10/05/2020

expertise de Noam Chomsky et Paul Rogers au procès en extradition


L’affaire Assange est-elle politique ?

Rapports d’expertise de Noam Chomsky et Paul Rogers au procès en extradition

paru dans lundimatin#257, le 5 octobre 2020

La semaine dernière prenait fin la deuxième partie de l’audience d’extradition de Julian Assange à Londres. Assange retourne à l’isolement dans la prison de haute sécurité de Belmarsh… Les avocats disposent d’un temps pour rédiger leurs conclusions... Le verdict est attendu le 4 Janvier 2021.

Ce qui s’est joué, ce qui se joue là, est historique.

Si l’on en doutait encore, les rapports fournis par des experts appelés par la défense pour témoigner autour de questions centrales comme la contribution de WikiLeaks au journalisme et à la liberté d’informer, à la défense des droits de l’Homme, permettent de saisir la profondeur passée et la portée future du verdict qui sera prononcé.

Après avoir publié sur lundimatin le témoignage de l’historien du journalisme Mark Feldstein, répondant à la question de savoir si Assange est un journaliste (qui pourrait/devrait dès lors bénéficier de la protection du premier amendement américain), nous publions cette semaine les traductions françaises des rapports d’expertise des professeurs Paul Rogers et Noam Chomsky, appelés eux aussi par la défense en qualité de témoins à l’audience d’extradition.

Le Professeur Paul Rogers est expert en études sur la paix et sur la sécurité internationale. Il est intervenu dans les écoles supérieures de la défense au Royaume-Uni, auprès de différents ministères, des services de renseignement, et d’autres institutions. Le Professeur Noam Chomsky est un éminent linguiste et penseur de la gauche américaine, et un soutien d’Assange de longue date.

Dans leurs rapports, tous deux éclairent, au prisme de leurs connaissances, la question de savoir si les opinions et les actes de Julian Assange sont la manifestation de convictions politiques, et si, de façon symétrique, les accusations portées contre lui sont de nature politique ; si les États-Unis considèrent, et traitent, Julian Assange comme un ennemi politique, un dissident d’opinion qu’il s’agit de neutraliser.

L’affaire Assange est-elle politique ?

Cette question essentielle forme un axe important de la défense de Julian Assange. En effet, parmi les exceptions figurant au traité d’extradition signé entre les États-Unis et le Royaume-Uni L’exception politique interdit le transfert de la personne si les accusations portées contre elle dans le pays qui la demande sont de nature politique. C’est ainsi que les pays signataires du traité sont censés éviter que celui-ci ne se transforme en instrument pour que des dirigeants se débarrassent de leur opposition politique.

Bien sûr qu’Assange est politique ; que le projet WikiLeaks est portée par une vision et a pour vocation de faire advenir un autre ordre des choses, un monde moins guerrier, plus juste. Assange ne s’en est jamais caché, la soi disant neutralité ou objectivité des opinions n’étant d’ailleurs pour lui que le propre des scribes du pouvoir, non d’un journalisme digne de ce nom. Quiconque avec un semblant de sensibilité politique est capable de voir que ce qu’il y a de politique dans WikiLeaks et Assange. Il n’en reste pas moins intéressant et salutaire de voir ces arguments étudiés dans les témoignages ici présentés.

Ainsi dans son rapport, Paul Rogers fait même état de la cohérence de Julian Assange et de WikiLeaks, depuis les idées jusqu’à la mise en œuvre, leur concédant même quelque résultat : « Je suis conscient que les publications de WikiLeaks ont joué un rôle dans la fin officielle de l’engagement militaire américain en Irak, en mettant en lumière de manière irréfutable des actes criminels commis par l’armée américaine qui avaient été délibérément dissimulés ». L’expert sur la paix ne semble donc pas loin de valider la proposition d’Assange – conviction politique s’il en est - selon laquelle « la paix peut être obtenue par la vérité, là où les guerres sont déclenchées par les mensonges »…

Ce sont bien ces convictions, cette cohérence, cette constance, et ces capacités qui rendent bien entendu Assange et WikiLeaks dangereux pour le gouvernement américain, les publications de WikiLeaks démontant efficacement le storytelling victorieux de la Guerre contre la Terreur tricoté depuis le mandat de Bush – un récit de toute puissance avec lequel le Make America great again de Trump semble d’ailleurs renouer avec une vigueur renouvelée et débridée. WikiLeaks et la Guerre contre la Terreur naissent à peu près en même temps, leurs évolutions et les évolutions des attaques contre Assange sont à comprendre ensemble, ce que Chomsky observe aussi.

Pour Chomsky, les choses sont très claires, la mise en lumière de leurs agissements fait s’évaporer le pouvoir des puissants, ce qu’ils ne peuvent pas tolérer. Il conclut que « Julian Assange, en défendant courageusement des convictions politiques que la plupart d’entre nous déclare partager, a rendu un énorme service à tous les peuples du monde qui chérissent les valeurs de liberté et de démocratie et qui exigent donc le droit de savoir ce que font leurs représentants élus. Ses actions l’ont conduit à être poursuivi en retour de manière cruelle et intolérable. »

Bonne lecture.


EN LA VILLE DE WESTMINSTER,
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
entre
LE GOUVERNEMENT DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
contre
JULIAN PAUL ASSANGE

Rapport d’expertise du professeur Noam Chomsky

1. Je suis actuellement basé à l’université d’Arizona où je suis Professeur Lauréat de Linguistique et Président du programme Agnese Nelms Haury pour l’Environnement et la Justice sociale.

2. J’ai rejoint le personnel du Massachusetts Institute of Technology en 1955 et, en 1961, j’ai été nommé professeur titulaire au Département de Langues Modernes et de Linguistique (actuellement Département de Linguistique et de Philosophie). De 1966 à 1976, j’ai tenu le poste de Professeur titulaire à la chaire Ferrari P. de Langues Modernes et de Linguistique. En 1976, j’ai été nommé Professeur de l’Institut. Je suis maintenant professeur émérite. En 1958 et 1959, j’ai été en résidence à l’Institute for Advanced Study de Princeton, New Jersey.

3. J’ai reçu des diplômes honorifiques de nombreuses universités, dont l’Université de Londres, Université de Chicago, Université Loyola de Chicago, Swarthmore College, Université de Delhi, Bard College, Université du Massachusetts, Université de Pennsylvanie, Université de Georgetown, Collège Amherst, Université de Cambridge, Université de Buenos Aires, Université McGill, Universitat Rovira I Virgili, Tarragona, Université de Columbia, Université du Connecticut, Scuola Normale Superiore, Pise, Université de Western Ontario, Université de Toronto, Université de Harvard, Université de Calcutta, et l’Universidad Nacional De Colombia.

4. Je suis membre de l’Académie Américaine des Arts et des Sciences et de l’Académie Nationale des Sciences. En outre, je suis membre d’autres organisations professionnelles et savantes aux États-Unis et à l’étranger, j’ai reçu le prix de la contribution scientifique Distinguished Scientific Contribution Award de l’Association Américaine de Psychologie, le Kyoto Prize en sciences fondamentales, la médaille Helmholtz, le prix Dorothy Eldridge pour la paix, la médaille Benjamin Franklin en informatique et sciences cognitives, et bien d’autres prix.

5. J’ai écrit et donné de nombreuses conférences sur la linguistique, la philosophie, l’histoire intellectuelle, les questions contemporaines, les affaires internationales et la politique étrangère américaine. Mes travaux comprennent :

6. Aspects de la théorie syntaxique ; La linguistique cartésienne ; Principes de phonologie générative (avec Morris Halle) ; Le Langage et la pensée ; L’Amérique et ses nouveaux mandarins ; At War with Asia ; For Reasons of State ; Peace in the Middle East ?  ; Réflexions sur le langage ; The Political Economy of Human Rights, Vol. I and II (avec E.S. Herman) ; Rules and Representations ; Lectures on Government and Binding ; Towards a New Cold War ; Radical Priorities ; Fateful Triangle ; Knowledge of Language ; Turning the Tide ; Pirates et empereurs : le terrorisme international dans le monde actuel ; On Power and Ideology ; Language and Problems of Knowledge ; The Culture of Terrorism ; La Fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie (avec E.S. Herman) ; Necessary Illusions ; Deterring Democracy  ; L’an 501 - La conquête continue ; Rethinking Camelot : JFK, the Vietnam War and US Political Culture ; Letters from Lexington ; World Orders, Old and New ; The Minimalist Program ; Powers and Prospects ; The Common Good ; Le Profit avant l’homme ; Le Nouvel Humanisme militaire : Leçons du Kosovo ; Nouveaux horizons dans l’étude du langage et de l’esprit ; Rogue States ; A New Generation Draws the Line ; 11-9 : autopsie des terrorismes ; Understanding Power ; Hegemony or Survival ; Hopes and Prospects ; Quelle sorte de créatures sommes-nous ? Langage, connaissance et liberté ; Qui mène le monde ?

7. On m’a demandé si le travail et les actions de Julian Assange peuvent être considérés comme ’politique’, une question dont on m’informe qu’elle est d’importance dans la demande d’extradition par les États-Unis où M. Assange est poursuivi pour espionnage, pour avoir joué un rôle dans la publication d’informations que le gouvernement des États-Unis ne souhaitaient pas voire publiées.

8. J’ai déjà parlé du sujet sur lequel on me demande maintenant de faire des commentaires en lien avec M. Assange. Les paragraphes suivants constituent mon point de vue. Je confirme mon évaluation selon laquelle les opinions et les actions de M. Assange doivent être comprises en relation avec les priorités du gouvernement.

9. Un professeur en Science du Gouvernement à l’université de Harvard, l’éminent politologue libéral et conseiller du gouvernement Samuel Huntington, a observé que "les architectes du pouvoir aux États-Unis doivent créer une force qui peut être ressentie mais pas vue. Le pouvoir reste fort quand il reste dans l’obscurité. Exposé à la lumière, il commence à s’évaporer". Il a donné quelques exemples éloquents concernant la nature réelle de la guerre froide. Il a parlé de l’intervention militaire étatsunienne à l’étranger et il a fait remarquer que "vous devrez peut-être vendre l’intervention ou toute autre action militaire de manière à créer la fausse impression que c’est une Union Soviétique que vous combattez". C’est ce que les États-Unis font depuis la ’doctrine Truman’ et il existe de nombreuses illustrations de ce principe directeur.

10. Les actions de Julian Assange, qui ont été classées comme criminelles, sont des actions qui exposent le pouvoir à la lumière - des actions qui peuvent faire s’évaporer le pouvoir si la population saisit l’opportunité de devenir les citoyens indépendants d’une société libre plutôt que les sujets d’un maître qui opère en secret. C’est un choix, et il est entendu depuis longtemps que le public peut faire s’évaporer le pouvoir.

11. Le seul penseur de premier plan qui ait compris et expliqué ce fait critique est David Hume, écrivant à propos Des premiers principes de gouvernement, dans l’un des premiers ouvrages modernes de théorie politique, il y a plus de 250 ans. Sa formulation était si claire et pertinente que je me contenterai de la citer. Hume n’a trouvé "rien de plus surprenant que de voir la facilité avec laquelle le plus grand nombre est gouverné par un petit nombre et d’observer la soumission implicite avec laquelle les hommes ont résigné leurs propres sentiments et passions à ceux de leurs dirigeants. Lorsque nous nous demandons par quels moyens cette merveille advient, nous constatons que, la force étant toujours du côté des gouvernés, les gouvernants n’ont rien d’autre pour les soutenir que l’opinion. C’est donc sur la base de l’opinion seulement que le gouvernement est fondé, et cette maxime vaut pour les gouvernements les plus despotiques et les plus militaires comme pour les plus libres et les plus populaires".

12. En fait, Hume sous-estime l’efficacité de la violence, mais ses paroles sont particulièrement appropriées aux sociétés où la lutte populaire menée pendant de nombreuses années a permis de gagner un degré considérable de liberté. Dans de telles sociétés, comme la nôtre bien sûr, le pouvoir est vraiment du côté des gouvernés et les gouvernants n’ont rien d’autre pour les soutenir que l’opinion. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’industrie colossale des relations publiques est la plus grande agence de propagande de l’histoire de l’humanité, qui s’est développée et a atteint ses formes les plus sophistiquées dans les sociétés les plus libres, les États-Unis et la Grande-Bretagne. Cette institution a vu le jour il y a environ un siècle, lorsque les élites ont compris que l’on avait gagné trop de liberté pour que le public puisse être contrôlé par la force, de sorte qu’il était devenu nécessaire de contrôler les attitudes et les opinions. Les élites intellectuelles libérales l’ont également compris et c’est pourquoi elles ont insisté, pour citer quelques exemples, sur la nécessité d’abandonner "les dogmes démocratiques selon lesquels les gens sont les meilleurs juges de leurs propres intérêts". Ils ne le sont pas. Ils sont ’des ignorants et des outsiders indiscrets’ et doivent donc être ’remis à leur place’ afin de ne pas déranger les ’hommes responsables’ qui gouvernent de droit.

13. Un des moyens de contrôler la population consiste à agir en secret pour que les ignorants et les outsiders indiscrets restent à leur place, loin des leviers de pouvoir qui ne sont pas leurs affaires. C’est le principal objectif de la classification des documents. Quiconque a parcouru les archives des documents publiés a sûrement pu se rendre compte assez rapidement que ce qui est gardé secret n’a que très rarement à voir avec la sécurité, avec exception de la sécurité des dirigeants eux-mêmes contre l’ennemi domestique, à savoir leur propre population. La pratique est tellement routinière qu’il est inutile de l’illustrer. Je ne mentionnerai qu’un seul cas contemporain. Prenons les traités commerciaux internationaux, Pacifique et Atlantique, en réalité des accords investisseurs se faisant passer pour du libre-échange. Ils sont négociés en secret. Il y a une forme de ratification de style stalinien par le Parlement - oui ou non - ce qui signifie bien sûr oui, sans discussion ni de débat, ce qu’on appelle aux États-Unis "fast-track", voie rapide. Pour être précis ils ne sont pas entièrement négociés en secret. Les faits sont connus des juristes d’entreprise et des lobbyistes qui en rédigent les détails de manière à protéger les intérêts des groupes qu’ils représentent, et bien sûr ce n’est pas le public. Le public, au contraire, est un ennemi qu’il faut maintenir dans l’ignorance.

14. Le crime présumé de Julian Assange en s’efforçant de dévoiler les secrets du gouvernement est de violer les principes fondamentaux du gouvernement, de lever le voile du secret qui protège le pouvoir de l’examen et l’empêche de s’évaporer - et encore une fois, le puissant a bien conscience que le fait de soulever le voile peut provoquer l’évaporation de la puissance. Cela peut même conduire à une liberté et une démocratie authentiques si un public stimulé en vient à comprendre que la force est du côté des gouvernés et qu’elle peut être leur force dès lors qu’ils choisissent de contrôler leur propre destin.

15. Selon moi, Julian Assange, en défendant courageusement des convictions politiques que la plupart d’entre nous déclare partager, a rendu un énorme service à tous les peuples du monde qui chérissent les valeurs de liberté et de démocratie et qui exigent donc le droit de savoir ce que font leurs représentants élus. Ses actions l’ont à conduit à être poursuivi en retour de manière cruelle et intolérable.

Noam Chomsky
12 février 2020

Source : https://challengepower.info/_media/witness_statements/noam_chomsky.pdf

Traduction : Challengepower.info


EN LA VILLE DE WESTMINSTER,
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
entre
LE GOUVERNEMENT DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
contre
JULIAN PAUL ASSANGE

Julian Assange - Opinion du Professeur Paul Rogers

11 février 2020

1. Je suis professeur émérite au Département des Études sur la Paix à l’Université de Bradford et des avocats représentant Julian Assange, qui fait l’objet d’une demande d’extradition vers les États-Unis pour des motifs liés à la loi américaine sur l’espionnage de 1917 et à la loi sur les fraudes et les abus informatiques, m’ont demandé de donner mon opinion.

2. Je suis titulaire d’un BSc (Hons) et d’un doctorat de l’Université de Londres et récipiendaire des prix ARCS et DIC de l’Imperial College de Londres. J’ai donné des cours à l’Imperial College et j’ai également occupé le poste de responsable scientifique en chef au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est. J’ai été président de l’Association Britannique des Études Internationales, j’ai occupé pendant deux périodes le poste de président du Département des Études sur la Paix à l’Université de Bradford et j’ai publié 30 livres et plus de 150 articles de journaux et communications.

3. J’ai fait de la recherche et enseigné dans le domaine de la sécurité internationale pendant quarante ans et j’ai également enseigné dans les écoles supérieures de la défense du Royaume-Uni pendant 38 ans. Je suis membre honoraire de l’école supérieure interarmée du commandement Joint Services Command and Staff College (JSCSC). J’ai été examinateur externe pour les diplômes de troisième cycle dans cette école et également à l’école des hautes études de la défense Royal College of Defence Studies. J’ai donné des conférences sur la sécurité internationale au Ministère de l’Intérieur, au Ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth, au Ministère de la Défense, au Conseil des ministres, au MI5 et aux services de renseignement de la défense, ainsi qu’à des officiers supérieurs des forces spéciales britanniques.

4. Je n’ai pas, et n’ai jamais demandé, d’habilitation de sécurité gouvernementale pour mes recherches.

5. J’ai reçu des documents pertinents, notamment l’acte d’accusation et les preuves à l’appui, les rapports d’un certain nombre de témoins experts mandatés par la défense (dont le professeur Noam Chomsky, le professeur Mark Feldstein, Jameel Jaffer du Knight Institute, le professeur émérite Michael Tigar, Carey Shenkman, Andy Worthington et deux experts juridiques américains, Eric Lewis et Tom Durkin). On m’a fourni une chronologie présentant les principaux événements de la dizaine d’années d’histoire menant à l’arrestation de M. Assange en 2019, après l’arrestation et l’inculpation de sa co-accusée présumée, Sdt Manning, en 2010. On m’a également remis des documents qui donnent des exemples du travail de M. Assange lui-même et de l’organisation WikiLeaks

6. On m’a demandé mon avis sur les opinions exprimées publiquement par M. Assange en parallèle avec le compte rendu d’exemples d’un certain nombre de ses activités, qui m’ont été fournis. Ce dossier comprend des publications, des livres et une série d’articles sur un large éventail de questions, ainsi que des commentaires d’autres personnes sur les travaux et les opinions de M. Assange. Il m’a été demandé si, à la lumière de tout ce qui précède, ses opinions peuvent effectivement être qualifiées de ’politiques’ ce qui, si l’avis des experts de la défense susmentionnés est correct, pourrait lui faire courir le risque d’être poursuivi dans le cadre d’un procès à motivation politique, ces opinions étant à leur tour interprétées et/ou désapprouvées par les États-Unis, tandis que sans ce fondement (ses propres motivations et celles de l’État américain qui le poursuit), il ne serait pas poursuivi de la sorte.

7. J’ai été informé des termes de la section 81(a) et 81(b) de la loi sur l’extradition de 2003.

8. J’ai lu la partie 19 des règles de procédure pénale relative aux rapports d’expertise et je pense que mes observations sont conformes à ces règles.

Exemples d’opinions et d’actes documentés de M. Assange

Le matériel publié qui m’a été montré comprend les propositions suivantes :

A) Dans une série d’essais "La Conspiration comme mode de gouvernance", M. Assange parle du secret collaboratif induit par des régimes autoritaires au détriment d’une population, citant Le Prince de Machiavel à propos des "affaires d’État".
"En voyant venir.... les maux qui couvent sont facilement guéris. Mais lorsque, faute de cette connaissance, on les laisse se développer jusqu’à ce que tout le monde puisse les reconnaître, il n’y a plus de remède à trouver". Il exprime la conviction que la mauvaise gouvernance doit être dénoncée ; que "ceux qui restent passifs face à l’injustice voient rapidement leur caractère corrompu dans la civile obéissance. La plupart des actes d’injustice dont nous sommes témoins sont associés à une mauvaise gouvernance, car lorsque la gouvernance est bonne, il est rare que l’injustice reste sans réponse".

B) En commentant les actions de WikiLeaks et d’Assange, le professeur Yochai Benkler résume les activités de WikiLeaks avant 2010, "Une organisation qui semble avoir fonctionné comme elle se décrit elle-même ; un lieu où les documents qui font la lumière sur les puissants gouvernements ou entreprises du monde entier, ou dans le cas des courriels des climatologues, sur une question d’une énorme importance pour la population mondiale, pourraient être diffusés publiquement".
Benkler décrit WikiLeaks comme
"devant être compris dans le contexte des grandes tendances de la construction du quatrième pouvoir en réseau ; comme (d’autres) organisations axées sur la transparence, WikiLeaks est une organisation à but non lucratif dont l’objectif est de mettre en lumière des preuves documentaires directes sur le comportement du gouvernement afin que de nombreuses autres personnes, professionnelles ou non, puissent analyser les preuves et rechercher des exemples qui justifient la critique publique. Comme les presses des partis émergents, elle agit par conviction politique. Contrairement à tant d’autres projets sur le net, elle utilise une combinaison de volontaires, de présence mondiale et d’action décentralisée pour atteindre ses objectifs. WikiLeaks fait donc partie intégrante du quatrième pouvoir en réseau, au même titre que les manifestants qui tournent des vidéos dans les rues de Téhéran, de Tunis ou du Caire et les mettent en ligne, ou les blogueurs qui ont exposé l’histoire de Rather/CBS... L’organisation et les efforts déployés par WikiLeaks pour mettre au jour de véritables documents gouvernementaux internes portant sur des questions de grande importance pour le public sont essentiellement une version en réseau des Pentagon Papers ... . Une attaque contre WikiLeaks - légale ou extra-légale, technique ou commerciale, doit être évaluée de ce point de vue…"

C) Outre l’objectif de faire la lumière sur les secrets gouvernementaux, on peut considérer que le point de vue politique d’Assange s’est particulièrement concentré sur la guerre, ce qui a été démontré pendant de nombreuses années par les publications de WikiLeaks et ses commentaires publics.

i. WikiLeaks a été fondé sous l’administration Bush et nombre de ses publications ont porté sur la guerre contre le terrorisme. Par exemple, des publications en 2007 et 2008 relatives à la publication d’informations sur le fonctionnement de Guantanamo Bay,

ii. La publication en août 2008 par WikiLeaks d’un rapport militaire britannique de 2006 sur la guerre en Irak et l’opération Telic, qui déclarait que la guerre en Irak "allait à l’encontre des obligations potentielles de Genève" et que "les dirigeants ne devraient pas lancer une opération sans réfléchir... il ne suffit pas de déterminer l’état final souhaité". Au moment de la publication, M. Assange a écrit : "La combinaison du secret et de l’idéologie a été un désastre de planification qui a directement conduit à l’effondrement de la société irakienne".

iii. La publication des journaux de guerre d’Afghanistan et d’Irak en 2010. Assange, invité à s’exprimer à l’ONU à Genève lors de l’Examen Périodique Universel des États-Unis, a demandé aux États-Unis d’enquêter sur les abus présumés des troupes américaines en Afghanistan et en Irak, comme attestés par les documents publiés par WikiLeaks.

iv. Et/ou en 2016, commentant Hillary Clinton, "Elle manque de jugement et poussera les Etats-Unis dans des guerres stupides et sans fin qui répandent le terrorisme. Sa personnalité, combinée à ses mauvaises décisions politiques, a directement contribué à l’essor de l’État Islamique (ISIS)".

v. En proposant la candidature de Julian Assange au prix Nobel de la paix de 2019, la lauréate Mairead Maguire écrit  : "Julian Assange et ses collègues de WikiLeaks ont montré à de nombreuses reprises qu’ils sont l’un des derniers débouchés pour la véritable démocratie et le travail pour la liberté et la parole. Leur travail en faveur d’une paix véritable en rendant publiques les actions des gouvernements, chez eux et à l’étranger, nous a éclairés sur les atrocités commises au nom de la soi-disant démocratie dans le monde entier. Il s’agit notamment des images des actes inhumains commis par l’OTAN et l’armée, de la diffusion de courriers électroniques révélant le complot pour un changement de régime dans les pays du Moyen-Orient, et du rôle joué par nos élus pour tromper le public. Il s’agit d’une avancée considérable dans notre travail en faveur du désarmement et de la non-violence dans le monde".

vi. Et en remettant la médaille de la paix de Sydney en janvier 2012, le directeur de la Sydney Peace Foundation déclare  : "Le travail d’Assange s’inscrit dans la tradition des Tom Paine Rights of Man et des Daniel Ellsberg Pentagon Papers - qui remettent en question l’ancien ordre du pouvoir en politique et en journalisme. Assange s’est fait le champion du droit des peuples à savoir et a remis en question la tradition séculaire selon laquelle les gouvernements ont le droit de maintenir le public dans l’ignorance".

vii. Le 8 août 2011, lors du rassemblement de la coalition ’Stop the War’ à Trafalgar Square Assange a déclaré : "Nous devons former nos propres réseaux de force et de valeur commune, qui peuvent remettre en question les forces et les valeurs des va-t-en-guerre dans ce pays et dans d’autres, qui sont main dans la main pour prendre l’argent des États-Unis - de tous les pays de l’OTAN, de l’Australie -, le blanchir en Afghanistan, le blanchir en Irak, le blanchir en Somalie, le blanchir au Yémen, le blanchir au Pakistan, et laver cet argent dans le sang des gens". Il fait référence aux "informations que nous avons révélées, qui montrent la misère et la barbarie quotidiennes de la guerre, des informations telles que la mort de plus de 130 000 personnes en Irak, des morts qui ont été gardées secrètes par l’armée américaine qui a nié avoir compté les décès de civils... Je veux plutôt vous dire ce que je pense être la façon dont les guerres se déclenchent et comment elles peuvent être défaites. ...Cela devrait nous amener de la compréhension car si les guerres peuvent être déclenchées par des mensonges, la paix peut être déclenchée par la vérité".

(Les documents présentés dans le cadre des preuves de la défense dans la procédure d’extradition constituent un dossier beaucoup plus complet). Il m’a été demandé d’examiner si les brefs extraits ci-dessus sont représentatifs des opinions documentées de M. Assange, s’ils peuvent effectivement être considérés comme des points de vue (et des actes reflétant ces points de vue), qui constituent des opinions politiques.

9. Je prends note de l’avis exprimé par les experts juridiques de la défense sur la trajectoire des poursuites engagées contre M. Assange et des nombreux autres facteurs qu’ils considèrent comme suggérant fortement que ces poursuites soient engagées pour des motifs politiques. Je prends également note de l’avis des spécialistes du journalisme et du premier amendement parmi la défense, qui voient dans les attaques personnelles contre M. Assange par des membres haut placés de l’actuelle administration américaine la preuve d’une motivation politique contre M. Assange, ainsi que des cibles plus larges que sont la presse et des lanceurs d’alerte en général.

10. Mes commentaires ci-dessous s’attachent à la question distincte mais liée des manières dont le corpus des opinions et des travaux de M. Assange (dont les citations précédentes sont des exemples) représente des opinions politiques qui, si les évaluations des experts de la défense ci-dessus sont correctes, ont fait de lui le sujet d’attaques en vertu de ces mêmes opinions.

11. L’objectif politique de chercher à faire advenir plus de transparence dans le fonctionnement des gouvernements est clairement à la fois la motivation et le modus operandi du travail de M. Assange et de l’organisation WikiLeaks. Sa matérialisation, comme l’expose l’étude du professeur Benkler, a constitué une altération totale de l’accès et de la mise à disposition du public des secrets que les gouvernements souhaitent laisser inconnus de leurs populations. L’objet des accusations dont M. Assange fait actuellement l’objet comporte des exemples forts de la confrontation de ces positions, tant dans leur contenu et leur portée que dans la réaction du gouvernement. D’après les opinions exprimées par les experts de la défense, le professeur Feldstein, Jameel Jaffer et Michael Tigar, bien que la réaction de l’administration Obama au moment des publications (en partenariat avec les médias traditionnels du monde entier) ait été totalement négative et que l’on ait sérieusement envisagé de trouver un moyen de poursuivre M. Assange, elle a néanmoins été limitée par l’observation que cela impliquerait en parallèle la poursuite des médias traditionnels partenaires de WikiLeaks. La philosophie et la pratique de la divulgation des secrets du gouvernement (notamment des câbles sensibles du Département d’État ainsi que des preuves de crimes de guerre jusqu’alors inconnus) avaient provoqué la réaction du gouvernement. La nouvelle administration Trump en 2017 a cependant exprimé une hostilité ouverte envers M. Assange et une détermination à réexaminer la possibilité de le poursuivre, le décrivant comme "essayant de voler des secrets américains dans le seul but de saper les États-Unis et la démocratie". La chronologie de la progression ultérieure des poursuites engagées à l’encontre de M. Assange suggère qu’elle est parallèle à l’expression ouverte de l’hostilité du président Trump à l’égard de la presse en général en tant qu’ennemie, et au fait que les informations exactes sont considérées comme des "fausses nouvelles" et les lanceurs d’alerte comme des "traîtres", ce qui élargit le fossé entre la couverture par la presse des actions de l’État et le désir du gouvernement de préserver les secrets.

12. Ainsi, les opinions et les points de vue de M. Assange, démontrés par ses paroles et ses actions avec l’organisation WikiLeaks pendant de nombreuses années, peuvent être considérés comme le plaçant très clairement en conflit avec la philosophie de l’administration Trump.

13. Je commente les preuves de l’évolution particulière des attitudes au sein de la politique américaine au cours des deux dernières décennies, qui peuvent être considérées comme étroitement liées à la vision actuelle de Julian Assange par l’administration Trump comme ennemi politique et à l’hostilité générale face à la découverte et à la publication de secrets gouvernementaux, en particulier ceux qui impliquent les crimes et malversations du gouvernement.

14. Compte tenu de l’objet des accusations dont il fait maintenant l’objet, je prends note de différents aspects, dont la détention de prisonniers à Guantanamo, la publication d’une vidéo constituant un crime de guerre, décrite lors de sa publication comme "Collateral Murder", et la publication de câbles diplomatiques du Département d’État américain. La publication de ces informations, censées être secrètes, présenterait et a clairement présenté un conflit entre la philosophie et les actions de ceux qui ont révélé ces secrets et la philosophie et les actions de ceux qui ont tenté de les préserver et dont la réaction comprenait la possibilité de poursuivre ceux qui avaient fait ces révélations.

15. Afin de mettre l’accent sur la nature de ces deux positions opposées, je propose ici une analyse des implications de deux des catégories de publications - celles en rapport avec les actions militaires américaines en Afghanistan et en Irak.

16. Depuis les attentats du 11 septembre, l’opposition aux politiques de sécurité américaines a été une question politique majeure pour les États-Unis eux-mêmes, et les circonstances avant et depuis les attentats font que des individus comme Assange qui se sont opposés à ces guerres ont été considérés avec beaucoup plus de force comme des ennemis politiques. La demande d’extradition doit être considérée en partie sous cet angle, en prenant en compte la motivation politique d’Assange pour la transparence en générale, mais avec les questions militaires liées à ces conflits comme aspects essentiels. En outre, l’attitude de l’administration Trump est particulièrement antagoniste, comme elle l’était également pendant les deux mandats du président George W Bush.

17. L’attitude des États-Unis est née de deux éléments, l’environnement politique dans les mois précédant le 11 septembre et la gravité et le choc des massacres eux-mêmes. Avant les attentats, l’élection du président George W. Bush en novembre 2000 a donné lieu à une combinaison inhabituellement forte de néoconservatisme et de réalisme sûr-de-soi qui a dominé la sécurité et la politique étrangère. Le Projet pour le Nouveau Siècle Américain, en particulier, a joué un rôle important dans la mise en scène du récit politique. Comme l’indique sa déclaration de principes (3 juin 1997) :

Alors que le XXe siècle touche à sa fin, les États-Unis sont la puissance prééminente du monde. Après avoir mené l’Occident à la victoire pendant la guerre froide, l’Amérique est confrontée à une opportunité et à un défi : Les États-Unis ont-ils la vision nécessaire pour s’appuyer sur les réalisations des décennies passées ? Les États-Unis ont-ils la volonté de façonner un nouveau siècle favorable aux principes et aux intérêts américains ?

18. Les attaques du 11 septembre elles-mêmes ont eu un impact viscéral fort sur l’environnement politique américain, étant donné cette perspective de domination, étant bien pire que Pearl Harbour en décembre 1941 et assurant une réponse militaire très forte avec la confiance des dirigeants politiques de rencontrer peu d’opposition intérieure.

19. Ainsi, la fin du régime des Talibans à Kaboul semblait être entièrement réalisée en moins de trois mois au début du mois de décembre 2001, et le régime de Saddam Hussein en Irak a été terminé en trois semaines en mars-avril 2003. Tout au long de la décennie suivante, mais surtout sous l’administration Bush, la position du gouvernement a été celle d’un succès militaire, et c’est ce qui a caractérisé l’attitude des médias américains.

20. En réalité, la situation en matière de sécurité était beaucoup plus complexe, avec des problèmes majeurs évoluant dès le départ mais constamment dissimulés. Deux exemples de position officielle et de réalité sont intéressants à examiner ici dans le contexte de cette plus grande transparence née en grande partie du projet Wikileaks à la fin de la décennie.

Afghanistan

21. Après la fin rapide du régime à Kaboul, le président Bush a pu prononcer un Discours sur l’état de l’Union très positif devant les Chambres du Congrès en janvier 2002. Dans ce discours, il a largement étendu la guerre contre le terrorisme pour y inclure un "axe du mal" :

"Des États comme ceux-ci, et leurs alliés terroristes, constituent un axe du mal, s’armant pour menacer la paix du monde. En recherchant des armes de destruction massive, ces régimes représentent une menace grave et un danger croissant. Ils pourraient fournir ces armes aux terroristes leur donnant les moyens d’égaler leur haine. Ils pourraient attaquer nos alliés ou menacer de faire chanter les États-Unis. Dans tous ces cas, le prix de l’indifférence serait catastrophique."

et :

"Nous serons délibérés, mais le temps n’est pas de notre côté. Je ne vais pas attendre après les événements, alors que les dangers s’accumulent. Je ne resterai pas les bras croisés, alors que les dangers se rapprochent de plus en plus. Les États-Unis d’Amérique ne permettront pas aux régimes les plus dangereux du monde de nous menacer avec les armes les plus dangereuses du monde". www.whitehouse.gov/stateoftheunion2002/

22. Il a développé cette position dans son Discours de Remise des diplômes à l’Académie militaire de West Point, quatre mois plus tard, notable pour son explication plus détaillée du problème et de la réponse requise.

"Dans le passé, les ennemis avaient besoin de grandes armées et de grandes capacités industrielles pour mettre en danger le peuple américain et notre nation. Les attentats du 11 septembre n’ont nécessité que quelques centaines de milliers de dollars entre les mains de quelques dizaines d’hommes malfaisants et illusionnés. Tout le chaos et les souffrances qu’ils ont causés ont coûté moins que le prix d’un seul char. Les dangers ne sont pas passés. Ce gouvernement et le peuple américain sont aux aguets, nous sommes prêts, parce que nous savons que les terroristes ont plus d’argent, plus d’hommes et plus de plans".

Et :
"...la guerre contre le terrorisme ne sera pas gagnée sur la défensive. Nous devons mener la bataille contre l’ennemi, perturber ses plans et affronter les pires menaces avant qu’elles n’apparaissent. Dans le monde dans lequel nous sommes entrés, la seule voie vers la sécurité est celle de l’action. Et cette nation agira" www.whitehouse/gov/news/releases/2002/06/20020601-3.html

23. En réalité, la victoire présumée en Afghanistan se transformait déjà en une amère rébellion qui a duré jusqu’à présent plus de 18 ans. En effet, même entre le moment du Discours sur l’État de l’Union et celui de la remise des diplômes à West Point, l’armée américaine connaissait de sérieux revers, même si ceux-ci n’étaient guère couverts par la presse écrite et audiovisuelle américaine. Une rare exception a été la couverture de l’opération Anaconda contre les Talibans et Al-Qaida près de Gardez dans l’est de l’Afghanistan, à propos de laquelle le Washington Post (6 mars 2002) relatait un résultat inattendu :

"Samedi, une première avancée des forces spéciales afghanes et américaines, destinée à débusquer les combattants présumés d’Al-Qaïda dans la ville de Sirkanel, a été contrecarrée par les tirs ennemis qui ont immobilisé les troupes de la coalition pendant des heures. Les éléments de la 10e Division de Montagne auraient également été arrêtés dans leur élan samedi lors d’une bataille de 12 heures à l’extérieur de la ville de Marzak. Des obus de mortier et des grenades propulsées par fusée ont atterri à moins de 15 mètres de leur position, et 13 soldats américains ont été blessés."

24. Au fur et à mesure de l’évolution du conflit, les capacités américaines ont dû être renforcées par cinq hélicoptères d’attaque Cobra et deux hélicoptères de transport UH-53 venus d’un navire de soutien amphibie, le Bon Homme Richard, dans la mer d’Arabie.

25. Jusqu’à l’époque des révélations de Wikileaks, le gouvernement américain a entretenu une fiction de succès en Afghanistan, le manque flagrant de transparence militant constamment contre un discours politique éclairé et la reconnaissance des coûts humains graves à long terme du conflit.

Irak

26. Cela vaut encore plus pour l’Irak, où la fin présumée du régime en trois semaines en mars/avril 2003 a été suivie dans les trois semaines suivantes par le discours du président Bush du 1er mai intitulé ’Mission accomplie’, prononcé depuis le pont d’envol du porte-avions USS Abraham Lincoln, commençant par une affirmation confiante et non contestée :

"L’amiral Kelly, le capitaine Card, les officiers et les marins du USS Abraham Lincoln, et mes compatriotes américains. Les grandes opérations de combat en Irak sont terminées. Dans la bataille d’Irak, les États-Unis et nos alliés ont gagné. Et maintenant, notre coalition est engagée dans la sécurisation et la reconstruction de ce pays". https://www.cbsnews.com/news/text-of-bush-speech-01-05-2003/)

27. Une fois de plus, ce fut un excès d’optimisme, avec en réalité une opposition violente qui se développait et une augmentation rapide du nombre de victimes civiles, alors même que les troupes américaines se déplaçaient pour occuper Bagdad. Le 6 avril, avant même le discours de Bush, l’International Herald Tribune a rapporté un incident impliquant une patrouille de marines américains :

"Pris entre deux feux, selon un récit effrayant d’un journaliste de l’Associated Press, un certain nombre de piétons, dont un vieil homme avec une canne, avaient l’air désorienté. Lorsqu’il n’a pas tenu compte de trois coups de semonce des Marines, ceux-ci l’ont tué. Une camionnette rouge et un taxi orange et blanc ont également été criblés de balles après qu’ils n’aient pas tenu compte des tirs d’avertissement". (International Herald Tribune 7 avril 2003)

28. Plus révélateur encore, un an plus tard, fut le reportage de l’une des journalistes de guerre américaines les plus expérimentées, Pamela Constable, intégrée à une unité du Marine Corp à l’extérieur de la ville de Fallujah. Suite à une embuscade d’une patrouille de Marines qui a compté des blessés mais pas de morts, Constable a rapporté que :

"Juste avant l’aube, mercredi... les avions d’attaque AC-130 ont lancé un raid punitif dévastateur sur une zone de six blocs autour de l’endroit où le convoi a été attaqué, tirant des dizaines d’obus d’artillerie qui ont secoué la ville et illuminé le ciel. Les responsables de la marine ont déclaré que la zone avait été virtuellement détruite et qu’aucune autre insurrection n’y avait été observée". (Washington Post, 15 avril 2004.)

29. Notez qu’il s’agissait d’un "raid punitif" soudain qui a détruit un quartier de la ville, bien loin d’une victoire convaincante dans un conflit qui dure maintenant depuis dix-sept ans et qui a tué, selon le dernier décompte, 288 000 personnes dont au moins 185 000 civils. (https://www.iraqbodycount.org/, 11 février 2020).

30. Il est de notoriété publique que la grande quantité de données relatives à l’Irak révélées par les publications de WikiLeaks qui font l’objet de cet acte d’accusation a permis, pour la première fois, d’évaluer correctement le nombre de civils tués dans le conflit irakien. Toute véritable évaluation des affirmations du gouvernement avait été impossible avant que ces données ne soient révélées. Je suis conscient que les publications de WikiLeaks ont joué un rôle dans la fin officielle de l’engagement militaire américain en Irak, en mettant en lumière de manière irréfutable des actes criminels commis par l’armée américaine qui avaient été délibérément dissimulés.

31. Les trois rapports historiques des grands médias que je cite ci-dessus concernant l’Afghanistan et l’Irak étaient les rares à donner un compte rendu radicalement différent de la vision du gouvernement américain sur les guerres supposées réussies, une présentation trompeuse qui persiste depuis près de deux décennies. C’est au cours de la première décennie qu’elle a été la plus soutenue et a beaucoup contribué à limiter le débat et la responsabilité, la grande majorité de la couverture médiatique aux États-Unis ayant toujours été plus positive à l’égard de la conduite des guerres. Le changement dans la connaissance du public n’a été possible essentiellement que grâce aux révélations non autorisées, pour lesquelles les lanceurs d’alerte et les publications, comme les "révélations de Manning", ont joué un rôle exceptionnellement important.

32. Étant donné les positions totalement contradictoires au sujet de la transparence des actions des gouvernements, en particulier en ce qui concerne la conduite de la guerre dans laquelle le gouvernement revendique le secret pour des raisons de sécurité nationale, le danger d’une poursuite pour des motifs politiques contre ceux qui révèlent ces secrets est très clairement présent. Dans le cas de M. Assange, les déclarations très publiques de hauts fonctionnaires de l’actuelle administration américaine, contenues dans les preuves de la défense produites devant la Cour dans cette procédure, démontrent l’état d’esprit de l’administration actuelle envers M. Assange, qui a abouti à une décision, différente de celle de l’administration précédente, de le poursuivre.

33. Pendant la présidence Obama, les problèmes étaient mieux reconnus et la pression exercée sur ceux qui présentaient des preuves contradictoires était moindre, mais depuis l’élection du président Trump, il y a eu un vigoureux dénigrement de l’ère Obama, un retour à la vision de l’administration Bush et une opposition encore plus âpre à ceux qui sont perçus comme des dissidents, notamment ceux impliqué dans la communication d’informations malvenues comme M. Assange.

Opinion

34. À mon avis, les opinions exprimées, les avis et les activités de M. Assange démontrent très clairement des ’opinions politiques’. La confrontation de ces opinions avec celles des administrations américaines successives, mais en particulier avec l’administration actuelle qui a décidé de le poursuivre pour des publications faites il y a près de dix ans, suggère qu’il est considéré avant tout comme un opposant politique qui doit subir toute la colère du gouvernement, avec même des suggestions de châtiment par la mort formulées par de hauts fonctionnaires, dont le président actuel.

Paul Rogers
12 février 2020

Source : https://defend.wikileaks.org/wp-content/uploads/2020/09/Statement-of-Professor-Paul-Rogers.pdf
Traduction : Challengepower.info



10/03/2020

Modern Detective


The Modern Detective: Inside the Secret World of Private Investigators

Corporate intelligence is reshaping the world. One private detective surveys the shifting terrain.

Intersection of Poetry and Psychoanalysis in Paul Celan


Storytellers Use Math



How Storytellers Use Math (Without Scaring People Away)

Dan Rockmore on Infinite Powers and The Weil Conjectures

Our current pandemic is not a first excursion into remote learning. Many may know of the origins story of calculus, born over Isaac Newton’s retreat to the countryside from Cambridge University during The Great Plague of London in the 17th century. This, as well as the broader history and wide applicability of mathematics’ successful wrestling match with the subtleties of infinity, is the subject of Infinite Powers by well-known math popularizer Steven Strogatz. Lesser known is the story of mathematician André Weil’s breakthroughs in understanding prime numbers while interned in a French military prison camp in 1939, a piece of Karen Olsson’s The Weil Conjecture, an elliptical tale that interweaves and integrates mathematics and memoir. These books share the quality of illuminating deep mathematical ideas for the broader public, but by very different paths. One is  unashamedly instructive and hinged on the promise of revelation of a deep idea that is surprisingly central to our everyday lives, while the other the revelation of a life through an elliptical and personal rediscovery of a deep idea. One is a tale of how mathematics has changed all of our lives, the other a tale of how mathematics changed one life. You’ll learn a lot from both of them—about math and other things too.

*

Writing about mathematics presents some special challenges. All science writing generally amounts to explaining something that most people don’t understand in terms that they do. The farther the science is from daily experience, the tougher the task. When it comes to mathematics, its “objects” of study are hardly objects at all. In his famously heartfelt if somewhat dour memoir A Mathematician’s Apology, the mathematician G. H. Hardy describes mathematicians as “makers of patterns.” While all sciences depend on the ability to articulate patterns, the difference in mathematics is that often it is in the pattern in the patterns, divorced from any context at all, that are in fact the subject.

None other than Winston Churchill was able to tell us how it feels to have tower of mathematical babble transformed to a stairway to understanding: “I had a feeling once about Mathematics—that I saw it all. Depth beyond depth was revealed to me—the Byss and Abyss. I saw—as one might see the transit of Venus or even the Lord Mayor’s Show—a quantity passing through infinity and changing its sign from plus to minus. I saw exactly why it happened and why the tergiversation was inevitable, but it was after dinner and I let it go.” Let’s assume it wasn’t just the whiskey talking.

*

There is an art to being a good tour guide of the depths of mathematics. Subject matter is key; infinity is fertile ground for both appreciating and explaining some mathematics. That’s the conceit of Steve Strogatz’s new book Infinite Powers (Houghton Mifflin Harcourt). Seeing the infinite in the quotidian has been not only the source of great poetry and literature and philosophical debate, it has also been the source of one of the great mathematical discoveries/inventions/creations of humankind: the calculus, of which he writes, “If anything deserves to be called the secret of the universe, calculus is it.” He wants you to appreciate calculus as an achievement that came from the willingness to imagine the infinite, wrestle with it, and ultimately tame it. The key to this is something that Strogatz calls “The Infinity Principle”—a problem-solving technique of seeing infinity in the everyday and then either dividing things into an infinity of infinitesimals or adding them all up—that is the reason that calculus has enabled so many mathematical and scientific discoveries.

That much of mathematics largely proceeds without the real world in mind is the real mystery to many people.

Poor finite creatures that we are, we don’t have much direct experience with infinity. Some of the early attempts to consider infinity in terms that we do understand, most famously by the philosopher Zeno, caused more confusion than clarity: “How can I get from here to there if no matter where I am I need to go half the distance first?” Fortunately, others brought some less fuzzy thinking to the problem, even in early days. Archimedes was among those who attempted to make mathematics of this in the Platonic context of finding areas of curved figures by adding up an infinity of infinitely thin rectangles. We get closer to language of the everyday when we revisit the Infinity Principle as an approach to the understanding of change in time. Newton’s laws of motion are written as the cause and effect of infinitesimal change (so-called “differential equations”) in the position and velocity of objects, and the implications of these laws require the adding up of an infinity of such infinitesimal changes (integration). The “mystery of curves, the mystery of motion, and the mystery of change,” Strogatz calls them, and with the last two of these we’re on ground where we’re speaking the same language.

Strogatz is a terrific storyteller and patient teacher. Examples and illustrations are drawn from the everyday—including one that is actually about the length of the day as it varies over the year. Packing overhead bins, Usain Bolt dashing down the track, and even cinnamon raisin bread make illuminating appearances. That said, Strogatz doesn’t shy from the use of an equation or two—or a few more—“How could we visit a gallery without seeing its masterpieces?” he asks. Let’s just say that there are a few places where one might pay a little more or a little less attention depending on the background. But let’s be honest, that’s true of a lot of great books, even some that aren’t about science. Ulysses, anyone?

The inclusion of equations is an interesting stylistic choice and is even something of a gamble from a marketing point of view. Reportedly, Stephen Hawking was told that for every equation he included in A Brief History of Time he would cut his audience in half. He included one and it sold over 10 million copies (if only he had listened). But Strogatz doesn’t just want to tell you about mathematics, he wants to give you a little taste of doing mathematics, and maybe even cure a bad memory or two from high school or college. He’ll help you sum an infinite series or two and even—maybe without you knowing it—show you how to compute an integral. Natural teachers can’t help but want to teach and great teachers can’t help but teach well. It’s not showboating.

Equations in popular science weren’t always taboo. In 1939 Lance Hogben published Mathematics for the Millions, titled not because it had a target audience of prospective bankers, but rather from its origin tale. Hogben—an unrepentant socialist—was persuaded to write it by “A few friends from the among the million or so intelligent people who have been frightened by mathematics while at school.” Mathematics for the Millions was written with the “conviction that the study of mathematics could be made exciting to ordinary people.” The book is full of equations and even exercises—yes, there is homework—but tempered with historical asides, including philosophical and social commentary. Writing against the backdrop of a looming World War, he unashamedly makes the case for the necessity of a “democratization of mathematics as a decisive step in the advance of civilization.” (One can only wonder if a little math might help address today’s barbarism too.) Of course there are applications: a favorite of mine is Chapter 4, “Euclid without Tears or What Can you do with Geometry.”

Historical anecdotes are a favorite scaffold for popular mathematics (and are now commonplace in textbooks too). Among the many in Infinite Powers, the story of Newton’s discovery of calculus is beautifully retold. Newton loved to calculate! It’s always worth seeing that even geniuses put the time in to do homework. Strogatz’s Infinity Principle does some heavy lifting, but with a light touch, as he explains how Newton used it in concert with his famous Laws of Motion to deduce the elliptical orbit of the planets around the Sun, “Instead of inching the planet forward instant by instant in his mind, he used calculus to thrust it forward by leaps and bounds, as if by magic.” Fast forward a few centuries, and we learn how Katherine Johnson put these ideas to work in the early days of NASA, a story now made famous in the movie (and book) Hidden Figures.

One of the most attractive features of Infinite Powers is that its story of calculus doesn’t end with Newton or even NASA. Some mathematicians might object, but Strogatz has a big-tent view of the subject, seeing it anywhere that the Infinity Principle is at play. “To be an applied mathematician is to be outward looking and intellectually promiscuous. To those in my field, math is not a pristine, hermetically sealed world of theorems and proofs echoing back on themselves. We embrace all kinds of subjects: philosophy, politics, science, history, medicine, all of it. That’s the story I want to tell—the world according to calculus.” He clearly has the “Why should I care?” questioner in mind. and his story of “heroic math” in the discovery of the cocktail approach to treating AIDS is a fascinating and illuminating response to even the most cynical. This is just one of many. Even Churchill would be happy: calculus actually does connect the observing of the Transit of Venus (planetary motion and dynamics) to hearing the marching music accompanying the Lord Mayor’s Show (the mathematics of Fourier analysis).

Luckily—or for some people, mysteriously—mathematics has this great relevance to the real world, sometimes in spite of itself.

This “utility proposition” is the one frequently trotted out as the answer to “why should I care about this abstract math?” It’s not only students who hear it; I can promise you that every budget season, the government gets it too. But the real world is a big part of Infinite Powers. The explication of natural phenomena—and with that, the potential as well as reality of exploiting that understanding in terms of product development and even social good makes for a fertile expository wormhole for many a mathematics writer. It gets you quickly to things we do understand—or at least recognize. The ability of mathematics to provide a language that enables useful and predictive descriptions of the world has famously been summarized by Nobel Laureate Eugene Wigner as the “the unreasonable effectiveness of mathematics.”

For Wigner the mathematics of symmetry turned out to be crucial to understanding atomic structure and quantum mechanics—and led to his Nobel Prize. What might be considered unreasonable about it is that the mathematics upon which it was founded wasn’t actually invented with anything about the world in mind. Rather it was created—at least in the beginning—to study a purely internal problem, that of a notion of relatedness among the solutions of equations, which, unreasonably, shares a good deal with a rigorous characterization of the colloquial way in which we think of a human being as right-left “symmetric” or a circle as an object of symmetry. Polynomials, people, and subatomic particles are unified by a pattern of patterns. This is a through-line of mathematics history:

Luckily—or for some people, mysteriously—mathematics has this great relevance to the real world, sometimes in spite of itself. That is, mathematicians don’t always have the solving of the world’s—or science’s—problems in mind when they are doing their work, but lo and behold, surprisingly frequently, ideas borne of aesthetics or intellectual play appear deux ex machina to rescue a theory or enable an invention.

That much of mathematics largely proceeds without the real world in mind is the real mystery to many people. Strogatz tells us, “It can’t just be a trick of circular reasoning. It’s not that we’re stuffing things back into calculus that we already know, and calculus is handing them back to us; calculus tells us things we’ve never seen, never could see, and never will see. In some cases it tells us about things that never existed but could—if only we had the wit to conjure them.” By bringing infinity down to earth (a “quantity passing through infinity”?) and coupling those stories with some periodic excursions back out to the stars, Infinite Powers does a marvelous job of bringing calculus to life. Many of the stories and intuitions will stay with you even after dinner. Whiskey be damned.

*

Very different is Karen Olsson’s The Weil Conjectures (FSG). Whereas Infinite Powers follows a more or less linear historical arc, dotted with teachable moments and real world application, Olsson’s book is fugue-like in structure and feel as it interweaves fragments of mathematical history and ideas with a personal story of creative struggle and process, as she tries to triangulate a love of mathematics and a love of words. All of this is hung on a spine of the story of the Weil siblings, Simone—the famed tragic and saintly feminist—and her brother André, one of the great number theorists of the 20th century. Early on in the book Olsson gives the reader a nice preview of what to expect, both in language and content, “If this were a fable, I might begin: Once there were a brother and sister who devoted themselves to the search for truth. A brother who spent his long life solving problems. A sister who died before she could solve the problem of life.”

What we are given is a beautiful and dreamy reconstruction of the Weils’ joined and separate lives, grounded in the facts and quotations of journals, memoirs, and especially, Simone Weil’s well-known copious and dense writings. But, for those in the know, the title of Olsson’s book is also a play on words. Conjectures in the world of mathematics are public and usually very precise guesses about mathematical truths. They are theorems waiting to be proved—or at least that’s what the person posing one thinks. Think, really interesting homework problem that might have a typo. The mathematical Weil Conjectures were posed by André Weil in 1939 and the efforts to prove them—ultimately successful—generated many generations of beautiful mathematics. They concern the mathematics when your number system is finite. The most familiar example of this is the binary arithmetic of computers and digital technology. A zero and one make up their own consistent mathematical world, but similar things happen as long as you work in a number system with a prime number’s worth of numbers.

The mathematical Weil Conjectures make their appearance late in the book. Until then the mathematics moves in and out of the narrative. These take the form of poetic short stories and tangents. They contribute to the tale of the Weils and also to the tale of the teller as she loves, loses, and then returns to mathematics later in life, something of a search for a personal truth and a reconciliation of seemingly divergent creative paths and aspirations. Eventually we learn that the Weil Conjectures embody a proposed connection between the squishy world of shapes that is topology and discrete collections of solutions to equations. Olsson’s goal—or achievement—in her book is not that the mathematical conjecture or ideas are precisely stated, but rather that something of the feeling of doing mathematics and thinking mathematically is communicated. “Think of an ordinary curve, a looping line drawn on a sheet of paper, as a subset of all possible points on the paper. Now generalize the idea to other spaces, other dimensions: conceptual ripples in conceptual dark seas. Think of families of curves and of ways to bundle them together.” Yes, just think of those things. “During the lull between waking and willing, the haphazard miracles of the liminal mind.” Whispers of Churchill.

Among the great pleasures of The Weil Conjectures is its sprinklings of unearthed jewel-like epigrams about mathematics and mathematicians. We learn that Simone Weil wrote, “A mathematician is so rare an animal that he deserves to be preserved, be it only on the score of curiosity.” Olsson grants access to the mind of the mathematician, or rather minds of mathematicians. Creative spirits that choose—or perhaps are compelled—to express their creativity, rare as it may be, in a certain context. For all her poetic protestations to the contrary, Olsson’s is such a mind. She just chose—or was compelled—to do something slightly different with it. We’re all the beneficiaries. Something of a fable, as she takes us from abyss to byss. Tergiversation accomplished.

Dan Rockmore
Dan Rockmore
Dan Rockmore is the William H. Neukom 1964 Distinguished Professor of Computational Science, Associate Dean for the Sciences at Dartmouth College, and an External Professor at the Santa Fe Institute. In addition to his technical work he is the co-producer of four documentaries and his writing for the general public has appeared in The New Yorker, Slate, and the Atlantic. His most recent books are two edited volumes, What are the Arts and Sciences? A Guide for the Curious (UPNE), and Law as Data: Computation, Text, and the Future of Legal Analysis (Santa Fe Institute Press), co-edited with Professor Michael Livermore of the UVA School of Law.