grothendieck, doit donc « s’appréhender » (toujours « le prendre ») comme « mystique ».
La parole du silence.
La ragazza indicibile, pour gloser, traduire, transformer Giorgio Agamben (Agamben que nous placerons AVEC Grothendieck).
Cette parole silencieuse, la mathématique n’est qu’écriture « mystérieuse », « révèle » les grands mystères : mais « révélation » de quoi ? Et de quels mystères ? Du monde ou de l’au-delà ? – on connaît bien l’ambiguïté des « oracles », voire leur caractère incompréhensible et soumis aux plus violents conflits d’interprétations – la mathématique oraculaire est plongée au cœur d’un tel conflit violent : langage structural « pur » ou engrenage d’emprise sur le monde (le mystère du monde « écrit » en caractères mathématiques) ?
Cette parole silencieuse fait trépigner tous les empiristes, tous les positivistes, tous les pragmatistes, tous ceux pour qui « le langage est un outil », politique, démagogique, et la mathématique une arme (de destruction massive).
Que peut-elle, donc, « révéler » d’autre que « les grands mystères du monde » ?
Et, alors, ne peut-elle pas être « enrégimentée », rendue utile & agréable ?
On connaît bien les relations difficiles entre les rois (militaires) et « les devins » (qui « devinent », et formulent des pré-visions, à leurs risques et périls).
On connaît bien le sinistre destin du Zen japonais : de la mystique, de l’apophatique, de la profération négative – le Koan zen – à la caserne, au déplacement sur les lieux de la positivité intégrale et apocalyptique, là où la révélation se confond avec la destruction, l’apocalypse.
On connaît bien la généalogie militaire des sciences de l’ingénieur et des mathématiques appliquées à ces sciences (ou à l’informatique).
Alexandre Grothendieck, « le plus génial des mathématiciens », s’est heurté au mystère et à son administration.

Grothendieck énonce que « la profération mathématique », la parole du silence, ne « révèle » aucun autre mystère que celui du VIDE dynamique – « l’au-delà » que tente de structurer la physique des énergies.
Grothendieck énonce : le mystère est qu’il n’y a aucun mystère !
RIEN que des flux de paroles silencieuses, vides et à vide. Et des formations de domination.
Mais cette parole oraculaire, évidemment énigmatique, du Sphinx Grothendieck, cette parole pouvait (et devait) être « interprétée » par des légions de « mystagogues » (démagogues), les « mathématichiens », et « retournée », corrompue, en force de frappe militaire (la mathématique « pure » bourbakiste devient la base de lancement des missiles des mathématiques pour les ingénieurs ou les informaticiens).
En résulte un gigantesque conflit autour de la question du « mystère » et des interprétations.
La révolution Grothendieck se situe au cœur du conflit et tente de faire basculer la parole silencieuse, mathématique, du côté d’une « révélation » apophatique de « l’au-delà », du réel des puissances de pulsation ou de l’univers énergétique (sans substance).
Développer un énorme appareil mathématique vers de plus en plus de « généralisations » ou de questions « universelles » (au sens apophatique du terme « universel », Franke 6.1, Palmgren 7.4).

Mais une telle révolution ne pouvait que se heurter « au monde », à la vision empiriste, positiviste, pragmatiste, utilitariste.
La révolution Grothendieck devait donc se terminer, inévitablement, par un échec.
Échec qui « décidera » de la sécession « écologiste » (le recours à la forêt) de Grothendieck. Et qui se traduira par une critique « décidée » (et qui rompt, coupe) de toute techno-science ; techno-science dont le prototype est la chimie.

Comme il est très difficile de faire « apercevoir » l’ampleur mathématique, dans l’ordre de la pensée, de la révolution Grothendieck, révolution DANS la mathématique et DANS la pensée, nous avons tenté, ce qui compose cet « essai », de présenter cette révolution en « mobilisant » Giorgio Agamben.
Et, de détourner, essentiellement, les méditations d’Agamben sur la parole, la voix, le langage, la poésie (les références 5).
Car on peut dire que Grothendieck concevait la mathématique comme un gigantesque chant poétique, le chant des flux et des transformations (relire tout Gilles Châtelet, dont L’enchantement du virtuel – les enjeux du mobile).

Comme d’habitude, un des plus « grands » livres d’Agamben est un « petit » ouvrage.
C’est ce petit ouvrage (en collaboration avec Monica Ferrando) que nous placerons au centre de cet « essai » (Agamben, 5.5, 5.5b).
La ragazza indicibile, Mito e Misterio di Kore, 2010 ;
The Unspeakable Girl, 2014.
Il n’existe pas de traduction française.

La parole du silence : l’indécidabilité entre la voix et le silence (entre la voie et la catastrophe).
La décision linguistique qui transforme, de manière indécidable (par un coup nomique), l’indécidabilité en ordre de bataille.
La décision, la coupure sanglante, qui « fond » voix et voie.
Ce merveilleux petit ouvrage d’Agamben sera donc placé au centre de cet « essai » consacré à la révolution Grothendieck et, j’insiste, révolution DANS la mathématique.

Dans cet « essai » nous tenterons d’expliquer que la sécession écologiste, pour Grothendieck, est la conséquence de la révolution mathématique (de la théorie des catégories) et, exactement, la conséquence de l’ÉCHEC de cette révolution.

2
[Résumé]

La révolution Grothendieck est l’expression la plus « pure » de ce qu’Agamben nomme « nouvel usage des choses » ou « jeu avec les objets traditionnels » (la destitution, la désactivation). Le messianisme faible (lié au « nouvel usage »), mais radicalement révolutionnaire, d’Alexandre Grothendieck, ce messianisme repensé en termes d’Agamben, est, d’abord, un vaste éclat de rire, puis la reformulation, joueuse et en termes de jeu, de l’objet « mathématique » en entier. Un enfant rieur détruisant les constructions établies. Pour remonter de nouvelles structures. Qui seront, sans cesse, « déconstruites ».

La révolution Grothendieck n’est rien d’autre que « la révolutionnarisation » de la mathématique, afin de jeter sur le côté, afin de destituer ou de rendre inopérante toute « application », toute prétention à déployer une mathématique appliquée, utile, productive, etc.

La révolution Grothendieck est l’aboutissement du projet à la Bourbaki, bourbakiste ou bourbachique (Dieudonné, 1.4), des « mathématiques pures » (structurales). L’élève devenu le maître.
Pour la révolution Grothendieck, il s’agit de déployer un nouvel usage de la mathématique, manière Bourbaki, nous l’avons dit ; il s’agit d’étendre un jeu, le grand jeu, jouer avec les éléments mathématiques, les reconfigurer ; et, surtout, règle essentielle du grand jeu, interdire les mathématiques appliquées, des sciences de l’ingénieur à l’informatique (l’informatique, la bête noire) et à l’économie entière (fondée comme comptabilité), procéder à la désactivation des mathématiques traditionnelles (les mathématiques des épiciers, les nombres, les calculs, Hellman 7.3), rejeter tout ce qui passe pour « mathématiques utiles », utilitaires ou moyens pour des développements de force.
Car, pensée conséquente de cette révolution, toute application (réalisation « utile ») est « dévoilée » comme une opération de force, capture, emprise, extraction, réduction (Jivaro), exclusion par inclusion.
Le jeu, au sens d’Agamben, c’est l’étude, sans finalité pratique. Et « sans fin » (le « sans pourquoi » du « désœuvrement »). Étude qu’introduit la Théorie des Catégories, étude mathématique de la mathématique (et, donc, pensée réflexive, mathématique philosophique de la mathématique).

3

Récemment, dans LM, est paru un article du « groupe Grothendieck », émanation de l’esprit de révolte et de sécession d’Alexandre Grothendieck (LM 269, 4 janvier 2021, Avis aux chercheurs, aux professeurs, aux ingénieurs, Dix thèses sur la technoscience – Groupe Grothendieck, 4.6).
Il est bien connu que cette sécession, l’abandon de l’université à son triste sort (toute la rubrique 4), triste sort utilitariste de laboratoire techno-militaire ou techno-policier ou, encore, pour être mode, techno-génétique, il est bien connu que cette sécession a été « l’acte révolutionnaire » [1] fondateur de l’écologie politique (Survivre et Vivre, 1.7).

La sécession de Grothendieck est un acte politique de refus de la corruption de l’université, université devenue, au mieux, une école d’ingénieurs, au pire un centre technique (sociologique ou psychologique ou même « éthique »), c’est-à-dire un rouage de la machine techno-militariste ou techno-économique (la corruption de l’université s’exprimant, alors, par la soumission au « chantage à l’emploi » : il faut donner du boulot aux jeunes en les formant à la discipline productive).

Comme il a beaucoup été écrit sur ce sujet de « la destruction des humanités » (Rey, 4.4, ou Blanchet, 4.5) ou de la perversion de cette formation « universelle » à la pensée universelle (ce pourquoi l’université se nomme « université », l’héritage des écoles philosophiques qui étaient, toujours, des écoles mathématiques) ou de l’abandon de toute « vocation universitaire », nous voudrions déplacer la critique pour en arriver, peut-être, à « la raison » de la sécession d’Alexandre Grothendieck.

Pour cela il faut en revenir à la révolution Grothendieck, à « l’événement Grothendieck », pour parler comme Badiou (Nicolas, 3.1), à la grande révolution mathématique ; puis à son étouffement, selon une trajectoire thermidorienne, versaillaise ou stalinienne, étouffement si prévisible (et qui est la cause de la sécession : tenter de continuer la révolution, en prenant le maquis et en agissant par coups de poing « écologistes »).
La contre-révolution (des mathématiques appliquées, de l’informatique – l’informatique est intégralement contre-révolutionnaire) avec son lot de « renégats », les universitaires Thénardiers, a visé à (contre) anéantir, destituer la destitution, effacer la désactivation que visait Grothendieck. À ramener à l’ordre économique.
La révolution a, certes, eu ses fidèles, fidèles à « l’idée » de la nouvelle mathématique conceptuelle (Lawvere, 10.1) ; mais, surtout, a engendré beaucoup de « traîtres », qui n’ont pu abandonner le chemin pratique, utilitaire, de « l’application » (ou des « modèles mathématiques ») et qui ont participé à l’écrasement de la révolution « catégorique » ou conceptuelle, pour ramener (façon sauce thermidor) la révolution à un nouveau champ de formalisation pour l’ingénieur, ou pour l’économiste ou pour le sociologue ; ramener la mathématique conceptuelle à son statut traditionnel « d’outil de jardinage » (cette tradition que cherche, avant toute chose, à anéantir la révolution Grothendieck – mais que la contre révolution a restaurée).
La mathématique conçue comme outil, de formalisation, de calcul, la mathématique pour l’informatique, voilà l’ennemi qu’il fallait abattre ; et qui s’est révélé le plus fort ; car cet outil était l’âme de la force (armée, policière, économique – la calculabilité qu’il fallait désactiver).

La nouvelle mathématique, qui aurait résulté de la révolution Grothendieck, cette mathématique pure ou cette « musique de la raison » (Dieudonné), aurait dû permettre de revivifier l’université, en lui redonnant, à nouveaux frais, sa « vocation universelle » (retour aux écoles philosophiques antiques, où la mathématique joue un rôle central) ; vocation universelle d’école classique « des humanités » (Prado, 4.1).

Mais, ainsi, l’université, selon la révolution Grothendieck, serait devenue, ou redevenue, « une puissance de nuisance », une puissance destituante de critique, et non pas de construction positive, se dressant contre l’emprisonnement technique, techno-militaire ou techno-sociologique.
Une université radicalement inutile (au sens technique ou économique admis) et, pire, centre de critique ; voilà ce qui est impossible !
Une université qui retrouverait sa vocation (constituante des écoles platoniciennes) de permettre de construire « l’humanité universelle » par la plus haute culture, par la pensée critique radicale, par « les Lumières radicales » ; voilà ce qui est intolérable !
Y a-t-il, encore, des « universitaires » ayant la vocation « universitaire » ? Et n’ayant pas comme fonction fondamentale celle de « nourrir leur famille » ?

Il est arrivé à Grothendieck la même aventure qu’à Damascius (Damascius, le dernier scolarque de l’Académie d’Athènes fondée par Platon). Celui d’être nommé « le destructeur des âmes pieuses » par les nouveaux croyants ; les chrétiens armés pour Damascius, les techniciens zélés de l’atome pour Grothendieck.
Comme l’édit de Justinien, qui interdit l’enseignement de la philosophie (païenne) et ouvre l’époque des persécutions au nom du christ (ou de dieu), le jeu de force des subventions de recherche, le jeu des « contrats de missions », cela exerce la plus radicale censure et, finalement, amène à l’interdiction de la pensée.
Or la révolution Grothendieck avait pour objectif de remettre en activité la pensée critique (en suivant exactement le chemin des écoles anciennes qui lient mathématique et philosophie).
Pensée philosophique à la manière même des platoniciens, pour Grothendieck la mathématique était la voie royale (platonicienne) vers la pensée universelle « anti-utilitariste » – à condition que cette voie refuse toute direction pratique ou pragmatique, physique expérimentale, informatique, économique.
Rejeter la croyance en la force, militaire ou économique, des « modèles mathématiques ».
Car la mathématique n’est pas une fontaine « à modèles », ni un puits de modélisations.
La révolution Grothendieck brise toutes les prétentions technocratiques (dont se couvrent les mathématiciens – mathématiciens qui se transforment alors en « mathématichiens » poursuivant l’Alexandre).
Prétentions utilitaires, du reste bien manipulées par ces « mathématichiens », qui s’affirment « utiles à la cité » et, ainsi, cherchent à conserver leurs prébendes ou leurs crédits recherche en surfant sur l’idéologie scientiste positiviste pragmatique (peut-on se déclarer « inutile » ? – même les poètes cherchent à faire reconnaître « une utilité », visionnaire, morale, éthique ou autre à inventer).
La révolution Grothendieck était la hache de guerre qui s’abattait sur la dévotion techno-scientifique et sur l’idéologie positiviste des sciences appliquées (pour le bonheur de tous).
La révolution Grothendieck définissait la mathématique comme champ de « potentialité », « ouvroir de pensées potentielles », source de création philosophique.
La mathématique conceptuelle, à la Grothendieck, se présentait comme la forme aboutie de l’auto-réflexion philosophique : penser la pensée.
Là où le langage devient le seul objet du langage (mathématique pure de Dieudonné) et « ouvre » à une infinie création intra-discursive ; la mathématique comme musique ou comme poésie (voir commentaire de la note 3.1).
La mathématique structurale de Bourbaki répond à la formule de Derrida « il n’y a pas de hors texte » (formule structuraliste construite sous un chapeau bourbakiste) ; formule qui se prolonge en analyse « déconstructive » ou en déconstruction de l’illusion que le langage parle d’un extérieur à lui. Déconstruction de l’illusion empiriste qui dicte la formule thermidorienne des mathématiques appliquées : la doctrine pseudo-platonicienne (ou vendue comme platonisme du pauvre, Badiou, 2.1) de la forme du monde « réellement » gravée en termes mathématiques, curieusement calculables ou analytiques.
La mathématique conceptuelle de la révolution Grothendieck pousse la réflexivité philosophique au 3e degré de la création mathématique de « concepts mathématiques » permettant l’auto-réflexion, la réflexivité de 2e degré, la réflexivité intra-mathématique (Shapiro 7.1, Marquis 8.1, Marquis 8.2, Krömer 9.1).
Et, surtout pour Grothendieck, cette mathématique catégorique emporte une fonction politique : la fonction politique du mathématique (que nous ferons penser en traversant l’analyse de « la potentialité », analyse introduite par Agamben).
Fonction politique de la critique réflexive mathématique, révolutionnaire, conceptuelle, fonction politique de la critique de l’idéologie scientiste des mathématiques pour ingénieur ; et, par exemple, de la nature théologique du stupéfiant « calcul des variations », « la nature cherche le mieux ».
Fonction politique de la critique de la confusion entretenue, technocratiquement sectaire, entre mathématique et calcul ou calculabilité. Il n’y a pas de calcul en mathématique ; ou, ce qui est calculable n’est pas de l’ordre du mathématique mais du pouvoir politique autoritaire.
La confusion épicière ou la réduction comptable du mathématique au nombre, au calcul, au compte n’a qu’une finalité de légitimation idéologique : faire passer l’épicier qui compte pour un savant et, inversement, bien montrer que les savants sont de bons épiciers (qui savent, au moins, bien gérer leur carrière) ; tous mis sur un même plan comptable, l’expert-comptable, l’agent comptable, le conseiller auditeur (building a better working world), le directeur de labo, le chercheur vacataire attendant son enveloppe. La maîtrise du calcul comptable (ou de l’audit – nous sommes bien loin des mathématiques pythagoriciennes ou platoniciennes) étant censée jouer un rôle essentiel dans la création d’un monde meilleur.
Et l’on retrouve tous les arguments des fanatiques chrétiens qui poussèrent Justinien (le démagogue ?) à faire fermer les écoles platoniciennes (reprendre la référence à Damascius). Combien de Justiniens (technocrates aujourd’hui) pour pourchasser les infidèles, les mathématiciens conceptuels ?

4

Alexandre Grothendieck sera notre héros.
Il aura toujours été notre héros.
Notre « saint patron » (an-archiste) : Mégalexandros.
L’incarnation parfaite de ce qu’Agamben nomme « forme-de-vie » (avec des tirets), une vie inséparable de ses formes ou, plutôt, de son mouvement de pensée. Une vie de pensée et la pensée en vie.
Et la vie « en exil », « en fuite ».
Alexandre, notre héros, est celui qui a théorisé réflexivement la pensée réflexive et porté la mathématique comme expression supérieure de la philosophie, pensée comme pensée de la pensée.
La révolution Grothendieck, qui souffle en tornade (l’ange de Benjamin), de la mathématique vers l’administration des « choses » (supposées) libère « l’ouvert » des « potentialités » (et nous utiliserons la sémantique d’Agamben pour tenter de définir, au 3e degré, cette « puissance révolutionnaire » : penser la pensée de la pensée, alors même que cette puissance (de penser) ne se connaît que par ses effets de pensée ou ses constructions conceptuelles).
En (se) pensant réflexivement, la mathématique Grothendieck étant une pensée, ou en pensant la dynamique de la pensée, du structuralisme à la philosophie non standard et aux géométries et aux logiques non standard (tout le 9 des références, 9.3 en particulier), la mathématique réflexive de Grothendieck « dévoile », dégage, découvre, alétheia, la caractéristique performative et intrinsèquement politique du langage.
Le langage « interpelle », jamais ne « décrit ».
Alors l’histoire, qui est histoire de formations langagières (ou de calculs appliqués), cette histoire se manifeste comme une immense « fuite sans fin », apocalyptique certainement.
En croyant « décrire » la langue « prescrit » et « performe » ; et déplace sans cesse « les choses performées », entraînées dans une dynamique apocalyptique (mais « sans fin » : le royaume des mathématiques appliquées est celui des « fins suspendues », comme le montre exactement l’économie, cette forme triomphante de la numéricisation du monde).
La théorie mathématique Grothendieck, catégories, toposes, est l’énoncé de ce tragique de l’exil infini (qui s’exprime par « la forme-de-vie » Grothendieck et la sécession).
Pensée que la pensée pense uniquement par déplacements (morphismes), sans point d’arrêt, sans « réalité ultime », sans « chose en soi », sans perspective (la perspective étant de l’ordre des géométries canoniques) ; apocalypse sans téléologie ni eschatologie.
Pensée que la pensée est lancée comme un train infernal et à un train infernal (s’accélérant avec l’empilement des couches discursives).
Et d’autant plus que l’illusion empiriste positiviste « empêche de voir » cette fuite accélérée (en imaginant un point d’arrêt ou un point d’ancrage) – l’illusion mortelle, apocalyptique, qu’il y aurait un arrêt, une substance, une réalité stable (au fond), un point pour s’accrocher au milieu de la tempête performative, cette illusion accélère encore la fuite (« bientôt nous aurons trouvé » !).
Alexandre Grothendieck est notre Grand Katechon.
Mais inversé : en montrant que « l’arrêt » ne réside que dans « la sortie » (la sortie des simulacres ou des abstractions réalisées).
Alexandre Grothendieck est celui dont la révolution (éponyme) adopte les leçons de Walter Benjamin : la révolution est le frein d’urgence.
La révolution Grothendieck consiste à barrer la route de toute forme de mathématique appliquée, des dites sciences de l’ingénieur à l’informatique désastreuse et à la finance mathématique, cette arme de destruction massive.
La mathématique conceptuelle est l’étude réflexive du langage mathématique « pur », ce n’est qu’une critique ou « une écriture sans voix », une analyse structurale au 3e degré de la fermeture sur soi de 2e degré du langage mathématique (voir références 10, Caramello 10.8 et 10.9) ; une analyse de cette fermeture structurale qui, paradoxalement, mène à « l’ouvert » des « potentialités » (et, encore, nous utilisons le vocabulaire d’Agamben pour introduire « la puissance à vide » ou la puissance négative, sans objet, simple poussée).
Il y a une puissance de la pensée, puissance sans ancrage, « inopérative », mais qui « jette » des formes, linguistiques ou mathématiques, et qui « projette » sans trêve, ni répit, sans objet.
Le fantasme, Averroès (Brenet 5.9).
La folie humaine.
Qui s’exprime si bien par « le désastre écologique ».
Puissance terrible qui ne peut être canalisée que par une violence encore plus terrible (et qui hérite sa force de cette puissance déchaînée) : la violence des mathématiques appliquées ou des exercices des ingénieurs ou la violence de l’économie.
Le cercle vicieux (de la volonté de puissance – ou de la souveraineté).
Tout réduire au calculable ; alors même que cela est impossible et ne peut arrêter la fuite (il n’y a pas de série convergente) – penser à l’imaginaire de « la grande libération » qu’aurait dû apporter l’informatique, alors même que cette informatique déploie une force politique autoritaire (performative, constructiviste) et ne vise plus rien d’autre que la seule accélération de son mouvement d’abstraction ou de « super-vision ». Penser au rôle autoritaire de la performation comptable et à l’emprisonnement généralisé dans la forme de la mesure valeur, dans l’économie comme mathématique réalisée.
La révolution Grothendieck, en critiquant l’idéologie positiviste du langage, du bon langage qui parlerait des véritables choses, s’est affrontée à la coalition des « praticiens ».
Le terrible conflit des mathématiques pures conceptuelles et des mathématiques appliquées (ou de la physique théorique et de la physique expérimentale), ce conflit est le conflit pour « la libération de la liberté ».
La libération de la puissance de ne pas, la puissance négative qui résulte du refus de toutes les magies (les applications étant des exercices de magie, non pas noire mais politique), du refus de l’idéologie du langage pragmatique supposé s’accrocher à une réalité non linguistique ou permettre de manipuler les choses (la magie égyptienne classique).
Il y a la création poétique illimitée des mathématiques pures.
Et il y a la violence terrible de l’emprise.

Il est maintenant temps de comprendre la signification de la fermeture structurale du langage (ce que permet la révolution Grothendieck) et des « décisions » qui correspondent à cette fermeture. Ainsi nous pourrons comprendre pourquoi la fuite en avant « progressiste » est apocalyptique.

5

Grothendieck, Agamben et Benveniste.
Posons brutalement (nous y reviendrons, car c’est le cœur de la révolution) qu’il y a une coupure entre la sémantique et la sémiologie (ce qu’Agamben nomme « impasse de Benveniste », mais qui n’est pas une impasse du tout).
Cette coupure désigne le passage d’une conception « naturaliste », naïve, « magique » (ou magicienne) du langage – les mots et les choses (supposées) seraient mis en correspondance ou « en prise » (à lire emprise), il y aurait un engrenage – à une conception politique, nécessairement de 2e degré, où c’est le thème de « l’en prise » qui est pensé (et non plus posé), en prise alors pensée comme emprise, ce qui décale toute la réflexion.
Le langage « n’ouvre » pas aux choses, au monde, choses et mondes qui seraient déjà là avant leur désignation ou nomination. Le langage constitue, performe un monde « virtuel », imaginaire (et fou) – ce qu’il est commun de nommer « abstraction réalisée » – un monde « magique », si magique désigne la sauvagerie politique de l’imposition, de la mesure, de l’extraction, si magique est pris en un autre sens que celui des hiéroglyphes égyptiens.
Et c’est ce monde projeté, établi, constitué, réalisé, qui est pensé, par rétro-projection, « naturel » (ou même « réel »).
En croyant « décrire » le monde, qui serait déjà là, on en projette un nouveau ; nouveau qui s’impose de force par exclusion, exploitation, extraction ; et qui devient le « nouveau naturel » imposé.
Un mouvement permanent de déplacement (et notons que les déplacements sont au cœur de la mathématique conceptuelle) entraîne cette « fuite sans fin » nommée « progrès ».
Et, spécifiquement, entraîne une montée dans l’abstraction (encore une fois, montée analysée par la théorie des catégories au titre des « généralisations »), c’est-à-dire dans le désastre, écologique, en particulier (l’artificialisation).
La révolution Grothendieck, comme pièce de la grande coupure du 20e siècle, vise précisément cette « fuite sans fin » qu’exprime la mathématique appliquée ; l’engrenage supposé des mots aux choses et qui pulvérise ces choses en les transformant en matériaux exploitables, matériaux à leur tour socles d’une nouvelle montée dans l’abstraction.
La révolution Grothendieck anticipe la politique négative à la Agamben, celle de « la désactivation », de la désactivation des machines linguistiques ou mathématiques – désactivation d’abord en « dénonçant » ces machines comme des engrenages d’emprise, puis en définissant une politique associée à cette « dénonciation », une politique négative de sécession menant au désœuvrement ou à l’inopérativité.
La révolution Grothendieck, aboutissement du projet Bourbaki, est celle de « la désactivation » de la machinerie performative d’emprise des mathématiques appliquées : les mathématiques en prise qui constituent une emprise, mesure et abstraction galopante.
Le Grand Œuvre de Grothendieck, l’analyse mathématique du mathématique, mathématique définie comme structure fermée, la théorie des catégories qui est une théorie réflexive, philosophique, mais déployée en langage mathématique (la mathématique parle des mathématiques), la révolution Grothendieck a pour objet de casser l’idéologie commune de la langue, en introduisant une gigantesque théorie du simulacre et en développant des jeux dans les simulacres (Grothendieck est le Robbe-Grillet des mathématiques). Elle mène à une politique analogue à celle d’Agamben, « politique de destitution », expression de la puissance destituante.
La puissance de la révolution Grothendieck, son mouvement conceptuel intra-mathématique, est une puissance destituante (pour une introduction à cette question, Didi-Huberman 5.10).
La coupure époquale consiste en l’identification d’une logique d’abstraction, logique qui tisse le mouvement historial (de la fuite sans fin). Logique qu’Agamben nomme « logique de présupposition » (voir Agamben 5.1 à 5.7).
La structure de « présupposition » résulte de « l’événement du langage », de l’anthropo-genèse, par lequel le langage exclut et sépare de lui-même le non linguistique et, dans le même mouvement d’exclusion, capture le non linguistique qui est incorporé, ingéré, par abstraction structurale (notons que cette analyse est la même que celle du pouvoir souverain, qui inclut par exclusion, qui colonise, indiquant que la « signification » est toujours politiquement conformée – tout le problème du religieux, au sens romain, impérial, se tient là).
Le non linguistique, « la réalité », est ainsi absorbé, abstrait ; et disparaît comme « inconnaissable » – le connaissable n’étant que le « dicible ».
Une machine folle « anthropologique » se met en branle qui conduit de la magie naïve à la religion politique et à la techno-science utilitaire.
Alors, il n’est pas du tout innocent que l’adversaire, thermidorien ou versaillais, de la révolution Grothendieck, soit l’informatique, les mathématiques pour l’informatique, et la production à flux tendus de « nouveaux langages », langages opérationnels (qui renouent avec la magie antique) et non pas mathématiques, au sens de la réflexivité.
La mise à l’index de l’informatique par le groupe Bourbaki était un point de rupture non négociable.
Bien sûr, des générations de besogneux de l’informatique, « les programmeurs avancés », ont constitué l’armée contre révolutionnaire la plus terrible, une armée réactionnaire intégriste qui ne pouvait accepter la critique réflexive de leurs langages (trop visiblement constituants ou « objectaux »).
Armée qui avançait sous le drapeau, un autre « mensonge déconcertant », des mathématiques, mais des mathématiques utiles (surtout à la police).

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Simple note sur le « tournant linguistique ».
Ce tournant, qui fait l’objet de la critique la plus virulente de Badiou et des « nouveaux réalistes » (réalistes spéculatifs ou matérialistes transcendantaux), a été intégré par la révolution structuraliste Grothendieck.
Révolution structuraliste qui anticipe le post-structuralisme et, plus encore, le fameux réalisme spéculatif et qui peut facilement s’exposer en termes de « philosophie non standard » de l’irréversibilité (ce que nous faisons implicitement depuis le début de cette tentative – notons que la théorie des catégories a bouleversé le champ de ce qui était nommé « logique », en intégrant la logique à la géométrie, puis en permettant un foisonnement de « logiques non standard », correspondant aux géométries potentielles, Benthem 9.3, Goldblatt 10.6).
Ce structuralisme mathématique énonce qu’il existe « un Réel », « une matière », le Réel des potentialités ou des puissances « pures » négatives, « les puissances de ne pas ».
Un Réel qu’il faut adjoindre aux abstractions performées et qui explique la dynamique de l’abstraction.
Rajoutons à notre bibliographie (très) partielle, cependant indicative, la pensée pivot de Ray Brassier, Nihil Unbound.
Renvoyons à la partie 6 de la bibliographie, à laquelle ajouter Ashley Woodward, Nihilism in Post Modernity, excellente introduction à Baudrillard, dont la pensée serpente autour de celle du structuralisme (relire les classiques Le crime parfait, 1995, puis, plus ancien, Simulacres et Simulations, 1981 – précisément l’activité informatique ou des mathématiques appliquée constitue « un crime parfait »).
Et comme l’explique très bien Agamben, le Réel n’est pas une substance (statique) mais une dynamique, un flux énergétique, pensable en termes d’ontologie modale.

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Encore Grothendieck et Agamben.
Le projet Bourbakiste est un projet radicalement structuraliste.
C’est sans doute le projet fondateur du structuralisme ; autant ou plus que l’anthropologie de Lévi-Strauss, qui se réfère à Bourbaki (l’ascendance Évariste Galois – contre celle de Joseph Fourier).
Mais dans le projet structuraliste Bourbakiste, la révolution Grothendieck vise à aller plus loin, ce que l’on nommera post-structuralisme.
La révolution Grothendieck ne se contente pas de réorganiser, façon Bourbaki, la mathématique autour de systèmes de structures ou de théories de plus en plus englobantes – ce qui n’est qu’un 1er degré de réflexivité, celui de l’ordre interne ; elle montre, au 2e degré de réflexivité, que cet ordre est l’effet d’une critique interne de la mathématique par la mathématique (les généralisations et les problèmes universels).
Ainsi apparaît la théorie des catégories qui, en une vingtaine d’années (de 1950 à 1970), va permettre de repenser la mathématique et les entités mathématiques (Marquis 8.2).
Puis faire passer à un 3e niveau de réflexivité, celui de la pensée dynamique (les objets disparaissent au profit des flèches).
La révolution Grothendieck est celle-là. Grothendieck avait l’ambition de « révolutionner » la mathématique. Non seulement son ordre, Bourbakiste, au 1er degré, mais la manière même dont l’ordre était structuré, au 2e degré, puis la manière dont l’ordre était généré, au 3e degré.
À une pensée structuraliste synchronique s’adjoignait un schéma diachronique (celui des transformations) interne à la mathématique. Ce que Dieudonné résume sous le titre « catégories et faisceaux », Dieudonné 1.4, Godement 9.6, Mac Lane 9.8.
Et c’était cela, véritablement, la poussée Grothendieck, reconstruire la mathématique en termes dynamiques.
Reconstruction conceptuelle ou « pure » puisque la finalité Bourbakiste était de couper la mathématique de toute application.
Et ainsi de résoudre, de manière révolutionnaire, la question positiviste de l’accointance louche des mathématiques (appliquées) avec le militaire ou avec l’informatique ou avec l’économie.
L’application est une performance « extractiviste » qui consiste à opérer un prélèvement, effectuer une « exploitation », sur une infime partie du corpus mathématique, part généralement « la plus simpliste » (voir le Traité d’Analyse de Dieudonné 1.5 et le fameux « calcul marginal ») et qui se prête depuis des siècles à cette exploitation (la comptabilité est-elle mathématique ? – toujours Hellman 7.3, le nombre est-il une entité mathématique ?).
En rajoutant, thème essentiel de la révolution Grothendieck, que ces performances extractivistes sont des constitutions ou des conformations : la partie extraite du corpus mathématique est « projetée » et devient instituante (cadastres, comptabilités, tout un monde de potentialités écrasées pour permettre la calculabilité commune).
Les géométries et les logiques, qui sont des géométries, et qui permettent, par exemple, la comptabilité, puis, de fil en aiguille, « la calculabilité » ou l’informatique, sont toujours des géométries ou des logiques « antiques », mais qui sont incrustées et imposent au monde « calculable » des structures conservatrices (nous pourrions répondre à la question, que nous avons développée de biais – la conspiration des ingénieurs –, pourquoi les mathématiques pour ingénieurs sont-elles si conservatrices ? Et pourquoi les ingénieurs sont-ils si conformistes ? Même et surtout les as de la finance mathématique de l’École Polytechnique !).

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La révolution post-structuraliste Grothendieck consiste en deux opérations confondues :
1 – Repenser conceptuellement la mathématique en déployant une réflexivité généralisée. Et, sans doute, le seul exemple complet de pensée réflexive (ou philosophique), pensée de la pensée et de la manière dont la pensée produit des « jections » ; ce qui pourrait se dire, en détournant Badiou : la mathématique est non pas ontologie (ce qui reste trop ambigu), mais est pensée réflexive de soi (ce qui peut s’arrimer à une ontologie dynamique « ouverte »).
2 – Cette première opération de fermeture structurale, pensée dynamiquement comme inclusion par exclusion, se déploie en une seconde opération, celle de l’exclusion radicale de toute « application ».
Et c’est là où le caractère « intégral » du refus des applications rejoint le principe politique central du groupe Grothendieck : le refus total contre le refus parcellaire.

La révolution Grothendieck peut, encore, être pensée comme la tentative de pousser à bout le schéma heideggérien du poétique : non pas la poésie comme « dévoilement » de l’être, mais la poésie comme « poussée en réel », création de mondes (l’être est le vide).
La mathématique conceptuelle est la poussée illimitée de création de mondes « poétiques », jamais « opérationnels », sauf par capture politique, au moyen des sciences de l’ingénieur.
Ainsi se retrouve l’analyse de la potentialité, si importante pour Agamben.
La mathématique de la révolution Grothendieck est « l’ouvroir de mondes potentiels ». Mondes potentiels dont la réalisation est toujours désastreuse.
« La forme-de-vie » correspondant à cette potentialité, « l’ouverture de l’ouvroir », est la sécession.
Aussi Grothendieck est-il plus disciple d’Agamben qu’Agamben lui-même !

9

Nous pouvons alors tenter de reprendre notre chemin d’une manière plus directe.

Pour faire comprendre la teneur de la révolution Grothendieck, nous avons posé qu’il pouvait être intéressant de rapprocher le programme de « la mathématique conceptuelle » des réflexions d’Agamben sur le langage.

La théorie des catégories, l’auto-analyse mathématique et dans les termes mathématiques de la théorie des catégories, cette auto-analyse du champ mathématique, de ce continent immense, nommé mathématique, cette auto-analyse énonce que la mathématique est une pensée réflexive ou une pensée hyper-philosophique qui pense son chemin de pensée.

Si l’on pose que la mathématique est langage, avec sa syntaxe, sa grammaire, la mathématique conceptuelle de la révolution Grothendieck se déploie sur TROIS niveaux de réflexivité.

1 – L’invention du langage lui-même (la recherche mathématique foisonnante).
Et, spécifiquement pour Grothendieck, cette inventivité est le marqueur de la singularité Grothendieck (référence 3).
Cette singularité est liée à la révolution (ou à l’événement).
La mathématique se pose, donc, d’emblée comme « ouverte ».
Ouverture non pas sur les choses ou les objets, sur les mondes (qui seraient extérieurs ou « en soi »), mais ouverture à sa propre génération « auto-poïétique », la réflexivité de 1er niveau.
Le langage parle du langage et ne parle que du langage.
Mais réflexivité de 1er niveau qui doit être thématisée, structurée, théorisée, formalisée (et la formalisation du langage par lui-même se tient à ce niveau).
L’auto-analyse du langage, sans métalangage – il n’y a pas de métalangage mathématique, Shapiro 7.1, 7.2 – voilà le contenu de la réflexivité de 1er degré : le langage n’ouvre pas « au monde », supposé extérieur, mais « constitue un monde » ; un monde fermé sur lui-même (il n’y a pas de hors texte).

2 – Le langage ontologique ou, précisément, « onto-Nomique », l’invention mathématique, génère, sans cesse, de nouveaux mondes, de nouvelles géométries ; géométries qu’il faudra ensuite classer, comparer, et, encore, transformer, dynamiser, volatiliser.
L’idéologie empiriste positiviste du langage mathématique, est rejetée sans ménagement par le processus même de l’invention interne au langage.
La théorie mathématique amène, alors, à la pleine conscience, cette propriété que porte le langage de générer des mondes, de projeter des « abstractions », de générer, à flux tendus, des mondes nouveaux (ce pourquoi les mathématiciens conceptuels sont « anarchistes » et, exactement, « an-archistes »). Ce pourquoi toutes les écoles philosophiques antiques exigeaient une formation mathématique préalable : que nul n’entre s’il n’est géomètre ! Ce pourquoi ces écoles philosophiques étaient toujours suspectées de « fomenter des rébellions » ou, au moins, de « cultiver l’impiété » (revenir au cas Damascius) – les « libres esprits » de la pensée réflexive.

La mathématique va bien au-delà de la poésie, si l’on entend par « poésie » le retournement réflexif du langage sur lui-même ; la poésie comme auto-analyse réflexive du langage par lui-même, voilà ce que rend conscient la mathématique.
La mathématique conceptuelle de la révolution Grothendieck frappe et casse radicalement l’idéologie qu’il y aurait un monde préalable, extérieur, en soi ou que le langage servirait à décrire ce monde. La révolution Grothendieck entraîne une révolution dans le matérialisme, sitôt que celui-ci est réductionniste ; il devient nécessaire de repenser un matérialisme de second niveau, spéculatif ou transcendantal – et ce nouveau matérialisme peut intégrer les pensées les plus difficiles de la physique théorique, quantique essentiellement (où la mesure « transforme sans représentation »).
Écrire n’est pas décrire.
L’écriture, l’invention hyper-poétique par la mathématique, n’est pas une « préhension », ni même une « com-préhension ». Écrire c’est inventer, sans cesse, selon des règles qui, elles-mêmes, s’inventent sans cesse dans le processus d’écriture (l’an-archie mathématique).
Par réflexivité, la mathématique conceptuelle est alors la théorie (l’écriture) d’un monde, abstrait, interne et fermé sur lui-même, mais ouvert sur l’infini, au moyen de l’invention (la mathématique est anarchiste).
Musique de la raison, répétait Jean Dieudonné.
Expression de la grande puissance illimité de la pensée, la mathématique est « divine », « démiurgique ».
Portant, au plus haut, le projet poétique de recréation du monde ; au-delà de tout ce que « l’ontologie formelle » peut imaginer.
Badiou nous dit : la mathématique est l’ontologie, la théorie de l’être de l’être.
Il faut ajouter, pour balayer toute ambiguïté positiviste, la mathématique, puissance démiurgique, génère « de l’être » (et c’est cet aspect « miraculeux », magique, mystique, qui fascine tant les forces cadastrales – et qui conduit aux pires désastres, dont l’informatique est le paradigme).
Et, encore une fois, pour balayer l’ambiguïté positiviste, pour suivre l’esprit « pur » de la révolution Grothendieck, il faut rejeter toutes les idéologies communes qui imaginent la mathématique comme une sorte de miroir du monde (monde qui serait déjà mathématique – et qui est pensé « en substance »).
Miroir magique ou, plutôt, diabolique, puisque c’est le monde (supposé) qui prendrait la forme « formelle » de son image ; image ou imaginaire, également supposée. Miroir qui ne « reflèterait » pas, mais « convertirait », transformerait le monde « à son image » (c’est pour sortir de ces cercles que la mathématique conceptuelle ne s’intéresse qu’aux transformations, à la dynamique, jamais aux, supposés, objets « substantiels » et statiques – voir la manière dont la physique quantique envisage « les choses »).
L’énoncé radical que « le monde » N’est PAS écrit en langage mathématique, la critique radicale de l’idée narcissique que « le monde » serait à l’image de la pensée construite (la critique du « corrélationisme », mais d’une manière différente de la critique développée par Meillassoux), l’énoncé qu’il N’y a PAS de relation (de corrélation) entre « le monde », supposé, et la pensée, toujours formalisée, poétique ou mathématique, et que, donc, les hilarantes (ou tristes) mathématiques appliquées, le calcul SUR le monde, compter SUR le monde, que ces passions (d’ingénieur) ne sont que des hallucinations fantasmatiques.
Hallucinations réalisées ou abstractions réalisées : des coups orthonomiques.

3 – La mathématique est alors politique.
C’est à ce niveau de réflexivité, après tout ce chemin, qu’il faut comprendre la révolution Grothendieck et la sécession.
Comment rester et subsister dans cet univers anthropomorphe, narcissique, où les « mathématichiens », pour des raisons louches de carrière ou de « recherche » de subventions de recherche, où les mathématiciens embarqués NIENT ce qui est l’honneur de la création mathématique, ce qui fait sa qualité philosophique, la réflexivité. Réflexivité, retour sur soi, qui est aplatie en « préhension » ; circuit écrasé en ligne droite.
Comment côtoyer ces traitres, vendus, corrompus, qui, par décision nihiliste techno-militaire (ou utilitariste) – par idéologie spontanément positiviste – CACHENT que (la dite) « application utile des mathématiques » (toujours l’informatique ! les modélisations !) est une opération coloniale (extractiviste) d’emprise, d’exploitation, d’éradication.
Face à l’honneur de la mathématique conceptuelle, l’horreur des mathématiques appliquées.

Horreur dont témoigne, nous l’avons assez répété, depuis l’origine lointaine des comptabilités, des cadastres, des recensements, de toutes les statistiques « d’états » (les tiques d’état), le rôle autoritaire de la mesure et la colonisation économique.
La mathématique n’est ni un formulaire de calculs, ni un « langage artificiel » (la comptabilité aboutissant à l’informatique). Cette idée de langage informatique étant la plus pernicieuse ; puisqu’elle se déploie comme un cancer mortel sur le noyau même du mathématique, être effectivement une langue – mais pas une langue mécanisée (contra Pascal).
Le langage informatique, comme le langage de l’économie (la comptabilité), est cancéreux et destructeur, puisqu’il passe à côté de la réflexivité, pour se déployer « platement » comme un calcul de la langue, pour rendre la langue auto-matique (et non pas auto-réflexive). Ce qui oblige l’informatique, ou les mathématiques pour l’informatique, à IGNORER l’infini, à « l’approximer » ; cet infini qui est un élément essentiel de la pensée mathématique (renvoyons ici à Badiou).
Générer le monde « par approximation », voilà le business du comptable ou du calculable.
Le péché originel des mathématiques appliquées étant « la troncature » des séries infinies en « approximations finies ».
La troncature, la réduction : tout le programme colonialiste des mathématiques appliquées ; dont l’économie est le splendide résultat (économie ayant pour centre « l’abstraction réalisée », la numéricisation du monde).
Au lieu d’amener à réfléchir (de porter à la réflexivité) sur la puissance et les limites du langage, au lieu de développer « des logiques » – il faut ici insister sur cette idée que ce n’est pas la mathématique qui est logique, mais la logique qui est mathématique – le Grand Œuvre de Grothendieck est aussi celui de la géométrisation de la logique, Goldblatt 10.6 – les mathématiciens de ménage, obéissant aux pouvoirs temporels impérieux, se sont engouffrés dans la voie destructrice, militarisée, ouverte par la croyance positiviste que le langage « décrit » une « réalité », SANS VOIR – et là réside le destructif – qu’ils projetaient des mondes, imaginaires mais réduits, calculables, opérationnels et qu’ils les projetaient à flux tendus (comme le montre bien le désastre informatique), SANS VOIR (ou ne voulant pas voir, dénégation) que la mathématique appliquée est résolument apocalyptique.
En programmant des fins, des finalités, des utilités, le praticien des mathématiques coupées (de leur réflexivité) « annonce » la fin.
Weapons of Math Destruction.
Et c’est exactement là que se situe l’insurrection Grothendieck.
Plus que le simple fait de la dépendance des mathématiques appliquées ou des sciences de l’ingénieur à la perfusion militaire ou économique (utilitariste, pragmatiste), puis, de fil en aiguille (avec le chas – il est plus facile à un chameau, etc.), la dépendance (militaro-économique) des mathématiques pures aux applications légitimantes, et, ainsi, bien financées, c’est le fait que les mathématiciens « trahissent l’honneur » (devenant « mathématichiens ») ou, plus simplement (la bêtise) ne comprennent pas ce qu’est la mathématique – qui est une vaste onto-poésie – c’est la trahison des mathématichiens qui explique le désastre.

Les mathématichiens sont les chevaliers infernaux de l’apocalypse.
Pris par l’idéologie utilitariste, les mathématichiens sont des « nihilistes » qui s’aveuglent sur ce qu’ils font ; ils alimentent la charge apocalyptique menée par le système techno-militaro-économique ; la charge lourde de l’anéantissement du monde, dont témoigne, allègrement, l’économique ou la physique nucléaire (des hautes énergies).
Le rôle infernal de ces mathématichiens (ou des ingénieurs ou des « génies de la finance mathématique ») ne peut être minoré.
Dès que l’on comprend que le langage est uniquement performatif – c’est cela qu’énonce la mathématique conceptuelle catégorique (développée en termes de la théorie des catégories) et la géométrisation des logiques (le rapatriement de la logique DANS la mathématique) – l’idée « d’application » devient satanique (mais Satan n’est-il pas « le roi du monde » ?).
Car une, supposée, application, une modélisation, par exemple, ou la construction d’un programme informatique, une telle chose (non pensée réflexivement) est une poussée supplémentaire dans la course à l’artificialisation du monde, dans la fuite apocalyptique.
En croyant décrire de mieux en mieux le monde, le mathématicien appliqué, ou l’ingénieur recherche, voue ce monde à l’écrasement, à l’enfermement ; comme en témoigne, le plus clairement, l’économie – la comptabilité, le compte, étant la perversion originelle qui décide du destin désastreux de toutes les autres mathématiques pour ingénieurs.

Tout l’effort bourbakiste et de Grothendieck, de sortir la mathématique du bourbier des techniques pour les ingénieurs, se heurte à un mur d’hostilité.
Mur d’hostilité qui explique que la seule solution, qui restait pour une personne aussi forte que Grothendieck, était la désertion.
Grothendieck s’inscrivait, alors, dans une lignée immémoriale de renonçants, de déserteurs, voire de saboteurs. Dans la lignée de tous ceux qui, comme Nagarjuna, ont « dévoilé » que le langage était « en vide » (et que seul un principe de vacuité fonde an-archiquement la réalité).
Et que donc le pouvoir politique, un effet de langage stabilisé par la force, était « sans fondement ».
La pensée mathématique de Grothendieck s’inscrit dans le vaste et méconnu domaine de la pensée apophatique (voir le point 6 des références).
Il est alors possible de rapprocher Grothendieck d’Agamben.
Sitôt que l’on comprend que le centre de la pensée d’Agamben est le langage – avec une pensée du langage qui glisse dans la voie déconstructrice (apophatique, donc) en continuation de celle de Derrida – et est, donc, une analyse apophatique du langage, une lecture, même superficielle, mais bien orientée, des thèmes d’Agamben sur le langage peut permettre de mieux comprendre la conception du mathématique en termes de théorie des catégories.

Toute l’analyse, ontologique, théologique, politique, d’Agamben repose sur une théorie structurale du langage ; et, exactement, sur une théorie structurale telle que Grothendieck l’a déployée.
Insistons sur ce terme « structural ».
Qui renvoie, ici, à la théorie mathématique des catégories (qui est structurale et dynamique). Mais qui renvoie, également, à Derrida et à la déconstruction (toujours les années 70).
L’analyse d’Agamben part d’une mise entre parenthèses de l’expérience ordinaire du langage (à quoi se limite la philosophie ordinaire ; qui méconnaît l’économie, par exemple ; qui ignore le problème posé par « l’abstraction réalisée »). L’idée de performativité ou d’abstraction réalisée n’est pas ordinaire ; mais est radicalement politique.
Et, inversement, l’idée ordinaire de « vérité » est toujours pensée en termes d’adéquation.
La vérité comme adéquation, cette idée ordinaire déjà critiquée par Heidegger et dont la critique est reprise et développée par Agamben, voilà la cible de la torpille Grothendieck.
Agamben cherche le lien entre l’analyse réflexive (apophatique) du langage – qu’Agamben associe à l’esthétique poétique – et la violence politique conformatrice – qui résulte inévitablement de la performativité du langage, performance qui ne peut être stabilisée que de force – la violence, le flux déchainé de la violence, constituant le seul « réel extra-langagier », réel qui n’est pas un état ou une substance mais une dynamique historiale.
Toutes les langues historiques concrètes, de tous les groupes humains, nous entraînent vers « une expérience universelle ». Celle de la mise en cause du langage comme « outil », voire « bon outil » – la langue est toujours un « mauvais outil » ; mauvais outil associé à des formes « universelles » de « démagogie » ou de « mensonge ».
En revenant, par une lecture critique, par un déplacement donc (tout commentaire étant un déplacement), à la théorie des Idées de Platon, Agamben caractérise cette « expérience universelle », cette analyse réflexive du langage, comme une expérience de la « potentialité » ou de la puissance.
La dialectique de la puissance, les paradoxes et apories du concept de potentialité, permettent d’entrer dans le domaine du pouvoir politique (par la grande porte de la religion).
La théorie du langage, comme expérience supra-individuelle, est la matrice de la théorie du pouvoir. Le même vide, le même ouvert.
La distinction célèbre, que construit Agamben en transformant Aristote, la distinction entre puissance (dynamique) et réalisation (énergie, force) nous renvoie au 1er niveau de l’analyse réflexive du langage, le 1er niveau de la théorie des catégories.
Le langage est puissance à vide et déchaînée, qui ne trouve d’ancrage (de fondement en une réalité) qu’après coup, qu’après une construction structurale « im-posée ».
Ce qui explique l’infinie variation des langues historiques ; cette infinie variation que théorise la théorie mathématique des catégories (en recherchant les nœuds structuraux et les transformations).
La stabilisation communautaire n’est qu’un coup normatif, contingent, fragile, évolutif, résultat de l’an-archie des langues.
Mais alors qu’Agamben semble penser que la puissance réelle peut se réaliser sous forme d’actions poétiques – mais dans les limites étroites de la pensée explicitement réflexive et qui se pense en pensant – nous avons vu que le 2e niveau de la réflexivité, introduit par la théorie des catégories, correspondait à une irréversibilité, à une fuite sans fin dans les performations – la poésie n’est pas eschatologique mais apocalyptique.
Et, contrairement à ce que pense Agamben, l’irréversibilité, la course frénétique à l’abyme, cette fuite sans arrêt doit être intégrée comme pièce essentielle de l’analyse réflexive (ce que permet la mathématique pure de Grothendieck).
Les constructions de langage FUIENT sans cesse ; à tous les sens du mot « fuir » et de « la fuite ».
La mathématique est une fuite.
La poésie est une fuite.
Mais en associant puissance & impuissance – puissance « de ne pas » – potentialité & impotentialité – impotence – Agamben arrive à une pensée radicale de la pensée ou de la puissance de penser, détachée de toute réalisation.
Ou, inversement, Agamben arrive à une pensée de la pensée qui ne peut se réaliser qu’en générant « la fuite en avant » – la glose illimitée des textes d’Agamben.
D’une manière très générale, et, disons, prospective, Grothendieck et Agamben appartiennent au même cercle de la pensée apophatique ; cercle que nous avons désigné par le nom de Damascius le Scolarque ; mais que l’on pourrait désigner sous le nom de Nagarjuna.
Il ne peut y avoir de langage « fini » ; il ne peut y avoir de métalangage.
Tout langage est une mise en forme située historiquement.
Mise en forme qui s’explicite, réflexivement, en termes de structures historialement évolutives ou an-archiques : la fuite sans fin (de l’histoire du mensonge).
La question posée par la révolution Grothendieck est alors la suivante : si le langage est une structure fermée (« démonstrative »), si c’est un simple système structural de signes qui se renvoient les uns aux autres (en une théorie complète – le schéma du dictionnaire), « de quoi » parle le langage ?
La langue ne parle pas : elle est parole du silence.
La langue ne parle pas « de quelque chose », mais organise des systèmes fuyants – des systèmes de significations « pures » et sans engrenage sur une réalité (autre que constituée par le langage – toujours le modèle de l’économie).
Cette organisation performative explique le caractère illimité de la création linguistique, poétique, mathématique.
Et, également, c’est le problème politique central de Bourbaki et de Grothendieck, le danger radical que représente cette créativité illimitée, déchaînée, dès lors qu’elle n’est pas pensée réflexivement ; dès lors qu’elle est déniée et « réinscrite » comme « progrès » vers « la vérité », vers une fin.
Les mathématiques appliquées, qui sont l’expression aboutie de cette dénégation – de ce nihilisme – qui sont l’expression aboutie du grand imaginaire de la chasse, ces mathématiques, fleuron de l’humanité, nous entraînent dans une course apocalyptique.
Où « le savoir » devient indistinct de la destruction ; où la prédation, l’enfermement, le confinement, la réduction, la troncation, sont posés comme « le savoir » (et, peut-être, « le véritable savoir », celui des chasseurs). Alors que ce « savoir » ne sait même pas qu’il ne parle que de lui-même ; en cercle vicieux et désastreux ; incapable d’arriver à la réflexivité la plus antique du « se penser soi-même ».

La théorie des catégories est une théorie réflexive du langage mathématique et non pas un outil supplémentaire de prédation compréhension du monde (vide de significations, autres qu’imposées).
C’est là où commence et où s’enracine la subversion Grothendieck : dans le rejet de toute positivité (positiviste).
Dans la reprise de l’impasse de Saussure ; pour laquelle il n’y a pas d’articulation entre le sémantique et le sémiologique.
Et pour résoudre l’aporie, il faut rejeter le sémiologique. Ou introduire ce sémiologique comme le mouvement historial an-archiste du sémantique. Dynamiter, dynamiser le sémiologique.
La théorie mathématique de Grothendieck est la forme complexifiée (en 3 niveaux de réflexivité) de résolution des apories linguistiques (bien structurées par Benveniste et méditées par Agamben).
Ce ne peut être, en aucune manière, une nouvelle mine (ou exploitation) pour toujours plus de calculabilité.
Mais comme l’attrait utilitariste des formalisations ou des modèles mathématiques semble une force illimité de perversions, il ne reste plus qu’à DÉSERTER.

10
[Conclusion]

La caractéristique politique (performative) du langage se traduit par une fuite en avant, une fuite sans fin – qui caractérise « l’humanité », après l’anthropogenèse par la langue.
Dès que cette caractéristique est complétement assumée, comme c’est la cas pour la révolution Grothendieck, elle se traduit par un mouvement révolutionnaire, voire, toujours le cas Grothendieck, par une tempête révolutionnaire.
Mais un tel mouvement de révolution permanent ne peut se poursuivre : il s’épuise et se corrompt.
Il se retourne en imaginaire empiriste ; imaginaire pour lequel il y aurait un objet, un but, une fin, à atteindre.
Peu de personnes pouvant supporter le poids de l’ouverture sur le vide pulsant, peu de personnes pouvant supporter la liberté an-archique, l’ouvert se referme vite.
Récupération pragmatique, alignement orthodoxe, écrasement, falsifications, contraintes budgétaires, la grande censure.
Les niveaux multiples de la réflexivité se replient, alors, les uns sur les autres. De nouveau, le grand retour, le langage est supposé décrire (une réalité qui ne serait pas co-constituée par lui). L’administration courante, autoritaire, reprend le dessus. La loi (qui est un texte) est censée redevenir naturelle, simple expression des choses mêmes.
Le nœud de la révolution Grothendieck est la critique de l’idée de « chose même ».
Ceci correspondant à une critique de la phénoménologie ou au passage, à la Agamben, d’une ontologie substantive à une ontologie modale, au passage d’une vision statique (étatique) à une vision dynamique (révolutionnaire).
Rejet radical de l’image de la pensée comme convergence à l’infini « sur l’objet ». Car, sans cesse, le dit objet, co-constitué par le langage, se déploie, se dérobe, se défile. Sans point d’arrêt.
Destin tragique de l’humanité : son EXIL illimité.
Dont la personne Grothendieck porte témoignage.

La révolution Grothendieck peut être superposée à la réflexion d’Agamben sur l’anthropogenèse, sur la question du langage et de la potentialité.
Grothendieck & Agamben, parlent, chacun à leur manière, de « la machine anthropologique ».
Le langage, les structures, les institutions, s’imposent, « s’auto-organisent », et cette auto-organisation s’effectue par exclusion (l’inclusion par exclusion d’Agamben).
La puissance de la pensée est retournée.
La machine, qui produit le retournement, qui génère la stabilisation, la fermeture structurale, opère par captation, canalisation, redressement – opération orthonomique, nomothétique ou économique.
Le problème politique, révolutionnaire, n’est pas celui de réformer ou d’améliorer le fonctionnement de la machine d’emprise ; il est celui de stopper la machine, de la bloquer.
En montrant comment les structures se déploient les unes à partir des autres, et à des niveaux d’abstraction croissants, Grothendieck désigne le point essentiel : l’absence d’ancrage du structural, du langage, des institutions – qui sont an-archiques.
Leur aspect de palais volant dans les airs.
Il n’est donc pas question (1) de retrouver un socle ou un fondement – impossible de dépasser l’an-archie, (2) ni de tomber dans l’illusion du pseudo-fondement inversé qui s’exprimerait par des applications à la mode positiviste.

Car, dans cet imaginaire (2) de solution pragmatique, nous serions entraîné dans un mouvement cataclysmique (le mouvement de l’humanité désirante) ; dans un cercle vicieux où l’illusion de « la prise » ou de l’ancrage – la chasse, l’exploitation, l’extraction – lancerait un mouvement permanent, ce mouvement « boule de neige » si caractéristique de l’apocalypse écologique.
La prise est une poussée.
Jamais un arrêt.
Ce que découvre la révolution Grothendieck, c’est l’auto-constitution structurale illimité.
Et c’est que l’effet, supposé positif, de ces constitutions consiste en un mouvement irréversible de désastre ; mouvement qui ne peut se « terminer » que par l’arasement complet, l’apocalypse des mathématiques appliquées inconscientes d’elles-mêmes (irréflexives).

Comme il est impossible de maîtriser ce mouvement circulaire d’aspiration, il ne reste plus qu’à le « désœuvrer ». En désertant.

Mathématique et Apocalypse : Orientation bibliographique.

1 – Alexandre Grothendieck

1.1 – Amir Aczel, Nicolas Bourbaki, Histoire d’un génie des mathématiques qui n’a jamais existé.

1.2 – Georges Bringuier, Alexandre Grothendieck, Histoire d’un mathématicien hors norme.

1.3 – Leila Scheps editor, Alexandre Grothendieck, A Mathematical Portrait.

1.4 – Jean Dieudonné, Panorama des mathématiques pures, Le choix Bourbachique.

Lire l’introduction. Voir aussi chapitre : Catégories et Faisceaux.

1.5 – Jean Dieudonné, Éléments d’Analyse, en 9 volumes.

Volume 1 : les connaissances minimales.

1.6 – Revue Mnémosyne, n°4-5, juillet 1993, IREM Université Paris 7 (Paris Diderot)

Hommage à Jean Dieudonné ;

Lire allocution de Jean Dieudonné à l’Université de Nice, 20 novembre 1969, sur le groupe Bourbaki et la conception « bourbachique » des mathématiques.

1.7 – Survivre et Vivre, Critique de la science, naissance de l’écologie.

(Dans l’après 68, Survivre et Vivre, le mouvement de scientifiques critiques rassemblés autour du grand mathématicien Alexandre Grothendieck, dénonce la militarisation de la recherche et l’orientation mortifère du développement technoscientifique)

Pour une introduction à la théorie des catégories et des topoï (ou toposes) :

Voir Wikipedia : History of Topos Theory, Topos, Categories, Formal Ontology, etc.

2 – Alain Badiou

2.1 – Court Traité d’Ontologie Transitoire (1998)

La mathématique est une pensée ;

Platonisme et Ontologie Mathématique ;

Premières remarques sur le concept de Topos ;

L’être du nombre ;

Groupe, Catégorie, Sujet.

2.2 – Éloge des mathématiques (2015)

2.3 – Alain Badiou, Penser le Multiple

Textes réunis et édités par Charles Ramond, Colloque de 1999, publié en 2002.

2.4 – Jean-Michel Salanskis (in Alain Badiou, Penser le Multiple)

Les mathématiques chez x, avec x = Alain Badiou.

2.5 – J-M. Salanskis, Category Theory and Philosophy of Mathematics

Conférence du 5 novembre 2016 (en ligne : www.sphere.univ-paris-diderot.fr).

3 – Avec Alain Badiou : singularité, coupure, événement, révolution.

3.1 – François Nicolas, La singularité Schoenberg.

Peut-être faut-il ajouter aux coupures, analysées par Foucault (Les Mots et les Choses, L’Archéologie du Savoir), une nouvelle coupure qui s’étend sur tout le 20e siècle, depuis la révolution Schoenberg en musique ou l’événement Malevitch en peinture, en passant par l’invention de la linguistique, que nous associerons à Benveniste (le grand inspirateur d’Agamben), jusqu’à la révolution Grothendieck en mathématique et le structuralisme.

Cette coupure est celle de la scission radicale sémantique / sémiologie, et de l’introduction du « sens » ou de « la signification » comme imposition performation (à la hache, Reiner Schürmann). L’arbitraire du sens place le pouvoir et la force au cœur des significations, « autoritaires » par construction (et parce que ce sont des constructions impératives).

Nous renvoyons à notre « théorie de la valeur mesure » comme exemple limité de cette coupure.

Cette coupure peut être analysée en termes « spéculatifs », du réalisme spéculatif au matérialisme spéculatif et à la philosophie non standard, en termes de « nécessité de la contingence » (Meillassoux) ou d’irréversibilité des performations linguistiques.

Le circuit fermé des « discursivités » (toujours Foucault), qu’elles soient musicales, picturales ou mathématiques, construit sa propre « réalité » (semblant, simulacre) qui s’impose, en dualité, par la violence des constructions structurales fermées, des « constrictions ».

Mais cette réalité « artificielle » est « an-archique », se déplaçant au gré des jeux de force, évolutive, historiale, contingente.

Elle n’est qu’une forme locale (époquale) de « l’ouvroir des structures potentielles ».

4 – Sur l’Université, comme corps de police.

4.1 – Plino Prado, Le Principe d’Université.

Cet appel normatif, visant à définir une université ouverte (ou traditionnelle au sens des Humanités ou de Humboldt), peut servir comme test pour critiquer le projet techno-économique de l’école technique, de « la nouvelle université » procurant des emplois.

Le conflit entre science et techno-science, conflit que nous mettons en jeu sous les noms de Bourbaki et de Grothendieck, est celui qui divise l’université ; en voulant la rendre servante de l’économie ou de l’utilité. C’est-à-dire en voulant « fermer » le déploiement illimité des « potentialités » (renvoi à ce terme d’Agamben, plus bas). En croyant ou forçant à croire que les projections, les proférations langagières ou mathématiques, les constructions structurales, sont « fondées » ou « accrochées » à un socle stable (qu’il convient d’attraper ou de comprendre : doctrine de la mytiliculture ou du langage mytilicole).

4.2 – Emmanuel Barrot, Révolution dans l’Université.

4.3 – Christian Laval, Francis Vergne, Pierre Clément, Guy Dreux, La Nouvelle École Capitaliste.

4.4 – Angélique del Rey, À l’École des Compétences, De l’éducation à la fabrique de l’élève performant.

4.5 – Philippe Blanchet, Main Basse sur l’Université.

4.6 – Groupe Grothendieck, L’université désintégrée, 2021.

5 – Giorgio Agamben : Potentialités.

5.1 – Le langage et la mort, place de la négativité, 1982 (1991).

5.2 – Potentialités, 1997.

5.3 – Idée de la Prose, 1998 ;

5.4 – La fin du poème, études poétiques (Problèmes généraux de poétique), 1999.

5.5 – La ragazza indicibile, Mito et Misterio di Kore (Perséphone), 2010 ;

5.5b – The Unspeakable Girl : The Myth and Mystery of Kore, 2014.

5.6 – La Puissance de la Pensée, 2011.

Ce dernier ouvrage, essentiel, doit être lu en même temps que l’on médite la révolution Grothendieck, la révolution de « la potentialité » – la mathématique (poésie) comme « ouvroir des structures potentielles » (et qui doivent rester « potentielles », sous peine d’involution techno-scientiste ou positiviste).

5.7 – Le Royaume et le Jardin, 2019 (2020).

5.8 – Giorgio Agamben, Jean-Baptiste Brenet, Intellect d’Amour, 2018.

5.9 – Jean-Baptiste Brenet, Je Fantasme, Averroès et l’espace potentiel, 2017.

Et commentaire intéressant de cette doctrine de la potentialité :

5.10 – Georges Didi-Huberman, Puissance de ne pas ou la politique du Désœuvrement, Critique 2017, 1-2, n° 836-837, pp. 14-30.

6 – Interprétation générale d’Agamben, au moyen de l’analyse du thème de la potentialité (ou de la puissance désœuvrée).

6.1 – William Franke, On the Universality of What is Not.

6.2 – Thomas Lynch, Apocalyptic Political Theology.

6.3 – Greg Bird, Containing Community, From Political Economy to Ontology in Agamben, Esposito and Nancy.

6.4 – Aaron Hillyer, The Disappearance of Literature, Blanchot, Agamben and the Writers of the No (on “Désœuvrement”).

7 – Catégories et Structures (Charles Ehresmann).

7.1 – Steward Shapiro, Categories, Structures and the Frege-Hilbert Controversy, The Status of Meta-Mathematics, Philosophia Mathematica, 2005.

7.2 – Steward Shapiro, Philosophy of Mathematics, Structure and Ontology (mathematics is the science of structure).

7.3 – G. Hellman, Mathematics without Numbers.

7.4 – Palmgren, Category Theory and Structuralism.

7.5 – Hans Halvorson, Category Theory in Philosophy of Mathematics and Philosophy of Science.

7.6 – Andrei Rodin, Axiomatic Method and Category Theory, 2014.

7.7 – Andrei Rodin, Axiomatic Architecture of Scientific Theories, june 2020.

7.8 – Alberto Peruzzi, Category Theory and the Search for Universals, A very short guide for philosophers, 2016.

7.9 – Landry editor, Categories for the Working Philosopher, Oxford, 2018.

8 – Jean-Pierre Marquis.

8.1 – From a Geometrical Point of View, A Story of the History and Philosophy of Category Theory, 2009 (Grothendieck Toposes and Geometric Logic : Categories as Language).

8.2 – Categories, Sets and the Nature of Mathematical Entities, in Rebuschi/Visser, The Age of Alternative Logics.

8.3 – Category Theory, Stanford Encyclopaedia of Philosophy.

Brief Historical Sketch (sur la révolution Grothendieck) ;

Philosophical Significance.

9 – Théorie des Catégories et Logique Géométrique.

9.1 – Ralf Krömer, Tool and Object, A History and Philosophy of Category Theory.

9.2 – Steward Shapiro editor, The Oxford Handbook of Philosophy of Mathematics and Logics (structuralism, structuralism reconsidered).

Renvoi à 7.2, 7.3, 7.4.

9.3 – Johan van Benthem, Gerhard Heizmann, Manuel Rebuschi, Henk Visser, The Age of Alternative Logics.

Voir 8.2.

9.4 – Bart Jacobs, Categorical Logic and Type Theory.

9.5 – J. Lambek, P.J. Scott, Introduction to Higher Order Categorical Logic.

9.6 – Roger Godement, Théorie des Faisceaux, 1964.

9.7 – Masaki Kashiwara, Pierre Schapira, Categories and Sheaves, 2006.

9.8 – Saunders Mac Lane, Ieke Moerdijk, Sheaves in Geometry and Logic, A First Introduction to Topos Theory, 1992.

10 – Conceptual Mathematics.

10.1 – William Lawvere, Stephen Schanuel, Conceptual Mathematics, A First Introduction to Categories, second edition.

10.2 – William Lawvere, Robert Rosebrugh, Sets for Mathematics.

10.3 – Maria Cristina Pedicchio, Walter Tholen, Categorical Foundations.

10.4 – Peter Freyd, Andrei Scedrov, Categories, Allegories.

10.5 – J.L. Bell, Toposes and Local Set Theories.

10.6 – Robert Goldblatt, Topoi, The Categorical Analysis of Logic.

10.7 – Peter Tennant Johnstone, Topos Theory.

10.8 – Olivia Caramello, Grothendieck Toposes as unifying bridges in Mathematics, 2016.

The Unification of Mathematics via Topos Theory.

10.9 – Olivia Caramello, Theories, Sites, Toposes, Relating and studying mathematical theories through Topos theoretic bridges, Oxford, 2017.

Et pour s’arrêter, un contre-exemple (des mathématiques pour l’ingénieur) :

Courant, Hilbert, Methods of Mathematical Physics, en deux volumes, 1924.

Traitement complet des méthodes de la physique mathématique, en 1000 pages.

[1La grande question de la sécession.
Le style sécessionniste (Sezessionsstil) se retrouve dans toute l’histoire de l’humanité.
Depuis l’Inde, le bouddhisme en particulier, jusqu’aux « déserts » de Syrie – et « déserter » est devenu synonyme de « faire sécession » – en passant par toutes les « installations » de monastères « retirés » – le « retrait » est un nouveau synonyme, comme « prendre le maquis », etc. – abbayes du Désert, Saint Désert.
Il y aurait à écrire une histoire complète de la sécession. Histoire qui montrerait que la sécession accompagne le (contre) mouvement de « récupération » ou « d’établissement » d’une poussée révolutionnaire, poussée toujours « spirituelle » (« conceptuelle ») mais qui est « ingérée » par le (contre) mouvement de « réalisation » (ce qui, depuis toujours, est nommé « corruption »).
Comme le montre clairement la trajectoire Grothendieck, la sécession apparaît comme « style de vie » ou « forme-de-vie » lorsque la révolution devient « état » ou se fige statiquement.
Lorsque la révolution mathématique « pure » (des pures potentialités) s’invertit en carrière, à la fois mine de futures « applications » rentables et source de reconnaissance lucrative (ou désespérée).
La sécession correspond au refus de « la normalisation », cette normalisation inhérente à la réalisation de la poussée révolutionnaire. La sécession correspond à la tentative de « maintenir » (le Grand Katechon, mais inversé), de poursuivre la poussée percée ; alors même que cette tentative « katechonique » devient déficiente. Les « installations » monacales dans les vallées désertes deviennent vite des lieux commerciaux de pèlerinage.
Le style sécessionniste ou la « forme-de-vie » sécessionniste tente de retenir le dégueuli de la révolution ; ce pouvoir de Katechon s’inverse en pouvoir de conservation – je maintiendrai – mais maintien d’une dynamique qui NE peut PAS être conservée. La glissade vomitive de la révolution est inévitable.
Il y aura toujours des mathématiciens (« mathématichiens ») bien intentionnés pour rendre « utiles & agréables » les plus « pures » créations.
Comme simple introduction à ce livre « potentiel » sur la sécession, sécession considérée comme caractéristique universelle, il est possible de citer un manifeste de « la sécession viennoise » :
Notre art n’est pas un combat des artistes modernes contre les anciens, mais la promotion des arts contre les colporteurs qui se font passer pour des artistes et qui ont un intérêt commercial à ne pas laisser l’art s’épanouir. Le commerce ou l’art, tel est l’enjeu de la Sécession. Il ne s’agit pas d’un débat esthétique, mais d’une confrontation entre deux états d’esprit.

Si la révolution est la poussée « singulière plurielle » (Jean-Luc Nancy) ou la « potentialité pure » (Agamben), toute révolution DOIT s’achever.
La réalisation de la révolution est le retournement de la poussée, ou de la puissance en force (qui s’accouple à un objet) ; la puissance « pure » devient force constructive « appliquée ».
Aux derniers moments révolutionnaires, correspond la sécession et le style sécessionniste.
La sécession désigne cette phase intermédiaire où la révolution commence à être ingérée.

paru dans lundimatin#272, le 25 janvier 2021

 

 

 

 

 

 

Notre ami Jacques Fradin nous fait part ici d’un texte précieux puisqu’il revient sur la pensée d’Alexandre Grothendieck, le célèbre mathématicien qui avait rejoint les milieux contestataires vers 1968 et fondé, avec d’autres, le groupe « Survivre et vivre » pour propager ses idées antimilitaristes et écologistes. La particularité de ce texte est qu’il s’intéresse à la pensée mathématique de Grothendieck sur le plan mathématique en essayant de la relier à celle de Giorgio Agamben sur le langage et d’en déplier les conséquences politiques. Le résultat : un long article, un peu sinueux mais absolument formidable en même temps.

En plus de ces précisions, voici comment son auteur nous a présenté sa propre tentative : "Suite à la lecture du texte important du groupe grothendieck, lecture qui a ravivé de très vieux souvenirs (des années 1970
1975), je me suis lancé dans une aventure un peu désespérée :
Tenter de faire comprendre ce que pouvait être la révolution Grothendieck
(Bourbaki) DANS les mathématiques : théorie des catégories, toposes,
faisceaux, logiques géométriques non standard, etc. Et, surtout, tenter de faire comprendre en quoi cette révolution DANS les mathématiques est ce qui a conduit Grothendieck à la DÉSERTION, désertion « écologique » en particulier (mais désertion anarchiste plus exactement). Désertion liée à la contre révolution des mathématiques appliquées, de l’informatique essentiellement (l’informatique étant la bête noire que l’on
pouvait espérer écraser, dans les années 1970 – comme le néolibéralisme
naissant).
C’est un sujet qui me tient à cœur depuis ce moment (et même un peu avant,
dès 1965) et que j’ai poursuivi dans la direction spécifique de "la critique
de l’économie« , l’économie pouvant être considérée comme le prototype des »applications des mathématiques" ; la comptabilité étant l’ancêtre de
l’informatique (comptes, calculs, opérations)."

* * *


Vila-Matas /2021 The Paris Review


Enrique Vila-Matas, The Art of Fiction No. 247

Interviewed by Adam Thirlwell

Issue 234, Fall 2020

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Photo © Olivier Roller (detail); Manuscript image courtesy of Galaxia Gutenberg

The writing of Enrique Vila-Matas is marked by a dazzling array of quotation, plagiarism, frames, self-plagiarism, digressions and meta-digressions: an intense and witty textual delirium that has made him one of the most original and celebrated writers in the Spanish language. Born in Barcelona in 1948, he published his first novel—a single, sternly uninterrupted sentence—in 1973. Continuing his fidelity to the myth of the avant-garde writer, he then moved to Paris, living in a garret rented from Marguerite Duras, before returning to Barcelona, where he spent the next decade publishing novels, a story collection, and literary essays.

It was with his sixth book, however, A Brief History of Portable Literature (1985, translation 2015), that Vila-Matas transformed into a true original. The book poses as a history of a secret society of twentieth-century artists and writers, including Duchamp, Walter Benjamin, Kafka, and others. Its reckless linking of real names to imaginary quotations and vice versa, its mingling of fiction with history, made him notorious—and represented a new moment in European fiction. Reality can only be apprehended through a comical, dazzling network of texts—that was the book’s basic proposition, and its implications and complications are what Vila-Matas has continued to explore in wildly deconstructive novels like Bartleby & Co. (2000, 2007), Montano’s Malady (2002, 2007), and Never Any End to Paris (2003, 2011), as well as in a series of what Vila-Matas calls critical fictions, including Chet Baker piensa en su arte (Chet Baker thinks about his art, 2011), The Illogic of Kassel (2014, 2015), and Marienbad électrique (Electric Marienbad, 2015).

Vila-Matas has won many grand awards (the Premio Rómulo Gallegos, the Premio Herralde, the Premio Leteo, the Prix Médicis, among others), but in person he is modest and generous, always solicitous toward younger generations­—I first met him a few years ago through our mutual friends Alejandro Zambra and Valeria Luiselli. He dresses with elegant reserve, a disguise for a mischievous, fantastical soul. We conducted this interview over two prolonged sessions in Barcelona last summer and fall, speaking in a mixture of French and Spanish while his agent, Mònica Martín, offered interpretive aid and sometimes joined in the conversation. This polyglot mixture was transcribed, edited, then retranslated into Spanish and rewritten by Vila-Matas before being definitively translated into English. Its multi­lingual, multilayered history seems an accurate analogue to Vila-Matas’s polymorphous style.

According to the terms of Vila-Matas’s thinking, the real can only fully acquire a luminous existence when inserted into a prior network of words— even, for instance, a conversation. Both sessions of our interview took place in the gardens of the Hotel Alma in Barcelona. Vila-Matas chose the location partly for its peacefulness—but really, he observed, because it was where he set the final exchanges of his most recent novel, Esta bruma insensata (This senseless haze, 2019). The two conversations, one fictional, one real, could therefore gradually infiltrate each other—this was his hope—and reach their own separate level of truth.    

After our final session, before we headed off for coffee at the Europa Café on Diagonal, Vila-Matas invited me over to his apartment and showed me his small writing room, the bookshelves of which were filled with works by his beloved authors—Beckett, Kafka, Tabucchi, Duras, Joyce, Walser, and friends like Rodrigo Fresán and Roberto Bolaño. That space, I began to think, was the visual form of Vila-Matas’s literary philosophy—fragile, futuristic, and infinitely valuable: an idea of writing as a singular, patient process that can absorb and create the hyper world outside it.

ENRIQUE VILA-MATAS

I warn you—no one believes what I say. I recently gave an interview, and after it was published, the interviewer mentioned to someone that he got the impression everything I told him was made up. I was surprised, because anyone who knows me knows I hate lying, but also because I’ve always thought that the history of literature is missing a chapter, the one that would tell the epic story of all those writers—from Cervantes to Kafka and Beckett—who fought heroically against any form of imposture. And I do mean fought. A plainly paradoxical sort of battle, given that its chief combatants were writers with their heads immersed in the world of fiction, and yet out of that battle or tension emerged the truest—and as such, to my mind the most interesting—pages in the history of literature, pages born out of the tension produced whenever fiction tries to approximate that which seems, a priori, the furthest possible thing from it, the truth. I don’t know, but perhaps what confused that interviewer was my “way of saying things.” Could that be it? I inadvertently lend an air of implausibility to things that really have taken place.

INTERVIEWER

Maybe it’s because you suffer from the malady of things happening to you that don’t happen to anyone else. Like the night you took a taxi and the driver said, Good evening, Doctor Pasavento, as if you were a character from your own novel. When I tell people that story no one ever believes me, but I was there! And you reacted as if it were perfectly normal.

VILA-MATAS

Yes, it was normal, as if at that moment I believed that the whole of Barcelona read my books. In those days I was always going out and I would take taxis from one end of the city to the other and chat with the drivers, and I think all those taxi drivers, at some point, listened to me talk about my books and—as unlikely and amusing as this sounds today—about whatever technical problems I happened to be having with them. I’d be crossing Barcelona in the middle of the night talking about Cyril Connolly!

INTERVIEWER

Do you ever worry that the true and what seems to be true don’t always coincide?

VILA-MATAS

Yes, but it took me a long time to see there was a problem or really consider what it meant. It first dawned on me in 1988 when I published Una casa para siempre (A home forever)—incidentally Mac’s Problem (2017, 2019) is the remake of this novel. In that novel from my early writing days—the unraveling, oblique biography of a ventriloquist—I write about a woman with a particular obsession for buying bread in every town and city she passes through on her travels. In real life, I’d visited various cities of Poland, Egypt, and Greece with that woman, and in every one she’d made a point of buying some bread, even if she had no intention of eating it. I was quite mystified by this hobby of hers, and she never did enlighten me. So, in Una casa para siempre, it occurred to me to include a woman character—the narrator’s mother—who collects bread from all the cities she visits. And, well, when the book was published, the eminent literary critic for El País wrote that I was a promising young writer but obviously suffered from an “overactive imagination,” as demonstrated by “the implausible story of the bread collector.” That critic has since died, but when he was alive I used to keep an eye out for him at bookish parties and receptions in order to explain that story really had happened to me and even disclose to him that funny collector’s name. [Laughs]

INTERVIEWER

I wonder if this malady of yours is linked to something else that’s always struck me. I get the impression that you hide behind your texts. For example, I have no idea about your childhood, where you grew up.

VILA-MATAS

My childhood was entirely without conflict, a gray and happy childhood in a no less gray Barcelona, so there isn’t much to tell. Perhaps that explains why I’ve worked very little on the theme of childhood in my novels. Just the other day I read something in Ricardo Piglia’s Crítica y ficción (Criticism and fiction) that seems connected to what we’re talking about. There was a sentence, something like, “I really like the first years of my diary because in them I grapple with the total vacuum: nothing happens, nothing ever happens in reality.” I can’t help Piglia’s words taking me back to the days when I had nothing to say and no stories to tell. They were tough, those early years of youth, and then everything became worse, awful, if you did find a story to tell, because you knew you still wouldn’t end up writing it, not with that desgraciado Heidegger’s words ringing in your ear, which I remember George Steiner quoting—“When you’re too stupid to have something to say, you tell a story!”

INTERVIEWER

Could you say more about your childhood? What were your parents like? Were they Catalan?

VILA-MATAS

They were both Catalan, from Barcelona’s middle-class bourgeoisie. And within the family—with them, my sisters, aunts, uncles, and grandparents—we spoke exclusively in Catalan. I spoke Castilian in school and only with a select group of classmates.

I’ve spoken about this somewhere before. I was born nine years after the end of the civil war, a brutal conflict that was never discussed but which you could still feel in the air. No one ever brought up the civil war, except when we kids didn’t want to eat, because then, inevitably, our parents would remind us of the wartime hunger they had endured. The impression any child got in those days was that, not very long before, something terrifying and huge had happened—which reinforced the sense that I had nothing to say, because nothing ever happened to me and instead everything pointed toward something very disturbing having happened, about which no one talked.

All this reminds me of a line by Rainer Maria Rilke in his Notebooks of Malte Laurids Brigge, a line I’ve mulled over for years. “The days when they told stories, properly told stories, must have been before my time. I never heard anyone tell a story.”

INTERVIEWER

You say you worked very little on the theme of childhood, but there’s that text called “La Calle Rimbaud” (Rimbaud Street, 1994) . . .

VILA-MATAS

I wrote that because my friend Mercedes Monmany commissioned me, back in the nineties, to be part of an interesting volume she was putting together about the childhoods of some Spanish writers from my generation. I’d never undertaken the theme of childhood and at first I didn’t know what to do, but out of that came “La Calle Rimbaud,” an essay about the journey between my house on the Calle Rosellón and the Maristes La Immaculada school just off the Passeig de Sant Joan. A five-minute journey, one I’d made each way four times a day for fourteen years. I must have walked it fifteen thousand times!

INTERVIEWER

You once compared that childhood journey to Kafka’s condensed world.

VILA-MATAS

Kafka never strayed far from his personal Passeig de Sant Joan. He barely strayed from the reduced radius of Prague’s Old Town. They say that once, standing at a window of his house, looking out onto the main square of his city, he said to a friend while drawing three circles on the glass, “That’s where my school was, that building there is the university, and a little farther to the left is my office.” He paused, then added, “My whole life contained in the space of these three circles.” It’s the same for me. The Passeig de Sant Joan has become mythic territory in my literature over the years. That journey contained and still contains everything. Whenever I strayed from its path and walk south, although the city certainly did extend beyond the “territory of my childhood,” I would have the feeling I was walking in a barren place, a place with no history. In Doctor Pasavento (2005), for example, I invented a parallel world for that Passeig, the Bronx. And “my” Doctor Pasavento had two childhoods, one in Barcelona and the other in New York.

INTERVIEWER

I often think that if only our memories were more expansive, we could understand the complexity of things more easily. But for that journey between your home and school, memory functions very well! It keeps expanding infinitely.

VILA-MATAS

Yes, everything was there on the Passeig de Sant Joan. For example, the paving stones that my friend’s grandma smashed into when she threw herself from a fifth-floor window. She landed not far from the barbershop my mother made me visit twice a week—her way of keeping me out of trouble for a few minutes while she got on with her errands. And on the Passeig there was—and still is, of course—a kind of castle, the classic childhood fantasy, although it wasn’t actually a castle, or was only in my child’s imagination, rather the Palau Macaya, by Puig i Cadafalch, which appeared vacant but was in fact inhabited by deaf children who were also, it seemed, orphans, and whom I discovered one day outside the palace. I was completely astounded by their signing—it was the first time I’d ever seen it. I was also astounded that those young people, who were around my age, didn’t have parents and were the secret inhabitants of that strange building.

The Passeig was also the location for my initiation into sex—the young nurse whom I fell for, probably because of her uniform, beneath which I could only picture bare flesh—and into politics as well, in the form of my daily encounter with the humble Jewish storekeeper and his wife who sold magazines and comics, and who would occasionally talk about his dark past, a past it took me some time to piece together, ignorant as I was of the Nazis’ barbaric history. In my memory, his store resembles Bruno Schulz’s “cinnamon shops.” Today, that mysterious and dingy place, which seemed like a dark, central European enclave of Mediterranean Barcelona, has become a vulgar and brightly lit bar.

The Passeig also boasted a movie theater. Cine Chile. A neighborhood theater that only showed two movies at any given time, and only those that had been screened a month before at the bigger theaters downtown.

INTERVIEWER

You loved the cinema?

VILA-MATAS

Even more than the cinema, I loved the movie stills on display in three glass cases in the Chile theater foyer, replaced every Monday—invariably the program was weekly. In the first vitrine would be images from the two movies showing that week. In the second, images from the two movies that would screen the following week. And finally, in the third vitrine, you would find—alongside a magical sign that read coming soon—the never-before-seen stills from the movies that, as soon as we reached the week’s end, would be moved across to the second vitrine. The coming soon vitrine gave me a real thrill each Monday because, after what were always interminable Sundays, it represented the one novelty along the monotonous route from my house to school.

INTERVIEWER

Your relationship with cinema persisted, didn’t it?

VILA-MATAS

Yes. In the seventies, I went to the movies twice a day. I was a big fan of the kind of cinema being made at that time. And in fact, on my twentieth birthday, in March 1968, I began working for a magazine in Barcelona called Fotogramas, which was the very symbol of the “in” scene, one of the most “modern” publications in Spain during Franco’s dictatorship. I mainly watched what people used to call underground movies, and at the magazine I became an expert on that particular kind of cinema. Philippe Garrel and his actor Pierre Clémenti were my heroes. I wanted to be like them, above all physically. Indeed, as far as directors went I was more interested in Garrel than Godard—I felt a stronger connection to his work.

It was during that time that I discovered the freedom of auteur cinema. Little did I know, but the influence of this kind of free cinema from the seventies was going to be pivotal to my future writing. I remember going to see Last Year at Marienbad twenty-five times, basically because I didn’t get it and kept wondering if perhaps I just lacked the intelligence to get what all the hype was about.

INTERVIEWER

Do you see any link, formally, between literature and cinema? There’s a moment in one of your essays where you talk about Godard and his love of inserting quotations into his works . . . Is that something you borrowed from him? Does it function the same way—if Godard uses a quotation in a film and you insert a quotation in a novel, is the montage the same?

VILA-MATAS

I’d say the two things are connected, I suppose they must be. I watched all of those Godard movies, interrupted by silent-movie posters bearing eloquent literary quotes, and later, when writing, I wanted somehow to do the same. The ultimate decision to work with quotations from other authors came when Susan Sontag, in her 1985 prologue to Urban Voodoo by Edgardo Cozarinsky, praised “his lavish use of quotations in the form of epigraphs,” which reminded her of “the quotation-strewn films of Godard.” I think I took Sontag’s words as a kind of assurance that it was by no means abnormal, that ansia I felt to quote others.

INTERVIEWER

Ansia?

VILA-MATAS

Yes. Anxiousness. A need, I think, to find some vestige of culture in any old frivolity. I watched Ad Astra, for example, a few days ago . . . I couldn’t help but compare that space movie to Conrad’s Heart of Darkness. Brad Pitt’s character’s quest to find his father, lost somewhere in outer space—a search around which the whole movie is structured, just as my latest novel, Esta bruma insensata, is structured around a similar search and, incidentally, has its final scenes, a dialogue between two brothers, precisely in the bar of this garden where we’re sitting now—is similar to Conrad’s novel, in which everyone is always talking about Kurtz but Kurtz himself doesn’t appear until the end, and only to utter four stupid words. “The horror! The horror!”

But anyway, how did I get onto this? I’m sure there’s a perfectly good reason, but it’s escaping me. [Laughs]

INTERVIEWER

Why are we talking about this?! Ah, yes, you were talking about relating everything to everything else. But to return to your beginnings, there you were, watching two films a day . . .

VILA-MATAS

And then a book came along that changed my life—Locus Solus, by Raymond Roussel. I discovered that it was possible to write differently from how people in my country had told me one must write . . . It was then that I really started getting into literature. I felt I could see clearly what I’d already glimpsed in Cervantes—that madness, risk, and wisdom could go together.

INTERVIEWER

Where did you study? And even, what did you study?

VILA-MATAS

In the mornings I studied for my law degree, in those days an all-but-inevitable choice for the offspring of Barcelona’s middle class, and in the afternoons for a journalism degree, which I found more interesting than memorizing laws I didn’t even agree with.

INTERVIEWER

Who were you reading back then? What did the literary landscape look like?

VILA-MATAS

I read the Spanish poets of the so-called Generation of ’27—Luis Cernuda, Federico García Lorca, Pedro Salinas—and at that point I had just dipped my feet into narrative prose, but only to read some Juan Benet, a difficult, Faulknerian Spanish novelist.

INTERVIEWER

Am I right that you did your military service in Africa?

VILA-MATAS

Yes, in North Africa. My military service was a lot like Morocco, that terrific Josef von Sternberg movie. Or at least I liked to think it was like Morocco so as not to lose all hope, stuck on that dusty base on the edge of the desert for a year. I preferred to imagine I was living the life of Gary Cooper’s character, and in the evenings I would stop at all the Arabian coffee shops I came across, always imagining I was being pursued by Marlene Dietrich.

INTERVIEWER

How old were you then?

VILA-MATAS

I turned twenty-three in Africa. And it was there, incidentally, that I wrote my first book, Mujer en el espejo contemplando el paisaje (Woman in the mirror contemplating the landscape, 1973). A book that was actually just one sentence, without any punctuation. If you tried to read it, you quickly realized that the book itself literally stopped you from breathing. I mean, you could suffocate. A fairly aggressive avant-garde detail, this absence of punctuation, don’t you think? I wrote the book hiding out in a military convenience store where I worked as a clerk in the mornings and, in the afternoons, on the major’s orders, I did the bookkeeping. In the process, also on his orders, I was to work out who was stealing the store whiskey supply. In the end I discovered that the one draining that establishment was the major himself.

Whenever I wasn’t working, I would sit and write that first novel, which I had begun as a way to avoid wasting too much time during those army days, but never with the intention of publishing it. And yet when I returned to Barcelona, a friend sent it to Tusquets, the independent publishing house that Beatriz de Moura had recently set up, and she insisted on publishing it. I cried, I didn’t want to, because all I wanted was to be a movie director. Well now, said Beatriz, clearly made uncomfortable by my outburst, precisely because you’re crying like that, I’m definitely going to do it.

As you can see, for me publication was a form of punishment.

INTERVIEWER

You once told me that, as well as publishing your first book, on your return to Barcelona and the magazine Fotogramas you fabricated several interviews, including one with Marlon Brando.

VILA-MATAS

Unbeknownst to Elisenda Nadal, the director of Fotogramas, it’s true, I did make up interviews with Marlon Brando—just terrible, the things I had him say—Rudolf Nureyev, Patricia Highsmith, Anthony Burgess, and others besides. I couldn’t speak English and I was afraid Elisenda would sack me when she found out I couldn’t even conduct those interviews, let alone translate them—it was my first job—so I decided to just make them up. I began with Marlon Brando and, being young, I had the nerve to make him say these surreal things, like, for example, that he hated hippies because “they only knew how to sleep in the tall grass.”

INTERVIEWER

Do you still recognize yourself in that first novel you wrote?

VILA-MATAS

Yes, because it doesn’t traduce who I am. But I recognize myself far more in my second book, La asesina ilustrada (The enlightened murderess, 1977). Because La asesina ilustrada is a tiny taster—it’s a very short book—of what I would go on to produce in the following years. It is also a novella with a strong poetic undercurrent, one that I haven’t lost interest in over time. I wrote it in Paris, in Marguerite Duras’s chambre de bonne, and while it really is a very short work, it took me no less than two years to write—not because I couldn’t get the words down on the page, but because it took me so long to work out the murder plot. Although it’s also true that I didn’t know quite how to tell the story, because up until then I’d only ever read poetry and the works by Juan Benet I mentioned earlier. To put it simply, I had no idea how to narrate, and I wasn’t really interested in novels. As a result, my two first books have a strong poetic undercurrent and very little, if any, novelistic force.

INTERVIEWER

I often think that true novelists hate novels and prefer poetry.

VILA-MATAS

Quite possibly. Without a strong connection to poetry, for me the novel doesn’t exist.

INTERVIEWER

You’ve never published poems, though.

VILA-MATAS

No! Because I wrote poetry only until I was sixteen. I remember one title in particular that had airs of a Bob Dylan song. It was called—and this is entirely illustrative of my state of mind in those days—“Juventud a la intemperie” (Youth out in the elements).

INTERVIEWER

So what, for you, is this connection between poetry and the novel? A quality of vision?

VILA-MATAS

Probably. That quality comes from some writers’ facility for what we might call perception, the art of perceiving what’s going to happen. It’s a skill, an art, that we see very acutely in Kafka, for example . . . Literature is a mirror with the capacity, like some clocks, to run ahead of time. But we mustn’t mistake perception for prophecy itself. Kafka loved that work by Flaubert, Bouvard et Pécuchet, with its assessment of how stupidity will spread, unstoppable, in the Western world. But Kafka went one step further than the rest. He went beyond his own sources of inspiration in that, unlike Flaubert, he described the very heart of the problem, the situation of total impossibility, of impotence, that the individual faces before the devastating machine of power, bureaucracy, political systems.

INTERVIEWER

It seems to me that the novelists we both love don’t so much relate events as explore an image. When I think about Kafka, there’s always this idea of a poetic situation he wants to explore or scrutinize.

VILA-MATAS

The kind of writer I like best is the one who appears to have taken the advice Barthes gave to a critic friend to renounce false objectivity and “join literature no longer as ‘object’ of analysis but as activity of writing.” In other words, the kind of writer I like best is the one who has, at some stage, been a critic, and who at a certain point realizes that if he really wanted to honor literature he must immediately himself become a writer—step inside the bullring and prolong, by other means, what was always at stake in literature.

INTERVIEWER

And who could be defined as one of the “explorers of the abyss.”

VILA-MATAS

Well, yes, because the writers I love tend to be professional explorers of the abyss who have an inclination to dissect things, to reinvent themselves in lengthy digressions that cover all manner of seemingly anodyne details that just might give us the clue to something that we cannot see—perhaps for lack of light—but that exists at the center of a “reality” that, in my opinion, is yet to be constructed. There is a Kafka aphorism, from one of the Zürau notebooks, that has become the motto for my own writing. “We are instructed to do the negative; the positive is already within us.” In Esta bruma insensata I recount the life of a secondary figure in literature, and I tell it like a catastrophe in slow motion, with everything suspended, like “bullet time” in The Matrix. Simon Schneider is definitely infiltrated or contaminated by parallel dimensions. The whole novel seems to speak to the dominance of the interior world over reality, which takes place somewhere else, in negative territory . . . We know about the positive, that’s been done to death. But I’ve found plenty of work to be done on the negative.

INTERVIEWER

That reminds me, before going to Africa you made two avant-garde, Daliesque short films, in Cadaqués . . .

VILA-MATAS

The first was called Todos los jóvenes tristes (All the sad young things) and its whereabouts are unknown. It was based on a story by Ray Bradbury, the story of two fishermen who find a mermaid and don’t want her to go back to sea. The other was Fin de verano (Summer’s end). It was inspired by Pasolini’s Teorema and told the story of the meticulous destruction of a bourgeois family by a femme fatale.

INTERVIEWER

And that was the end of your career as a filmmaker?

VILA-MATAS

Yes. And, at the same time, the start of my career as a writer, because a few days after the film premiered, I had to leave for Africa, where I began writing the short novel that, after its publication, gave me the ridiculous idea that I was a writer, and as such led me to Paris, where I would try to emulate Hemingway’s life there, the life he describes in A Moveable Feast.

INTERVIEWER

Did you know anyone in Paris?

VILA-MATAS

I knew Adolfo Arrieta, a friend of Marguerite Duras’s, after meeting him in Madrid. Almost as soon as I arrived I got in on the underground movies he was shooting around the Saint-Germain quarter. It was a happy encounter, since Arrieta made the kind of cinema I would have liked to make, so it reassured me to know that someone was making it on my behalf. He was a walking camera. Today that is less extraordinary, because everyone goes around with their cell phone filming everything. But in those days, in 1974, it was a radical cinematographic proposition. In my mind, by filming everything Arrieta was cinema itself, and life was like a feature film of varying lengths. To accompany Arrieta on his walks through Paris was to constantly make movies.

INTERVIEWER

In Never Any End to Paris, you recount your time in the city and the writing of what became your second novel. Do you still feel a kinship with that portrait of a young artist in Paris, in Marguerite Duras’s garret? Or would you now disown him and his concerns?

VILA-MATAS

I fully recognize myself in it! Today I know that the best thing about that whole experience was getting to know Duras. I arrived in Paris tired of “normal people,” and tired, too, of all the prim, proper writers that proliferated at the time—not to mention these days, today there are even more. In Paris I confirmed that the writers who appealed to me were those like Duras, the kind who don’t appear on school honors plaques and who are divisive, distinctly unedifying, full of defects, but show immense talent. I think that really terrible side of Duras—she was spectacularly brutal—had a great influence on me.

INTERVIEWER

Brutal?

VILA-MATAS

Brutal because her obsession with writing sprang from a genuine belief that she could transcend the words and reach another—inexpressible—reality. And in order to reach it she was prepared to do anything. She was, frankly, scary. To put it another way, she was a writer on a mission. If I remember correctly, she described this process of reaching “the inexpressible” as “piercing the black shadow,” an “interior” shadow. I also remember that, given her belief that absolutely everybody possesses an inner shadow, she found it strange that not everybody wrote.

INTERVIEWER

You’ve said somewhere that you used to really enjoy acting, cross-dressing, and so on . . .

VILA-MATAS

My transformation into Marlene Dietrich, singing like she did in her final phase—barely moving, like an effigy—was a roaring success. In fact, I’ve only truly known success, what we call success, impersonating Dietrich in Arrieta’s hotel room. People would flock from all over the city to see me. I was really quite amazed to discover that you don’t have to move much to have success like that, such inordinate success.

INTERVIEWER

I remember you showing me photos of magnificent poses. Can you say a little more about this love for transformation, theater, gender deconstruction?

VILA-MATAS

I enjoy creating new realities. In that regard I haven’t changed. And I enjoy becoming another, male or female, living lives different from the only one it’s supposed I’ll get to live.

INTERVIEWER

Literature creates reality.

VILA-MATAS

It’s true. For me the most appealing thing about literature is observing how it can destabilize our existence, pushing the question of representation and language out in front. That is literature’s most thrilling aspect. Because language doesn’t reproduce reality, rather makes and unmakes it from an unappealable subjectivity, which drags its own political and aesthetic baggage with it. I think this has been clear since the second volume of the Quixote was written. Plenty of intelligent people have told me that since Bartleby & Co. what I’ve been writing is a sort of automythography, something similar—­notwithstanding the obvious insurmountable distances—to the metaliterary atmosphere of part 2 of the Quixote.

INTERVIEWER

And one could argue that, without part 2, there would be no history of the novel.

VILA-MATAS

Absolutely, there wouldn’t. I couldn’t agree more, and I’m really starting to think that you and I are quite alike.

INTERVIEWER

Valeria Luiselli once told me that there are two Latin American authors who aren’t from Latin America—you and me.

VILA-MATAS

It’s a very shrewd observation, I think, the proof being our shared admiration for the Polish writer Witold Gombrowicz, who without doubt is most remembered in Latin America—maybe because, as Ricardo Piglia said, he was really “an Argentine writer.”

INTERVIEWER

How did you first encounter our Latin American tradition? You said you discovered Borges quite late, for example.

VILA-MATAS

At one point I planned to write a book about my relationship with Latin America, which would have answered your question. It all began when I read Bioy Casares and Borges, who blew me away. Incidentally, in my mind I saw them as two classic writers from the sixteenth century, in the sense that I never imagined them as being alive. I never imagined that I would end up having a friendship with Bioy. So that book I didn’t write, but that would have answered your question, would have begun with me reading those two great Argentine writers, followed by a decisive scene, the foundational scene of my connection to Latin American literature, the day of my first encounter with Sergio Pitol in Barcelona, around 1970. He was the first writer who paid any real attention to what I wrote, to my first babblings, and he gave me the confidence to stick at it. And whom should he have translated into Spanish but Gombrowicz himself. After a while, through my friendship with Pitol I was invited to visit Mexico, a country that has left a greater impression on me than any other.

INTERVIEWER

Which works do you love most by Pitol? The Art of Flight?

VILA-MATAS

The Art of Flight is the most important. But I really love a quartet of stories he wrote in Russia, Nocturno de Bujara (Bukhara nocturne), and the short novel The Journey, which is a mini masterpiece. In all these marvelous books there is a real need to travel and mix cultures, which is what he praises above all in Antonio Tabucchi when he says the Italian belongs to that group of admirable writers who, despite not having been born in bilingual or notably border regions, feel a personal calling to embrace different languages. The works of such writers, Pitol says, are both bridge and meeting point, and they consecrate the nuptial act of two or more cultures. Pitol put Tabucchi in that group, which also included Borges, Pessoa, and Larbaud.

INTERVIEWER

Is there a link here to Gombrowicz again, and other writers, like Musil—in their mestizaje de géneros, their blend of genres, of fiction and essay? Something that also explains the shared love among these writers of the journal as a form.

VILA-MATAS

There is a link there, yes. Undeniably. Few writers have combined fiction and essay better than Pitol. He was my maestro. Whenever I said that, he’d smile, as if he didn’t believe me. [Laughs]

INTERVIEWER

And Bolaño? I feel like Bolaño represents another major Latin American encounter for you. How did you meet him? Was it here in Barcelona?

VILA-MATAS

In Blanes. Paula, my wife, a literature teacher, had recently started a job in that town on the Costa Brava. One day she said, There’s a Chilean writer in Blanes. And I said, Okay, right. A Chilean. Is that all? Yes, that was all. But it was none other than Bolaño. We met him on November 21, 1996, in Bar Novo, which I remember as a nondescript, drab sort of place. I’d gone for an orange juice with Paula and had just ordered when he walked in.

Meeting Bolaño was key for me. There was something that really united us and that I didn’t find easily with other writers, a passion for literature. He was also a great help to me at a critical literary moment, because I was writing El viaje vertical (The vertical voyage, 1999) and I was convinced that nothing special happened in the novel, and he wanted to hear the plot and when I told him he said I was mad, that lots of things happened in the novel. With those words I think he spurred me on to keep writing for the rest of my life. A year after that conversation, I began to write Bartleby & Co., a book written under a rare kind of inspiration.

INTERVIEWER

You once said that The Savage Detectives showed you a new way of writing. Could you be more precise about that? In its composition?

VILA-MATAS

If I’m honest I can’t overlook the fact that I hotly challenged Bolaño over the structure of The Savage Detectives. He was furious, but ultimately it was an argument that reinforced our friendship and thanks to which I discovered that he didn’t want to retouch anything in the book at all. It also made me see that every last detail of the novel had been deliberated and that nothing was there by accident. The conviction with which he told me all this—he knew every word he’d written—greatly impressed me.

These days, when I look back on that disagreement, I realize that what Bolaño was really trying to tell me was that he knew exactly what he was doing and that he’d spent years in Blanes thinking about and writing that book. He’d also had problems with his liver for years, although no one really believed it, and certainly not that he would die so soon. But he was fully aware that he didn’t have much time left and perhaps that explains why he wrote with such intensity in the final years.

INTERVIEWER

Let’s talk a little about your own intensity. You once wrote that you could summarize your work as a series of reflections on the art of writing. This concept, I think, is very visible in your way of incorporating quotes from other texts in your writing, as well as the names of other authors, and even characters from other texts. It becomes most noticeable in A Brief History of Portable Literature, but I kind of sense it in your previous works.

VILA-MATAS

It was already there, yes, but only sketched out, muttered. Where it appears for the first time in any kind of decisive way is in A Brief History.

INTERVIEWER

It’s as if A Brief History, written in 1985, was your second first work—the first one where you play with real names.

VILA-MATAS

It caught people’s attention that the characters of that “radical fiction”—that’s what they called the novel in Mexico, and it surprised me because I’d believed every word I’d written—were familiar figures like Duchamp, Dalí, Picabia, Scott Fitzgerald, Walter Benjamin, et cetera. In Spain, especially, it surprised people because it seems it was unlike anything they were used to. Back then, Barcelona was European and Madrid was very provincial. When I think about it, what I wrote wasn’t so unusual—after all, I’d very much had in mind the experiences of other writers doing the same. Like the extraordinary Peter Handke at the end of Short Letter, Long Farewell, in which a real person, John Ford, appears and has a conversation with the book’s protagonists—a beautiful episode that had fiction and reality flirt in a way that was entirely new to me. I found Ford’s way of speaking just brilliant. He spoke in the plural, like so many Americans. When Judith asks Ford if he dreams a lot, Ford replies, “We hardly dream at all any more. And when we do have a dream, we forget it. We talk about everything, so there’s nothing left to dream about.”

INTERVIEWER

Another aspect of the same game of yours is that you’ve also used real quotes and attributed them to different writers or characters.

VILA-MATAS

That began in A Brief History, a book written in a kind of unbroken euphoria that I still can’t explain today.

INTERVIEWER

But there’s something else in all this that interests me, something to do with an idea of literature and the anonymous, or the depersonalized. There’s that line you love by Satie, “Je m’appelle Erik Satie comme tout le monde.” I think what interests me is that you often use an I who is writing, a narrator who is you and not you, simultaneously, because it’s an I that is also a collage of sentences by other writers. And when you use a person’s real name, too, it’s as if the name has been emptied out in some way.

All this reminds me of a moment in your Caracas speech, in 2001, accepting the Premio Rómulo Gallegos, where you argue that literature exists beyond its writers.

VILA-MATAS

We see this, for example, in Borges. Literature that loses itself to anonymity, literature that openly recognizes that originality doesn’t exist in any form. Borges believed that writing is no different from transcribing and that all writers are essentially scribes. That literature is a great palimpsest, a mosaic of quotes in which authors and works are formed out of the authors and works that came before them. By this logic, the modern idea of artistic originality would be a sham. The amanuensis, the writer, never creates from nothing, but instead manipulates stories that have already been passed down. Or, to put it another way, modifies, intensifies, and distorts that which is already given.

INTERVIEWER

You like to borrow names of other writers, but characters more rarely.

VILA-MATAS

Yes, but I’m not sure why. Originally the process went like that thanks to my spontaneous selection of authors from my library. This is what would happen—I wouldn’t know where the story of A Brief History was going, so I would leave my desk, for example interrupting my writing on a line that went, “And then, Henry Miller, turning to his friends, said . . . ” and I would blind pick any book from my library, open it at random, and the first or second sentence I read upon opening my eyes was the one I would assign to poor Miller. This, among other things, helped me resolve the problem of not knowing how to go on. If a line didn’t fit, it wasn’t an issue because I would just modify it myself, change it, until it did fit with the previous sentence.

INTERVIEWER

So you never suffered from the anxiety of not knowing where the story was going.

VILA-MATAS

Never, because any line taken at random can work within the story that I’m telling and drive the plot on. Ideas, too. It is, at heart, a method similar to that of Raymond Roussel, which he explains in his prodigious How I Wrote Certain of My Books.

Incidentally, Esta bruma insensata includes a subtle takeoff of my own process, because the central character is an “expert in quotes,” a kind of walking dictionary of phrases, a man whose job is to apportion and sell literary quotes to other authors. An unusual trade, and little known, which explains why there isn’t a union of hokusais—hokusais is the name these quote artists go by. There’s an unexpected story in the quotes themselves that appear in Esta bruma insensata, because they wove together to form a plot that not even I had seen coming, and in which I end up involving none other than . . . Thomas Pynchon. Who, by the way, could just as well be right here in this garden. I only say this because the final exchange in the novel takes place in the very spot where we are now, in the garden of the Hotel Alma, in central Barcelona. A complete coincidence, I might add. But by this logic, you could very well be Pynchon and I just haven’t realized yet.

INTERVIEWER

I remember something Dominique Gonzalez-Foerster wrote about you, which I thought was wonderful. She said, “The scripting of a story through referencing events that occur in one’s life, or scripting events in one’s life so that they develop into a story, would only be marginally interesting if it wasn’t connected with a deep knowledge of writing. For Vila-Matas, this switching between his own life and the world of his stories is always mixed with his exploration of the giant library that the world has become.”

It’s as if the exploration you began in A Brief History has become more and more contemporary. Everyone now lives with a kind of portable library, an assortment of other people’s words and images.

VILA-MATAS

I loved Dominique’s piece, too. But then, I also had no idea what an impression I’d left on her when, talking about Fritz Lang’s Secret beyond the Door one day, I mentioned that I’d never seen the movie but had once bumped into Lang in the public restroom of the Hotel Maria Cristina in San Sebastián. Dominique doubted the veracity of my crossing paths with Lang and from this reasoned that all my writing must be based on fabrications.

INTERVIEWER

Something that interests me in the way you describe this problem of continuation is that it’s as if you think about literature in almost topological terms.

VILA-MATAS

Well, I hadn’t given it much thought, but it may well be true. In fact, now maybe I see it, the real core of the works by some of the writers I most admire often lies in a spontaneous gesture, for me very much linked to childhood, a kind of expression of surprise before the world and life, always followed by a buried desire to remain at the threshold, undoubtedly precisely in order to keep reinforcing that surprise at being in the world. We can only live trusting that new and agreeable surprises await us, and perhaps that is why we pause at thresholds. I remember how Elizabeth Hardwick, near the beginning of her book Sleepless Nights, reminds us of one of Goethe’s aphorisms—“Beginnings are always delightful; the threshold is the place to pause.” I find that line utterly beguiling. In fact, it quite literally has the effect of making me stop whatever I’m saying, and pausing.

INTERVIEWER

I feel like in your writing this problem of pausing, of continuing, is both technical and also one of your fiction’s deep investigations. As if the truth will have to take the form of digression—only expressed through what you once called “an indefatigably expandable prose.”

VILA-MATAS

It would seem so, yes. I think it’s a theme that speaks to many writers. I think a lot about the question of continuity when, for example, in an interview I’m asked about my working routine. I have a theory that it’s a question that began to be frequently asked after Hemingway’s Paris Review interview, in which he said, “You write until you come to a place where you still have your juice and know what will happen next and you stop and try to live through until the next day when you hit it again.” The Hemingwayesque idea of always pausing when you know what will happen next caused a stir, and his advice became legendary. The practice—so widespread today—of asking writers about their working routine must come from there. It seems like an innocent question, but it masks another one, which is, how do you carry on writing when you don’t know where the novel is going?

INTERVIEWER

I imagine that not following Goethe’s advice, not pausing at the threshold, can lead into a trap, can’t it? To continue the topological talk, you’ve often spoken about the problem of avoiding a trap or dead end—that every book leads you to the verge of not being able to write, or, as you put it, “Dead ends have been a central motor of my work.”

VILA-MATAS

I did say that. Since Bartleby & Co., whenever I finish a book my friends will ask me, How will you carry on writing now? It’s as if I’d taken my stories to the point of no return, to a cul-de-sac. Whenever I notice this happen, whenever I notice that my book has resulted in a terrifying dead end—I always exhaust my explorations of the abyss—I like to remind myself of something Bioy Casares told me in a plaza in the Recoleta district in Buenos Aires. He said, Intelligence is useful when, on finding yourself completely trapped, you are able to find the little hole from which to escape the problem trapping you.

Always, after writing a book, I have felt trapped in a cul-de-sac, with no obvious way to continue writing, and yet always, relying on intelligence, I have found the smallest hole from which to escape that trap. My novels and essays from this century have all come out of these dead ends. Perhaps that’s why they tend to open with characters already in extreme situations, on the verge of a dead end, completely unaware that they can get into an even tighter spot.

INTERVIEWER

As if writing, for you, were the construction of the prison from which you later find an escape.

VILA-MATAS

That’s a good way to look at it. And you’re probably right, the proof being that when I finish a novel, when I’m not creating anything, I feel extraordinarily free.

This all helps me see that writing a novel is a wonderful adventure, but at the same time one always eventually realizes that the novel was born dead, because it’s a genre that cannot represent reality. Of course this “manufacturing defect” and reflecting on it is precisely what makes the construction of the novel so appealing.

INTERVIEWER

There are multiple ways, in other words, of constructing what might be believed to be a truth?

VILA-MATAS

Absolutely. In fact, the writer only becomes the writer in the current sense of the word in the nineteenth century, with the discovery of different ways of writing, all of them incommensurable, and the ensuing decision of which to opt for.

INTERVIEWER

And in the twenty-first century?

VILA-MATAS

Whenever people bring this up, I always think of “the chats between the retired mathematicians” that Ricardo Piglia once mentioned to me.

INTERVIEWER

What kind of chats?

VILA-MATAS

Informal gatherings that Piglia himself used to join when he lived in Princeton. These get-togethers are attended by a select group of mathematicians of irrefutable talent, only that, at a very young age—as young as forty—they are already emeriti because they’ve discovered everything that needed discovering within their particular area. Brilliant types, Piglia would say, great enthusiasts of Western literature, expert readers of Joyce and his Finnegans Wake, of Samuel Beckett and Witold Gombrowicz, people as fascinated by Arno Schmidt as by Jorge Luis Borges. According to Piglia, there have never been such magnificent, incredible readers. They know they aren’t going to come up with anything new, that they’ve had their best ideas, no matter how much life lies ahead of them. So what do they do? They read. They spend months, for example, studying The Divine Comedy, one canto per semester. As evening falls they come together to sit around a table exchanging their impressions, discussing literature as if it were extinct. Just as I believe that literature in the future will become extinct, or already has. This image sums it up, sundown, a group of retired mathematicians, wise and trustworthy readers, discussing an old pursuit—the literary one—as enthralling as it is imperiled.

INTERVIEWER

Something I love in your writing is its dedication to writing as an absolute. And it makes me wonder about the relation of literature to publication. You’re not just a great fictionalizer of writing but also of reading, of what happens when writing reaches another person. Could you imagine a work that you would never publish?

VILA-MATAS

I can imagine it, yes. Floating above the story of universal literature! But I chose in favor of publishing everything when a childhood-friend-cum-foe accused me in a bar in Palma de Mallorca of “writing to publish.” His accusation—­because I understood it was a reproach and an accusation—seemed very aggressive to me. Incidentally, I’ve never read anything he’s written. He’s never published. One day I asked him to tell me the titles of the books he claimed to have written and that he kept in a drawer in his desk, and he did. He sent me a piece of paper on which he’d simply written eight titles, which were all equally ingenious. Only, I’d have liked to see the corresponding covers, too.

INTERVIEWER

Where do you think this aggression comes from? It’s as if publication in some way represents the shame of literature, as if publication and literature are a contradiction.

VILA-MATAS

Perhaps, perhaps publication and literature are a contradiction. On the one hand I want to be read and admired, and on the other hand I want to be exposed as an impostor. I don’t like being noticed, but when I am I feel flattered . . . I shouldn’t publish anything—deep down I’m very shy—but I do enjoy myself whenever I’m obliged to appear in public, et cetera. Maybe I’m hysterical and obsessive at the same time. And maybe my friend-cum-foe was even worse.

INTERVIEWER

And in the process of literature becoming a published work, how much do you correct or rework?

VILA-MATAS

In recent years I’ve edited myself a lot more than I used to. I edited less when I wrote Montano’s Malady and Doctor Pasavento, at the start of this century, probably because back then I didn’t strive in any way for perfection. Back then I wrote very uninhibitedly in the knowledge that if I messed up two or three books in a row, it wouldn’t be a tragedy and I’d always have time to redeem myself. I think I wrote more “freely” than I do now, and very much with the aim of making the priggish stories of some of my fellow Spaniards look ridiculous. I recently read that freedom in writing is linked to a writer’s younger years. Later, some of that freedom is lost and replaced by wisdom, thus improving his or her reflective capacity. But sometimes I think that if that’s true—and I very much fear that it is—wisdom can really be a millstone for a writer. So everything has its pros and cons.

But going back to editing, these days I edit a lot. With Esta bruma insensata, my most recent book, I edited like mad. Sometimes, when I’m asked if I always write, I reply, I don’t write, I edit.

INTERVIEWER

It sometimes seems to me that literary culture here in Spain—unlike in Latin America—can place a major value on sincerity. Is that accurate? But if so, what does that mean for this idea that truth, or the real, is always constructed?

VILA-MATAS

Yes, sincerity and the confessional are highly valued here. What people like most of all is when something sounds authentic. It’s nonsense. They are constantly mistaking sincerity for good literature, which leads them to favor “reality”—it’s not clear to me which—over fiction. As it happens, I was asked about this just yesterday, about the relationship between reality and fiction, and I quoted Wittgenstein, who, it seems to me, had some light to shed on this question. “Of course, if water boils in a pot, steam comes out of the pot, and also a picture of steam comes out of a picture of the pot. But what if one insisted on saying that there must also be something boiling in the picture of the pot?” And in Spain most people think it’s all boiling. It’s a strange country. Sometimes I bandy around a Nabokov line in which he jokes about this distinction between reality and fiction, always in the hope of triggering at least one minor crisis in the “nonfiction” writers. “Fiction is fiction. To call a story a true story is an insult to both art and truth.” Nabokov is spot-on there, and if you ask me it’s nonsense to talk about writing non­fiction. Don’t these writers realize that any narrated version of a true story is always a kind of fiction? The moment you organize the world into words, you modify its nature.

INTERVIEWER

Something I’ve always admired in your novels is your ability to disrupt the normal scale of things. Small things become big and others disappear al­together. It’s as if a miniature had grown to full size. As if a small detail or quote had taken charge of an entire book.

VILA-MATAS

Less is more, and we know that throughout history the human tendency to take interest in minutiae has led to great things. I don’t much care for all that is important, solemn, great. Kafka, in his moment, was a master at altering the normal scale of things. It was Piglia, actually, who explained this. In Formas breves (Short forms), he says, “Kafka tells the secret story clearly and simply, while furtively narrating the visible story until it turns into something enigmatic and dark. This inversion forms the crux of the ‘kafkian.’ ” Kafka, like Borges and Poe and Duchamp, knew how to take a narrative problem and turn it into anecdote . . . This last one, for example, makes me laugh, because it sounds dangerously similar to what I would talk to Barcelona’s taxi drivers about on my nocturnal journeys across the city.

INTERVIEWER

Duchamp—especially the Dialogues with Marcel Duchamp—has had a real influence on your writing, hasn’t he?

VILA-MATAS

He’s always been there, that’s all I can say. I loved the cover of the Spanish edition of those conversations with Pierre Cabanne, the front of which features Monte Carlo Bonds, the Duchamp readymade of a soapy face crowning the top of a casino bond for the Monacan roulette. But even more appealing to me than the front cover of that Anagrama edition was the blurb on the back, which began, “Marcel Duchamp was, according to André Breton, ‘one of the most intelligent men (and for many the most annoying) of this century.’ He was also one of the most enigmatic.” The truth is, it’s impossible to understand my work without Dialogues with Marcel Duchamp—my work, or even my life. I took it almost as “self-help,” and some of Duchamp’s comments to Cabanne had a profound effect on me. In that exchange, he wrote,

I hope that a day will come when we will be able live without having to work. I have had the good fortune to be able to dodge between the raindrops. At a certain point, I realized that it wasn’t necessary to burden one’s life with too many things, too many things to do, with those things people call a wife, children, a house in the country, an automobile. Happily, it is something that I realized very early.

Those words were the starting point for everything. It might all seem a little naive, but that’s how it was, I saw an entire path or model I must follow. Dodging between the raindrops!

INTERVIEWER

Your Brief History of Portable Literature especially would be impossible without Duchamp—and, I guess, therefore, without the subsequent history and example of conceptual art.

VILA-MATAS

Although my actual involvement in the contemporary art world really began with a phone call to my house from Sophie Calle, asking to meet me. I didn’t know her. Or, rather, I’d seen her once before. I had been due to interview her for El País but in the end was too frightened and couldn’t even speak to her. I turned around and fled. Ten years later she called my house, completely oblivious to my earlier fear and flight, and we agreed to meet in Paris the following week. And there, in Café de Flore, she proposed that I write her life over a period of six months. She said that, with the exception of killing another person, she’d do anything I asked her to do. I accepted the proposal and, on my return to Barcelona, wrote the first chapter of the story I’d decided she would have to try to live out, on the Azores. But she never went to those islands, so the whole thing was abandoned. At the end of that chapter, she was supposed to discover and photograph my ghost, whom I’d situated in a derelict house on a cliff in São Miguel. But the whole thing went cold after a somewhat dramatic story, which I later recounted—as if it were fiction—in Because She Never Asked (2007, 2015).

 

INTERVIEWER

Tucked away inside her proposal it’s as if there was an opportunity to explore if there could be a difference between what we call life and what we call literature.

VILA-MATAS

I remember being in a café with Carolina López, Bolaño’s widow, and I filled her in on what was going on with Sophie, including the fact that Sophie still hadn’t set off on the story that she’d asked me to write for her. In other words, that she hadn’t gone to the Azores, which was crushing me because, all the while I waited, I couldn’t write anything else. And at that point Carolina warned me, from one friend to another, that what Sophie had proposed was a dangerous game because it was very much connected to life but had nothing to do with literature. It goes beyond literature, she said. I swear I hadn’t thought about this until that very moment. I think that was the first time I realized that there was something beyond literature. The fringes of literature and, as such, of language.

INTERVIEWER

And when did you meet Dominique Gonzalez-Foerster?

VILA-MATAS

It was after my meeting with Sophie Calle—and it was the exact opposite of my experience with Sophie. From the very start we understood each other extraordinarily well. Dominique didn’t ask me to write her life, but to join forces to create something undefined that over the years has remained exactly that, undefined. Dominique is one of the most tirelessly creative people I’ve ever known, she lives in creation itself.

INTERVIEWER

Maybe all true creation has to be undefined in some way. It’s like the way, in your own writing, two models of a future literature seem to jostle and overlap. There’s an idea that a future novel will be hybrid, multiple, essayistic—a novel that does away with grand ideas like plot, or character, or unity. But also an idea that in some way the future work won’t be literary at all, but closer to a gesture, or a practice.

VILA-MATAS

I’m very interested in the concept of the “readymade novel,” which maintains that today’s avant-garde writers aspire to be conceptual artists and that their novels should be considered contemporary art. Just as Marcel Duchamp asked if a urinal can be art, the readymade novel asks what literature can be, and what it should be in the future. Instead of trying to make sense of reality by means of many concrete details, or from a place of omniscience, or from multiple points of view, or anything else that we traditionally expect of fiction, the readymade novel sets out one idea or asks one question. The readymade novel is more interested in the concept behind a work of art—­behind itself—than in its execution.

INTERVIEWER

All this reminds me that not long ago you wrote that, in the end, difficult art would have its moment and we’d see spectators and readers evolve into artists and poets themselves. And that more than once you’ve referred to a story of Petronius. “In other words,” you write in Bartleby & Co., “if Don Quixote is about a dreamer who dares to live out his dream, Petronius’ story is that of the writer who dares to live out what he has written, and for that reason ceases to write.”

VILA-MATAS

It suggests to me that the only prospect of ever stopping writing would be if I immersed myself in life, if I lived it to the full, without the need for writing.

INTERVIEWER

And what would “living life to the full” consist of?

VILA-MATAS

If I knew that, I’d already be doing it.

 

This interview was transcribed by Maru Pabón and translated from the Spanish by Sophie Hughes. Frank Wynne contributed the translation of Dialogues with Marcel Duchamp.