In a letter dated July 10, 1887 addressed to Caroline van Stockum-Haanebeek, Theo speaks of this new apartment in the following terms: "I now live with my brother Vincent, who studies painting with tireless assiduity. As he needs a lot of space for his work, we live in a rather large apartment at 54 rue Lepic [...]. What is remarkable about our apartment is that we have a magnificent view of the city, with the hills of Meudon, Saint-Cloud, etc. in the foreground and, above it, almost as much sky as when we are in the dunes. With the different effects generated by the variations in the sky, it's a subject for I don't know how many paintings.”
The Rue Lepic at the time marked an informal boundary between lower and upper Montmartre, between the recently developed urban areas of the Butte and those that had remained semi-rural. During his stay, Vincent was fascinated by the atmosphere, both pastoral and urban, of Montmartre’s maquis, a term then used to designate the unurbanized flanks of the hill, where vegetable gardens and shanties mixed with abandoned quarries and vacant lots. Unlike his contemporaries, such as Henri de Toulouse-Lautrec or Pierre-Auguste Renoir before him, who depicted the Montmartre of cabarets and popular balls, Van Gogh chose to depict the more bucolic and tranquil features of the area which contrasted with the hectic life of the city streets below.
One subject that particularly provoked the painter's interest at the time was that of the mills of Montmartre whose reference to the Dutch tradition must have pleased him. During his stay on La Butte, Van Gogh devoted nearly twenty works to the three principal mills which existed at the time within the enclosure known as the Moulin de la Galette. These buildings, which belonged to the Debray family, had long since ceased to function and had been transformed into places of leisure, mixing guinguettes, ballrooms, cafés and merry-go-rounds, that were very popular with Parisians. From Camille Corot to Paul Signac, via Renoir and Toulouse-Lautrec, they had been a source of inspiration for artists since the mid-19th century.
In the two years Van Gogh's spends in Paris his representations of the Moulin de la Galette would evolve significantly. In 1886, he first painted the most imposing and famous of mills, known as Blute-Fin, which was equipped with a wooden belvedere that allowed for a breathtaking view of the city below. He also painted the second mill on several occasions, which was at the corner of the rue Girardon, known as Moulin Radet. In all these compositions dating from 1886, the painter still used his so-called “Dutch palette” which consisted mainly of brownish tones and thick impastos.
During the months of February and March 1887, Van Gogh shifts his interest towards the third and smallest of the mills in Montmartre: the Pepper Mill. He represents it in three works painted at the same time: Le Moulin de la Galette (Pittsburgh, Museum of Art, Carnegie Institute), where it is seen from afar below the hill, and two compositions painted from the Impasse des deux frères: Scène de rue, le moulin à poivre (Amsterdam, Van Gogh Museum) and the present painting. In these last two compositions, which present very similar points of view, the painter set up his easel in the Impasse des deux frères (now a private street inside the enclosure of the Moulin de la Galette). The resulting paintings are moving testimonies to a Montmartre that has since vanished: the side entrance of the Moulin de la Galette, surmounted by lanterns, the wooden palisades, a carrousel on the left and the Pepper Mill itself which was built around 1865 and destroyed in 1911 with the piercing of the Avenue Junot.
The works from early 1887 reveal a radical evolution in Van Gogh's art. Scène de rue à Montmartre testifies not only to Van Gogh's fascination for a city in full mutation but also to his contacts with the Parisian artistic avant-garde. Indeed, from the moment he arrived in Paris, Van Gogh multiplied his interactions and visits to art exhibitions. Whether at the Académie Cormon, where he enrolled, or at the shop of the color supplier known as Le Père Tanguy, that was at the foot of Montmartre on the rue Clauzel. Van Gogh met and frequented many artists, including Henri de Toulouse-Lautrec, Emile Bernard, Louis Anquetin and John Russell. Whether at the shop of the Père Tanguy or at the Boussod-Valadon gallery which his brother directed, he quickly familiarized himself with the art of Claude Monet, Paul Gauguin, Camille Pissarro, Pierre-Auguste Renoir and many others. Above all, in January 1887, just a few weeks before he executed this painting, Van Gogh befriended Paul Signac, who introduced him to the scientific theory of colors, the work of Seurat, and took him to paint with him on numerous occasions in Paris and Asnières.
All these encounters and influences led Van Gogh to abandon the dark tones of his early works and embrace a new more vibrant and colorful palette. His touch becomes lighter, his pigments blended to create effects of transparency and light. Kept for nearly a century in the same family, Scène de rue à Montmartre is a pivotal work in the oeuvre of Van Gogh. It is a testimony to his contact with a new city, Paris the capital of the XIXth Century, but also with the art of the Impressionists and the avant-garde which led him to abandon the dark tones of his early works and develop the unique coloristic palette and style that would consecrate him as one of the greatest masters of Modern Art.
C’est au mois de mars 1886 que Vincent van Gogh arrive sans prévenir à Paris, pour s’installer chez son frère Théo qui dirige alors la succursale parisienne du marchand d’art Goupil puis deviendra gérant de Boussot, Valadon & Cie. Théo vit alors au 25 rue Laval, ensuite rebaptisée rue Victor Massé, dans la même rue où le célèbre cabaret Le Chat Noir s’est installé au numéro 12 en 1885. Afin de favoriser le travail de son frère, Théo quitte la rue Massé en mai 1886 pour le 54 rue Lepic qui deviendra le refuge de Vincent et dont la vue, surplombant Paris, lui inspirera nombre de ses œuvres. Il y restera jusqu’en février 1888.
Dans une lettre datée du 10 juillet 1887 à Caroline van Stockum-Haanebeek, Theo parle en ces termes de ce nouvel appartement : « Je vis maintenant avec mon frère Vincent, qui étudie la peinture avec une assiduité infatigable. Comme il a besoin de beaucoup d’espace pour son travail, nous vivons dans un appartement assez grand au 54 rue Lepic […]. Ce qu'il y a de remarquable dans notre logement, c'est que l'on a une vue magnifique sur la ville, avec les collines de Meudon, Saint-Cloud, etc. au premier plan et, par-dessus, presque autant de ciel que lorsqu'on est dans les dunes. Avec les différents effets générés par les variations du ciel, c'est un sujet pour je ne sais combien de tableaux. »
La rue Lepic constitue alors une frontière informelle entre le bas et le haut Montmartre, entre le Montmartre urbain et le Montmartre champêtre. Pendant son séjour parisien, Van Gogh montre une fascination pour l’ambiance si particulière, à la fois pastorale et urbaine, du « maquis » de Montmartre, terme alors utilisé pour désigner la face encore non urbanisée de la butte Montmartre, où les jardins-potagers côtoient carrières abandonnées et friches herbeuses. Au contraire de ses contemporains qui, tels Toulouse-Lautrec ou Renoir avant lui, s’attachent à dépeindre le Montmartre des cabarets et des bals populaires, Van Gogh fait lui le choix de représenter un Montmartre bucolique et calme, tranchant avec la vie trépidante des rues alentour.
Un sujet en particulier suscite l’intérêt du peintre : celui des moulins de Montmartre, qui ne sont pas sans évoquer les moulins de sa Hollande natale, un thème profondément ancré dans l’histoire de la peinture hollandaise. Pendant son séjour montmartrois, Van Gogh va consacrer près de vingt œuvres à ces trois moulins réunis sous la dénomination commune de « Moulin de la Galette ». Ces bâtiments, qui appartenaient alors à la famille Debray, avaient depuis longtemps cessé de fonctionner et avaient été transformés en un lieu de loisir très prisé des parisiens, réunissant guinguettes, salles de bal, cafés et manèges. De Corot à Signac, en passant par Renoir et Toulouse-Lautrec, ils constituent depuis le XIXe siècle une source inépuisable d’inspiration pour les artistes.
En l’espace de deux années, les représentations du Moulin de la Galette par Van Gogh vont significativement évoluer. Dès son arrivée à Paris en 1886, Van Gogh commence à peindre le plus imposant et le plus célèbre des moulins, dit « Blute-Fin », lequel était doté d'un belvédère en bois très apprécié des parisiens pour profiter d'une vue imprenable sur Paris. Il s’intéresse aussi à plusieurs reprises au deuxième moulin, qui faisait l’angle avec la rue Girardon, dit Moulin Radet. Dans ces compositions de l’année 1886, le peintre utilise encore sa palette dite hollandaise, faites de tonalités brunes et d’empâtements épais.
C’est durant les mois de février et mars 1887 que Van Gogh s’intéresse au troisième et plus petit des moulins de Montmartre, le Moulin à Poivre. Il le représente dans trois œuvres peintes au même moment : Le Moulin de la Galette (Pittsburgh, Museum of Art, Carnegie Institute), où il est vu de loin en contrebas de la butte et du principal moulin et deux compositions peintes depuis l’impasse des deux frères : Scène de rue, le moulin à poivre (Amsterdam, Van Gogh Museum) et le présent tableau. Dans ces deux dernières compositions, qui présentent un point de vue très semblable, le peintre a posé son chevalet dans l’Impasse des deux frères (aujourd’hui devenue une voie privée à l’intérieur de l’enceinte du Moulin de la Galette). Les tableaux en résultant sont un émouvant témoignage d’un Montmartre aujourd’hui disparu, où l’on découvre l’entrée latérale du Moulin de la Galette, surmontée de lanternes, les palissades de l’enceinte, un carrousel sur la gauche et le Moulin à Poivre, qui fut construit vers 1865 et détruit lors du percement de l'avenue Junot en 1911.
Ces compositions du début de l’année 1887 sont révélatrices d’une évolution radicale dans l’art de Van Gogh. Scène de rue à Montmartre témoigne ainsi non seulement de la fascination de Van Gogh pour une ville en pleine mutation mais également de ses contacts avec les différentes avant-gardes parisiennes. Dès son arrivée à Paris, en effet, Van Gogh multiplie les contacts. Que ce soit à l’Académie Cormon, où il s’inscrit, ou chez le marchand de couleurs Julien Tanguy (dit le Père Tanguy), il fait la connaissance de nombreux artistes, au premier rang desquels, Toulouse-Lautrec, Bernard, Anquetin ou encore Russell. Que ce soit chez le père Tanguy ou chez Boussot Valadon que dirige son frère, il se familiarise avec l’art de Monet, Gauguin, Pissarro, Renoir et bien d’autres. Surtout, en janvier 1887, quelques semaines à peine avant l’exécution du présent tableau, Van Gogh fait la connaissance de Signac, qui va l’initier à la théorie scientifique des couleurs et l’emmener peindre avec lui à de nombreuses reprises, à Paris et Asnières.
Ces rencontres poussent Van Gogh à abandonner les tons sombres de ses premières œuvres pour développer une nouvelle palette, déjà visible dans la présente œuvre. Sa touche devient plus légère, ses pigments se diluent pour créer des effets de transparence et la lumière entre dans ses tableaux. Sans jamais totalement adopter les techniques de ses confrères artistes – Van Gogh ne deviendra jamais ni impressionniste ni pointilliste – le peintre développe une nouvelle maîtrise de la couleur et de la composition, forgeant son propre style pour entrer de plein pied dans la modernité. Cette révolution plastique est d’ores et déjà présente dans Scène de rue à Montmartre, où le bleu laiteux du ciel côtoie les verts et mauves de la barrière, tranchant avec le jaune des coiffes au premier plan. Sa technique évolue également, faisant contraster le caractère graphique de la palissade avec la touche libre et enlevée du reste de la composition.
Scène de rue à Montmartre s’impose ainsi comme une œuvre charnière dans l’art du peintre. C’est en effet à Montmartre, au cours de ce printemps 1887, que Van Gogh se façonne comme peintre. Au cours de cette période brève mais incroyablement féconde, il se confronte aux différentes avant-gardes et explore les différentes facettes de la modernité pour enfin poser les bases de son style inimitable.
_______________________________________________________________
Entretien |Un tableau inédit de Vincent Van Gogh est mis aux enchères ce jeudi 25 mars chez Sotheby's à Paris. Cette "Scène de rue à Montmartre" de 1887 est estimée entre cinq et huit millions d'euros. Le commissaire-priseur Fabien Mirabaud revient sur son histoire et sa valeur.
"Scène de rue à Montmartre (impasse des Deux Frères et le Moulin à Poivre)", 1887. Ce tableau de moyenne dimension de Vincent Van Gogh, de 46 cm sur 61 cm, a vécu caché des regards, propriété de la même famille parisienne pendant un siècle avant que ses membres ne se décident à le mettre en vente. L'œuvre, estimée entre cinq et huit millions d'euros, est mise aux enchères ce jeudi 25 mars 2021 chez Sotheby's, à Paris. La semaine passée, elle était exposée pendant quelques jours à l'hôtel Drouot. Nous y avons rencontré Fabien Mirabaud, commissaire-priseur de la maison Mirabaud-Mercier.
ÉcouterIl était une fois cette "Scène de rue à Montmartre". Reportage de Lisa Guyenne à Drouot lors de la présentation de la toile au publicComment analyser "Scène de rue à Montmartre" ?
Ce tableau est pour nous un manifeste de Vincent Van Gogh. Il y figure le moulin au poivre de Montmartre, que Vincent ne peint pas par hasard, mais parce qu'il connaît cette image. C'est un hommage à sa Hollande natale. Ensuite, il est installé impasse des Deux-Frères. Ce n'est pas pour rien. Vincent et Théo sont deux frères très liés. Vincent doit beaucoup à Théo dans l'aboutissement de son art, c'est Théo qui le fait venir à Paris en 1886. Ceci est pour nous une évidence claire, un manifeste évident de cet amour fraternel.
On y découvre également le Montmartre d'avant, très rural, un Montmartre qui n'existe plus. Aujourd'hui, cette impasse des Deux-Frères existe encore, mais elle se situe dans l'enclos du Moulin de la Galette, une copropriété privée. Il reste toutefois un petit charme pittoresque dans ce Montmartre protégé.Que sait-on du passé de ce tableau et de son origine ?
Il provient d'une collection privée et était dans le même appartement depuis un siècle. Nous n'avons pas de traces de son acquisition. Nous pensons qu'il a probablement été acheté chez Bernheim, le premier marchand à exposer et vendre des toiles de Van Gogh, à partir de 1901. Mais il n'existe pas de preuve dans les archives, ce sont des supputations. C'est également ce que dit la tradition familiale des propriétaires.
Pour autant, il est attesté que ce tableau existait en 1920 : il était connu par une petite photographie, une reproduction en noir et blanc dans le catalogue raisonné de l'œuvre de Vincent Van Gogh réalisé au début du XXe siècle. La confrontation de l'œuvre avec la photographie a été rapide, et les experts du musée Van Gogh d'Amsterdam ont tout de suite déterminé qu'il s'agissait du tableau authentique. Le fait, pour nous, de redécouvrir cette image et de la confronter à la photographie en noir et blanc a été un choc émotionnel énorme.
Il existe aussi une autre version de "Scène de rue à Montmartre" au musée Van Gogh d'Amsterdam.
C'est une version assez similaire. Mais ce tableau que nous avons sous les yeux est le dernier tableau connu, en mains privées, de cette qualité-là, d'une peinture montmartroise très importante dans la vie de Van Gogh. Elle fait transition entre son passé et son avenir. On y découvre une touche plus libre.
Cette lumière qui s'impose à Vincent n'est pas la peinture très empâtée d'Amsterdam. Ici, la peinture est très légère, la touche s'allonge. On constate aussi l'influence de Degas, avec ce cadrage très photographique. Nous connaissons les Ballerines de Degas, toujours peintes dans l'entrebâillement d'une porte. Or, nous voyons ici clairement l'influence de la photo, avec ce couple qui sort de la guinguette, la robe légèrement floue du personnage féminin et ses enfants pris sur le vif, avec ce cadrage un peu en retrait qui témoigne évidemment de l'influence de la photo et de Degas. Il y a aussi l'influence de Toulouse-Lautrec et de Steineim, deux grands amis de Vincent, avant qu'il ne parte vers la période arlésienne et Auvers-sur-Oise. C'est un tableau charnière, un tableau de transition, un tableau qui explique l'œuvre de Van Gogh, qui nous permet de comprendre d'où il vient et où il va.
Ce tableau date de 1887, trois ans avant son décès à Auvers-sur-Oise. Dans quel état d'esprit Van Gogh est-il à cette époque ?
C'est un Vincent heureux, qui vit avec son frère. Cela fait un an qu'ils sont à Paris. Il est très serein. Ce n'est pas le même Vincent que l'on retrouvera à Arles et à Auvers-sur-Oise. On peut imaginer sa joie de s'entourer ici de son frère, et de découvrir cette lumière parisienne. Nous voyons cette sérénité dans ce tableau et dans le choix de ce sujet.
Il faut comprendre qu'à l'époque ce type de sujet est un non-sujet. Les artistes d'alors - Cabanel, Cormon - peignent des sujets académiques, des commandes. Ici, nous avons des personnages qui ne sont pas des héros. Mais c'est un sujet personnel, celui de Vincent Van Gogh, qui n'a vendu de toute sa vie qu'un seul tableau. C'est donc un véritable œil de l'artiste que nous avons ici, et c'est assez émouvant. Il faut noter aussi qu'à cette période montmartroise, bien qu'assez serein et apaisé, il peint malgré tout près de 200 tableaux et a déjà en lui cette frénésie créative.
Si l'on considère l'ensemble des œuvres de Vincent Van Gogh, combien se trouvent encore dans le privé de nos jours ?
Il existe très peu de tableaux encore en mains privées aujourd'hui, du moins de cette qualité-là. La majeure partie de ses tableaux sont dans les collections publiques, pour beaucoup à Amsterdam et pour certaines au musée d'Orsay. Dans le privé, nous n'avons pas de véritable cartographie de la détention des œuvres de Vincent Van Gogh. Il existe néanmoins un intérêt de plus en plus prégnant sur le marché asiatique. Van Gogh est considéré comme l'un des plus grands artistes sur le marché international, au même titre que Picasso, Rembrandt et Léonard de Vinci. Les Américains ont également toujours été intéressés par Vincent, mais de nombreuses œuvres sont détenues dans des collections européennes.
La vente de "Scène de rue à Montmartre" s'annonce comme une vente majeure sur le marché de l'art en 2021 ?
C'est en effet l'une des œuvres montmartroises les plus importantes de Van Gogh à ne pas se trouver dans un musée. C'est rarissime, d'autant plus qu'elle est vendue sur le marché parisien. Cela n'avait pas eu lieu depuis plus de cinquante ans. Le marché parisien n'avait pas vu des œuvres de cette qualité-là depuis très longtemps.
C'est probablement le tableau le plus important à être vendu cette année en France. Traditionnellement, les œuvres sont exportées pour être vendues à New York. Or, la famille, française a fait le choix de vendre ce tableau en France, lui qui a été peint à quelques centaines de mètres de l'hôtel Drouot. C'était un véritable choix et une aubaine pour le marché parisien, qui se montre capable de rivaliser avec le marché américain ou anglais.
En outre, c'est un événement culturel, en cette période de disette et de fermeture des musées. A Drouot, des visiteurs sont venus faire la queue sur plusieurs centaines de mètres pour observer le tableau.
À quel résultat peut aboutir cette vente aux enchères ?
Le tableau est estimé entre cinq et huit millions d'euros. C'est une estimation très prudente, mais attractive. C'est un signe que veut donner la famille. La dernière œuvre vendue de Van Gogh était une petite sanguine, un petit dessin qui s'est vendu huit millions d'euros à New York. Nous avons de forts espoirs pour "Scène de rue à Montmartre".
Est-il possible qu'un musée rachète le tableau ?
C'est possible, évidemment, qu'il s'agisse d'un musée français ou étranger. L'État français dispose d'un mécanisme d'acquisition, la préemption, lui permettant de se substituer aux derniers enchérisseurs. C'est également une question de budget : les musées étrangers ont des moyens, des mécènes peuvent venir aider des musées à acquérir cette œuvre… Nous souhaitons obtenir le juste prix. Nous serions très contents qu'un musée soit le dépositaire, mais c'est la rencontre de l'offre et de la demande qui décidera.
_______________________________________________________________
Entretien |Un tableau inédit de Vincent Van Gogh est mis aux enchères ce jeudi 25 mars chez Sotheby's à Paris. Cette "Scène de rue à Montmartre" de 1887 est estimée entre cinq et huit millions d'euros. Le commissaire-priseur Fabien Mirabaud revient sur son histoire et sa valeur.
"Scène de rue à Montmartre (impasse des Deux Frères et le Moulin à Poivre)", 1887. Ce tableau de moyenne dimension de Vincent Van Gogh, de 46 cm sur 61 cm, a vécu caché des regards, propriété de la même famille parisienne pendant un siècle avant que ses membres ne se décident à le mettre en vente. L'œuvre, estimée entre cinq et huit millions d'euros, est mise aux enchères ce jeudi 25 mars 2021 chez Sotheby's, à Paris. La semaine passée, elle était exposée pendant quelques jours à l'hôtel Drouot. Nous y avons rencontré Fabien Mirabaud, commissaire-priseur de la maison Mirabaud-Mercier.
Comment analyser "Scène de rue à Montmartre" ?
Ce tableau est pour nous un manifeste de Vincent Van Gogh. Il y figure le moulin au poivre de Montmartre, que Vincent ne peint pas par hasard, mais parce qu'il connaît cette image. C'est un hommage à sa Hollande natale. Ensuite, il est installé impasse des Deux-Frères. Ce n'est pas pour rien. Vincent et Théo sont deux frères très liés. Vincent doit beaucoup à Théo dans l'aboutissement de son art, c'est Théo qui le fait venir à Paris en 1886. Ceci est pour nous une évidence claire, un manifeste évident de cet amour fraternel.
Que sait-on du passé de ce tableau et de son origine ?
Il provient d'une collection privée et était dans le même appartement depuis un siècle. Nous n'avons pas de traces de son acquisition. Nous pensons qu'il a probablement été acheté chez Bernheim, le premier marchand à exposer et vendre des toiles de Van Gogh, à partir de 1901. Mais il n'existe pas de preuve dans les archives, ce sont des supputations. C'est également ce que dit la tradition familiale des propriétaires.
Pour autant, il est attesté que ce tableau existait en 1920 : il était connu par une petite photographie, une reproduction en noir et blanc dans le catalogue raisonné de l'œuvre de Vincent Van Gogh réalisé au début du XXe siècle. La confrontation de l'œuvre avec la photographie a été rapide, et les experts du musée Van Gogh d'Amsterdam ont tout de suite déterminé qu'il s'agissait du tableau authentique. Le fait, pour nous, de redécouvrir cette image et de la confronter à la photographie en noir et blanc a été un choc émotionnel énorme.
Il existe aussi une autre version de "Scène de rue à Montmartre" au musée Van Gogh d'Amsterdam.
C'est une version assez similaire. Mais ce tableau que nous avons sous les yeux est le dernier tableau connu, en mains privées, de cette qualité-là, d'une peinture montmartroise très importante dans la vie de Van Gogh. Elle fait transition entre son passé et son avenir. On y découvre une touche plus libre.
Cette lumière qui s'impose à Vincent n'est pas la peinture très empâtée d'Amsterdam. Ici, la peinture est très légère, la touche s'allonge. On constate aussi l'influence de Degas, avec ce cadrage très photographique. Nous connaissons les Ballerines de Degas, toujours peintes dans l'entrebâillement d'une porte. Or, nous voyons ici clairement l'influence de la photo, avec ce couple qui sort de la guinguette, la robe légèrement floue du personnage féminin et ses enfants pris sur le vif, avec ce cadrage un peu en retrait qui témoigne évidemment de l'influence de la photo et de Degas. Il y a aussi l'influence de Toulouse-Lautrec et de Steineim, deux grands amis de Vincent, avant qu'il ne parte vers la période arlésienne et Auvers-sur-Oise. C'est un tableau charnière, un tableau de transition, un tableau qui explique l'œuvre de Van Gogh, qui nous permet de comprendre d'où il vient et où il va.
Ce tableau date de 1887, trois ans avant son décès à Auvers-sur-Oise. Dans quel état d'esprit Van Gogh est-il à cette époque ?
C'est un Vincent heureux, qui vit avec son frère. Cela fait un an qu'ils sont à Paris. Il est très serein. Ce n'est pas le même Vincent que l'on retrouvera à Arles et à Auvers-sur-Oise. On peut imaginer sa joie de s'entourer ici de son frère, et de découvrir cette lumière parisienne. Nous voyons cette sérénité dans ce tableau et dans le choix de ce sujet.
Il faut comprendre qu'à l'époque ce type de sujet est un non-sujet. Les artistes d'alors - Cabanel, Cormon - peignent des sujets académiques, des commandes. Ici, nous avons des personnages qui ne sont pas des héros. Mais c'est un sujet personnel, celui de Vincent Van Gogh, qui n'a vendu de toute sa vie qu'un seul tableau. C'est donc un véritable œil de l'artiste que nous avons ici, et c'est assez émouvant. Il faut noter aussi qu'à cette période montmartroise, bien qu'assez serein et apaisé, il peint malgré tout près de 200 tableaux et a déjà en lui cette frénésie créative.
Si l'on considère l'ensemble des œuvres de Vincent Van Gogh, combien se trouvent encore dans le privé de nos jours ?
Il existe très peu de tableaux encore en mains privées aujourd'hui, du moins de cette qualité-là. La majeure partie de ses tableaux sont dans les collections publiques, pour beaucoup à Amsterdam et pour certaines au musée d'Orsay. Dans le privé, nous n'avons pas de véritable cartographie de la détention des œuvres de Vincent Van Gogh. Il existe néanmoins un intérêt de plus en plus prégnant sur le marché asiatique. Van Gogh est considéré comme l'un des plus grands artistes sur le marché international, au même titre que Picasso, Rembrandt et Léonard de Vinci. Les Américains ont également toujours été intéressés par Vincent, mais de nombreuses œuvres sont détenues dans des collections européennes.
La vente de "Scène de rue à Montmartre" s'annonce comme une vente majeure sur le marché de l'art en 2021 ?
C'est en effet l'une des œuvres montmartroises les plus importantes de Van Gogh à ne pas se trouver dans un musée. C'est rarissime, d'autant plus qu'elle est vendue sur le marché parisien. Cela n'avait pas eu lieu depuis plus de cinquante ans. Le marché parisien n'avait pas vu des œuvres de cette qualité-là depuis très longtemps.
C'est probablement le tableau le plus important à être vendu cette année en France. Traditionnellement, les œuvres sont exportées pour être vendues à New York. Or, la famille, française a fait le choix de vendre ce tableau en France, lui qui a été peint à quelques centaines de mètres de l'hôtel Drouot. C'était un véritable choix et une aubaine pour le marché parisien, qui se montre capable de rivaliser avec le marché américain ou anglais.
En outre, c'est un événement culturel, en cette période de disette et de fermeture des musées. A Drouot, des visiteurs sont venus faire la queue sur plusieurs centaines de mètres pour observer le tableau.
À quel résultat peut aboutir cette vente aux enchères ?
Le tableau est estimé entre cinq et huit millions d'euros. C'est une estimation très prudente, mais attractive. C'est un signe que veut donner la famille. La dernière œuvre vendue de Van Gogh était une petite sanguine, un petit dessin qui s'est vendu huit millions d'euros à New York. Nous avons de forts espoirs pour "Scène de rue à Montmartre".
Est-il possible qu'un musée rachète le tableau ?
C'est possible, évidemment, qu'il s'agisse d'un musée français ou étranger. L'État français dispose d'un mécanisme d'acquisition, la préemption, lui permettant de se substituer aux derniers enchérisseurs. C'est également une question de budget : les musées étrangers ont des moyens, des mécènes peuvent venir aider des musées à acquérir cette œuvre… Nous souhaitons obtenir le juste prix. Nous serions très contents qu'un musée soit le dépositaire, mais c'est la rencontre de l'offre et de la demande qui décidera.