4/08/2021

Minimax Theorem

 

John von Neumann’s Minimax Theorem

Left: John von Neumann’s 1928 article Zur Theorie der Gesellschaftsspiele (“The Theory of Games”) from Mathematische Annalen 100: 295–320. Right: von Neumann with his later collaborator Oskar Morgenstern (1902–1977) in 1953.


The Theory of Games

The history of game theory can be traced back as far as to 1713, when Earl James Waldegrave (1864–1741) analyzed and provided a minimax mixed strategy solution to the card game “Le Her”:

The "Le Her" Game
To play, the dealer gives one card to the receiver and one to the dealer. The receiver may choose to exchange cards with the dealer, unless the dealer has a king, in which case no exchange occurs. Then, the dealer may choose to exchange with the top card of the deck, unless the top card is a king, in which case no exchange occurs. In the case of the dealer and receiver having same ranked cards, the dealer is the winner.
Peter holds a common pack of cards; he gives a card at random to Paul and takes one himself; the main object is for each to obtain a higher card than his adversary.The order of value is ace, two, three, ..., ten, Knight, Queen, King. Now, if Paul is not content with his card he may compel Peter to change with him. However, if Peter has a King he is allowed to retain it.If Peter is not content with the card which he at first obtained, or which he has been compelled to receive from Paul, he is allowed to change it for another taken out of the deck at random. However, if the card Peter then draws is a King he is not allowed to have it, and must retain the card with which he was dissatisfied. If Paul and Peter finally have cards of the same value, Paul is considered to lose.- Excerpt, 'A History of the Mathematical Theory of Probability from the Time of Pascal to that of Laplace' by Todhunter (1865 p. 106)
  • Peter should exchange cards eight and below, and hold higher cards with probability = 37.5%
  • Paul should hold seven and above with probability = 37.5%

John von Neumann’s 1928 Paper

Two portraits of John von Neumann from the 1920s

MiniMax & MaxiMin

Historically, there were thought to be two approaches to optimizing the outcome of games such as Le Her:

  • The conservatively aggressive approach (called minimax)

The MaxiMin Approach

An agent A whose choices are governed by a maximin criterion looks at each strategy she might follow and, in each case, considers the lowest payoff she can receive by following such strategies.She then chooses to play the strategy whose minimum payoff is the highest.

The MiniMax Approach

Another player, C, taking the minimax approach on the other hand, looks at the payoffs her opponent D can achieve given each strategy of C. C then chooses to play the strategy which will give D the lowest payoff, if D would always plays so to maximize his payoff subject to C's strategy.

von Neumann’s Minimax Theorem (1928)

Left: John von Neumann in the 1920s. Right: von Neumann, J. (1928). Zur Theorie der Gesellschaftsspiele (“On the Theory of Games of Strategy”).
Any event may be regarded as a game of strategy if one looks at the effect it has on the participants, given the external conditions and provided the participants are acting of their own free will.- Excerpt, Zur Theorie der Gesellschaftspiele by von Neumann (1928)
  • von Neumann, J. (1928b)Zur Theorie der Gesellschaftsspiele (“The Theory of Games”). Mathematische Annalen 100: 295–320.

“M’étant occupé indépendamment avec le même problème”

As he writes in a footnote:

Later Work

In 1937 — utilizing L. E. J. Brouwer (1881–1966)’s fixed-point theorem on continuous mappings into compact convex sets — von Neumann provided a purely topological proof of the existence of general competitive equilibrium, a much clearer and more elegant proof than that included in his 1928 paper:

Theory of Games and Economic Behavior

Aside from von Neumann’s 1928 and 1937 papers, the brief notes of Borel and the proof of Ville (1938), relatively little formal work on the definition and existence of equilibrium for games was published before von Neumann and Morgenstern’s monumental 1944 book Theory of Games and Economic Behavior (Dimand & Dimand, 1996). The two first met in Princeton in 1938, but didn’t begin discussing theories of games until 1939, before collaborating intensely in the period 1941–44 to develop what became the first extensive book on game theory:

    Jørgen Veisdal

WRITTEN BY

Editor at Cantor’s Paradise. Assistant Professor at the Norwegian University of Science and Technology.


THE VON NEUMANN ESSAYS

4/05/2021

Des nouvelles du Paléolithique supérieur

 La revue La Part de l'Oeil consacre un dossier à l'œuvre anthropologique de Leroi-Gourhan, pour la reconsidérer au regard des avancées de la recherche récente.

Les recherches récentes d'anthropologie ont tenté de montrer que l’image pouvait supplanter le travail (la main, l’outil) dans la définition de l’humain. Pour l'exposer simplement (au risque de simplifier), deux options se faisaient face : soit l’humain nait du travail de la main, qui modifie le monde, soit l’humain naît de la manière dont sa main a pris des distances avec la nature, par le dessin des « mains négatives », notamment. Il y a ainsi discussion autour de ces points qui engagent la compréhension de l’art pariétal du paléolithique supérieur. L'objectif de ce numéro de La Part de l'Œil est de travailler les problèmes anthropologiques qui en résultent, à partir de l'oeuvre de Leroi-Gourhan qui fut précurseur dans le traitement de ces questions.

Élève de Marcel Mauss, André Leroi-Gourhan (1911-1986) est l'auteur de travaux qui stimulent encore les esprits scientifiques, quant à l'étude des arts et de leur genèse. Résistant FFI en 1944, il fut un passionné du musée Guimet et du musée de l’Homme de son époque  - musée qui défendait l’unité de l’homme à partir de ses différentes productions culturelles. Particulièrement intéressé par l’Extrême-Orient, il séjourna en particulier au Japon, pendant une mission de deux ans, dont résultent des écrits analysés ici par Jean-Christophe Bailly. Son oeuvre anthropologique se caractérise par le souci de relier les faits techniques et les faits artistiques. Et ceci non en les empilant, mais en les reliant de l’intérieur.

Mais la relecture de Leroi-Gourhan aujourd'hui va plus loin. Les sciences nous rappellent jour après jour que notre mode de vie sur terre est incompatible avec l’état actuel de la planète. Nous sommes en danger. Or, ces autres discussions, curieusement, puisent aussi des ressources dans les travaux de Leroi-Gourhan. Son équation fondatrice : main+outil/cerveau+langage, équation sans doute révisée ou raffinée depuis par d’autres anthropologues (Yves Coppens, Pascal Picq et, comme le montre Marc Groenen dans un de ces articles, Alain Prochiantz) n'est pas obsolète.

Certes, Leroi-Gourhan a beaucoup travaillé sur les moyens d’action humains, sur les gestes et les outils techniques, et sur le couplage fonctionnel main/face. Mais il s'est intéressé aussi aux symboles et aux œuvres, et à l’articulation de ces deux axes. On retient de ses travaux, le plus souvent, ses études sur le geste de la main appliqué à la matière. Son intérêt certain pour la fonction esthétique est toutefois confirmé par ce texte de 1956, republié dans ce volume, portant sur la « vie esthétique ».

L'enjeu de la revue est de bien interroger ce rapport, et le rapport un peu plus vaste qui pourrait conduire aux esthétiques contemporaines.

Une ethno-archéologie

Au fil des années, Leroi-Gourhan, qui fraye avec enthousiasme avec l’anthropologie, mais dont l’élan porte aussi vers la philosophie, l’esthétique et la technologie, donne corps à une analyse de plus en plus précise des rapports matériels et figuratifs, entre l’humain et l’animal, et de l’humain à l’humain durant l’hominisation. Sur le plan artistique, ce sont les figurations d’animaux qui font rapidement l’objet de publications. À leur propos, d’ailleurs, l’auteur change de perspective en approfondissant ses concepts. « Pourquoi des figures ? et pourquoi ces figures ? », se demande-t-il. Quel type d’invention, ou quelle évolution biologique conduit aux anthropoïdes et à l’Homo sapiens ? L’activité des humains est-elle susceptible d’être saisie comme un tout ? Quel fil conducteur suivre pour appréhender une civilisation ? Il a tenté de répondre à ces questions aussi bien au droit du Japon qu’à l’égard de la civilisation du renne, soulignant qu’il n’y a de faits (techniques ou artistiques) que pris dans un milieu. D'où il induit l'axiome de toute sa pensée : « tout geste de l’homme est une réaction contre le milieu ».

Il lui fallait élaborer un cadre conceptuel adéquat pour penser l’hominisation et les groupements ethniques à travers l’histoire : ce sera la notion de « milieu technique », qu’il relie aux deux autres manifestations fondamentales de la qualité d’humain (l’évolution biologique et le développement de l’expression symbolique). À l’époque, de nombreuses options tiennent le haut du pavé concernant les « origines » de l’humain : par exemple, la vision téléologique ou la notion d’évolution, l’impact du milieu, etc. Leroi-Gourhan ne veut pas céder à l’évolutionnisme sommaire. Il retient plutôt l’idée de foyers multiples de formations des humains. Pour lui, il n’y a pas d’origine unique des faits techniques conduisant à l’humain et conduisant l’humain. De surcroît, la pensée des échanges est cruciale, puisque ceux-ci permettent des emprunts, de nouvelles associations, des substitutions.

Simultanément, Leroi-Gourhan réinterprète l’art préhistorique, et ces objets que l’on a tort d’examiner séparément, que l’on devrait plutôt mettre en réseau (à défaut de faciliter une encyclopédie à la Novalis, ou des correspondances à la Baudelaire). Jusqu’alors deux thèses s’opposent sur ce terrain : l’art paléolithique relèverait de l’art pour l’art, ou relèverait d’une fonction utilitaire. Leroi-Gourhan tente de montrer que le langage des formes est destiné à signifier, il a un contenu symbolique, en un sens fort bien explicité par Ségolène Lepiller, renvoyant à l’idée selon laquelle l’art compose un réseau de significations, les représentations prenant un sens les unes par rapport aux autres. Contrairement à ce que beaucoup en déduisent, Leroi-Gourhan ne prétend pas non plus que le langage comme l’art renverraient à une fonction de communication ou d’imitation. Il est bien question de création, et non de calque de la réalité. Les signes dans les grottes ornées ne sont pas placés de manière fortuite, et l’espace de la grotte est aussi signifiant que les figures. L’anthropologue préfère se rallier à l’idée d’un art symbolique binaire et sexuel (masculin/féminin, bison/cheval, puis masculin-cheval et féminin-bison).

En somme, technique, langage et esthétique sont les trois aspects centraux de ses recherches. L’iconographie choisie ne laisse aucun doute sur ce point, et sur ce que Jean-Christophe Bailly appelle son « vertige du détail ».

La fonction esthétique

Quels sont les fondements du comportement esthétique, des attitudes esthétiques, artistiques et symboliques des humains ? Cette question sert de fil conducteur à la construction du volume. Sont-ce des conquêtes qui ont tenu dans notre ascension une place décisive ? La question n’échappe pas à l’anthropologue, en particulier à partir du moment où il devient chargé de cours en Ethnologie coloniale à l’université de Lyon (1944-1945), où il travaille sur le site d’Arcy-sur-Cure, et où il se mobilise pour l’évolution paléontologique des hominidés, y compris en se mettant à l’épreuve des objets découvert, (« comme l’enfant démonte le jouet qu’on lui a offert », écrit Bailly). Et, ainsi qu’il est montré dans les textes, l’esthétique fonctionnelle élaborée au Japon, l’esthétique corporelle et figurée tiennent une place de choix dans son parcours personnel autant que dans ses théories, si l’on admet avec Leroi-Gourhan de distinguer l’esthétique et l’art, l’un et l’autre s’enracinant directement dans le vivant, mais le second étant une production qui relève du seul Homo sapiens.

Il fallait d’ailleurs, à ce propos, raffiner les termes de la question, ce que Philippe Soulier fait remarquablement : quelle place la notion d’esthétique occupe-t-elle dans son œuvre ? En ce qui regarde ce domaine, Leroi-Gourhan est d’emblée sensible aux problèmes ethnologiques de la diversité culturelle des groupes ethniques, pensés à partir des détails morphologiques des motifs rencontrés dans des civilisations différentes. L’une des fonctions de l’esthétique est d’humaniser le comportement biologique de l’homme. Si la série geste-outil-matière-produit constitue pour lui une matrice permettant de penser les devenirs humains, chaque activité organise les rapports entre ces termes différemment. L’esthétique a pour propriété de s’organiser autour du couple geste-matière, l’outil se subordonnant au geste. Dans la danse les quatre éléments font corps.

Pour en revenir aux grottes ornées étudiées par l’anthropologue (la revue nous en offre de belles photographies), il est rappelé à juste titre que tout commence par une manière d’observer les parois. Leroi-Gourhan ne se réfugie pas dans la « beauté » (qui n’est pas exclue pour autant). Il observe les répartitions non-aléatoires des figurations dans ces lieux. Il les rapporte à la symétrie-dissymétrie – les valeurs symétriques ayant pour lui des origines biologiques aussi profondes que celles de la perception du mouvement –, il fait valoir les compositions. Nous nous retrouvons ainsi dans la grotte de Portel, en Ariège. Ce qui l’intéresse, ce sont les évolutions stylistiques, les techniques, les motifs, les emplacements topographiques…. Rien n’est négligé.

C’est cette approche qui lui permet de déployer de nombreuses considérations sur la forme supérieure de développement esthétique, la chronologie des styles figuratifs des œuvres. Et du coup, les publications qui mettent en parallèle technique, langage et esthétique s’en trouvent soutenues. Le lien entre le naturel et l’artificiel est désormais calé autour de deux faces interactives d’un même phénomène du vivant.

Des textes cruciaux

Quant aux deux textes devenus introuvables, ici republiés : en dehors de considérations méthodologiques importantes – y compris concernant une discussion encore vive sur la différence entre part ethnologique ou part artistique d’un objet –, s’agissant d’art et de perception esthétique, l’auteur nous oblige à rester attentifs à l’extension des termes (art : Technè ou poïesis ?) et à la relativisation nécessaire de la notion d’esthétique (entre dispositions du corps et dispositifs sociaux). Par exemple sous forme de tradition esthétique englobant l’ensemble du vécu à travers les formes et les rythmes, et/ou ce que l’auteur appelle « l’atmosphère esthétique », attachée à des comportements liés à l’évolution du système nerveux (liés par conséquent aux perceptions). L’idée est de souligner d’emblée que les perceptions sensitives sont à la fois inséparables du comportement des êtres animés et des configurations culturelles. Vient bien sûr un moment où le comportement vécu se dédouble en comportement pensé. A partir de ce point, le passage est réalisé de l’animal à l’humain, laissant émerger des particularités culturelles caractéristiques concernant le comportement esthétique. La création esthétique apparaît alors comme une propriété de l’homme.

L’auteur suit alors le processus des manifestations esthétiques, la genèse des valeurs esthétiques (lignes, symétries, etc.), fût-ce dans le rapport à la nature et à l’approche de ses propres formes par l’être humain. Il détaille les faits esthétiques en privilégiant la classification des arts en fonction des domaines de la sensation, la perception esthétique au cœur des situations, et l’esthétique des rythmes. Cette perspective génétique autorise en fin de compte un examen des expressions artistiques des groupes humains. Et lui permet de montrer que l’expression artistique oscille entre deux pôles : la représentation fidèle de la réalité et la figuration totalement abstraite.

Dans le second texte, après avoir considéré l’esthétique comme une forme du comportement naturel de l’humain ou avoir fondé ce sentiment en nature, il étudie la séparation entre les formes esthétiques et la construction de l’activité proprement artistique (au sens restreint), celle qui déborde les équilibres fonctionnels, et donne lieu à détacher les figures des liens pratiques : artisanat, sport, gastronomie, confort vestimentaire, etc. Il est essentiel de relire ces pages qui aboutissent à l’étude de l’esthétique dite figurative, qui aboutit à une analyse de peintures, pas de danse, opéras, etc.

La part des rythmes et des images

La pensée de Leroi-Gourhan est rythmologique, d’autant que pour lui c’est dans la nature que l’esthétique puise ses formes et ses valeurs (rythmes et sons du langage), et que le rythme, c’est le temps qui se fait espace, bientôt écriture et dessin. C’est par le rythme et les cadences physiologiques que l’humain intériorise l’extérieur et extériorise l’intérieur. « Tout commence donc, résume Michel Guérin, par les sensations, inséparables des rythmes qui accordent un vivant à lui-même en le rapportant au cosmos entier ».

Il faut comprendre qu’en partant des rythmes psychomoteurs, pouls, battements du cœur, travail des mains, veilles et sommeils, l’être humain laisse ses marques sur la pierre. Ce serait même le domaine de la liberté humaine, associant la vue, l’ouïe et les muscles. Curieusement, Leroi-Gourhan puise des éléments de réflexion dans les cours de Paul Klee, alors que ce dernier établit des correspondances entre les images et la musique (le jazz en particulier). D’une certaine manière, il suffit de penser à la percussion (le rabot, la hache, le burin), pour saisir ce qu’il entend par là, et qu’il retrouve en fabriquant lui-même des outils anciens, pour observer comment le geste engendre quelque chose.

Pour Leroi-Gourhan, le comportement esthétique de l’humain se constitue par une intellectualisation progressive des sensations qui va définir le style ethnique de chaque peuple, avec son symbolisme propre. Il n’est guère possible de soutenir l’opposition nature-culture sans faire intervenir une pensée de l’articulation du phénomène technique et du milieu extérieur. Ce qui caractérise l’humain, c’est sa capacité à exploiter les matériaux mis à sa disposition par le milieu, afin d’en faire des outils susceptibles d’agir en retour sur ce milieu. On voit ainsi, d’un point de vue épistémologique, comment l’anthropologue fait travailler ensemble les sciences humaines, le culturalisme et le naturalisme.

L'esthétique contemporaine

Outre des considérations sur les rapports individu-collectif, sur la densité numérique de la population mondiale, sur les rapports animal-humain, une question revient souvent. Si Leroi-Gourhan propose un nouvel éclairage sur les images paléolithiques, y a-t-il éclairage en retour sur nos propres expériences esthétiques ?

Sans doute faut-il accepter de penser l’esthétique sans référence exclusive à ce que l’Occident appelle œuvre d’art, et qui s’est constitué en parallèle avec l’évolution anthropocentrée de la métaphysique. Il ne se contente pas de renouveler l’attention aux fondements de l’espèce humaine. Il tente aussi de restituer l’altérité de notre ancrage animal.

En cela, encore une fois, la notion d’esthétique permet d’étendre la définition du comportement « esthétique » à l’ensemble des conduites relatives à la perception de la situation du mouvement et de la forme dans le monde. En quoi il n’est plus possible de déconsidérer les distributions adoptées historiquement. Il convient plutôt de dépasser les déterminismes duels qui nous sont familiers, en recomposant une écologie des relations entre humains et non humains, nous réengageant vitalement dans le monde animé. Amélie Bonnet-Balazut reprend tout le dossier sous cet angle. Mais c’est d’une certaine manière pour aller plus loin. Son idée est de montrer que l’approche paléontologique permet le dépassement de l’anthropologie et celui d’une esthétique intellectualisée qui ne sait plus quelle place réserver à l’humain et à l’animal dans un art figuratif et notamment animalier. Ainsi le montrent les différentes figures des « Vénus » retrouvées dans les grottes. Évidemment, ce trait repose sur la reconnaissance du fait que la perception esthétique et l’expression qui en résulte sont toujours liées aux sens qui dominent le comportement vécu de relation au monde animé.

Si sources animales de l’esthétique il y a, l’esthétique peut être considérée comme immémoriale, faite d’un fonds de chair et d’or, de muscles et de viscères. Les formes et les couleurs sont essentielles dans les fonctions vitales supérieures d’organes de l’apparaître. L’apparence sensible du vivant doit être conçue comme « manière d’être », de s’auto-présenter au regard aveugle du monde. Pensons ici à l’élégance animale dans la nature, elle qui n’est pas extérieure à la vie. La vitalité esthétique qui émane des figures découvertes dans les grottes ne laisserait aucun doute. Il convient alors de remarquer qu’émane des figures une identification mimétique des forces créatrices artistiques aux forces créatrices de la morphogenèse. Puis viendra une intellectualisation progressive au point que la vitalité esthétique se traduit peu à peu par la surprésence de la figure humaine, qui prend le dessus sur l’élégance souveraine des formes animales. Balazut en appelle à Baptiste Morizot, de nos jours, et à son éthosophie, qui a pour tâche de nous amener à sentir ce qu’est l’animal que nous sommes. On est, concernant les figures des grottes ornées, très loin de l’approche de Georges Bataille.

Sachant que beaucoup ont encore du mal à penser l’être humain comme tel par rapport aux animaux, et que d’autres s’échinent à extraire les primates de l’animalité sans réussir à les humaniser, on pourrait reprendre le problème de cette différence à partir de l’esthétique, ainsi que nous l’enseigne Leroi-Gourhan.

Ce numéro de La Part de l’Œil, revue élégante et rigoureuse, assortie d’une superbe iconographie, est composé de trois séries de textes introduits par Dirk Dehouck : deux textes de Leroi-Gourhan qui étaient devenus introuvables, des articles qui traitent de différents aspects de l’œuvre, enfin une série de textes destinés à élargir l’horizon de la réflexion. Les notes de chaque article dressent une bibliographie des ouvrages nécessaires à approfondir notre connaissance de l'oeuvre d'André Leroi-Gourhan, de ses hypothèses sans cesse reprises et de ses inventions, qui furent autant de solutions pratiques à des questions générales. Les orbservations plus propres à certains auteurs ou artistes élargissent ainsi les débats et montrent comment auteurs/artistes contemporains peuvent s’emparer de ces pensées pour réaliser leur œuvre.

 

Agamben : la condition coupable de l’homme moderne

 


Dans une nouvelle enquête « archéologique », le philosophe retrace l’évolution qui aurait logé l’idée de « faute » au cœur de nos manières de vivre et cherche dans l’Antiquité la piste de l’innocence.

Dans un livre récent, l’historien Johann Chapoutot a mis en évidence comment les dirigeants de l’Allemagne nazie en guerre, pour accroître la productivité des travailleurs, ont développé un modèle de gestion des ressources humaines redoutablement efficace : un modèle fondé sur la définition d’objectifs ambitieux, sur l’accentuation de la responsabilité du travailleur, et entre les deux, sur la liberté laissée au travailleur dans le choix des moyens devant permettre d’atteindre ces objectifs. Après la fin de la guerre, la reconversion des ingénieurs sociaux à l’origine de ce modèle dans le conseil aux entreprises a favorisé sa propagation massive, d’abord dans les grandes firmes, jusqu’à façonner à son image le « nouvel esprit du capitalisme » : la forme ordinaire du management dans les entreprises et les administrations du monde libéral et capitaliste   .

Si on comprend bien le propos d’Agamben – qui est rarement factuel –, ce qui est en cause dans ce nouveau livre, c’est ce type de conceptions assez retorses de la « libre volonté » : en réalité une implacable « liberté d’obéir », dont le ressort précèderait la modernité nazie et se déploierait au-delà de la seule sphère du travail. Ce ressort serait une manière de concevoir la vie (la morale, la politique) structurée par l’idée d’« action » ou de « volonté », laquelle se déploierait entre deux pôles : le sujet volontaire, responsable et presque coupable, et la finalité de l’action, son œuvre et son produit. Dans ce sens, la notion de « libre volonté », au principe des sociétés « libérales », serait modelée à l’image des conceptions du « crime » : cet acte mis en cause par les procédures de droit pénal, qui met en relation un sujet coupable et l’horizon d’un interdit, reliés au moyen de l’idée de « faute ».

L’intuition résonne avec celle de Kafka, dont l'oeuvre explore le mystère de la condition libre avec une obstination et une radicalité telles que la vie moderne y apparaît sous une forme essentiellement absurde et parodique. Dans Le Château, le narrateur « K. » se perd dans une agitation toute tournée vers une forteresse qui n’est qu’une fin inatteignable et vide. Et dans Le Procès, « K. » s’agite dans un procès et une culpabilité sans objet. D’un livre à l’autre, cette agitation (du latin agere) peut être comprise comme la parodie révélatrice de l’essence de l’idée d’« action » (du latin agere également)   . A l’inverse, la démonstration d’Agamben prend le contre-pied des analyses par lesquelles Hannah Arendt défendait le projet de rétablir l’idéal antique de l’« action » (praxisactio) comme horizon de la vie moderne, afin de faire face à la terrifiante « perspective d'une société de travailleurs sans travail » (Condition de l’homme moderne, 1958). Dans ce principe d’« action » peut-être moins ancien qu’on pourrait le penser, Agamben ne reconnaît que le terreau de fausses valeurs irrémédiablement insatisfaisantes et destructrices. Autant de chimères morales dont la plus exemplaire serait celle de guerre en vue de la paix, à l'instar de celle que les Etats-Unis et leurs alliés ont entreprise contre l'Irak de Saddam Hussein   . Tout le propos consistera ainsi à défendre un projet alternatif : placer au centre de la vie post-moderne un idéal du « geste » (du latin gerere), peu éloigné de la gesticulation que la modernité tient en horreur.

L’âge de l’innocence

Le postulat de départ du traité, emprunté à Walter Benjamin, est que la conception contemporaine de l’action a pour modèle la pensée juridique héritée de la tradition romaine. Celle-là même dont procède la notion d’« action », qui désigne en latin toute espèce de procédure judiciaire (actio). C’est cette rationalité, et plus précisément celle du droit pénal, administratrice de la violence légitime, qui en serait venue à déterminer, au terme d’une évolution plurimillénaire, l’ensemble de nos manières d’envisager le « bien vivre » individuel et collectif   . Du reste, d’un bout à l’autre de ce lent processus de contamination, l’universalisation de la raison juridique se confondrait avec le déploiement d’un empire de la raison religieuse, dans la mesure où droit et religion ont partie liée tout au long de leur histoire : en Occident, le culte polythéiste qui s’identifiait à un droit sacré sera remplacé par le culte chrétien d’un dieu Législateur et Juge suprême   .

Au commencement de cette métamorphose, il y eut d’abord, semble-t-il, une évolution du droit lui-même. Aux plus hautes époques auxquelles puisse remonter l’« archéologie »   de ce chevauchement, c’est-à-dire derrière l’horizon pré-historique de la culture indo-européenne, Agamben pense en effet identifier une pratique pure du droit dans ses plus anciennes formulations. Ainsi le droit romain archaïque, mis à l’écrit au début de la République (Ve siècle av. n. è.), énonce par exemple : « si le père vend trois fois son fils, que le fils soit libéré de son père ». Autrement dit, la parole juridique articule directement un acte et une sanction, comme le fait par ailleurs la loi biblique de l’Ancien Testament. En définitive, la logique du droit pénal archaïque, structurée par la « Loi du talion » (de talis, « tel », « le même »), oppose sans transition une « contre-violence » à une première violence.

Dans sa simplicité, cette formulation exprime l’essence de la norme de droit : la loi est en tout premier lieu une contre-violence – comme l’a défendu le grand juriste Hans Kelsen – si bien qu’elle réside dans la seule sanction. D’après le juriste Carl Schmitt, le fait est si vrai que c’est même l’institution d’un châtiment qui produit, en retour, l’acte répréhensible : sans interdit, pas de « faute » et pas de coupable. Dans ce sens, la loi énonce la possibilité de la violence légitime   . Or si les sociétés archaïques se sont aménagé la possibilité d’exercer une violence légitime – souvent encadrée par la loi de la Cité mais exécutée par la Famille –, elles ont aussi conservé le sens de son ambivalence ou de son ambiguïté   .

Cependant, à la fin de la République et dans l’Empire romain, le dispositif de la loi se complexifie. Sous le signe de la diffusion de l’écrit, le moment qui voit se fixer le droit ancien sonne aussi le début d’une période d’accélération du temps, de complexification de la société et d’institutionnalisation de l’Etat, qu’accompagne une évolution décisive de la formulation de la loi. Le droit civil se distingue plus nettement que jamais du droit sacré – et donc l’actio civile de l’actio rituelle. Il devient aussi l’objet d’une science réflexive et son corpus se développe par la publication de nombreuses « lois » (leges) qui viennent enrichir le « droit » (ius  . Dans ce contexte, la formulation du droit romain approfondit l’attention que la loi porte à l’intention des auteurs d’actes sanctionnés : ce droit dit « classique » distingue notamment le « dol » (dolus), c’est-à-dire les actes délibérément malveillants, de la « faute » (culpa), laquelle désigne les actes commis par négligence ou ignorance, qui engagent cependant la responsabilité.

A propos de cette évolution, Agamben souligne à la suite du grand historien du droit Yan Thomas qu’elle ne revient qu’à déployer une préoccupation originelle du droit pour l’intention, ou plutôt pour l’imputabilité, en vertu de laquelle on peut tenir une personne pour responsable de ses actes. Sous cet angle, l’existence d’un « sujet », d’une conscience et d’une psychologie, est en quelque sorte indispensable au droit pénal. En cela, les modulations de la responsabilité – des mineurs, des fous, des esclaves… – ne sont pas des progrès du droit : elles ne font qu’expliciter et déplier un principe cardinal du droit   .

Au moment où le pouvoir romain invente l’Etat et adopte l’idéologie chrétienne, le monde antique semble donc voir émerger une conception renouvelée (et « réifiée »   ) de la loi. Désormais, elle ne se contente plus d’associer la possibilité d’un acte sanctionnable à la possibilité d’une sanction : elle formule des interdits et des obligations, dont elle ordonne le respect au justiciable. De cette manière, la loi est instituée comme étant elle-même une réalité, et non plus seulement l’énoncé d’un mécanisme social. L’évolution est telle que certaines lois dites « imparfaites » n’associent aucune sanction à leurs commandements ! Les termes de la loi elle-même la présentent comme un nouvel espace de la vie, dans lequel on est « inclus » ou duquel on est « exclus » par des actes qui mettent « hors-la-loi ».

Tel serait finalement le modèle fourni par le droit à la morale et à la politique : un modèle dans lequel l’acte est l’objet d’un jugement (causaculpacrimen désignent les actes en tant qu’objets de procédures), qui le rapporte d’une part à des interdits ou à des obligations, et d’autre part à une intention, émettrice de volonté et détentrice de responsabilité.

La condition hors-la-loi de l’homme moderne

Après deux premiers essais prioritairement attachés à l’examen du schéma de l’« action » (actio) dans les sources du droit et la théorie du droit, Agamben s’empare d’un second dossier : celui du développement des philosophies de l’« action » (praxis), progressivement fondues, selon lui, dans le moule de la pensée juridique   . En l’occurrence, si les problèmes de l’« être » et de l’« action » sont ceux qui définissent l’objet de la philosophie telle que la pratique Agamben, il relève que la tradition éthique, articulant l’« être » et l’« action », s’est essentiellement donnée pour tâche de réfléchir aux modalités de l’action : au « pouvoir », au « vouloir » ou au « devoir » faire ceci ou cela, c’est-à-dire à des notions désignées par des verbes « vides », au sens où ils ne recouvrent aucune matérialité   . A leur égard, si Agamben a déjà consacré un traité au devoir, identifié par lui comme le stade final de l’évolution de l’éthique occidentale, il entend ici compléter son entreprise généalogique par l’examen du moment où l’éthique ancienne, originelle et pure, aurait basculé du modèle du « pouvoir » vers celui, déjà perverti en somme, du « vouloir ». Dès lors l’archéologie de l’« action » soumet à l’examen la notion de « volonté », intrus d’origine juridique dans l’enclos sacré de la philosophie, ou dispositif social pris à tort pour de la pensée.

La tradition philosophique dont il est désormais question connaît une rupture analogue à celle que connaît le droit romain au moment où il entre dans l’histoire. Ces deux tournants sont d’ailleurs contemporains. Entre le VIe et le VIe siècle av. n. è., les philosophes présocratiques développent une pensée rationnelle qui s’écarte de la pensée mythique ; la logique prend le relai de la poétique. Or, au terme de cette période, Agamben retrouve dans la monumentale œuvre de Platon une ultime défense de l’éthique de la « puissance » face au développement annoncé d’une éthique de la « volonté », qui sera à peine esquissée chez son disciple Aristote. Dans la divergence entre Platon et Aristote, ce qui se joue, c’est, semble-t-il, une différenciation entre des modèles bientôt irréconciliables : une éthique du « jeu » de référence comique et une éthique de l’« action » de référence tragique.

Ce qu’assume le nom d’Aristote, c’est plus précisément l’émergence d’une notion de « volonté », jusque-là réputée absente de la pensée grecque   . Alors que la commission du mal est attribuée par le mythe et par Socrate à la puissance, à l’ignorance et finalement au destin – ce qui ne l’empêche pas d’être coupable, puisque sanctionnée   –, Aristote va poser les bases d’une conception du libre-choix (proairesis) propre à la personne humaine. Cette notion nouvelle doit résoudre le problème par le fait que tout homme ne fait ni toujours, ni tout le temps ce qu’il a pourtant la « puissance » de faire. Bref, cette nouvelle liberté d’agir, de choisir ses actes, n’a guère à voir avec l’ancienne liberté politique, l’autonomie (libertas) : cette « volonté » naissante sert à fonder la paternité des actes, en la reliant aux finalités visées par ces actes. En cela, elle évoque puissamment le paradigme juridique de l’imputabilité.

Le problème, pour Agamben, est que cette conception conduit Aristote à placer au centre de son éthique une théorie de la « pratique » (praxis), et que la pensée occidentale de langue latine en viendra à l’adopter et à l’adapter sur la forme d’une théorie de l’« action » (actio) pétrie de références normatives, juridiques. En la matière, un pas décisif est franchi avec la théologie chrétienne, qui doit penser à la fois et ensemble la toute-puissance de Dieu et la capacité de l’homme à pécher aussi bien qu’à être vertueux. Ainsi les Pères de l’Eglise latins (Tertullien, Lactance, Jérôme) reprennent l’idée de « libre volonté » pour penser la responsabilité de l’homme face à ses péchés.

Mais c’est surtout Augustin qui pose les fondements d’une théorie chrétienne du « libre-arbitre », reprise sans changement majeur jusqu’au Moyen Age central. Or ce libre-arbitre, dont la dénomination fait directement écho à la sphère judiciaire (arbitrium), n’est pas sans paradoxe : il consiste à vouloir ce que prescrivent les commandements et il est un don proprement gracieux du Juge et Législateur suprême   .

Les affinités de la doctrine chrétienne, de l’appareil conceptuel aristotélicien et de la pensée juridique classique ont ainsi favorisé l’affirmation d’une théorie de l’action de l’homme chrétien rigoureusement finaliste. Dans cette conception de la vie, l’ensemble de ses actes constituent autant de moyens au service d’une fin. Cette fin peut se situer en-dehors de l’homme (ainsi lorsqu’il bâtit une maison) ou en lui (lorsqu’il voit, lorsqu’il pense) : l’essentiel est qu’il est maître de ses actes et de l’orientation qu’il leur donne. Or, en soi-même comme dans le monde, cette action volontaire ne peut être orientée que vers la production d’une œuvre (que ce soit l’œuvre d’une pratique ou d’une création)   .

Cette conception de la « vie pour l’œuvre », irrémédiablement scindée entre un sujet responsable et les fins qu’il se donne, est celle que la théologie chrétienne, façonnée par les droits romain et biblique, aurait léguée à la modernité. En la matière, Agamben vise en premier lieu la « théologie humaniste » de Kant, dans la mesure où sa maxime visant à déterminer chacun de ses actes à l’aune de la dignité de l’Homme revient à radicaliser le finalisme de l’éthique chrétienne. A la manière du Narcisse de Freud, l’homme moderne serait cet être irrésistiblement porté vers lui-même et, pour les mêmes raisons, incapable de s’atteindre   .

Science sociale ou ontologie ?

Avec cette enquête généalogique qui s’arrête à Kant et à la pensée juridique allemande du XIXe siècle, Agamben reprend implicitement la critique formulée par Nietzsche contre les Lumières allemandes, encore façonnées par les perspectives métaphysiques et morales de la pensée judéo-chrétienne. Dans sa prédication exhortant à abandonner une culture des « fins » et des « œuvres » au profit d’une culture des « moyens » et de l’expérience, on entend l’écho du Zarathoustra du XIXe siècle dont l’évangile, jusqu’à présent prêché dans un désert, n’aurait rien perdu de son actualité   . Après ZarathoustraKarman oppose à son tour à la culture dite « occidentale » un nouvel orientalisme : une morale et une politique enracinées dans une conception de l’être originelle, dont les traces presque effacées seraient à chercher plus à l’est dans l’ère indo-européenne, entre la Grèce archaïque et l’Orient lointain, pas loin des montagnes du prophète nietzschéen qui parodiait déjà le canon chrétien   .

La lecture, toujours stimulante, souvent passionnante, parfois déroutante   , interroge cependant par l’ambiguïté de son rapport au réel, à la matérialité de l’histoire. D’une certaine manière, la modernité artistique portée par le mouvement expressionniste ou par le mouvement cubiste a précisément consisté à abandonner l’œuvre au profit du jeu sur la forme et la couleur. Dans les arts contemporains et dans les lettres, l’essai et le geste se sont imposés comme les formes les plus nobles, souvent aux dépens de l’intérêt pour l’œuvre produite – même si collectionneurs et investisseurs y ont vu l’opportunité de multiplier leurs achats d’esquisses, de brouillons et autres traces   . Le « chef-d’œuvre » a été balayé par la « performance ». Sur un autre plan, le sens à accorder à la mise en cause d’une culture des « fins » et des « œuvres » pose question, lorsqu’elle est formulée par un auteur chez lequel on a rarement pu observer avec autant d’éclat une volonté si marquée de faire œuvre   . Bref, une telle archéologie désempare assurément l’histoire, au sens où le goût de la contemplation philosophique conduit sans doute Agamben à accorder aux textes théoriques qui l’intéressent une valeur documentaire que ne reconnaîtraient pas les historiens – et tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, entendent comprendre la société moderne sous l’angle de sa factualité.

Mais c’est peut-être que l’intérêt et l’enjeu de la réflexion sont ailleurs : si, comme on peut le penser, Agamben partage l’hostilité de Foucault vis-à-vis des sciences sociales, son texte dit moins ce qui est que ce qui peut et pourrait être. Dans ce sens, tout en offrant l’occasion de méditer de beaux textes, il fait essentiellement acte d’ontologie. Il met à disposition de ses lecteurs de quoi enrichir et varier leur expérience, leur usage de soi, leur mode d’être.