1/21/2021

Les fondements linguistiques d’IEML- le blog de Pierre Levy


IEML est fondé sur les grandes découvertes de la linguistique du XXe siècle. Dans cette entrée de blog nous allons étudier successivement les héritages de Chomsky; de Saussure et de l’école structuraliste; de Tesnière et du modèle actantiel de la phrase; de Benveniste, Wittgenstein et Austin pour leurs solutions aux problèmes épineux de l’énonciation et de la pragmatique. Je conclurai en essayant de dissiper un des principaux malentendus au sujet d’IEML: ce n’est pas une langue “vraie” (une langue n’est ni vraie ni fausse, elle est conventionnelle), mais une langue claire.

Fragonard La liseuse

L’héritage de Chomsky et les langages réguliers

Commençons par évoquer la dette d’IEML à l’égard de Noam Chomsky, un des géants de la linguistique et des sciences cognitives du XXe siècle. Pour le professeur du MIT, la capacité linguistique est un trait génétiquement déterminé de l’espèce humaine. Les langues, malgré leur diversité et leur évolution continuelle, partagent toutes la même “grammaire universelle” correspondant à cette habileté linguistique innée. Cette théorie expliquerait pourquoi les enfants apprennent spontanément et si vite à parler, sans qu’on ait besoin de leur donner des leçons de grammaire. Chomsky a exposé une version formelle – d’ailleurs contestée et plusieurs fois révisée – de la grammaire universelle. La découverte scientifique la plus précieuse de Chomsky est probablement sa théorie des langages réguliers : il a démontré qu’il existait une correspondance entre l’algèbre et la syntaxe formelle. La langue est donc en principe un objet calculable, au moins sur un plan syntaxique . Pour qu’une langue puisse être manipulée facilement par les ordinateurs, c’est-à-dire calculable, il faut qu’elle soit un langage régulier au sens de Chomsky: une sorte de code mathématique. Or les langues naturelles ne sont évidemment pas des langages réguliers. Les langages réguliers effectivement utilisés aujourd’hui sont des langages de programmation. Mais la “sémantique” des langages de programmation n’est autre que l’exécution des opérations qu’ils commandent. Aucun d’eux n’approche la capacité expressive d’une langue naturelle, qui permet de parler de tout et de rien et d’accomplir bien d’autres actes illocutoires que de donner des instructions à une machine. Notons au passage que Hjelmslev critiquait l’expression de « langue naturelle » à laquelle il préférait celle de langue philologique ou langue passe-partout. En effet, on peut tout dire en Espéranto, par exemple, bien que ce soit une langue construite et non pas naturelle. L’Espéranto est donc une langue philologique. Hélas, la sémantique de l’Espéranto n’est pas plus calculable que celle du Français ou de l’Arabe. A cause de leur irrégularité, les ordinateurs n’ont aujourd’hui accès aux langues philologiques que sur un mode statistique. C’est pourquoi notre âge numérique a besoin d’une langue philologique transparente aux algorithmes et donc régulière. IEML est la solution que j’ai trouvée au problème de la construction d’une langue philologique à la sémantique calculable. La calculabilité de sa sémantique n’est évidemment pertinente que s’il s’agit d’une langue philologique, permettant de « tout dire ». Et puisque la sémantique de cette langue devait être calculable, sa syntaxe devait a fortiori l’être aussi. C’est pourquoi IEML est un langage régulier au sens de Chomsky. Mais si le fait d’être un langage régulier était une condition nécessaire à la calculabilité de sa sémantique, ce n’en était pas une condition suffisante. Souvenons-nous que les langages réguliers actuellement en usage ont une sémantique restreinte : ce ne sont pas des langues philologiques. Comment conférer une sémantique philologique à un langage régulier ? Pour répondre à cette question, je me suis appuyé sur les enseignements de Saussure et de ses successeurs.

L’héritage de Saussure et le structuralisme

Selon Ferdinand de Saussure (1857-1913), un des pères de la linguistique contemporaine, les symboles linguistiques sont constitués de deux parties, le signifiant (une image acoustique ou visuelle) et le signifié (un concept ou une catégorie abstraite). Le rapport entre les deux parties du symbole est conventionnel ou arbitraire. Saussure a également montré que le plan du signifiant, ou la phonologie des langues, était basé sur un système de différences entre les sons, chaque langue ayant sa propre liste de phonèmes et surtout sa propre manière de disposer les seuils de passage entre deux phonèmes dans le continuum sonore. Un phonème n’existe pas de manière isolée, en dehors d’un éventail de variations, un peu comme les notes de musique n’existent que par rapport à un système musical. De la même manière, les signifiés ne sont pas des atomes de sens se suffisant à eux-mêmes mais correspondent à des positions dans des systèmes de différences : les paradigmes. La sémantique linguistique ne s’ancre donc pas dans des réalités naturelles fixes et indépendantes, mais dans un processus de comparaison, d’opposition, de différenciation et de renvois entre signifiés au sein d’une grille systémique bouclée sur elle-même, comme le sens d’un mot dans le dictionnaire est défini par d’autres mots qui, eux-mêmes, etc. Les travaux de Saussure ont été notamment poursuivis par Louis Hjemslev (1899-1965), qui a approfondi l’analyse du signe linguistique et a plaidé pour un maximum de rigueur épistémologique dans le traitement du langage, jusqu’à un idéal quasi-algébrique. Hjemslev a rebaptisé l’opposition entre signifiant et signifié en décrivant deux « plans » linguistiques celui de l’expression (le signifiant) et celui du contenu (le signifié). Chacun des deux plans est à son tour analysé en matière et forme. La matière de l’expression est de l’ordre du phénomène sensible, par exemple visuel ou sonore. Par contraste, la forme de l’expression désigne les unités abstraites qui résultent du découpage structurel des signifiants dans une langue donnée. Par exemple, le phonème « a » représente une forme bien déterminée qui s’oppose dans telle ou telle langue au phonème « o ». C’est ce qui permet en français, par exemple, de distinguer entre « bas » et « beau ». En revanche la forme « a » peut être remplie par un grand nombre de matières sonores distinctes selon les voix, les accents, etc. La matière est de l’ordre du continuum concret alors que la forme est de l’ordre du système d’oppositions abstrait. Il en est de même pour le contenu. Hjemslev a supposé qu’il existait un continuum du signifié, une sorte de magma abritant virtuellement l’ensemble des catégories possibles : la matière du contenu. Cette matière est découpée et organisée en paradigmes de manière différente pour chaque langue. En fin de compte, une langue quelconque organise une correspondance particulière entre forme de l’expression et forme du contenu. Le courant structuraliste initié par Saussure et poursuivi par Hjemslev a été prolongé par Julien Algirdas Greimas (1917-1992) et François Rastier (1945- ). Tout en maintenant vivante la tradition qui conçoit l’existence relativement autonome d’un monde des signifiés, ces auteurs ont notamment étendu l’analyse structurale du niveau des mots et des phrases jusqu’au niveau du texte, en particulier grâce à la notion d’isotopie. Revenons maintenant à notre problème : comment construire une langue qui soit simultanément philologique et régulière ? Non seulement les langues sont conventionnelles, mais elles ne peuvent pas ne pas l’être. La correspondance entre signifiant et signifié, ou expression et contenu, est arbitraire par nature. Puisque les langues sont nécessairement conventionnelles, rien n’interdit d’en construire une dont l’arrangement des signifiants soit de type “langage régulier”. Nous savons qu’un langage régulier possède une syntaxe calculable. Or la syntaxe régit les éléments signifiants de la langue, les phonèmes et leurs enchaînements, à plusieurs niveaux de complexité emboîtés. Puisqu’aussi bien les signifiants que les signifiés doivent être organisés par un système de différences, rien n’interdit non plus de donner  – par convention – à ce langage régulier un système de différences des signifiés (une forme du contenu) qui soit strictement parallèle à celui des signifiants (la forme de l’expression). En accord avec les théories de Saussure et de ses successeurs, les unités de la langue IEML, à commencer par les morphèmes, mais aussi les unités lexicales, les phrases et les super-phrases sont organisées en paradigmes. Ces systèmes de variations sur fond de constantes – ou groupes de transformations – permettent aux unités linguistiques de s’entre-définir et de s’expliquer réciproquement. Or – en IEML – ce sont les mêmes paradigmes qui structurent l’expression et le contenu. Voici donc le principe de résolution de notre problème : dans un langage régulier dont le système de différences des signifiés est une fonction calculable de celui des signifiants, non seulement la syntaxe mais également la sémantique est calculable. C’est précisément le cas d’IEML, qui est donc une langue à la sémantique calculable !

L’héritage de Tesnière et la linguistique cognitive

Parmi toutes les fonctions du langage, l’une des plus importantes est de supporter la construction et la simulation de modèles mentaux [Je m’inspire ici notamment de l’étude de Philip Johnson-Laird, Mental Models, Harvard University Press, 1983]. L’architecture linguistique des modèles mentaux n’est évidemment pas exclusive de modes de représentation sensori-moteurs, et notamment visuels, qui peuvent se rapporter aussi bien à des mondes fictionnels qu’à la réalité vécue. Des linguistes comme Ronald Langacker (1942- ) et George Lakoff (1941- ), qui sont parmi les principaux chefs de file du courant de la linguistique cognitive, ont particulièrement étudié cette fonction de modélisation mentale. La capacité de représenter des « scènes » – à savoir des processus mis en oeuvre par des actants dans certaines circonstances – est une condition sine qua non du travail de modélisation accompli par le langage. Elle fonde la faculté narrative, puisqu’un récit peut être ramené à un enchaînement hypertextuel de scènes, moyennant certaines relations d’anaphore et d’isotopie. J’ajoute qu’en spécifiant les rapports entre processus et/ou entre actants, la scénographie linguistique fonde également la représentation des relations causales. Puisqu’une des missions d’IEML est de servir d’outil formel de modélisation, il doit non seulement organiser un morphisme entre sa sémantique et sa syntaxe, mais également systématiser et faciliter autant que possible la représentation des processus, des actants, des circonstances et de leurs interactions. Pour ce faire, IEML a intégré, avec quelques ajustements, le modèle actantiel de la phrase que Tesnière, préfigurant la linguistique cognitive, avait proposé dès le milieu du XXe siècle.

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Figure 1: Exemple d’arbres de dépendance ou « stemmas » de Tesnière CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons.

En effet, outre le courant structuraliste, la grammaire d’IEML a aussi été largement influencée par l’oeuvre majeure de Lucien Tesnière (1893-1954). Ce linguiste français a été le premier à présenter une grammaire universelle fondée sur les arbres de dépendance, qui met en évidence le lien intime entre syntaxe et sémantique (voir la Figure 1). Bien que les deux systèmes aient été élaborés indépendamment, les arbres de dépendance de Tesnière sont proches des arbres syntaxiques de Chomsky. Tesnière a aussi proposé une théorie subtile de la translation entre les « parties du discours » que sont les verbes, noms, adverbes et adjectifs. Il a surtout développé le modèle actantiel de la phrase dont s’inspire la fonction syntagmatique d’IEML. La citation suivante, extraite de son oeuvre posthume Eléments de syntaxe structurale, explique bien le principe du modèle actantiel : « Le noeud verbal (…) exprime tout un petit drame. Comme un drame, en effet, il comporte (…) un procès et, le plus souvent, des acteurs et des circonstances. Le verbe exprime le procès. (…) Les actants sont des êtres ou des choses (…) participant au procès. (…) Les circonstants expriment les circonstances de temps, lieux, manière, etc. » [Lucien Tesnière, Eléments de syntaxe structurale, Klincksieck, Paris 1959: 102, Chapitre 48] Le modèle actantiel de Tesnière a notamment été repris et développé par deux importants linguistes contemporains, Igor Melchuk (1932- ) et Charles Filmore (1929-2014). La grammaire des cas de Fillmore publiée en 1968, a été étendue dans les années 1980 à une conception quasi-encyclopédique de la sémantique linguistique notamment mise en oeuvre dans le projet FrameNet centré sur la langue anglaise et qui inspire plusieurs programmes d’intelligence artificielle. Les frames ou « cadres » en français décrivent la manière dont les mots conviennent les uns avec les autres et déterminent mutuellement leurs sens dans une phrase. Par exemple, lorsqu’on utilise le verbe « attaquer » à la voix active, le sujet grammatical est forcément un assaillant et l’objet grammatical une victime de l’attaque. L’approche adoptée par IEML est compatible avec les théories de Fillmore, les cas correspondant aux rôles syntagmatiques et l’équivalent des cadres étant les paradigmes de phrases. Quant à Igor Melchuk, sa contribution la plus originale concerne la morphologie, c’est-à-dire la structure des mots et leurs rapports. Il a en particulier décrit les fonctions lexicales qui règlent les collocations – c’est-à-dire les mots qui vont ou ne vont pas ensemble – et les relations sémantiques entre les unités lexicales d’une langue. Un exemple simple de fonction lexicale est « PLUS » comme dans : [PLUS (colline) = montagne] ou [PLUS (ruisseau) = rivière]. Les fonctions lexicales sont notamment utilisées pour construire des dictionnaires explicatifs et combinatoires (monolingues) et elles alimentent, comme les cadres de Filmore, certains programmes de traitement automatique des langues naturelles. IEML intègre les principales fonctions lexicales mises en évidence par Melchuk, ce qui permet de composer facilement de nouveaux mots à partir des éléments du dictionnaire et d’expliciter formellement les relations sémantiques entre unités lexicales. Quant aux collocations selon Melchuk elles sont proches des cadres de Fillmore et sont – comme eux – traduites en IEML par des paradigmes de phrases. En somme, de nombreux linguistes ont souligné l’importance de la fonction modélisatrice du langage. Suivant leurs traces, IEML offre à ses locuteurs les outils grammaticaux nécessaires pour décrire des scènes et raconter des histoires. De plus, IEML permet de modéliser un domaine de connaissance spécialisé ou un champ sémantique particulier par la libre élaboration de terminologies (paradigmes de radicaux) et de phrases-cadres (paradigmes de phrases).

Austin, Wittgenstein et l’héritage pragmatique

La langue est une structure abstraite qui combine des paradigmes de morphèmes (atomes de sens indécomposables) et des règles de compositions des unités grammaticales (mots, phrases…) à partir des morphèmes. Par contraste, la parole – ou le texte – est une séquence de morphèmes particulière qui actualise le système de la langue. En ce sens, les terminologies et les phrases-cadres d’IEML appartiennent à une catégorie intermédiaire entre la langue et la parole. Ils font partie de la parole dans la mesure où ils sont librement créés à partir du dictionnaire de morphèmes initial et des règles de construction de syntagmes. Mais ils appartiennent encore à la langue puisque ce ne sont pas à proprement parler des textes, et encore moins des énonciations en contexte. Ce n’est qu’au niveau de l’énonciation, en effet, que se déploient les actes de langages, c’est-à-dire la dimension pragmatique des langues. Or il ne s’agit pas de choisir entre la fonction modélisatrice ou représentative des langues, qui vient d’être évoquée à la section précédente, et leur fonction pratique, que nous allons survoler dans cette section. Bien au contraire : la fonction de représentation et la fonction pratique se soutiennent mutuellement. Sans modèle du monde, l’action n’a pas de sens et sans plongement dans quelque situation pratique, la représentation perd toute pertinence. Quoiqu’on puisse faire remonter la réflexion sur la puissance pratique du langage à la rhétorique antique ou aux plus anciennes réflexions de l’école confucéenne, je me limiterai ici à quelques grands auteurs : Emile Benvéniste pour l’étude de l’énonciation et de la fonction déictique, Ludwig Wittgenstein pour la question de la référence et des jeux de langage, John L. Austin pour la notion même de pragmatique linguistique. Relèvent de la pragmatique linguistique les actes accomplis dans le langage mais qui ont des conséquences extra-linguistiques, comme par exemple baptiser, interdire, condamner, etc. Puisqu’ils sont accomplis dans le langage, ces actes sont de nature symbolique. Ils sont par conséquent régis par des règles et accomplis par des « joueurs » qui tiennent des rôles déterminés. Une multitude de jeux de langage, selon l’expression de Wittgenstein, animent donc la dimension pragmatique qui s’ouvre avec l’énonciation. Une langue peut elle-même être assimilée à un système de règles ou à un jeu. Et si cette langue est philologique elle est capable à son tour de définir une multitude de langues restreintes, de systèmes de règles ou de jeux, qui sont autant de manières distinctes de l’utiliser dans la pratique. IEML étant une langue philologique, nous l’utiliserons non seulement pour modéliser un champ sémantique quelconque, représenter des scènes et raconter des histoires, mais aussi pour expliciter des jeux de langages dont nous formaliserons les règles, les rôles et les coups au moyen de terminologies et de phrases-cadres. Lorsqu’ils reconnaîtront les actes de langages accomplis par les locuteurs d’IEML, des algorithmes pourront déclencher automatiquement leurs conséquences extra-linguistiques et notamment calculer les nouveaux états des « parties » en cours. J’évoquerai ici quatre grands types d’actes de langage qui sont particulièrement pertinents pour IEML : la référence, le raisonnement, la communication sociale et les instructions données à des machines. La première fonction de l’énonciation est de faire référence à des objets non-linguistiques. Une de ses formes les plus évidentes est la distribution des rôles interlocutoires : les première, seconde ou troisième personnes indiquent qui parle, à qui et de quoi. Mentionnons également les possessifs (liés à la distribution des personnes), les démonstratifs comme « ça, ici, là-bas », les adverbes comme « aujourd’hui », « demain », etc. Or un texte – ou un énoncé – ne permet pas d’interpréter les déictiques comme « je », « ça » ou « demain ». Seul l’événement d’une énonciation par quelqu’un, dans un contexte spatio-temporel d’interlocution défini, peut leur donner un contenu [« « Je » » signifie « la personne qui énonce la présente instance du discours contenant « je ». » (Emile Benveniste)] . Cette fonction référentielle du langage est particulièrement importante pour IEML, qui a pour vocation de catégoriser des données et donc – par nécessité – de les indexer. Aussi bien la distribution des rôles interlocutoires que la catégorisation des données peuvent se conformer à un grand nombre de jeux de référence distincts. Par exemple, pour interpréter un « nous » il faut connaître le système de distribution des personnes auquel il obéit : pluriel de majesté, chercheurs d’une même discipline, membres d’un tribunal, citoyens d’une nation en guerre…? D’autre part, la catégorisation des données en IEML prend un sens différent selon que l’indexation est faite par un algorithme ou par un humain. Dans le cas de l’indexation automatique, s’agit-il d’un algorithme statistique basé sur un corpus indexé manuellement ? Et dans ce dernier cas, indexé par qui, selon quels critères, etc. Dans le même ordre d’idée, il peut être utile de savoir si un texte est cité (encore un geste déictique) en tant que partie d’un corpus de référence, comme une autorité pour renforcer la crédibilité des idées de l’auteur, pour être critiqué, ou encore pour une autre raison. En somme, l’opération de référence est un acte de langage, cet acte relève d’une multitude de jeux possibles, et ces jeux peuvent être explicités en IEML. Le raisonnement est encore un autre type de jeu de langage modélisable en IEML. Citons dès maintenant, en suivant la typologie de Charles S. Peirce, (1) les divers genres de raisonnement déductifs, (2) les raisonnements inductifs – incluant les calculs statistiques – et (3) les raisonnements abductifs, qui construisent des modèles causaux d’un domaine ou d’un processus. On remarquera que le raisonnement suppose la plupart du temps la référence et que cette dernière est souvent faite pour appuyer le raisonnement. Les jeux de langage qui ont le plus été étudiés par les spécialistes de la pragmatique, à commencer par Austin et Searle, sont les jeux de communication sociale, qui comprennent par exemple les assertions, les questions, les ordres, les promesses, les remerciements, les nominations, etc. Mais nous pouvons ajouter à ce type de jeux les transactions, les contrats et tout ce qui relève des arrangements légaux et des échanges économiques, qui passent de plus en plus par des canaux électroniques et qui auraient avantage à être exprimés dans un langage transparent, univoque et calculable comme IEML. Finalement, puisque nous vivons dans un environnement de plus en plus robotisé, les instructions données à des machines, tout comme d’ailleurs les informations – parfois vitales – que les machines nous transmettent, font évidemment partie des actes de langage aux importantes conséquences extra-linguistiques. Parce que les ordinateurs peuvent décoder IEML et qu’IEML se traduit en langues naturelles, notre métalangage pourrait devenir le noyau logiciel d’une interface ubiquitaire et interopérable entre humains et machines.

Une image du monde ou une image de soi ?

Dans le Tractatus Logico Philosophicus, l’ouvrage de jeunesse qui l’a fait connaître, Wittgenstein examine à quelles conditions les propositions logiques présentent une image fidèle de la réalité. Le monde étant conçu par notre philosophe viennois comme « tout ce qui arrive », chaque fait ou événement devrait être représenté par une proposition dont la structure logico-grammaticale reflète la structure interne du fait. L’idée d’un langage parfait ou d’une langue transparente est souvent associée à cet idéal d’isomorphie entre les expressions du langage et les réalités qu’elles décrivent ou, en d’autres termes, entre la parole et sa référence. Rien n’est plus loin du projet d’IEML. Plutôt que de poursuivre la chimère au parfum vaguement totalitaire d’une langue de la vérité (la vérité se ramène à la correspondance entre parole et réalité), j’ai poursuivi un objectif moins contraignant et surtout plus atteignable : celui d’une langue de la clarté, aussi univoque et traductible que possible. A l’idéal d’une langue logique qui reflèterait des états de choses, j’ai substitué celui d’une langue philologique dont la forme algébrique de l’expression reflèterait la forme du contenu conceptuel : une langue qui serait une image d’elle-même avant d’être une image du monde. Par définition, cette correspondance interne ne relève pas du vrai et du faux mais de la convention utile. Quant au rapport d’IEML avec la réalité extralinguistique, elle relève d’une multitude de jeux de langages (je suis ici le Wittgenstein de la maturité, tel qu’il s’est exprimé dans les Philosophical Investigations), multitude qui englobe les diverses manières de découper, reconnaître et désigner des objets pertinents selon les contextes pratiques. Et grâce à la capacité de description universelle propre à toutes les langues philologiques, nous pouvons modéliser ces multiples jeux de langages en IEML. Cette approche respecte aussi bien la liberté que la créativité de ses locuteurs tout en autorisant ces derniers à se coordonner entre eux et avec les machines. Reprenons la classification des différents niveaux de la sémantique – linguistique, référentielle et illocutoire. Notre métalangage clarifie les relations entre signifiés et signifiants ainsi que les relations entre signifiés au point de pouvoir automatiser leur traitement. Le principal apport d’IEML se situe donc au niveau de la sémantique linguistique. Quant à la sémantique référentielle – le pointage vers des réalités extra-linguistiques – elle peut devenir plus précise dans la mesure où les différents modes de référence sont précisés en IEML. Enfin, la force illocutoire des énonciations, c’est-à-dire les « coups » qui sont joués dans une multitude de jeux de communication sociale, peuvent être reconnus par des algorithmes et traités en conséquence, à condition que les jeux en question aient préalablement été décrits en IEML. En somme, la formalisation de la sémantique linguistique nous offre la clé de la formalisation de la sémantique en général.

Brève bibliographie

  • Austin John L. How to Do Things with Words, Oxford University Press, Oxford, 1962
  • Benveniste Emile Problèmes de linguistique générale, Tomes 1 et 2, Gallimard, Paris, 1966-1974
  • Chomsky Noam New Horizons in the Study of Language and Mind, Cambridge University Press, Cambridge, 2000.
  • Chomsky Noam Syntaxic Structures, Mouton, La Hague et Paris, 1957.
  • Chomsky Noam ; Schützenberger, Marcel P. « The algebraic theory of context free languages », in Braffort, P. ; Hirschberg, D. : Computer Programming and Formal Languages, North Holland, Amsterdam, 118-161, 1963
  • Filmore Charles “The Case for Case” (1968). In Bach and Harms (Ed.): Universals in Linguistic Theory. New York: Holt, Rinehart, and Winston, 1-88. (Tesnières y est cité à neuf reprises).
  • Filmore Charles “Frame semantics” (1982). In Linguistics in the Morning Calm. Seoul, Hanshin Publishing Co., 111-137.
  • Hejlmslev Louis, Prolégomènes à une théorie du langageLa Structure fondamentale du langage, Paris, Éditions de minuit, coll. « Arguments », 2000
  • Johnson-Laird Philip, Mental Models, Harvard University Press, 1983
  • Lakoff George Women, Fire and Dangerous Things: What Categories Reveal About the Mind, University of Chicago Press, Chicago, USA, 1987.
  • Lakoff George, Johnson M., Metaphors We Live By, University of Chicago Press, Chicago, USA, 2003.
  • Langacker Ronald W., Foundations of Cognitive Grammar (2 volumes), Stanford University Press, Stanford, USA, 1987-1991.
  • Levy Pierre The Semantic Sphere / La sphère sémantique, Hermès-Lavoisier, Paris-London, 2011
  • Melchuk, Igor, « Actants in Semantics and Syntax. I. Actants in Semantics », Linguistics, 42: 1, 2004, 1-66
  • Melchuk Igor Aspects of the Theory of Morphology. Berlin—New York: Mouton de Gruyter, 2006. 615 pp
  • Searle John Speech Acts, Cambridge University Press, London, 1969.
  • Searle John Intentionality, Cambridge University Press, London, 1983.
  • Tesnière Lucien Eléments de Syntaxe structurale Klincksieck, Paris, 1959 (posthumous)
  • Wittgenstein Ludwig Tractatus Logico Philosophicus, Routledge and Kegan Paul Ltd, London, 1961.
  • Wittgenstein Ludwig Philosophical Investigations, Blackwell, Oxford, 1953.
21 January 2021 //

Royan d' ARCHITECTURES DE CARTES POSTALES


Royan au début de tout

 Salut les amies, salut les amis,

Royan a en grande partie quitté mon domicile pour migrer vers le Fonds du Musée de la Ville pour une donation de ma collection de cartes postales. Quelle joie !

Mais croyez-vous que je sois capable d'arrêter de trouver et de vous montrer des nouvelles cartes pour vous faire rêver de Royan ? Bien entendu que non ! Au contraire, c'est une manière de tenir encore le fil entre ma collection partie en villégiature et moi qui suis resté en Normandie. 

Alors voilà quelques nouveautés qui rejoindront leurs copines bientôt.

On commence sans retard, le bac arrive :


C'est bien une rareté que cette carte postale. Il s'agit de la très belle et disparue petite salle d'attente de la gare du bac. On en a déjà une autre image ici, rappelez-vous 2012... 

https://archipostcard.blogspot.com/2012/11/larlesienne-royannaise.html

Ce qui me stupéfait toujours avec les cartes postales de Royan c'est bien que tous les objets architecturaux, même les plus modestes ont eu le droit à leur édition en carte postale, comme pour prouver que partout, absolument partout, tout y était dessiné avec intention et délicatesse. Ici c'est le grand Louis Simon, architecte qui régale avec ce petit bâtiment, particulièrement malin et beau. Oh, on regrette que sur cette carte postale, les belles autos nous gênent un peu pour lire bien l'architecture mais on ne regrettera pas la belle ambiance que cette carte postale dégage. Et à l'arrière plan, n'oubliez pas de jeter un coup d'œil sur le reste de la ville la plus belle du Monde. Un petit bâtiment m'intrigue au second plan c'est celui marqué de l'inscription Maison Tamisier et Cie. On dirait bien un restaurant de fête foraine mais que faisait-il là ? La carte postale est une édition du fameux Mr Berjaud mais n'est pas écrite et pas datée.




Cette carte postale nous montre Royan en chantier et partout des vides, des espaces à remplir attendent l'architecture de la Reconstruction. Les détails agrandis sont stupéfiants et permettent de comprendre l'ordre des constructions. J'aurais aimer faire la visite de ce chantier avec encore dans les cheveux le sel et le sable du bain de mer.  Quel beau document ! remercions les éditions Combier. La carte postale fut expédiée en septembre 1955 mais je la crois plus ancienne.






Pour finir ce petit tour à Royan, comment ne pas se rendre encore une fois au marché ? J'ai garé la Panhard à l'ombre mais l'ombre a tourné. Dans le miroir de l'enjoliveur de la Panhard, j'essaie de voir en vain le photographe. Est-il allé le soir, avec sa fiancée, voir Lana Turner dans Diane de Poitiers ? Sans aucun doute. Cette fois c'est C.A.P édition qui régale mais la carte n'est pas datée. Le film étant sorti en 1956, on est forcément après cette date.








1/20/2021

Songs of South Korea’s Female Divers

Saving the Songs of South Korea’s Female Divers

Three elderly women are teaching the music of these famed fisherwomen.

Haenyeo divers used music to pass the time. Now, their songs are considered valuable history.
  Haenyeo divers used music to pass the time. Now, their songs are considered valuable history. Ed Jones/Getty Images

Kang Kyung-ja opens the door of her home on the island province of Jeju, South Korea, with a smile on her face. After offering me a cup of barley tea, she unfolds a piece of paper to sing me a song she’s written.

Ieodo sana, ieodo sana, ieodo sana

Where to go, where to row

All aboard to the depths of the sea

Where my mother gave birth to me

Did she know to dive would be my destiny?

Her husband, in the next room practicing calligraphy, joins along for the parts she cannot sing on her own. Let’s buy a house with a field, baked in the sun. Let’s enjoy life and have some fun, he sings.

They laugh, show me family photos, and bring out plates of watermelon and tomatoes they’ve grown in their garden. Kang, a 73-year-old former haenyeo, admits straightaway she has not lived the typical haenyeo life. “I’m not like other haenyeo. I’m very happy,” she says.

Nonetheless, for several years she has been training to preserve haenyeo songs. Someday, she may become one of the official guardians of this art form.

Haenyeo is Korean for “sea women.” On clear mornings off Jeju’s coast, you can still see them emerging from the lucid waters in their black rubber suits. Nearly 90 percent of haenyeo are over the age of 60, and many are well into their eighties. Equipped with nothing other than an ancient breathing technique called sumbisori, the women travel as deep as 32 feet into the depths for the best of what the sea has to offer: octopus, abalone, conch, sea urchins, clams and edible seaweeds.


Dating back to the 17th century, the existence of the haenyeo is largely due to Jeju Island’s volcanic soil, which made farming unsustainable. Although it’s uncertain how women stepped into this role, many historians believe it was due to the deaths of numerous island men at war or at sea. But even as Jeju’s women dove to support themselves and their families, becoming a haenyeo was considered dishonorable. Traditional Confucianism dictated that it was a woman’s duty to stay at home and produce sons, not to work.

As recently as the 1990s, haenyeo discouraged their daughters from following in their footsteps—sometimes even keeping their children from playing in the water—to spare them from physical toil and shame. In addition to the obvious dangers of plunging into the water without any breathing gear, the trade can also inflict haenyeo with respiratory and bone density diseases. (One 1989 study, for example, revealed that more than 75 percent of haenyeo at the time suffered from joint disease.) Today’s haenyeo are often elderly, with few young women willing to take on the risks of the trade.

 

However, attitudes towards haenyeo changed as rigid gender norms in South Korea became more flexible. When UNESCO included haenyeo on their Representative List of the Intangible Culture Heritage of Humanity in 2016, the women became the pride of the island. Today, haenyeo play an important role in Jeju tourism, and dozens of restaurants on the island claim a haenyeo affiliation to attract tourists.

Restaurants across Jeju island claim to sell haenyeo-caught seafood.
Restaurants across Jeju island claim to sell haenyeo-caught seafood. Douglas MacDonald/Getty Images

These restaurants commonly serve shellfish noodles and raw seasonal catch alongside soy sauce or chojang, a sweet and spicy combination of red pepper paste and vinegar. But jeonbok (abalone) is the star ingredient at such ventures. Once reserved only for royalty, jeonbok can be grilled, fermented, or sliced into jeonbok-juk (abalone rice porridge). Unlike typical rice porridge, the Jeju jeonbok-juk recipe leaves the guts of the mollusk in for a greenish hue. The result isn’t attractive, but it remains both a comfort food and a tourist draw.

Most stories of haenyeo end with their 2016 triumph. Sometimes, there is an epilogue speaking to the renewed effort to preserve haenyeo culture, but the painful parts of their history are often glossed over. Choa Hye-kyung, a historian and the former director of the Haenyeo Museum, says talking to the women about their own history is complex.

“Haenyeo had always been a people with nothing. They needed their catch to sell to make money, so they didn’t eat what they took from the ocean. They sold it,” she explains. “Things like the abalone they caught were for the upper crust of society. Some kings, like Jeongjo of Joseon, even refused to eat abalone because he came to understand what suffering haenyeo had to go through to get it.”

Long considered unsuitable for farming, Jeju Island is now a tourism powerhouse.
Long considered unsuitable for farming, Jeju Island is now a tourism powerhouse. Quynh Anh Nguyen/Getty Images

Many have turned to music as well as food to explain haenyeo history. A dining experience called Haenyeo Kitchen in Gujwa-eup combines traditional Jeju dishes with haenyeo songs and story demonstrations. Another restaurant, Haenyeo’s House, gives two performances of haenyeo songs a day, in the hope that visitors will stick around after their meals of raw fish and jeonbok-juk to learn more.

But beyond shows for tourists, there is also academic interest in preserving haenyeo music. Choa, who has written extensively about haenyeo for decades, says that writing the biography of Ahn Do-in, the first guardian of haenyeo songs, was one of the most memorable experiences of her career. “The first time I heard her sing, I remember the sobs in her voice and before I knew it, I was crying too,” she says.

Haenyeo songs served a practical purpose. Starting in the mid-19th century, haenyeo rowed their boats to work far from Jeju Island, to distant locales such as Busan, Gangwon province, and even Japan. To pass the time as they rowed, the women sang simple melodies, in 6/8 time, to the rhythm of the sea waves. The song lyrics varied, but often women sang lamenting the day they were born, complaining about their incompetent husbands, and in protest of the government.

Bang bang, dove into the sea

Skipped a day’s three meals

And learned diving as a way to be

Slowly saved up, one coin at a time

To take a stab at my husband’s bar tab.

There is no sheet music for haenyeo songs, and few of the nearly 10,000 known tunes have titles. Sometimes, the songs are called ieodo sana, because those two words appear often within the lyrics of haenyeo music. But no one is really sure what the term means. Some say ieodo sana refers to a mythical island—a fantasy haven where problems cease to exist, or even a heavenly afterlife. Others say the words have no meaning at all.

Ieodo sana, ieodo sana

Past this island, are there pearls awaiting?

Past this island, are there gems for me?

Where is the man that I’ve wed?

Is he alive or dead?

From him, I haven’t heard a single word.

The songs are poems, filled with irony and tragedy. But a closer look reveals that they are a testament to these women’s will to survive.

Take, for instance, the first guardian of haenyeo songs. Although Ahn underwent an arranged marriage like most women of her time, she genuinely fell in love with her husband. When he was accused of sympathizing with North Korea in 1949, she went into debt helping him escape to Japan. One month later, she received word that he arrived safely. Despite silence on his part for 20 years, she devoted herself to their children and his parents. When he finally returned to Korea, he came with his new wife to ask Ahn for a divorce. This was especially painful since, according to Korean custom, the divorce removed Ahn from the family’s genealogical record, severing her official tie to her children.

If you don’t love me, leave me.

Leave me when I am a flower, young and lovely.

Only leave me when I have yet to blossom fully.

Who knows when I will go–

Ascension happens sly, secret and slow.

Ahn’s story is not unique. Many songs from this time period refer to lost husbands. Thousands of island men died protesting Japanese colonization in the early 20th century. Then, from 1947 to 1954, the South Korean government systematically killed or silenced all Jeju islanders opposed to the division of the Koreas, in an event called the Jeju Massacre. At least 10 percent of Jeju’s population died during this five-year period.

Haenyeo life has always been difficult, with women facing both physical danger and social stigma.
Haenyeo life has always been difficult, with women facing both physical danger and social stigma. Chung Sung-Jun/Getty Images

However, many women survived war, massacres, and development, because there was always a need for fresh-caught seafood. In the 1960s technological advancements supplanted rowboats just as the newly minted Korean tourism board began to set its sights on Jeju and the unique haenyeo. The provincial government designated haenyeo songs as the region’s first Intangible Cultural Asset in 1971. The government also selected Ahn as the official guardian of the songs in 1998, just six years before she passed.

Today, the official responsibility of guarding the haenyeo songs belongs to two women, Kang Deung-ja and Kim Young-ja. Selected by the provincial government for their ability to sing the songs in their original rhythmic form and for capturing the emotional intent of each song, Kang and Kim, both 83 years old, represent the last generation of haenyeo who lived through the massacres. Kim, who was a young teen at the time, watched her grandmother die as her village burned down in a raid. With only her mother to help, she buried her grandmother and held a small funeral. “Until the day I die, I’ll never get it out of my mind,” says Kim.

Before the COVID-19 outbreak shut down most Jeju institutions, Kang Kyung-ja, Kang Deung-ja, and Kim Young-ja spent several days a week at schools and at the Haenyeo Museum performing and teaching traditional versions of the songs. But due to the steadily increasing interest in haenyeo, the songs are now performed by different groups in a variety of styles.

For private functions and more festive events, there’s Haenyeo’s Generation, a choir in the Hado-ri region of Jeju. With singers skewing younger than the average haenyeo and a name that references the popular K-pop group Girls’ Generation, their performances are decidedly upbeat. Much of their music is written by a Seoul musician, Bang Sil-chang, who also acts as the choir’s conductor. “I do my best to absorb all of their stories, but sometimes I’ll change a few words so it doesn’t sound that dark,” he says. Under his leadership, Haenyeo’s Generation was invited to the 2019 Korean Culture Festival in Sweden, marking a major international breakthrough for this little-known genre of music.

Today, there is an unspoken divide between the women who sing the songs traditionally and those reinventing them to reach wider audiences. Traditionalists argue that the best way to honor haenyeo history is to perform the songs with their original lyrics and rhythm, while others say modernizing the music to better suit today’s tastes can help bring awareness to an art that could otherwise be overlooked.

Kang Kyung-ja, who quit haenyeo work after her marriage, believes she’s had a relatively easy life, compared to many of her predecessors. Nevertheless, she believes in singing the songs as they are, despite their desperate sadness. “When you sing haenyeo songs, you have to sing the original. We can’t just sing about whatever we want to sing about,” she says. “It’s hard, but if there is no one talented enough to sing the songs to form, haenyeo songs will disappear.”


Hypermondes


Futurs présents

Hypermondes (13)

Écrivains parmi les plus importants de la science-fiction actuelle, Peter Watts et Ted Chiang sont relativement rares. Surtout le second, dont Expiration n’est, en vingt-cinq ans, que le deuxième livre publié. Ils partagent une grande exigence d’écriture avec l’appartenance au courant de la hard science, qui fonde sa vraisemblance sur les dernières avancées scientifiques. Science à laquelle ils font appel dans les nouvelles d’Expiration et dans le court roman Eriophora, pour scruter nos relations futures à l’intelligence artificielle, mais aussi certaines problématiques contemporaines – l’aliénation douce au travail, la dilapidation de l’énergie – ou intemporelles : l’éducation et le libre arbitre.


Ted Chiang, Expiration. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Théophile Sersiron. Denoël, 464 p., 23 €

Peter Watts, Eriophora. Trad. de l’anglais (Canada) par Gilles Goullet. Le Bélial’, 224 p., 18,90 €


La lecture successive des nouvelles d’Expiration donne le vertige. Un vertige léger, aux limites de la conscience. Comme si l’on avançait sur un sentier forestier pour finir par s’apercevoir qu’on n’est séparé d’un horizon immense que par un simple rideau d’arbres. Sans avoir l’air d’y toucher, dans un style aussi précis que simple en apparence, Ted Chiang trouve à une idée, à un questionnement, un équivalent concret : une invention, une machine fabuleuse, qui lui permettra de le faire tourner et d’en représenter, calmement mais en profondeur, les implications. Comme il est aussi un conteur, on suit ses textes pour les histoires qu’ils sont, avant que leurs perspectives ne se dévoilent petit à petit selon un tempo parfaitement maîtrisé.

Issue de son premier recueil, La tour de Babylone (traduit aux éditions Denoël en 2006), la nouvelle « L’histoire de ta vie » a servi de base au film Premier contact, de Denis Villeneuve. De la même manière, dans Expiration, « La nurse automatique brevetée de Dacey » pourrait être adaptée en long métrage : en seulement seize pages, elle concentre trois générations de vies mélancoliques et poignantes. Si Ted Chiang publie aussi peu, on devine que c’est parce qu’il polit ses récits jusqu’à ce qu’ils aient la force et l’équilibre de classiques instantanés. Au cœur de « La nurse automatique brevetée de Dacey », une question simple – un enfant peut-il être élevé par une machine ? – en contient, comme souvent chez lui, une infiniment plus étendue – quelle part l’attachement affectif prend-il à la formation d’un être ?

Hypermondes (13) : Eriophora de Peter Watts et Expiration de Ted Chiang

Sous une forme plus développée, « Le cycle de vie des objets logiciels » inverse la proposition fictionnelle : des êtres humains élèvent et s’attachent à des formes de vie artificielles. Se mêle alors à l’éducation la question du libre arbitre, qu’on retrouve dans la très courte « Ce qu’on attend de nous » aussi bien que dans la longue et remarquable novella « L’angoisse est le vertige de la liberté ». De même que Liu Cixin, dans Le problème à trois corps, espionnait à distance une autre planète, ou que Ken Liu observait le passé dans L’homme qui mit fin à l’histoire, Ted Chiang imagine que la physique quantique nous donne un aperçu sur d’autres lignes temporelles où d’autres nous-mêmes auraient fait des choix légèrement différents. Empruntant la forme des Mille et Une Nuits, « Le marchand et la porte de l’alchimiste » renouvelle le voyage dans le temps, d’une manière rendue vraisemblable par la physique contemporaine, mais seulement cette fois pour imaginer ce que cela changerait de revoir le passé sous un jour différent. Une autre façon de réfléchir au sens de notre existence et aux conséquences de nos actes.

Parallèlement aux questions de l’éducation et de l’affection, « La vérité du fait, la vérité de la mémoire » s’intéresse à ce que pourrait être une mémoire totale, grâce à l’enregistrement permanent de nos vies et à des moteurs de recherche quasi instantanés (Google nous y amène presque aujourd’hui). « Le grand silence » traite de l’extinction des espèces ; « Expiration » de l’entropie, sous une forme métaphorique : un monde steampunk s’éteint par dilapidation de l’énergie. S’y ajoute la belle représentation de la pensée sous forme de circulation d’air, de mouvements. Le monde se meurt parce que les pensées ralentissent, se figent. On voit bien en quoi cette idée peut doublement nous intéresser.

Le ton d’« Omphalos » change radicalement, puisque y est décrit un univers conforme aux croyances créationnistes. Un univers réellement vieux de 8 912 ans, où science et religion se confondent. Mais il est rassurant de constater que, même dans un tel monde, Ted Chiang démontre que l’hypothèse créationniste ne fonctionne pas. C’est là un bon exemple de la force de ses créations littéraires : une histoire claire et simple développe en même temps que l’intrigue une démarche intellectuelle rigoureuse. La puissance de ces textes est lente, calme, progressive, mais ils nous poussent à la réflexion sur des questions morales. Si la lecture en est parfois exigeante à cause des concepts scientifiques mobilisés, ils nous rendent potentiellement plus intelligents et plus justes. Meilleurs. Ce que recherchent aussi pour eux-mêmes les personnages principaux d’Expiration, souvent des femmes.

Peter Watts arrive à peu près au même résultat par d’autres moyens. Dense, elliptique, brusque, baroque, son écriture est aux antipodes de celle de Ted Chiang. Eriophora est un space opera étiré dans le temps et l’espace à la démesure de la galaxie. Pourtant, comme dans Vision aveugle et Échopraxie, les autres romans spatiaux de Watts, c’est essentiellement un huis clos circonscrit à un vaisseau entouré de vide. Cela dit, l’Eriophora bénéficie de dimensions colossales : plusieurs dizaines de kilomètres pour un vaisseau-astéroïde propulsé par un mini-trou noir, ce qui affecte fortement son environnement intérieur. On peut s’y perdre ; on ne peut le connaître tout entier.

L’Eriophora construit à travers l’espace des portails pour permettre à l’humanité future de s’y déplacer quasi instantanément. Mais son voyage est si long – soixante-six millions d’années – qu’il se retrouve au début de la novella dans le passé de l’humanité, sans certitude qu’elle existe encore. Pour passer tout ce temps, ses trente mille membres d’équipage restent en hibernation. L’Intelligence Artificielle limitée qui dirige le vaisseau, le « Chimp », n’en réveille quelques-uns que si se présente un problème qu’il ne peut résoudre seul.

Hypermondes (13) : Eriophora de Peter Watts et Expiration de Ted Chiang

De chaque portail achevé, ces voyageurs au long cours espèrent que sortira l’humanité future pour leur dire que la mission est achevée, qu’ils rentrent à la maison. Mais les portails restent vides, ou parfois en jaillit un « démon », pas ou plus humain. La mission n’a pas de fin. Se pose alors la question de l’absurdité de l’existence de ceux qui, pour certains, commencent à se voir comme des travailleurs exploités, sacrifiés.

Eriophora raconte cette histoire d’aliénation molle. Les navigants sont persuadés du bien-fondé de leur mission, on les a éduqués comme ça. Le Chimp n’est pas un dictateur. Il écoute les humains et ne leur veut pas de mal, mais il contrôle et surveille à hauteur de son omniprésence. Faut-il alors se révolter pour reconquérir sa liberté, ou préserver des existences limitées et ce qui a déjà été accompli ? À ce dilemme sont soumis Sunday, la narratrice, et ses collègues.

Comme souvent chez Peter Watts, on évolue dans un univers sombre. Au centre du vaisseau pousse une forêt modifiée aussi obscure que l’océan de Starfish ou les petits vaisseaux hantés par un vampire dans Vision aveugle et Échopraxie. Les problèmes de la dissimulation, de l’accaparement de la connaissance, sont capitaux. Que sait exactement l’autre, adversaire et en même temps partenaire, voire ami, si une telle catégorie existe ? Que cache-t-il ? Comment lui cacher ce qu’on sait ? Chez Peter Watts, on ignore qui regarde, aussi dans Eriophora trouve-t-on de nombreux codes ; le lecteur devra en décrypter un patiemment pour découvrir le texte dissimulé sous le texte.

Cette épopée paranoïaque avait commencé par trois nouvelles, qu’on peut lire dans le recueil Au-delà du gouffre. On y trouvait déjà, contrebalançant la fatalité glacée, la force des liens et de l’empathie. Les relations entre Sunday et le Chimp, entre Sunday et Lian, qu’elle finira par appeler son « amie », ont la finesse et la délicatesse des cryptages qu’invente l’équipage de l’Eriophora. En outre, chez Peter Watts on ne se résigne jamais. On se bat jusqu’au bout.

Dans des styles très différents, Ted Chiang et Peter Watts inventent des fictions dont la force narrative repose sur des extrapolations rigoureuses, mais pour examiner des questions qui nous préoccupent aujourd’hui, et, toujours, la dentelle fragile des rapports affectifs. Humains ou assimilés.

 

 

 

En attendant Nadeau

Obsessive Beat-Making of Madlib


The Obsessive Beat-Making of Madlib

The producer’s new album, “Sound Ancestors,” a collaboration with Four Tet, distills his eclectic, globe-trotting approach to sampling.

Madlib and Four Tet
Madlib makes hundreds of beats a week, many of which are never released.Illustration by Saddo

Madlib has always seemed more concerned with making music than with the question of what to do with it. The forty-seven-year-old producer and multi-instrumentalist has estimated that he makes hundreds of beats a week, many of which he never shares with anyone. His beats are a form of homage. He listens carefully to an old record, trying to squeeze every musical possibility out of it, to follow every path not taken. Sometimes it’s therapeutic. The week that Prince died, Madlib mourned by making tracks built on Prince samples. Following the death of his collaborator J Dilla, and then that of MF DOOM, he stayed awake for days, making hundreds of hours of music. Since the nineties, Madlib has essentially been building a private, ever-expanding library of beats, which spans everything from hip-hop, jazz, and soul to German rock, industrial music, Brazilian funk, and Bollywood. He has released dozens of albums under just as many aliases. Sometimes the aliases splinter off to form side projects. For Madlib, making music is as elemental as eating or sleeping, though he claims to do very little of the latter.

Madlib, born Otis Jackson, Jr., was brought up in Oxnard, California. His father was a soul singer, and his mother was a pianist. As a teen-ager, he and his brother, Michael, who raps and produces as Oh No, formed a hip-hop collective called the Crate Diggas Palace. Madlib’s first major release came in 1999, when the Lootpack, a trio made up of Madlib and his high-school friends Wildchild and DJ Romes, put out “Soundpieces: Da Antidote!” In the next few years, he began to channel his work ethic into a universe of alter egos. One of his most famous albums, “The Unseen,” from 2000, which is credited to an alter ego named Quasimoto, was the result of an experiment. He didn’t like the sound of his own voice, so he pitch-shifted his vocals and rapped from the perspective of a slick-talking, squeaky-voiced alien prankster with a fondness for marijuana.

In the early two-thousands, Madlib began applying the logic of hip-hop, where anything can be taken apart and put back together, to jazz music. He started by playing the melodies of his favorite tunes on the keyboard. Then he taught himself other instruments, which he played alongside samples, becoming a one-man ensemble. He invented a roster of jazz musicians with names like Monk Hughes, Ahmad Miller, and Joe McDuphrey. He wasn’t a virtuosic soloist; rather, his work skillfully pursued hazy textures and stoned vibes. His jazz noodling culminated in the excellent album “Pardon My French,” which came out last year—one of three credited to him in 2020. It was released by a group called the Jahari Massamba Unit, a collaboration between Madlib and the Detroit drummer and producer Karriem Riggins (who is real).

The combination of Madlib’s prolific output and his hesitancy to talk about it has turned him into a cult favorite. He often claimed to be clueless about when the backlog of albums he has recorded would actually see the light of the day, and it was a challenge to keep up with what he did get around to releasing. In recent decades, he has become one of the most respected producers of his generation, collaborating with Kanye West, Pusha T, Freddie Gibbs, and Erykah Badu, among others.

Madlib’s latest album, “Sound Ancestors,” will be released on January 29th, on his own Madlib Invazion imprint. It distills his eclectic, globe-trotting approach to beat-making, full of unlikely samples, slack drum loops, and a throbbing, pulsating bass that is more a feeling than a sound. The album was assembled by the d.j. and producer Kieran Hebden, who makes adventurous, forward-thinking dance music under the alias Four Tet. The two share a love of crate digging and of intentionally confusing monikers. Last year, Hebden released three albums, two as Four Tet and one as 00110100 01010100, in addition to an E.P. as ⣎⡇ꉺლ༽இ•̛)ྀ◞ ༎ຶ ༽ৣৢ؞ৢ؞ؖ ꉺლ.

Madlib and Hebden’s approach on “Sound Ancestors” calls to mind the engineer Teo Macero’s work, in the sixties and early seventies, collaging Miles Davis’s albums. In 2018, Madlib began the process of sending Hebden three hundred and fifty pieces of music, which Hebden eventually edited down to about forty minutes. The track “Hopprock” opens serenely, with a gentle, sawing cello, rain stick, chimes, and kalimba; a thick beat takes over, the chorus stitched together from sampled moans, sneers, wails, and coos. Madlib finds rhythm in the twirl of a flamenco guitar and in songs from the twitchy, twee U.K. post-punk band the Young Marble Giants. A vocal sample hints at his devotion to his craft: “Rising to the call / I give my life and all,” a singer cries, from beneath a crunchy, lurching sample of bass and keyboards.

If you’ve been on YouTube recently, you may have noticed the proliferation of videos like “lofi hip hop radio—beats to relax/study to,” which features an anime-style illustration of a young woman at her desk, wearing headphones. At a time when the Internet hectors and hails us at every turn, some of the most popular channels on YouTube live-stream hours of mellow, unassuming instrumental hip-hop that won’t distract you from your homework. ChilledCow, one of the best-known background-music accounts, with more than seven million subscribers, is curated by a man in his early twenties named Dimitri, who lives on the outskirts of Paris. His account once hosted a live stream that lasted for thirteen thousand hours.

The so-called lo-fi-beats subculture and its quest for the perfect vibe owes a lot to Madlib and to his fellow nineties and two-thousands producers like Fat Jon, J Dilla, and the late Nujabes. Last year, Madlib made tracks for a mindfulness app, full of off-kilter, stuttering drums and swirls of keyboard. Yet most lo-fi YouTube channels traffic in beats that are smooth and polished, delivered in an unyielding, unobtrusive ooze. Madlib and his peers made a style out of imperfection—the way drums sometimes lag a nanosecond behind, or a sampled loop where a background hiss becomes part of the beat. “I don’t like shit too perfect,” Madlib explained in an interview, in 2016. “I like some human mistake.”

You can sense his presence in those tiny blemishes. Madlib rarely raps anymore, but his personality comes through in the frayed, unfinished quality of his tracks. This feels like a sign of life, not of sloppiness. Amid the layers of guitar, drums, and chimes that make up the track “Riddim Chant” is a wisp of a vocal sample. It’s the sound of someone about to speak; her unfinished thought becomes part of the beat. One of the album’s best songs is “Two for 2—For Dilla,” which is built on hopped-up, almost fitful soul loops that mimic J Dilla’s style.

In mid-December, Madlib released “Road of the Lonely Ones,” the first single from “Sound Ancestors.” The track is constructed around a late-sixties soul gem by the Philadelphia group the Ethics. Fans online wondered if the song’s forlorn feel was meant as a tribute to J Dilla and to MF DOOM, who had died a few months prior. The original Ethics song is a delicate mea culpa, a wounded singer sweetly longing for a lover scorned. Madlib adds a drum loop and stretches out a sample of the chorus so that there’s an insistent falsetto cry in the background. It’s easy to miss and, once you notice it, impossible to ignore. The singer haunts his own track, and the song takes on a new and mysterious ache. Madlib doesn’t take the past as a given—it’s merely a possibility that has not yet been exhausted. ♦

 

 

 The New Yorker

1/19/2021

Caravage : optique et autres questions


Caravage : optique et autres questions

Parcourant le texte objectif (et convenu, en comparaison des embrasements de Yannick Haenelde Sebastian Schütze dans le volume consacré à l'œuvre complet de Caravage (Taschen, Bibliotheca Universalis), on s'arrête (p. 107) sur quelques mots à propos des techniques qu'aurait utilisées le peintre :

"Pour étudier le relief, le modelé puissant en clair-obscur de ses personnages, Caravage plaçait ses modèles dans une pièce obscure dotée d'une source unique de lumière, semblable à un phare. Mancini décrit déjà cette pratique. En outre, David Hockney (2006), surtout, a postulé que Caravage aurait utilisé des instruments optiques, par exemple un miroir et une chambre noire, pour transposer les figures sur la toile. Baglione décrit quelques figures en buste des débuts que Caravage aurait représentées à l'aide d'un miroir mais il est difficile de dire si cela se rapporte à l'utilisation traditionnelle du miroir pour étudier sa propre physionomie ou si cela implique plus généralement l'utilisation d'images réfléchies. En tout cas, un inventaire des biens domestiques de Caravage établi en 1605 ne mentionne qu'un grand miroir et un second en forme d'écu. Les observations fascinantes de David Hockney, qui reposent sur des expériences optiques et des comparaisons entre différentes peintures de la Renaissance et du Baroque, ne peuvent être jusqu'ici vraiment étayées dans le cas de Caravage par des documents d'époque. Roberta Lapucci (2009) a même envisagé dernièrement l'utilisation d'un procédé quasi photographique, le peintre utilisant une préparation à base d'éléments chimiques photosensibles pour fixer l'image projetée ainsi sur la toile."

C'est le commentaire d'un historien d'art prudent. Investigations.

Concernant David Hockney, le livre qui expose les "Savoirs secrets : les techniques perdues des maîtres anciens" (Éditions du Seuil,  1 et 2anglais) où le britannique expose de manière didactique les procédés optiques (lentilles et miroirs) auxquels auraient eu recours les Primitifs flamands et d'autres, tel Caravage, l'on est séduit mais dubitatif, Hockney ne multiplie-t-il pas à l'envi les anomalies qui appuient ses thèses, perdant son sens critique ? On peut lire une controverse sur ces travaux qui replace l'essentiel de la peinture dans le génie artistique – "rendre visible l'invisible" – et non dans les techniques de réalisation.


L'historienne italienne d'art Roberta Lapucci creuse chez Caravage la voie des procédés optiques mais aussi chimiques (poudre photoluminescente de lucioles concassées, etc.). L'on trouve quelques publications officielles (non traduites en français) sur son site. Voir aussi ce condensé et une controverse de david G. Stork. Un très sérieux "Painted Optics Symposium" s'est déroulé à Florence en 2008. Ces conjectures ne peuvent être considérées comme tempête dans un verre d'eau.
Nombreux gauchers dus à des images inversées par lentilles ?
L'utilisation d'instruments optiques par les artistes
risquait, à l'époque, de les voir taxer de sorcellerie.


Plusieurs tableaux du peintre italien (les "Bacchus", "Le joueur de Luth", "L'amour victorieux") ont une connotation érotique homosexuelle. Natacha Aprile, historienne d'art spécialiste des questions de genre (Sorbonne), reprend cet aspect dans Vie et œuvre de l'artiste, entre fantasmes et réalités et apporte des éléments biographiques précis permettant d'évaluer l'entourage homophile du Caravage. Elle émet une conclusion sur la difficulté d'analyser les œuvres d'art en dehors des normes morales et dans leurs aspects les plus dérangeants : "[...] Ne peut-on pas voir dans la persistance à nier l’impact de la sexualité dans la production artistique le dernier élan moribond d’une perception uniquement patriarcale et hétérosexuelle de la société ?"
 
Enfin, une interrogation personnelle : dans certains tableaux ("Judith et Holopherne", "La Méduse", "La décollation de saint Jean-Baptiste"), la représentation des jets de sang par Caravage est particulièrement maladroite, comment l'expliquer au regard du réalisme du reste, visages, chairs et vêtements ? Peut-être la réponse tient-elle dans notre œil exigeant, familiarisé au techniques modernes de visualisation, avec  arrêts  sur image et ralentis ? 
Dans la décapitation d'Holopherne chez Artemisia Lomi Gentileschi (1593-1656), ces détails semblent toutefois plus justes. Notons que cette remarquable artiste de l'école caravagesque, qui devint peintre de cour au 17e siècle, figure aux côtés des grands peintres baroques.
Autoportrait - Artemisia Gentileschi (1593-1656)