6/16/2020

Avenance (Ereignis)

Apports à la philosophie : De l'avenance

Apports à la Philosophie (De l'avenance)
Auteur Martin Heidegger
Pays Drapeau de l'Allemagne Allemagne
Genre Essai philosophique
Version originale
Langue Allemand
Titre Beiträge zur Philosophie (Vom Ereignis)
Éditeur Vittorio Klostermann
Lieu de parution Frankfurt am Main
Date de parution 1989
Version française
Traducteur François Fédier
Éditeur Gallimard
Date de parution Octobre 2013
ISBN 978-2-07-014057-2

Apports à la philosophie : De l'avenance (en allemand, Beiträge zur Philosophie (Vom Ereignis), numéro 65 de la « Gesamtausgabe ») est un ouvrage considéré avec Être et Temps comme l'un des deux livres majeurs du philosophe Martin HeideggerN 1. Paru en Allemagne en 1989, il avait été composé et scellé avec d'autres, dénommés globalement les « Traités impubliés »N 2, dans les années 1936-1940 pour être, selon la volonté expresse de leur auteur, livrés au public seulement 50 ans après leur compositionN 3.

La traduction française, réalisée par François Fédier, est publiée avec retard en octobre 2013, chez Gallimard sous le titre Apports à la Philosophie (De l'avenance)  ; elle ne fait pas l'unanimité (voir plus bas "Polémiques"). La version anglaise est disponible sous le titre Contributions to Philosophy (From Enowning) depuis 2000, la version espagnole sous le titre Aportes a la Filosofía depuis 2003.

L'historique et les principales articulations

Les Beitrage qui inaugurent la série, avec quatre autres traités (Méditation, Sur le commencement, L'Ereignis, Les Passerelles du commencement), frayent ensemble la voie d'une pensée vers un nouveau commencement 1. Avec ces ouvrages « retenus » (cachés) une cinquantaine d'années, c'est sous un jour entièrement neuf que se montrent, avec leur publication, les livres et conférences qui ont suivi. Après leur publication tardive en 1989, les Beitrage se révèlent, en effet, être la source occultée de maintes publications ultérieures à commencer par la Lettre sur l'humanisme de 1946-47 et L'Origine de l'œuvre d'art. On peut en dire autant des cours dits historiaux, (Anaximandre, Héraclite, Parménide, Platon, Aristote, Hölderlinetc.) qui trouvent, selon Christian Sommer 2 leur « clé interprétative » dans ce texte et notamment dans la deuxième fugue : (Ce qui vient se jouer, das Zuspiel).

L'ouvrage abandonne le mode classique de présentation des essaisN 4,N 5. Il commence par un Vorblick, « un coup d’œil général et anticipateur, destiné à plonger immédiatement un regard au cœur de ce qui est » (Einblick in das, was ist), selon une des expressions favorites du philosophe des Conférences de Brême, (das Ding, das Ge-stell, die Gefahr, et die Kehre). Heidegger a rédigé le Vorblick ou « regard d'ensemble », ainsi que les six parties principales dans les années 1936-1937. Après ce coup d’œil préalable, le livre se déploie en 281 paragraphes, regroupés en une sextuple « fugue » ou nervures qui ambitionne d'exposer, pour la première fois dans l'histoire de la philosophie, selon l'expression de Gérard Guest : « les tours, accidents et tournures de l'Ereignis »3. Gérard Guest pense que le plan éclaté du livre, en forme de fugues musicales, de morceaux de longueurs inégales, vise à donner une idée sensible de l'« éploiement » de cet Ereignis ou « événement » de l' Être4,N 6. « Ce qu'il s'agit de faire apparaître à travers l'ajointement de ces six fugues , c'est leur unité, dans la mesure où elles disent le « Même », ce qui explique les nombreuses répétitions des mêmes thématiques, lesquelles sont abordées à chaque fois à partir d'un autre domaine de ce qui est nommé ici Ereignis » écrit Françoise Dastur5. En effet, dans cet ouvrage, comme le souligne Gérard Guest la partie la plus importante est le sous-titre Vom Ereignis que l'on doit entendre, dans les trois tournures : « comme de l’Ereignis », « dans l’Ereignis », « à partir de l’Ereignis » .

Une dernière partie intitulée l' « Estre », rédigée en 1938, a été placée par l'éditeur en fin de volume. L'ouvrage termine par une postface de Friedrich-Wilhelm Von Hermann ainsi que des notes par François Fédier sur les difficultés de la traduction, dont Étienne Pinat6, a fait un important commentaire critique en ligne.

De quoi est-il question dans l’Ereignis ou (Avenance)?

Dans l'esprit d'Heidegger, cet ouvrage correspondrait, à quelque chose qui serait une avancée vers un « autre commencement » de la pensée rapporte Françoise Dastur7. Dans tous ses travaux antérieurs, y compris avec Être et Temps, il s'agissait pour le philosophe allemand de remonter aux sources de la Métaphysique ; avec les Beiträge, on passerait à autre chose, que Heidegger appelle l'Ereignis, le plus souvent interprété comme l'événement du surgissement de l' Être, « L'Ereignis est certes le Seyn, ( l' Être) mais non pas comme être déterminé (ou même indéterminé), mais comme principe de la «  Wesung », déploiement de son être, qui n'est autre que principe de la phénoménalisation du Seyn » écrit Alexander Schnell8,N 7.

Entre le titre de Beiträge zur Philosophie et le sous-titre (Vom Ereignis) c'est-à-dire « de l’événement » ou « à partir de l’événement », c'est plutôt pour Gérard Guest9 et pour Françoise Dastur10, le sous-titre qui l'emporte en importanceN 8. Le terme d' Ereignis serait selon Françoise Dastur11, « le nom le plus propre du rapport entre l' Être et l'homme car il ne fait pas de l' Être un objet »N 9.

Avenance est le terme, très controversé, choisi par François Fédier pour traduire l'allemand Ereignis. Il s'agissait de tenir ensemble les idées d'« événementialité » et d'« appropriement » dans laquelle il est possible d'entendre : par où quoi que ce soit devient proprement ce qu'il est12. Par ailleurs Heidegger entendrait dans la racine de Das Ereignis, selon François Fédier, « cela qui fait voir en nous amenant à ouvrir les yeux » autrement dit « ce qui arrive » où l'on retrouve l'idée d'événement. Ce dont il s'agit, plutôt que d'une traduction littérale, de trouver dans la langue d'accueil une expression rassemblant la diversité des sens compris dans la langue originelle. « Proposer avenance c'est dans notre langue saluer ce que ne cesse de faire l'Être : venir jusqu'à nous comme ce qui nous regarde comme rien d'autre ne nous regarde » résume François Fédier13.

Il arrive à Heidegger de remplacer Ereignis par l'expression, « il y a être » Es gibt Sein , par quoi il viserait l'événement d'une pure donation14. L' Être donnerait l'étant et se retirerait au profit du « donné ». L’Ereignis resterait caché derrière le voilement inhérent à « l'être-là » comme « être-au-monde ». Mais parce que l’Ereignis n'est jamais donné au regard, alors que dans l'ombre, il met tout en chemin, permet l'envoi de toute présence dans l'histoire et pourtant se soustrait lui-même, il est aussi Enteignis ce qui ayant accordé ensemble «temps et être » se déproprie (se détache) de lui-même au profit de ses envois, devenant l’Insaisissable selon le résumé qu'en donne Marlène Zarader15,

Si l'on suit Gerard Guest16 le mot Ereignis qu'Heidegger lui-même qualifiait d'intraduisible, doit être entendu, en raison de son étymologie complexe, selon une triple direction de sens à savoir : un premier sens d'événement qui est constamment présupposé dans l'entente immédiate d'Ereignis, un deuxième sens d'ajointement ou d'« appropriement » de l'être humain à l'Être et réciproquementN 10, un troisième sens quasiment topologique que l'on retrouve dans toute une série d'expressions : le de l'être-là, l' aîtrée de l'être, l'ouvert, l'éclaircie, la maison de l' ÊtreN 11,N 12

Demeuré l'« impensé » de la Métaphysique, il s'agit, avec l’Ereignis, de penser l' Être comme tel, ou « Estre », selon la graphie de Gérard Guest et de François Fédier ou encore en vieil allemand, Seyn , dans, et à partir de l’« événement » lui-même dans sa « dispensation » singulièrement mouvementée17. Pour aller plus loin, ce qu'il y a de difficile c'est de se placer face à l’Ereignis comme devant un objet qui se déplace ou se métamorphose et que nous ne dominerions, car nous lui appartenons, nous y sommes plongés, et son histoire, si histoire il y a, est aussi notre histoire. Sur la place éminente qu'occupe les Beitrage dans la pensée de Heidegger on peut se reporter à ce qu'il en dit lui-même dans une note portée en marge de la Lettre sur l'humanisme signale dans sa postface Friedrich-Wilhelm Von Hermann.

Le Vorblick ou coup d'œil préalable

Heidegger procède dans le Vorblick, à un premier relevé des thèmes qui seront repris sous divers angles et à plusieurs reprises dans le cours de l'ouvrage. Heidegger s'élève tout d'abord contre l'alignement de la philosophie sur la science, réaction qui le place en rupture avec le projet husserlien d'une philosophie conçue comme « science rigoureuse » note Françoise Dastur18. Dès la première phrase du premier paragraphe il est écrit : « Les Beitrage déploient leur questionnement dans le « passage » qui mène à l'autre commencement [...] question qui est comme la basse continue de l'œuvre »19. Le premier obstacle, sur ce chemin, serait la pensée historisante, qu'il s'agit d'abandonner. Pour Heidegger au (§.5 ), la philosophie ne se réduit pas une démonstration de propositions qui supposerait pour être applicable un sujet inchangé N 13. Au (§.6 ), apparaît pour la première fois le thème de la « tonalité fondamentale », qui se manifeste face au nihilisme contemporain comme « effroi » et « désarroi »N 14,N 15. À noter l'irruption magistrale au (§.7) du thème du « dernier dieu », der Letzte Gott, qui va tenir une place éminente dans la nouvelle configuration de l' Être.

Les (§ 8 à 13), traitent en survol de l'avenance (Ereignis), de la tonalité, de l'historialité et de l'« autre commencement », thèmes qui reviendont à plusieurs reprises dans la suite de l'ouvrage. L'opposition manifestée dès le (§.14) à l'assimilation de la philosophie à une Weltanschauung signale accessoirement que l'ouvrage, même en opposition, est bien de son époque où ce thème était à la mode20. De plus c'est aussi ici dans ce survol que Heidegger reconnaît au § 41 la difficulté à transcrire et à traduire dans une autre langue des concepts nouveaux comme l'Ereignis et l'« autre commencement ». Face à ces difficultés et contraint à l'usage de paroles ordinaires le philosophe John Sallis21 note : « Cela peut requérir le moment venu, un changement complet du mode de pensée, en restant cependant dans le champ de puissance du même mot »N 16

La configuration de l’Ereignis

Dans le corps des Beiträge, Heidegger dessine en pointillé l’Ereignis comme une « articulation » (Fuge), cristallisant en elle six modes différents qui, tous ensemble, forment un édifice par lequel ils reflètent l'« Être » ; chaque Fuge ne se comprend qu'en relation étroite avec les cinq autres22.

Les six fugues ne constituent pas différentes figurations d'un même fond commun, ni des moments successifs ; l' Être sans fond « est » et ne «devient pas»22. Elles ne sont pas non plus l'exposé factuel d'une structure permanente, mais nous dit Heidegger, des voies d’accès, des chemins vers l’Ereignis23,N 17.

La Résonance, der Anklang

Malgré l'« oubli de l' Être », son retrait et notre délaissement au milieu des « étants », c'est-à-dire à l'époque du nihilisme consommé, quelque chose de l' Être persiste à résonner en nous, comme en « écho », une vibration des choses, qui nous dit que tout n'est pas là, devant, inerte, et sans mystère note Franco Volpi24 ( Martin Heidegger Aportes, a la Filosofia). Ce quelque chose vient sur nous obliquement, nous affecter comme une « tonalité fondamentale » qui nous avertit que la sur-abondance des objets et des sollicitations de tous ordres qui nous assaillent, loin d'être une richesse, est en vérité un signe de pauvreté d'être, un signe du nihilisme25. Or, remarque Gérard Guest, dans le Séminaire Investigations à la limite, « le nihilisme ce n'est pas la destruction de l'étant, c'est lorsque l' Être devant l'afflux de l'étant n'est plus rien pour nous ».

À travers le « Péril » « retentit [], l'écho des deux tonalités fondamentales de la pensée de l'autre commencement » écrit Hadrien France-Lanord traducteur de la conférence le Péril, Die Gefahr26.

Premièrement la tonalité de « l'effroi et de la pudeur devant l'étant » qui commande un mouvement de recul devant la surabondance des choses et aussi un sentiment d'impudeur car tout ce qui peut être fait, est fait ou sera fait ; tout ce qui peut être dévoilé le sera. Effroi et pudeur devant l'étant littéralement cités dans Martin Heidegger 26.

Deuxièmement, la tonalité du « désarroi », die note, le sentiment d'être laissé sur le quai, de ne plus suivre la cadence de l'évolution, d'être exclu. À noter que pour Heidegger, le pire désarroi est l'absence de désarroi, qui se manifeste dans une curiosité frénétique ou des expériences de vie multiples-Gérard Guest27.

Tous ces affects sont, selon Heidegger, des signes du délaissement de l' Être, la manifestation de la « Machenschaft », la conséquence du goût du gigantisme, de l'extension de la calculabilité à tout l'étant y compris la gestion du parc humain thème qui devient ici, pour la première fois, un thème fondamental qui fondera dorénavant toute sa critique de la modernité, de la technique, de l'affairement et de la dictature de la faisabilité, par quoi se manifestent en résumé, la réquisition de l'étant (Cf. Ernst Jünger : Der Arbeiter, auquel Heidegger fait de multiples références), note Jean-François Courtine28.

Heidegger souligne le caractère « Originaire » de la « Machenschaft », dont le fond n'a pas encore été sondé, mais qui néanmoins assure sa domination sur tout l'étant y compris ce qui pourrait paraître comme le plus opposé à savoir : le domaine du subjectif et du vécu. l' Elerbnis 28. Guillaume Faniez29, constate « la « Machenschaft » résonne dans l'Elerbnis, dans le vécu, elle est un « écho » de l'interprétation initiale de l'être dans le contexte de la puissance, du faire ».

Ce thème de la « résonance » inspirera ultérieurement la conférence intitulée, L'Époque des conceptions du monde (dans les Chemins qui ne mènent nulle art) remarque Christian Sommer30.Les conférences Das Ge-stell, Die Gefahr, Die Kehre du cycle des « conférences de Brême » en 1949 sont également à rapprocher de la première fugue de ce texte.

Ce qui vient se jouer, das Zuspiel

Cette seconde fugue tourne autour de l'idée qu'à travers certains signes et symptômes, l' Être vient se jouer, dans la manière dont l'étant nous concerne, et cela depuis l'aube de la métaphysique occidentale31. L'histoire de ces modalités spécifiques implique tout un travail d'interprétation et d'exégèse auquel Heidegger s'est livré, travail qui nous apprend que toujours « quelque chose est déjà venu se jouer » à chaque étape de l'histoire de cette Métaphysique, quelque chose est venu se jouer chez Platon, quelque chose est venu se jouer de différent chez Aristote, et d'encore différent chez Descartes, chez Kant et aussi chez Nietzsche. C'est à travers la lecture des grands textes de ces philosophes que nous apprenons les modalités spécifiques à chacun du don de l' Être. Les Beitrage s'inscrivent ainsi dans la continuité du (§ .6) d'Être et Temps pour ce qui concerne la nécessité de la déconstruction de l'histoire de l'ontologie. Par ailleurs, Heidegger a reconnu que la clef interprétative des cours historiaux publics de cette époque se trouve dans les Beitrage et plus spécialement dans la deuxième fugueN 18. .

Le Saut, der Sprung

Le « Tournant » ou Kehre n'est pas l'acte d'une pensée, mais ce qui advient à la pensée, nous apprend le (§ 34). La Khere aurait concerné déjà Être et Temps, qui ne serait qu'une œuvre de transition témoin du passage de la question directrice en quête de l'être de l'étant ou « étantité » à la question fondamentale adressée à l' Être comme tel, souligne Françoise Dastur32. Or, nous explique Heidegger dans la troisième fugue, on ne peut passer, de la première à la seconde question que par un « Saut », Der Sprung, car « aucun chemin ne mène directement de l'être de l'étant à l' Être (Estre)33 ». L' Être n'est pas expérimentable à volonté, « il ne s'ouvre que dans l'éclair d'instantanéité de l'élan que prend le DaseinN 19 pour sauter au cœur de l' Éreignis »33. Le Dasein se fait dans cet ouvrage, « gardien de la vérité de l'être » der Wätcher der Wahrheit 34,N 20, et « sentinelle du néant »35.

Au (§ 133) des Beitrage , Heidegger avance aussi une thèse, étonnante pour la philosophie traditionnelle, à savoir : Das Seyn braucht den Menschen, l'Être (l’Ereignis) a besoin de l'être humain, (Être-le-là, le Dasein), afin d'y déployer son être (dans le là du Dasein) et pour y être accueilli et y trouver séjour comme le rapporte Gérard Guest36. Cette réciprocité impliquerait que l' Être lui-même soit concerné par la finitude. C'est l'historicité du Dasein qui implique la finitude de l'être — qui ne se révèle que comme vérité historiale, geschichtiich 37. Paragraphe §134 suivant, Heidegger souligne ce qu'a d'unique l'entre-appartenance entre l' Être et l'« être-le-là » (Dasein), par quoi nous quittons le sol traditionnel de la métaphysique38.

Heidegger note au (§ 182) « celui qui jette (c'est-à-dire) le Dasein, est lui-même jeté, amené à son propre par l' Être, et c'est en cela même que consiste le « Tournant » » remarque Françoise Dastur39

La fondation, die Gründung

« L'espace-temps en tant que le sans-fond Zeit-Raum als der Ab-grund forme la quatrième variation de la cinquième fugue intitulée Grundung, fondation » écrit Françoise Dastur 40.

Il ne s'agit pas d'un fondement qui ne concernerait que l'étant, mais de donner selon l'expression du Dictionnaire, une « assise » ou une tenue à l'Être en tant qu' Ereignis. « N'étant pas lui-même un étant, mais hors-fond, Da-sein est l'assise de la vérité de l'être en tant qu'Ereignis écrit Heidegger (p.455) ». Le Da-sein, souligne le Dictionnaire, est le site où l' Être est pris en garde soutenu et mis à l'abri comme «Être » (se déployant) et non simplement comme étant41.

Heidegger introduit ici la notion de Die Wesung (il y aurait 160 occurrences de cette expression dans l'ouvrage) que Gérard Guest tente de traduire par l'expression contestée, « aîtrée de l'être », signifiant la manière dont l' Être se déploie pour trouver chez les hommes un séjour, et inversement, l'accorder aux hommes en donnant temps, lieu et vérité, dans divers envois de l’Ereignis. Ces adresses constituent « l'aîtrée de l' Être », son séjour dans le langage, dans les œuvres des penseurs, dans les œuvres des artistes, dans les institutions, etc.42. Ce rapport entre Seyn l'Être et Dasein est pensé par Heidegger dans les termes d'une rigoureuse co-appartenance. « Le Seyn requiert le Dasein pour pouvoir se déployer en son essence; et le Dasein appartient nécessairement au Seyn parce que ce n'est que de cette façon qu'il peut lui-même être [...] L'idée que le Da-sein est le fondateur de la vérité signifie que le Da-sein ne crée certes pas le Seyn, mais à défaut du Da-sein, le Seyn ne saurait être « là » »43.

Avec le Wesung (l'aîtrée) nous sommes au cœur de l'événement où se joue avec l'ajointement entre les deux pôles, l' Être et le Dasein, les contours de la Lichtung note Franco Volpi44 (Martin Heidegger Aportes a la Filosofia).

Dans cet « ajointement » est posée la question du séjour et aussi de ceux qui concourent à accueillir et à abriter l' Être dans le langage, la poésie, mais aussi l'art et la musique ; il s'agit bien sûr des penseurs et des poètes qui ont été, mais aussi de ceux qui sont à venir ou qui ont vécu, mais n'ont pas été compris de leur temps.

Christian Sommer30, rattache L'Origine de l'œuvre d'art à cette quatrième fugue.

Ceux qui sont à venir, die Zu-Künftigen

Au § 133 Heidegger énonce textuellement Das Seyn braucht den Menschen, l' Être (l’Ereignis) a besoin de l'être humain, (Être-le-là, le Dasein), afin d'y déployer son être (dans le là du Dasein) et pour y être accueilli et y trouver séjour, dans le langage, dans les œuvres des penseurs, dans les œuvres des poètes, dans les institutions45,N 21.

Des éveilleurs sont nécessaires, c'est aux « penseurs, philosophes, créateurs et poètes » qui, parce qu'ils ont eux-mêmes pris conscience de ce délaissement et expérimenté le désespoir, que revient la tâche de fonder les lieux pour que la vérité de l' Être puisse trouver abri, et ouvrir par là le séjour du dieu 46, bien sûr les penseurs et les poètes mais c'est aussi le « pouvoir-être » de tout être humain. Ceux là, on les appelle aussi « les fondateurs et les créateurs » en tant qu'ils ont à fonder des lieux pour que la vérité de l' Être puisse trouver abri47. Ceux-là ne sont pas tous connus, soit qu'ils aient encore à venir, soit qu'ils aient déjà vécu mais restent encore incompris.

L'homme doit expérimenter la détresse et la nécessité de se laisser transformer « ceux-là sont ceux qui demeurent dans ce qui est, sans chercher à fuir le réel en imaginant un futur utopique, ni à raser le présent pour fonder un avenir tout autre Cela implique d'exister dans notre époque de « l'absence de détresse » pour ébranler de l'intérieur les apparences toujours superficielles, déstabiliser les certitudes établies »48.

Sylvaine Gourdain49 en précise le processus « C’est seulement en séjournant dans la vérité de l’ Être que l’homme peut apercevoir le sacré, qui peut alors engendrer le déploiement de la « déité », et celle-ci, lorsqu’elle est éclairée par la « lumière » de l’ Être, peut accueillir le dieu ».

Le Dieu à l'extrême, Der Letzte Gott

De ce Dieu, l'ouvrage nous dit (p. 403) qu'il est « tout autre par rapport à ceux qui ont été et ne cessent d'avoir été, tout autre, par rapport même au Dieu christique ». Comme le souligne Sylvaine Gourdain50 « ce Dieu ne relève d'aucun théisme il a pour fonction de figurer l'ouverture de la vérité dans l'inépuisabilité de ses possibilités [...] Le dernier dieu est la figure qui signale cette ouverture, mais seulement fugitvement, par un signe rare, comme en passant im Vorbeigang ». Commentant la page 411, elle 51 écrit, « le dernier dieu incarne la positivité la plus grande du « retrait » : il est le « commencement » qui se dérobe toujours, et en cela même, il indique la possibilité d'une ouverture au-delà du contexte étroit et étriqué de l'époque de l'illusoire gigantesque [...] il ne se range pas dans les cadres du mode de dévoilement à l'époque de la « Machenschaft » [...]. Le « dernier dieu » renvoyant à l'infinité des possibilités [...] montre que la vérité de l'être est ouverture si radicale au possible qu'elle en devient quelque chose d'« impossible »N 22 [...] elle n'advient, qu'en créant elle-même sa possibilité »N 23.

La structure mouvementée de l'Ereignis

Déjà, dans Être et temps, l' Être n'était pas apparu comme une structure uniformément lisse, mais comme affectée par des modalités de donation diversifiées telles que le possible, le réel, l'impossible, le conditionnel, etc., c'est à Gerard Guest que l'on doit cette expression de « structure mouvementée »52. Depuis l'antiquité la notion d'Être a été travaillée dans quatre directions d'origine aristotélicienne : être et devenir, être et apparence, être et pensée, être et valeur, qui en sont autant de mode de donation53. Avec Heidegger la perception de ce mouvement s'étoffe, on parle de retournements, d'inversions de sens54, de retournements cycliques, de périodes d'afflux et de reflux, les périodes d'afflux n'étant pas sans péril comme l'ont su les premiers Grecs qui n'ont survécu à la surpuissance de l' Être qu'au prix d'une mutation fondamentale de leur système de pensée à travers l'effondrement de l’Aléthéia. Avec les Beitrage, on parle aussi de retrait, de tournant mais aussi de lutte Gegenschwung, et de danger die Gefhart .

Le retrait de l' Être

L' Entzug, ou « retrait de l'Être » est omniprésent dans les Beitrage. L' Être n'y est plus conçu par différence avec l'étant et donc séparément de lui. Il s'agit maintenant « de penser l'Être comme différence c'est-à-dire comme fossé qui se creuse entre l'homme et l'Être » écrit Sylvaine Gourdain55. La question n'est plus celle que posait Être et Temps, c'est-à-dire celle du dévoilement de l'être dissimulé, mais « de laisser s'approprier l' Être , c'est-à-dire non pas à chercher à l'extraire de sa dissimulation, mais à le montrer dans cette dissimulation même », note Sylvaine Gourdain56. Ce retrait nous enseigne que l' Être ne se réduit pas à l'ensemble de ce qui apparaît.

Cette question de l'«oubli de l' Être », qui a formé la trame de toute la méditation heideggerienne depuis Être et Temps, est reprise dans les Beiträge sous un jour entièrement nouveau57. C'est au cœur même de l'Ereignis, de l’événement, « Être », que se situe maintenant comme une retenue, une occultation, un refus de « se dévoiler », dans lequel le Dasein n'apparaîtra que comme très indirectement impliqué, ce dont les Beiträge ambitionneront de rendre compte en tentant une plongée au centre même de gravité de l’événement. Le « retrait de l'être » qui à partir des Beitrage se substitue à l'« oubli de l'être » « n'est plus le résultat d'une déficience ou d'un comportement impropre du Dasein, mais il est un moment constitutif de la « phénoménalité » spécifique à l'Être : il signale que l'être ne s'épuise pas dans l'apparent ni dans la pure effectivité, mais qu'il est dynamique [...] et qu'en cela il échappe toujours à la prise et à la fixation » écrit Sylvaine Gourdain55.

La première « fugue » recense quelques manières dont l’« oubli de l’ Être », devenu « retrait de l' Être » se fait sentir, de nos jours, dans ce que Heidegger appelle une tonalité générale Grundstimmung (rapport originaire et essentiel à l'étant relevant de l'affect, de la Stimmung) tout à l'opposé de l'émerveillement des premiers Grecs devant un étant livré à un affairement multiforme58. Le « délaissement de l’ Être » à travers la calculabilité et la marchandisation de tout espèce d'étant (et notamment de l'être humain) pourrait bien se révéler par ses excès comme une modalité paradoxale de dispensation de l' Être. C'est ce retrait vraiment trop ostensible que la première fugue dépeint comme « résonance » qui peut nous éveiller.

Ce dont il est question à propos du « délaissement de l' Être » c'est aussi cette forme de dispensation qui ne nous a pas épargné ses conséquences les plus terribles avec le nihilisme absolu de la volonté de puissance des totalitarismes du XXe siècle, communisme et nazisme.

Le tournant

La première apparition publique du concept de Tournant ou Kehre se trouve dans la Lettre sur l'humanisme, rédigée en 1946 et publiée en 1947. Ce texte explique les difficultés rencontrées par Heidegger dans la rédaction d'Être et Temps pour dire de manière satisfaisante l'idée de renversement qu'il avait en tête59.

Le paragraphe 255 des Beitrage est consacré à la Khere dans l'Ereignis, selon la rédaction de Hadrien France-Lanord60. Cet auteur introduit la notion en prenant comme exemple de kehre, l'auto-interprétation de Heidegger par lui-même qui ne serait pas un simple éclairage rétrospectif mais ressortirait au mouvement le plus intime de la pensée. Elle ne serait pas non plus l'expression d'une volonté mais « un événement qui advient à titre d'histoire de l'être ». Cette « volte » explique que tous les traités des années 1930-1940 soient consacrés à la réinterprétation des concepts essentiels d'Être et Temps

Pour penser cette pure et libre mobilité de l' Être en ces diverses modalités, aucune exégèse, ni herméneutique, ne nous est d'un quelconque secours car nous sommes dans l'incapacité de nous extraire des figures de la Métaphysique (logique et principe de contradiction, causalité et succession). Dans ces conditions comment penser tout autrement ce que Heidegger appelle l’Ereignis, cet « Il y a » originaire, ce « il y a temps et lieu » pour toute donation d'étant.

Cette extraction ne peut être réalisée qu'au moyen d'un Saut, Der Sprung, au milieu de l'Ereignis, autrement dit d'un autre commencement . Ce saut n'est lui-même possible qu'au bout d'une longue méditation des figures successives de la Métaphysique à partir de son détachement de l'aube grecque jusqu'à l'époque du nihilisme accompli, seule voie susceptible de nous permettre de nous en détacher61. Ce saut consiste à prendre acte des « tours » et « détours » de l'idée de « vérité » depuis l'origine, la manière dont l'Être s'y est dissimulé, à repérer ces signes de la «résonance» et de «ce qui vient s'y jouer».

Ce qui se joue par contre dans cette tentative, c'est le dépassement de la Métaphysique (et non pas son abandon), pour, par sa méditation, la surmonter, et accéder à une pensée de l' Être qui ne soit plus pensée de l'être de l'étant, mais penser l' Être en son pur surgissement62. Cette méthode prévaut, par exemple, dans la question qui préoccupe Heidegger au début des années 1930 à savoir : L'Origine de l'œuvre d'art et qui est traitée dans les Beitrage (p. 571 de la traduction). Le dépassement de l'esthétique permet d'accéder à l'œuvre d'art pour la considérer en elle-même en « recueillant la parole pleine de sens qu'elle nous adresse »63.

La Kehre ou Tournant représente le mouvement propre à la pensée de l'histoire de l' Être, dans la perspective du passage de la métaphysique à la pensée historiale de l' Être.

Le Gegenschwung ou le corps à corps entre Être et homme

Delacroix
Lutte de Jacob avec l'Ange Eugène Delacroix

Gérard Guest dans sa conférence64, décrit ce Gegenschwung qu'il tente de traduire en français par le terme de « contre-battement » entre l' Être et l'homme pour y conserver sa dynamique à la fois de face à face mais aussi de véritable corps à corps pouvant tourner suivant le cas à l'« empoignade » ou à la « jouissance » de l'un par l'autre (devant la beauté de la nature, l’œuvre d'art, la netteté d'un concept pour l'intellectuel)N 24.

L'indifférence entre les deux n'est pas de mise, car selon ce que dit Heidegger au §133 des Beiträge, Das Seyn braucht den Menschen, l' Être a besoin de l'homme qui dans son « être-le-là » (de la définition heidegerienne du Dasein) l'accueille, en lui accordant séjour, temps et lieu. De la même manière et c'est en cela que réside le sens de la Gegenschwung, l’ Être requiert l'être humain, il en a besoin pour son usage, pour y établir son séjour dans son logos, sa parole, ses institutions, il en a besoin y compris lorsqu'il se refuse ou se retire comme c'est le cas dans le nihilisme contemporain.

Ce Gegenschwung ou « corps à corps » donne lieu à diverses péripéties, à des accidents, à des violences, à des rencontres terribles ou heureuses et c'est au sein de cette rencontre que doit s'articuler et donner sens ce que Heidegger a appelé den Vorbeigang des letzen Gottes, « la passée du dernier dieu ».

Gérard Guest pousse plus loin la description de l'entrelacement de l' Être et de l'homme, en développant l'analyse du (§.133) où il est dit Das Seyn braucht den Menschen damit es Wese en faisant du Gegenschwung, un rapport d'entre-appartenance subtilement asymétrique ; l'homme ressortissant quant à son être de l' Être, autrement dit ne pouvant être soi-même en propre, qu'à proportion de l'ouverture de son là à l'Être.

Le danger en l' Être, die Gefhart

Avec Heidegger, l' Être est sommé de rendre compte des pires excès de l'histoire contemporaine (notamment l'extermination industrielle de l'homme par l'homme). Il s'agit de s'atteler à la tâche de penser ce qui les a rendu possible, écrit Gérard Guest65« car le mal ne peut plus être circonscrit à ce qui est moralement mauvais, ni non plus limité à n'être jamais qu'un défaut et un manquement au sein de l'étant »
Heidegger nous en avertit :

« Mit dem Heilen zumal esrscheint in der Lichtung des Seins das Böse . Avec l'Indemne tout ensemble apparaît dans l'éclaircie de l'Être, le mal »

— Heidegger, Lettre sur L'humanisme, Aubier, page 156

Heidegger aura été le penseur du « danger en l' Être » et celui de la « malignité de l 'Être » notamment celui qui nous avertit du danger qui gît au cœur de « l'aître de la technique planétaire » qui a d'ores et déjà atteint « l'être humain dans son être même » .

Thèmes récurrents

Comme tous les ouvrages des années 1930 et 1940, les Beitrage entreprennent d'abord une réinterprétation des concepts issus d' Être et Temps

Le Dasein

Alors que dans Être et Temps, le Dasein a la prééminence dans le processus d'ouverture de l'être, après le « Tournant », on assiste à un renversement total à partir duquel c'est l'homme qui reçoit mandat de l’être, notamment dans les Beiträge . Le « Tournant » , désigne ainsi, le mouvement de pensée ou plutôt dans la pensée, qui conduit le philosophe de Être et Temps à sa pensée ultérieure ou, selon la formule ramassée de Thierry Gontier66, « le moment où la signification du Dasein comme le de l'Être prend le pas sur sa signification comme l'« être-là » au sens de l'« être-jeté » ».

Au milieu des années 1930, Heidegger va adopter une nouvelle graphie du terme « Da-sein », qui sera écrit dorénavant avec un trait d'union, marquant un signe d'évolution dans sa compréhension de l'essence humaine. Dans les Beiträge, Heidegger récuse clairement avec les (§ 263 et 264) l'interprétation métaphysique du Dasein comme fondement qui avait pu être faite dans une mauvaise lecture d'Être et Temps . Ce qu'il développe dans la première moitié de la fugue intitulée die Gründung (la fondation), c'est l'idée que le Dasein n'étant pas un étant mais un « hors- fond » ne peut être fondement mais sert d'assise (une tenue) à l'être (p. 455). « Pour que la vérité de l' Être se déploie, il faut braucht qu'elle soit prise en garde et mise à l'abri »67,N 25.

Françoise Dastur68 écrit : « l'être de l'homme n'est plus alors compris de manière transcendantale comme capacité à sortir de soi, et à échapper ainsi à toute caractérisation en termes de substance, mais se définit à partir de la revendication de l' Être, d'un appel de l' Être qu'il s'agit pour lui de recevoir et auquel il a à répondre. Exister pour l'homme ne signifie plus pouvoir projeter l'horizon de compréhensibilité de l' Être, mais renvoie maintenant à une manière d'être dont l'homme n'est pas l'initiateur ».

Sylvaine Gourdain69 souligne « la tâche du Dasein qui consiste à préserver la dynamique propre de l'EreignisN 26, c'est-à-dire d'empêcher l'oscillation du sens de se stabiliser et de se figer définitivement »

L'homme n'est dorénavant plus compris comme le « fondement-jeté » de l'éclaircie mais comme celui qui se tient en elle, dans l'Ereignis et qui lui est redevable de son propre être70. Tout cet effort de rupture avec la métaphysique de la subjectivité, remarque Michel Haar, aboutit, selon son expression, « à la figure ténue, minimale, exsangue du mortel »71. Le Dasein des débuts, en ce qui lui reste de l'homme métaphysique, s'efface définitivement devant le qualificatif de « mortel » pour être compris sur un pied d'égalité, dans l'unité du « Quadriparti » : « les hommes, les dieux, la terre et le ciel ».

Le Dasein prend définitivement place, comme articulation, dans la constellation du « Quadriparti », où tous les termes s'entre-appartiennent et qui va constituer la dernière appellation de l' Être. « La relation du Da-sein à l’ Être appartient selon le (§.135) au déploiement de l’ Être die Wesung des Seyns lui-même, ce qui peut aussi se dire ainsi : l’ Être requiert le Da-sein et ne se déploie (west) pas sans cette venue à soi (Ereignung) » .

L'historialité

Dès le (§.12) Heidegger développe une pensée historiale qu'il distingue de toute pensée historique traditionnelle. L'Être détaché de l'étant possède une « historialité » qui lui est propre et se dévoile comme événement singulier72. Comme le souligne Heidegger au (§ .12), la vérité de l'être ne recouvre plus seulement l'« entrée en présence »N 27. Avec les Beitrage apparaît une autre notion de la philosophie. Il ne s'agirait plus d'une science pré-théorique en recherche de fondement à partir d'un Dasein comme dans Être et Temps, ni d'une vision du monde, ou d'un élément du patrimoine historique. Dans l'esprit d'Heidegger, il ne s'agit pas d'acquérir des connaissances historiques sûres, en partant d'un point de vue souverain et apparemment atemporel « mais plutôt de se situer soi-même dans un événement temporel et de se comprendre à partir des contextes historiques »73. Celui-là seul qui intériorise sa situation historique, peut connaître ce qu'il était, ce qu'il est, et la nature des possibilités dont il peut s'emparer à l'avenir à partir de son héritageN 28. Ainsi s'interrogeant sur l'être du peuple allemand , Heidegger à l'instar du poète Holderlin « ne voit pas dans la patrie une idée abstraite et supra-temporelle en soi mais une entité affectée d'un sens originairement « historial » »N 29.

Heidegger fait le constat au (§. 273) que « l'homme n'a jamais été encore historial » et que l'histoire de l'historiographie a donc toujours été fondamentalement mé-comprise73.

Pour Matthias Flatscher74, « Heidegger démontre ainsi que ce n'est qu'avec le retour à l'héritage que peut éclore l'« à-venant » (ce qui va advenir), qui ne se raccroche pas aveuglément à ce qui est présent ni ne se laisse penser dans une continuité sans rupture avec le passé [...]. D'une méditation orientée sur l'histoire Heidegger attend qu'elle permette de dépasser l'horizon contemporain de la compréhensibilité »N 30.

La Machenschaft

Le § 61 de la seconde fugue est consacré au phénomène de la « Machenschaft » , une des notions les plus difficiles et intraduisibles, signifiant en allemand courant : « machination », « manigance » ou « vilaine manière de procéder », parfois traduit en français par « Dispositif ». Heidegger insiste sur le caractère absolument non péjoratif de cette appellation qui ne veut être qu'un moment de l'histoire de l' Être .C'est la page 165 de l'édition Gallimard de l'Introduction à la métaphysique que se trouve la première occurrence de la notion de « Machenschaft » rappelle Jean-François Courtine75. Avec la Machenschaft il s'agit de saisir l'essence de notre civilisation technicienne qui s'applique à « résoudre tous les problèmes dans l'affairement de tous les instants [...] affairement qui s'impose comme le nouvel impératif catégorique »76. Le mot vise la dimension planétaire de la Technique et aussi l'emprise moderne du Nihilisme. C'est ce que Heidegger a découvert comme détermination de l' Être à une époque - la nôtre - où tout paraît tourner autour du « faire efficace », à rendre tout faisable. Cet empire du « faire » ou de l'« efficacité » n'est plus tant un rapport de l'humain à l'étant qu'une détermination au premier chef de l'être même de cet étant77.

Heidegger remonte loin dans le passé en rattachant l'origine de ce phénomène à « ce qui s'annonce dans le mot grec de techné (τέχνη ) »76. L'article référencé du Dictionnaire résume en quelques lignes l'histoire des déterminations successives de l'Être « comme autant de préalables à l'installation de l'empire du « se-faire » ». Heidegger retrace dans ce paragraphe comment à partir de la phusis, en passant par l'idée de présence constante (la substance), puis l'entéléchie, enfin le statut de l'objet, le poids de la « fabricabilité » devient dans la prise en compte de l'être, l'essence de l'étantité dans la pensée des temps nouveaux .

Il fait de la Machenschaft, qui se dérobe comme telle, quelque chose qui domine souverainement la destinée de l'Être dans ce qui a été l'histoire de la philosophie occidentale de Platon à Nietzsche78. L'idée chrétienne de création qui renforce le rapport cause-effet conforte le mouvement, l'ens devient ens creatum p(.127). Ce qu'Heidegger a pensé sous le terme de Machenschaft dans les années 1935 est le même de ce qu'il viendra à penser plus tard sous le terme de Gestell79.

La Machenschaft est « l'empire du tout », « l'empire du se faire », de « l'efficience et de la fabrication » qui concerne la vérité de l'étant en son entier. « Tous les éléments du réel ressemblent à un immense mécanisme dont chaque élément de la réalité n’est plus qu’un rouage parmi d’autres. La réalité du monde technique contemporain, c’est cette immense machinerie » écrit Étienne Pinat80. La Machenschaft se manifeste par le goût du gigantisme, l'extension de la calculabilité à tout l'étant y compris la gestion du parc humain, constitué en pur et simple fonds disponible 28,N 31.

Thèses remarquables

L'autre commencement

« La nécessité d'un nouveau commencement de la philosophie ne peut être comprise qu'à partir de l'arrière-plan que forme la critique heideggerienne de la modernité » écrit Nikola Mirkovic81. Heidegger use le plus souvent de l'expression « autre commencement » Der andere Anfang, cet « autre commencement » ne viendrait pas s'opposer à un premier car le commencement est singulierN 32. L'« autre commencement » n'est qu"une autre manière de penser le commencement souligne Heidegger au (§ . 1) des Beitrage82. Heidegger83 écrit « revenir au premier commencement, ce n'est cependant pas se remettre dans quelque chose de passé, comme si l'on pouvait faire que le passé redevienne réel au sens courant du terme. Revenir au premier commencement, c'est plutôt s'éloigner de lui, aller occuper cette position d'éloignement nécessaire pour éprouver ce qui a commencé dans ce commencement en tant que telN 33,N 34. Nous sommes dans l'entre-deuxN 35.

En fait, nous restons toujours trop proches du commencement, et ceci d'une manière captieuse, dans la mesure où nous sommes encore obnubilés par tout ce qui a été pensé par la suite; raison pour laquelle notre regard demeure affecté et fasciné par le cercle que forme la question traditionnelle : qu'est-ce que l'étant ? autrement dit : nous restons prisonniers de la métaphysique sous toutes ses formes ». Dans les Beitrage, Heidegger invite (p. 17), à se replonger dans l'originaire « car avec l'Être et la vérité de l'Être, il faut toujours et à nouveau être saisi par l'emprise de l'initial »84. La question du « passage » de la Métaphysique à l'« autre commencement » devenu dans les années 1930, le fil conducteur de son œuvre « constitue la basse continue des Beitrage »85.

Le dernier dieu

Avec la théophanie du passage du dernier dieu « au lieu de prendre congé des mythes et des mystifications, Heidegger en promulgue de nouveaux » remarque Günter Figal86.

Approche

« L'interview donnée par Heidegger au journal Der Spiegel, réalisée en 1966, nous renseigne sur le rôle central que tient la pensée du « dernier dieu » pour la pensée tardive de Heidegger » écrit Günter Figal86,N 36.

Les Beitrage consacrent , à la figure du « dernier dieu », une septième section intitulée « le dieu à l'extrême », selon la traduction de François Fédier, de l'expression, der Letzte Gott et parfois par d'autres, « dieu à venir » der kommende Gott dont il est dit (p. 403), qu'il est « le tout autre par rapport à ceux qui ont été et ne cessent d'avoir été, tout autre, par rapport même au Dieu christique ». Dans les années 1930, la rencontre de l'œuvre de Hölderlin aurait été ressentie, selon un de ces étudiants, Hans-Georg Gadamer87, comme un véritable tremblement de terre, alors que faisant suite à une décennie fortement théologique, l'analytique du Dasein dans Être et Temps apparaissait comme parfaitement athée. Après ladite rencontre on aurait entendu le philosophe parler pour la première fois du ciel et de la terre, des mortels et des immortels, et aussi de leur conflitN 37. Jusqu'à la publication des Beitrage, le divin et les dieux, n'interviennent que comme médiateurs dans la Lettre sur l'humanisme88.

On reverra ces derniers, comme quatrième partenaire, sous l'appellation de sacré ou d'immortels dans la conférence consacrée à L'Origine de l'œuvre d'art89, accompagnant les hommes, le ciel et la terre, dans une configuration « quadripartite » de l'être qui devient, à partir de ce moment, l'intuition fondamentale de Heidegger note Jean-François Mattéi90. L'expression quasiment intraduisible de Ereignis développe, exprime cette nouvelle constellation de puissances, intimement liées et dépendantes les unes des autres. Dans le jeu tourmenté de l Être qui se déploie dans les Beitrage, dans la « sextuple fugue » selon l'expression de Gerard Guest91, le dieu, « comme sixième figuration de l'Ereignis »92, devient indispensable à l’équilibre du toutN 38,N 39.

Pour Pascal David93, il est plutôt question ici de la dimension du divin (c'est-à-dire du sauf, de la plénitude, de l'indemne). « Heidegger a pu parler de la plénitude cachée de ce qui a été et qui, ainsi rassemblé est : du divin chez les Grecs, chez les prophètes juifs, dans la prédication de Jésus » en tant que ce divin accompagne nécessairement, créateurs et poètes dans l'installation et la configuration du monde sur terre et au ciel.

Sylvaine Gourdain51, tire de sa lecture d'un (§) de la (p. 416) :« le dernier dieu incarne la positivité la plus grande du « retrait » : il est le « commencement » qui se dérobe toujours, et en cela même, il indique la possibilité d'une ouverture au-delà du contexte étroit et étriqué de l'époque de l'illusoire gigantesque [...] il ne se range pas dans les cadres du mode de dévoilement à l'époque de la « Machenschaft » [...]. Le dernier dieu renvoyant à l'infinité des possibilités [...] montre que la vérité de l'être est ouverture si radicale au possible qu'elle en devient quelque chose d'« impossible », pour reprendre le terme de Derrida [...] elle n'advient, qu'en créant elle-même sa possibilité »

Les commentateurs des Beitrage insistent différemment, soit sur la fugacité du passage, sous le signe de la « passée », soit sous le signe apparemment plus classique du phénomène de l'« attente » du dieu à venir, de l'éternel « à venir ». « L’attente du dieu se double de celle de l’ Être, qui doit attendre que l’homme soit prêt à effectuer le « saut » dans la vérité pour pouvoir la fonder »49. L’ambiguïté de cette figure du « dernier dieu » qui ne dit rien quant à son essence, contrairement à celle de Nietzsche, autorise deux interprétations approximatives :

  1. Dans son interprétation des Beiträge l'expression de « dernier dieu » , est transposée par Gérard Guest, dans l'expression tout aussi complexe de « la passée du dernier dieu » (Vorbeigang des letzen Gottes)94, « dernier dieu » qui ne fait référence à aucun des dieux connus et certainement pas, comme il est précisé, au Dieu chrétien.
  2. L'interprétation de Pascal David dans sa contribution « le Dieu en fin ; Le Dieu enfin », à comprendre moins dans le sens d'un dieu attendu que dans celui d'un dieu qui nous attend95.

Les dieux enfuis

Heidegger a développé la théologie du « dernier dieu » à partir du thème de la fuite des anciens dieux, ( (die entflohenen Götter), qu'il a puisé dans l'œuvre du poète HölderlinN 40, dans une époque où la plainte sur l'« absence » ou le retrait des dieux, qui précède ou accompagne on ne sait, le retrait de l' Être, est devenue une plainte universelle, entraînant de ce fait une rupture d'équilibre dans la simplicité du « Quadriparti » et sans doute l'entrée du Monde en nihilisme. « C'est justement cette « absence » des dieux (enfuis) qui, au-delà de la mort nietzschéenne de Dieu, conduit à l'expérience du sacré [...] Les dieux enfuis sont ainsi absence et présence de leur absence ; ils préparent la nouvelle venue de Dieu, le « Dieu à venir » » résume Michel Dion96. Le problème n'est plus le statut ontologique du dieu qui n'est plus ni créateur, ni fondateur14, mais le lieu et le comment de la possibilité de son séjour. On trouve dans la contribution de Günter Figal intitulée « L'oubli de Dieu » une importante analyse du rôle philosophique attribuée maintenant, par Heidegger à ces « dieux enfuis ». « Vouloir rayer la théologie de la pensée tardive de Heidegger reviendrait à vouloir la dépouiller de son centre »86

L'évanescence du dieu

Sur l' identité du divin, Heidegger tient un discours relativement flou. Tantôt il déplore l'absence de Dieu, tantôt il parle de « dieux enfuis ». L'évocation du singulier et du pluriel ne serait pas contradictoire car selon Heidegger (p. 437): « parler des « dieux » ne veut pas dire [...] une multitude par opposition à un seul, mais cela désigne l’indécision concernant l’être des dieux, le fait de ne pas savoir s’il s’agit de l’être d’Un seul ou de Plusieurs »97. D'autre part dans cette même page Heidegger dénie explicitement l'être aux dieux, en fait comme le remarque Sylvaine Gourdain98 « le dieu n’est ni étant, ni non-étant, mais on ne peut pas non plus l’assimiler à l’être ». Sylvaine Gourdain rajoute à ces difficultés, les problèmes découlant de la multiplicité des termes utilisés faisant référence à la notion de « divin » : das Göttliche, die Gottheit, die Göttlichkeit, etc.présentent beaucoup de difficultés pour leur transposition en françaisN 41.

Nécessité du dieu

« Heidegger attribue au dieu une fonction « déictique » fondamentale, par laquelle celui-ci manifeste l’avènement de l’ Être en sa vérité. La figure-signal du dieu consacre l’événement de la configuration de l’ Être en lui offrant « l’éclat de la déité » (der Glanz der Gottheit) , c’est-à-dire le signe éclatant, que, dans l’impuissance du don, elle ne pouvait se conférer à elle-même. Loin d’être un intrus inutile et superflu, la figure du dieu transfigure la configuration de l’ Être » écrit Sylvaine Gourdain14

Que le « dieu » soit indispensable au déploiement de l' Être en sa vérité entraîne pour Heidegger trois conséquences :

  1. Dieu et l' Être ne sont pas identiques même si « l'expérience du dieu ne peut avoir lieu en dehors de la dimension de l' Être »99.
  2. Dieu n'est plus ni le centre, ni le fondement, ni l'étant suprême. « La théologie, comme « nomination de Dieu » n'est nullement sans présupposition […], elle présuppose l'horizon de l' « indemne », de l'éclaircie à partir de laquelle toutes choses peuvent seulement s'annoncer et apparaître » souligne Françoise Dastur100.
  3. Ce dieu a un caractère fugace car il possède une dimension historiale (il dépend de l'histoire de l' Être et en ce sens souffre de son « oubli »), die Seinsverlassenheit.

Si bien que l'« attente » de ce dieu insaisissable, qui n'est pas encore là, est la situation ordinaire de la figure divine dans la mesure où l'« attente » est une autre forme de présence à laquelle le penseur accorde une très grande importanceN 42.

Le dieu fugace de la passée du dernier dieu

Constatant l'impuissance de l' Être à retenir le dieu, Sylvaine Gourdain rapporte la réponse que donne Heidegger dans les Hymnes d'Höderlin : « le passage est justement le propre de la présence des dieux, l'évanescence d'un signe à peine perceptible qui, à l'instant infinitésimal de son passage peut offrir la somme de toutes les béatitudes et de toutes les épouvantes »101. Pour Gérard Guest dans sa traduction et son commentaire du §7 des Beiträge zur Philosophie, ces dieux qui ne sont plus là, ou pas encore là, nous se savons pas, en raison de leur éloignement, s'ils nous fuient ou s'ils se rapprochent de nous et à quelle vitesse102, mais ce que Heidegger nous apprend c'est que leur absence est aussi une présence et que c'est peut-être cela seul que nous devons espérer et cela seul qui constitue une parousie bien comprise. Les dieux passés sont passés, et nous n'avons que leur ombre ; d'autres dieux passent sans doute, mais, dans nos affairements, nous ne sommes pas en état de les voir. Nietzsche s'interrogeait déjà sur l'absence de nouveaux dieux depuis deux mille ans, peut-être simplement ne les distinguaient-ils pas. Pour Heidegger, c'est à partir du sacré, du « sauf »N 43 ou de l'indemne que le dieu peut, peut-être, être abordéN 44.

C'est cette incapacité que Heidegger qualifie de désarroi du délaissement, désarroi d'autant plus profond qu'il ne se sait pas désarroi.

Le dieu en fin, le dieu qui nous attend

Avec l'interprétation de Pascal David, la question se retourne, non pas comment saisir au passage le dernier dieu, mais comment nous laisser saisir en « sa manière à lui de cligner et clignoter, de nous faire de l'œil, de nous guigner et de nous faire signe »103. Il n'est pour l'homme, s'il le peut, que de décoller de sa subjectivité, se détacher du sujet, et aussi de tout espoir de consolation95.

Les dieux qui furent et qui n'ont plus cessé d'être des dieux fuyants ( Die Gewesenen ), sont définitivement remplacés par le « Tout Autre », la caresse de leur présence durerait-elle encore. Le dernier dieu de Heidegger est le « Tout Autre et tout Autrement » .

Montée de l'homme chute du dieu

Ce dieu n'étant plus, ni celui de la théologie dogmatique, ni celui de la « Causa sui » de la Métaphysique, on doit s’interroger sur son mode de présence et son rôle dans la constellation quadripartite au sein de la structure mouvementée de l’ Ereignis 54,N 45. Finalement le dieu de Heidegger « n’est pas un dieu qui se révèle, mais qui révèle quelque chose d’extérieur à lui qui doit être révélé, l’ Être »98.

« Alors que le dieu est lié à l’ Être par le besoin impérieux de ce qui seul engendre la possibilité de son épiphanie et conditionne son existence, l’homme se comprend en une relation de réciprocité essentielle avec l’ Être, comme le montre cette phrase de Heidegger : L’ Être a besoin de l’homme pour se déployer, et l’homme appartient à l’ Être pour pouvoir accomplir sa détermination extérieure en tant qu’être-là.[...] les relations entre homme et dieu ne sont pas simplement inversées par rapport à la pensée traditionnelle [...]Le dieu se situe dans une relation de dépendance par rapport à l’ Être qu’il n’est pas, alors que l’homme est l’ Être lui-même en tant qu’« être-là » » écrit Sylvaine Gourdain49. Si homme et Être sont inséparables et co-originaires, le dieu n’est qu’une modalité possible mais non nécessaire de l’ Être. Dans cette configuration ce qu'apporte le dieu qui y est invité, est ainsi défini ; il confère de par « son entrée dans la maison de l'Être l'éclat qui lui manquait »14.

La tonalité fondamentale

Il y a dans le concept de tonalité fondamentale l'idée d'une puissance souterraine, quelque chose comme une musique de fond, qui n'a rien à voir avec un sentiment subjectif et fugace, puissance qui nous précède ne cesse de résonner dans la détermination de l'être humain comme être-au-monde.

En tant qu' être-au-monde le Dasein est toujours accordé à une tonalité qui le traverse de part en part [...] donnant à entendre la voix de l'être et donnant le ton à une manière d'être104,N 46.

Ce concept de tonalité fondamentale, (Grundstimmung ) est à comprendre au sens fort comme une tonalité qui fonde. « Les tonalités sont l'élément de puissance qui traverse et englobe tout, ils s'abattent d'un même coup sur nous et sur les choses » écrit Heidegger cité par Paul Slama105.« La Grundstimmung originaire, fondatrice, l'est du rapport à l'étant en totalité [...] elle est condition de possibilité [...], elle est ouvrante »106. « La tonalité qui ouvre co-originalement un monde et l'étant que nous sommes à nous-mêmes rend possible la rencontre de ce monde »107,N 47. Conceptuellement, la tonalité fondamentale est « antérieure à la division qui oppose le sujet et l'objet, une tonalité fondamentale ouvre d'emblée le monde en son entier et le domaine à l'intérieur duquel se distinguera le subjectif de l'objectif », écrit Florence Nicolas104.

« Le premier commencement de la philosophie et l'« autre commencement » sont caractérisés par des tonalités, des Grundstimmung , contraires », remarque Nikola Mirkovic 107. Si l'étonnement et l'émerveillement furent les tonalités fondamentalse ayant porté la toute jeune philosophie grecque, la philosophie finissante ayant de nos jours épuisé les possibilités dont elle était porteuse a désormais à affronter l'« ennui » et l'« effroi ». À la question de savoir quelle « tonalité fondamentale » permettrait de favoriser le passage à un autre commencement, les Beitrage répondent d'une « manière balancée, comment entre les tonalités directrices que sont l'« effroi » et la « pudeur » peut poindre la tonalité fondamentale de la retenue, une retenue approchant le secret que demeure pour nous, par delà toute ontologie, l' Ereignis »108. « La « retenue » est le style de la pensée en transition vers l'autre commencement »109. Définie (p. 53 de la traduction, comme fondement du Souci), la retenue n'en est pas pour autant un fondement plus profond du Dasein110,N 48.

« Heidegger insiste sur le fait que la tonalité fondamentale de la pensée à venir ne peut être désignée par un seul terme et qu'elle renvoie à une multiplicité de tonalités [...] la retenue n'est elle-même que le milieu de deux autres Stimmungen qui sont l'effroi et la pudeur [...] qui correspond à la nécessité de taire l'être et de le laisser se déployer comme Ereignis »111.

La fissuration de l'Être

Dès le (§.3) apparaît, dans la pensée des Beiträge, la notion obscure mais essentielle de « fissuration de l'Être », la Zerklüftung des Seyns ou selon la traduction de François Fédier et de Jean-François Mattéi (d'écartèlement ). « La fissuration de l'Être est une donnée incontournable pour la pensée de l'« autre commencement » »112 Le saut dans l'Être (dans l'autre commencement « fait surgir l'abîme de la fissuration »)N 49. À la suite d' Hölderlin l'épreuve de la vérité de l'être fait découvrir à Heidegger, au-delà de l'horizon métaphysique une première tétrade : les quatre puissances originaires de la terre et du ciel, des divins et des mortels. Jean-François Mattéi113 rapproche cette tétrade de celle découverte par Heidegger dans son séminaire sur Aristote, correspondant à quatre nouvelles déterminations métaphysiques rapportées non plus à l'Être mais à la « Nature » à savoir : devoir-être, être et devenir, être et apparence, être et penser. On peut voir une correspondance entre les deux tétrades : le devoir avec le ciel, l'apparence ou l'art avec les dieux, le devenir et l'histoire des hommes, la pensée et la terre, ce qui autoriserait à conclure « la quadrature de l'étant prend naissance dans l'écartèlement de l'Être ».

Claudia Serban114 résume : « La pensée de la fissuration se tient entre deux pôles de tensions, d'un côté, le partage traditionnel des modalités de l'être, et de l'autre le saut dans l'Être comme événement Ereignis ». À ces deux dimensions, Heidegger en ajoute une troisième « le besoin du dieu »115.

Par ailleurs, Claudia Serban116 nous invite à ne pas confondre les jalons de la fissuration avec les déterminations ontiques ou catégoriales de l'étant ( possibilité, effectivité et nécessité) (fragments 156-159)N 50, il s'agit de la penser « en amont de la détermination de l'Être comme Ousia pour autant qu'elle correspond à l'expérience de l'Être sur le mode du refus, et non pas comme substance ou présence subsistante ».

Pour Jean-François Mattéi117, la première des fissurations est: « la scission originaire, qui, par sa connexion intime et sa discession originaire, porte l'histoire, c'est-à-dire, la distinction de l'être et de l'étant »

Le caractère ésotérique des Beitrage

Le qualificatif de « pensée ésotérique » a été avancé par plusieurs auteurs dont le français Christian Sommer et les allemands Peter Trawny et Matthias Flatscher tous trois contributeurs au livre collectif consacré à la lecture des Beitrage118. Jusqu'à leur publication en 1989, la situation des traités impubliés conforte cette idée d'une double nature de la pensée du philosophe : un enseignement public de cours et conférences qui correspondrait à l'exotérique et une partie retenue ou cachée, les « traités impubliés », qui serait (l'Adyton selon l'expression de Peter Trawny119), la partie cachée, le noyau de l'œuvreN 51.

Le livre est dominé par l'idée de « passage », passage d'une pensée métaphysique dite du premier commencement à une pensée autre, un autre commencement possible. « Heidegger comprend sa pensée à partir du passage et de la préparation [...] Ce penser du « passage » ne constitue pas le point final, mais doit préparer le terrain à l'autre commencement [...] On ne doit pas considérer comme problématique le fait que Heidegger ne puisse pas esquisser parfaitement en quoi consiste l'à-venir ». Toutefois Le « passage » qui comporte un certain type de confrontation avec l'histoire est réservé explicitement à des « élus », résume Matthias Flatscher120,N 52.

Polémiques de traduction

La traduction française des Beiträge chez Gallimard, que l'on doit à François Fédier, fait polémiqueN 53. Pour certains, elle est désastreuse (Michel Cluot121; voir aussi la recension et le jugement critique d’Étienne Pinat 6) ainsi que pour Christian Sommer122. Pour d'autres elle est admirable : « Fédier déploie son talent de traducteur inspiré des vieux poètes français ». Car « qui a dit que lire Heidegger devait être facile ? »123 La controverse débute dès le titre qui substitue aux termes littéraux de « Contribution » et d'« Événement », que l'on trouve dans la version anglaise, les termes contestés d'  « Apports » et d'« Avenance »  Pascal David124 donne à propos du titre, une définition de la philosophie selon Heidegger qui conforte la traduction de François Fédier : « La philosophie porte sur ce qui vient à elle sans venir d'elle, elle porte sur ce qui jusqu'à elle s'apporte, pour autant qu'elle sait s'y montrer réceptive. Cet apport à la philosophie vient de l'être [...]. De l'être qui dans Être et Temps était toujours l'être de l'étant, le questionnement se porte dès lors sur la vérité de l'être, sur l'être lui-même ».

Notes et références


  • article Apports à la philosophie Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 92
  • Notes


    1. Le traducteur avait lui-même prévenu : «  II ne faut pas trop craindre de n'être pas compris : l'essentiel est d'avoir tout fait, rigoureusement et loyalement, pour être compréhensible ». F.Fédier: Comment je traduis Ereignis [archive]

    Liens externes

    Articles connexes

    Bibliographie

    • Martin Heidegger (trad. François Fédier), Apports à la philosophie: de l'avenance, Gallimard, , 617 p. (ISBN 978-2-07-014057-2).
    • Martin Heidegger (trad. Alain Boutot), Méditation, Gallimard, , 431 p. (ISBN 978-2-07-286802-3).
    • François Fédier, Entendre Heidegger, Le grand Souffle-Pocket, coll. « Agora », (ISBN 978-2-266-23377-4).
    • collectif (dir.), Lire les Beitrage zur Philosophie de Heidegger, Hermann, coll. « Rue de la Sorbonne », , 356 p. (ISBN 978-2-7056-9346-6).
    • Jean Grondin, Le tournant dans la pensée de Martin Heidegger, PUF, coll. « Epiméthée », , 136 p. (ISBN 2-13-039849-9).
    • Gerard Guest, Séminaire Investigations à la limite, site Paroles des Jours, 29 séances à ce jour.
    • Martin Heidegger (trad. Roger Munier, postface Lettre à Jean Beaufret de 11/1945), Lettre sur l'humanisme-Über den Humanismus, Paris, Aubier éditions Montaigne, coll. « bilingue », , 189 p..
    • Philippe Arjakovsky, François Fédier et Hadrien France-Lanord (dir.), Le Dictionnaire Martin Heidegger : vocabulaire polyphonique de sa pensée, Paris, Éditions du Cerf, , 1450 p. (ISBN 978-2-204-10077-9).
    • Marlène Zarader (préf. Emmanuel Levinas), Heidegger et les paroles de l'origine, Paris, J. Vrin, , 2e éd. (1re éd. 1986), 319 p. (ISBN 2-7116-0899-9).
    • Jean-François Mattéi, Heidegger et Hölderlin : le Quadriparti, Paris, PUF, coll. « Epiméthée », , 288 p. (ISBN 978-2-13-050113-8).
    • Gérard Guest, Ligne de risque (1997-2005) sous la dir de Yannick Haenel et François Meyronnis, Paris, Gallimard, 2005, coll. "L'Infini", p. 306-372.
    • Françoise Dastur, Heidegger et la pensée à venir, Paris, J. Vrin, coll. « Problèmes et controverses », , 252 p. (ISBN 978-2-7116-2390-7, notice BnF no FRBNF42567422).
    • Françoise Dastur, chap. 650 « Heidegger Espace, Lieu, Habitation », dans Les Temps modernes (revue) : Heidegger.Qu'appelle-t-on le lieu?, Claude Lanzmann, , p. 140-157.
    • Françoise Dastur, Heidegger, VRIN, , 256 p. (ISBN 978-2-7116-1912-2, présentation en ligne [archive]).
    • Gérard Guest, « Avertissement », L'infini, Gallimard, no 95 « Heidegger : Le Danger en l'Être »,‎ , p. 11.
    • Pascal David, « Le Dieu en fin/Le Dieu en fin », L'infini, Gallimard, no 95 « Heidegger : Le Danger en l'Être »,‎ , p. 154-171.
    • Martin Heidegger, « Le péril », L'infini, Gallimard, no 95 « Heidegger : Le Danger en l'Être »,‎ , p. 11.
    • collectif, « Heidegger: le danger en l'Être », L'Infini, Paris, Gallimard, no 95,‎ .
    • collectif (dir.), Lire les Beiträge zur Philosophie de Martin Heidegger, Hermann, (ISBN 978-2-7056-9346-6).
    • (es) Martin Heidegger : aportes a la filosofia, Madrid, Maia édiciones, .
    • Michel Haar, Heidegger et l'essence de l'homme, Grenoble, Jérôme Million, coll. « Krisis », , 2e éd. (1re éd. 1990), 254 p. (ISBN 2-90561-439-0).
    • Thierry Gontier, « Finitude du Dasein, finité humaniste », dans Bruno Pinchard (dir.), Heidegger et la question de l'humanisme : Faits, concepts, débat, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Themis », , 392 p. (ISBN 978-2-13-054784-6).
    • Marlène Zarader, Lire Être et Temps de Heidegger, Paris, J. Vrin, coll. « Histoire de la philosophie », , 428 p. (ISBN 978-2-7116-2451-5).
    • Martina Roesner, « Hors du questionnement, point de philosophie : Sur les multiples facette de la critique du christianisme et de la « philosophie chrétienne » dans l’Introduction à la métaphysique », dans Jean-François Courtine (dir.), L'Introduction à la métaphysique de Heidegger, Paris, Vrin, coll. « Études et Commentaires », (ISBN 978-2-7116-1934-4), p. 83-104.

  • Christian Sommer 2017, p. 14
  • Gérard Guest avril 2008, vidéo 10, lire en ligne.
  • Gerard Guest 2005, p. 15
  • Françoise Dastur 2017, p. 145
  • Etienne Pinat 2015|
  • Françoise Dastur 2011, p. 207-226
  • Alexander Schnell 2017, p. 160-161
  • Gérard Guest et 2005 lire en ligne, p. 11
  • Françoise Dastur 2017, p. 141
  • Françoise Dastur 2017, p. 147
  • article Avenance Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 143
  • article Avenance Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 145-146
  • Sylvaine Gourdain 2010, p. 92
  • Marlène Zarader 1990, p. 249
  • article Événement Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 464
  • Gérard Guest et 2005 lire en ligne, p. 21
  • Françoise Dastur et 200 p49-50
  • article Autre commencement Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 136-137
  • Guillaume Fagniez 2017, p. 88
  • John Sallis 2017, p. 63
  • Sylvaine Gourdain 2010, p. 89-90
  • Gerard Guest 2005, p. 16
  • Franco Volpi 2010, p. 37
  • Gérard Guest avril 2008, vidéo 11, lire en ligne.
  • Heidegger 2006, p. 18
  • Gérard Guest mai 2008, vidéo 2, lire en ligne.
  • Jean-François Courtine 2014, p. 2-3
  • Guillaume Faniez 2017, p. 100
  • Christian Sommer 2017, p. 11
  • Gérard Guest mai 2008, vidéo 11, lire en ligne.
  • Françoise Dastur 2017, p. 150
  • Martin Heidegger 2017, p. 98
  • Sylvaine Gourdain 2010, p. 90 lire en ligne
  • Questions IetII, Qu'est-ce que la métaphysique?, p. 66
  • Gérard Guest mai 2008, vidéo 8, lire en ligne.
  • Brito 1997, p. 353
  • article Critique de la raison pure Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 286
  • Françoise Dastur 2017, p. 155
  • Françoise Dastur 2011, p. 66
  • article Dasein Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 304
  • Gérard Guest mai 2008, vidéo 7, lire en ligne.
  • Alexander Schnell 2017, p. 171-172
  • Franco Volpi 2010, p. 139
  • Gérard Guest mai 2008, vidéo 8, lire en ligne
  • Gerard Guest 05/2008 vidéo 9 écouter en ligne
  • Gérard Guest mai 2008, vidéo 9, lire en ligne.
  • Sylvaine Gourdain 2017, p. 192
  • Sylvaine Gourdain 2010, p. 91
  • Sylvaine Gourdain 2017, p. 193
  • Sylvaine Gourdain 2017, p. 194-195
  • Gerard Guest 2005, p. 6
  • Alphonse de Waelhens 1954, p. 111sq
  • Gérard Guest juin 2008, vidéo 1, lire en ligne.
  • Sylvaine Gourdain 2017, p. 184
  • Sylvaine Gourdain 2017, p. 181
  • Geard Guest et 2005 lire en ligne, p. 10
  • Geard Guest et 2005 lire en ligne, p. 18
  • article Kehre Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 720
  • article Auto-interprétation Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 135
  • Gérard Guest mai 2008, vidéo 5, lire en ligne.
  • Marlène Zarader 1990, p. 255
  • article Art Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 113
  • Gérard Guest juin 2008, vidéo 2, lire en ligne.
  • Heidegger le danger en l'être, p. 11
  • Thierry Gontier 2005, p. 17
  • article Dasein Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 304
  • Françoise Dastur 2011, p. 54-55
  • Sylvaine Gourdain 2017, p. 190
  • Françoise Dastur 2011, p. 62
  • Michel Haar 2002, p. 13
  • Lazlo Tengelyi 2017, p. 125
  • Matthias Flatscher 2017, p. 41
  • Matthias Flatscher 2017, p. 42
  • Jean-François Courtine 2014, p. 5
  • article Machenschaft Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 793
  • article Machenschaft Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 792
  • Courtine résumé Conférence Heidegger, l’art, la technique, p. 2
  • article Machenschaft Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 804
  • Pinat 2015, p. 5
  • Nikola Mirkovic 2017, p. 219
  • article Autre Commencement Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 138-139
  • Martin Heidegger 2013, p. 215
  • article Autre Commencement Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 139
  • article Autre Commencement Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 137
  • Günter Figal 2017, p. 273
  • Jean-François Mattéi 2001, p. 190
  • Heidegger 1970, p. 99
  • . L'Origine de l'œuvre d'art dans les chemins qui ne mènent nulle part
  • Jean-François Mattéi 2001, p. ch4-l'écartèlement de l' Être
  • Gérard Guest mai 2008, vidéo 10, lire en ligne.
  • Sylvaine Gourdain 2010, p. 89
  • Pascal David 2006
  • Gérard Guest juin 2008, vidéos 5 à 15, lire en ligne.
  • Pascal David 2006, p. 156
  • Michel Dion 2001, p. 184 lire en ligne
  • Sylvaine Gourdain 2010, p. 94
  • Sylvaine Gourdain 2010, p. 96
  • Françoise Dastur 2011, p. 152
  • Françoise Dastur 2011, p. 151
  • Sylvaine Gourdain 2010, p. 93
  • Gérard Guest juin 2008, vidéo 8, lire en ligne.
  • Pascal David 2006, p. 155
  • article Tonalités fondamentales Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 1311
  • Paul Slama 2017, p. 242
  • Paul Slama 2017, p. 243
  • Nikola Mirkovic 2017, p. 216
  • article Tonalités fondamentales Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 1312
  • Nikola Mirkovic 2017, p. 220
  • Tobias Keiling 2017, p. 198
  • Françoise Dastur 2017, p. 157
  • Claudia Serban 2017, p. 255
  • Jean-François Mattéi 2001, p. 193-198
  • Claudia Serban 2017, p. 262
  • Claudia Serban 2017, p. 264
  • Claudia Serban 2017, p. 259
  • Jean-François Mattéi 2001, p. 78
  • Lire les Beitrage zur Philosophie de Heidegger 2017
  • Peter Trawny 2017, p. 25
  • Matthias Flatscher 2017, p. 51-52
  • Michel Cluot 2014
  • Christian Sommer 2014
  • Nicolas Plagne: Face à l'urgence : les Essais de Heidegger [archive]
  • Il a pu être considéré par certains tel Pôggeler, comme l'œuvre maîtresse de Heidegger écrit Jean Grondin-Jean Grondin 1987, p. 21
  • On trouve dans ces traités, outreBeiträge zur philosophie trois autres textes : Besinnung Méditation du sens, Die geschiste des Seyns L'Histoire de l'Être et Metaphysic und Nihilismus Métaphysique et Nihilisme, ces trois ouvrages ont été publiés à la suite par le même éditeur, d'autres ouvrages devraient suivre
  • Dans ses cours publics Heidegger n'a jamais divulgué ses recherches secrètesChristian Sommer 2017, p. 14
  • « Il s'agit dans cette œuvre, d'une compilation d'aphorismes ou de morceaux de textes plus longs dans lesquels une évidence se fait jour : l'auteur veut clarifier son propre rapport à la philosophie »-Nikola Mirkovic 2017, p. 216
  • Jean Sallis note que dans l'incipit de l'ouvrage, Heidegger dit renoncer explicitement à réaliser une œuvre dans le style de ce qui a eu lieu jusqu'à présent-Jean Sallis 2017, p. 61
  • C'est pourquoi il est question d'exposer les principales articulations en lieu et place d'un plan
  • « La Wesung est le déploiement de l’Être. Il est essentiel de le comprendre, car la formule de Heidegger nous dit que l’Être se déploie comme Ereignis. C’est qu’en effet l’Être n’est pas un étant qui pourrait être d’abord pour se déployer ensuite. L’Être ne se tient pas derrière son déploiement, il n’est rien d’autre que son propre déploiement, et il se déploie comme Ereignis, en cela que son déploiement est l’événement d’ouverture de l’éclaircie (la Lichtung) à l’homme, événement qui ainsi le requiert et l’approprie, l’accorde à l’Être »Etienne Pinat 2015
  • Hadrien-France-Lanord confirme cette appréciation :« Dans les ouvrages rédigés entre 1936 et 1944 [...] le mot Ereignis apparaît sans cesse et sous toutes ses formes, à tel point que le sous-titre des Beitrage à savoir : Vom Ereignis est en réalité selon Heidegger le véritable titre pour l'œuvre qui ne peut être ici que préparée »
  • Il s'agit de « penser leur co-appartenance [...]c'est-à-dire comme entre-appartenance; non plus comme l'unité d'une diversité mais comme appartenance au Même à partir duquel se distinguent les termes du rapport »-Françoise Dastur 2017, p. 147
  • « Heidegger cherche à exprimer une pensée du Seyn qui n'est plus tributaire du cadre de la philosophie de la représentation [...] l' Ereignis exprime le phénomène d'une appropriation. Appropriation de quoi ? [...] que l'être soit ce qui confère son sens et son fondement à l'étant, mais encore que l'étant porte l'être et en rende compte [...] l'Ereignis nomme l"appropriation de ce état de choses par le Da-sein, appropriation qui ne concerne plus seulement sa compréhension [...] mais la manière de se tenir dans l'essence [...] autrement dit, la façon dont concrètement le Dasein fonde la vérité du Seyn »Alexander Schnell 2017, p. 162
  • Alexander Schnell résume « Ereignis dit à la fois événement (dans le double sens de ce qui survient de façon inopinée du dehors et de ce qui est en train de se passer) et appropriation »Alexander Schnell 2017, p. 160note2
  • « Ce dont il s'agit essentiellement pour la pensée de l' Ereignis c'est de prendre conscience pour l'« être humain » de sa précaire demeure et de son mode d'habitation dans l' Être » écrit Gerard Guestarticle Événement Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 464
  • « alors que dans la connaissance philosophique rien ne reste inchangé, tout se déplace et se transforme en même temps. [...] La mise en mouvement de l'entièreté du rapport de l'homme à la vérité ne peut plus être compris que comme un rapport d'accomplissement et non plus comme une simple représentation démonstrative »-Françoise Dastur 2017, p. 147
  • « Si la tonalité fondamentale du premier commencement était l'étonnement, celle du commencement à venir est la retenue »-Tobias Keiling 2017, p. 205
  • « Heidegger oppose à l'étonnement du premier commencement de la philosophie par les Grecs l'effroi de l'autre commencement. L'effroi serait le retour face à ceci que l'étant est et que l'Être a quitté tout étant, s'est retiré de lui »Nikola Mirkovic 2017, p. 219-220
  • « Ce qui est requis c'est que l'on joue une sorte de disjonction du langage, que l'on repousse le langage existant hors de ses gonds, le porte à dire ce qu'il ne pourrait dire autrement »-John Sallis 2017, p. 64
  • « La pensée heideggerienne est un cheminement tâtonnant [...] sa progression ne la fait pas accoucher d'une œuvre, puisque son œuvre est sa progression même [...] Les Beitrage ne consistent pas à discuter d'un sujet pour se l'approprier mais, tout au contraire à le laisser s'emparer de soi, à le laisser l'emporter sur soi pour s'y assujettir »-Christophe Perrin 2017, p. 77-78
  • c'est à cette deuxième fugue que se rapttachent les textes, Hegel et son concept de l'expérience, Le mot de Nietzsche Dieu est mort, Pourquoi les poètes ? des Chemins qui ne mènent nulle partChristian Sommer 2017, p. 11
  • « Dans les Beitrage, Heidegger n'identifie plus le Dasein à l'homme, mais il évoque le Da-sein comme la situation du Da, au milieu d'un monde, dans laquelle l'homme se trouve déjà plongé, mais qu'il a à s'approprier comme telle » Sylvaine Gourdain 2017, p. 185 note
  • « À la garde de l'être, correspond le berger (der Hirtt des Seins), qui a si peu à faire avec une idyllique bergerie et une mystique de la nature qu'il ne peut devenir berger de l'être qu'en demeurant celui qui fait face au néant » rapporte Didier Franck-Franck 2004, p. 23
  • Dans le langage du penseur Sylvaine Gourdain parle d' événement appropriant apparaissant avec « la cinquième figuration, sous les traits des « futurs » (die Zukünftigen) : ces chercheurs de l’être sont chargés non seulement de trouver la vérité de leur être, mais aussi – et c’est là que le mystère s’épaissit – de préparer l’arrivée du « dernier dieu », « le tout autre contre les ayant-étés, surtout contre le dieu chrétien » »Sylvaine Gourdain 2010, p. 90
  • L'impossible qui est visé ici n'a strictement rien à voir avec les possibilités sans fin du monde de la technique. À proprement parler l'impossible qui contrarie l'apparente puissance technologique de l'homme, n'est pas pensable dans la Machenschaft, l'ouverture radicale de l'« autre commencement », crée elle-même sa propre possibilité Sylvaine Gourdain 2017, p. 195
  • « Le « dernier dieu » qui renvoie à l'infinité des possibilités pour l'Ereignis de s'approprier est le signe du tremblement permanent du sens qu'est la vérité comme telle »Sylvaine Gourdain 2017, p. 194
  • Françoise Dastur qui parle de contrebalancement écrit : « Ce qu'il s'agit de penser, c'est le Wesen le déploiement de l'être de l'Être et non plus l'être au sens métaphysique »Françoise Dastur 2017, p. 156
  • « Le Seyn requiert le Da-sein pour pouvoir se déployer dans son essence; et le Dasein appartient nécessairement au Seyn parce que ce n'est que de cette façon qu'il peut lui-même être »-Alexander Schnell 2017, p. 171
  • « L'Ereignis est un mouvement historial qui nous dépasse, et sur lequel nous n'avons aucune prise, et pourtant l'Ereignis ne s'approprie ni ne se désappoprie jamais sans nous [...] Jamais nous ne pouvons nous extraire du monde au sein duquel nous sommes jetés, [...] Existant dans le monde, l'homme doit en même temps préserver la « terre » comme le résidu qui résiste à cette configuration, comme ce qui ne se plie pas à l'ordonnancement dans un réseau designificativité quirisque toujours de s'uniformiser »Sylvaine Gourdain 2017, p. 191
  • « L'essence historiale ne consiste pas en un ordre chronologique mais, au contraire, en une signification englobante d'événements lesquels lient le passé au futur »Nikola Mirkovic 2017, p. 222
  • « L'« historialité » désigne le fait que l'insertion du Dasein, dans une histoire collective appartient à son être même et le définit » écrit Marlène Zarader-Marlène Zarader 2012, p. 73
  • « Cet être (la patrie), institué par la poésie, articulé par la pensée et installé dans le savoir et enraciné dans l'activité du fondateur d'Etat de la terre et dans l'espace historial. La patrie scéllée dans le secret et ce conformément à son essence et pour toujours [...] La patrie est l'être même qui porte et ajointe fondamentalement l'histoire événementielle d'un peuple comme existant [...] La patrie prend un sens « historial » »-Christian Sommer 2017, p. 19
  • « La conception heideggerienne de la philosophie consisterait en un rejet radical de la conception établie et inchangeable de la raison et une prise en considération de l'historicité intrinsèque de la compréhension de l' Être et du Soi »-Matthias Flatscher 2017, p. 43
  • Tous les affects recensés à propos du désenchantement du monde, la détresse, le déracinement, la désacralisation, sont, selon Heidegger, autant de signes du délaissement de l'Être et la manifestation de la Machenschaft, auxquels on peut rajouter le goût du gigantisme, l'extension de la calculabilité à tout l'étant, y compris la gestion du parc humain, qui va devenir ici, pour la première fois, un thème fondamental qui fondera dorénavant toute sa critique de la modernité, de la technique, de l'affairement et de la dictature de la « faisabilité », par laquelle il faut notamment comprendre que tout ce qui peut être techniquement réalisé sera fait quel qu'en soit le coût pour l'humanité de l'homme. « L’homme arraisonné par le Dispositif a affaire désormais à des choses qu’il a toujours déjà prises en vue comme fonds ou stock disponible (en allemand, Bestände) » écrit Courtine résumé Conférence Heidegger, l’art, la technique, p. 2
  • « Le premier et l'autre commencement forment un unique événement dans la mesure où ils appartiennent à l'« événement » ( Ereignis) que Heidegger considère comme l'essence historiale de l'Être »Nikola Mirkovic 2017, p. 22
  • « Le premier commencement s'est retiré à mesure que se déployait le monde grec »article Autre commencement Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 140
  • « Si la pensée occidentale peut dès à présent s'engager dans le passage vers l' « autre commencement », c'est bien parce que cet autre commencement, même s'il n'est que pressenti demeure toujours d'avance dans le jeu de son avenance »-article Autre commencement Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 136-137
  • « Le temps des systèmes est derrière nous. Celui de l'édification d'une configuration essentielle où l'étant se déploierait à partir de la « vérité de l' Être » n'est pas encore venu (p.5) »article Autre commencement Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 136-137
  • « La phrase qui a été reçue, en son temps, avec beaucoup de surprise : seulement un dieu peut encore nous sauver renvoie directement aux Beiträge, comme le montrent clairement les explications données par Heidegger dans l'interview du Spiegel »
  • « Avec ce premier cours sur Hölderlin [...] la pensée est ravagée par un véritable tremblement de terre, et de ciel, qui la confronte à un nouveau paysage. ce n'est plus désormais l'horizon de l'étant das Seiende, mais la hauteur de l' Être das Seyn qui provoque d'un coup l'étonnement du penseur [...] devant l'insistante présence des choses, vibrantes encore des puissances de l'origine »-Jean-François Mattéi 2001, p. 190
  • C'est dans la conférence Das Ding que Heidegger donnera l'illustration la plus frappante de cette intime collaboration
  • « La figure du « dieu à venir » permet d’éviter que la pensée de l’être ne débouche que sur du vide, que ce soit le vide du néant inhérent à la finitude de l’être, ou le vide de l’erreur métaphysique. Elle constitue le plein positif qui vient combler l’ouverture à un futur indéterminé, sans pour autant définir et caractériser outre mesure ce qui doit demeurer inconnu. « La rose est sans pourquoi, fleurit parce qu’elle fleurit » , écrit Heidegger, citant Angelus Silesius. On ne sait pas pourquoi la rose fleurit, mais elle fleurit. On ne sait pas au fond pourquoi, ou plutôt pour quoi le dieu doit venir, mais il est à venir »-Sylvaine Gourdain 2010, p. 101
  • « Heidegger a développé ce motif de la fuite des anciens dieux pour la première fois dans les cours sur Hölderlin de l'hiver 1934-1935 et le reprend sous forme de leitmotiv dans les Beitrage »-Günter Figal 2017, p. 275
  • « Si das Göttliche correspond en français au mot « divin », les termes Gottheit et Göttlichkeit peuvent présenter davantage de difficultés de traduction. Göttlichkeit étant formé à partir de l’adjectif göttlich, nous le traduisons par « divinité » (divin-ité). Göttlich-keit doit être envisagé comme Göttlich-sein, l’ « être-divin », et nous avons réservé le terme « déité » à Gottheit, au sens de Gott-sein, l’ « être-dieu ». Le « divin » désigne manifestement le déploiement du dieu dans la dimension de la « déité » tout comme l’ « ek-sistence » est le déploiement de l’homme »-Sylvaine Gourdain 2010, p. 94
  • « Seul un dieu peut encore nous sauver » Entretien de Martin Heidegger avec le Spiegel, tenu le 23/09/1966, publié le 31/05/1976
  • « Sauf » a non seulement le sens de sain et d'entier mais aussi de ce qui rend entier-François Fédier 2017, p. 599
  • « Ce n'est qu'à partir de la vérité de l' Être que se laisse penser l'essence du sacré. Ce n'est qu'à partir de l'essence du sacré qu'est à penser l'essence de la divinité. Ce n'est que dans la lumière de l'essence de la divinité que peut être pensé et dit ce que doit nommer, le mot, « Dieu » »-Heidegger 1970, p. 135
  • « L’ Être n’a d’autre fondement que l’abysse qu’il est lui-même. Quant au dieu, il s’articule à l’ Être au même titre que les cinq autres modalités de l’ « événement appropriant ». En cela, il se trouve dans une situation d’impuissance complète : si l’ Être ne se fonde pas lui-même en sa vérité, le dieu n’a aucune chance d’apparaître »-Sylvaine Gourdain 2010, p. 90
  • « Parmi toutes les manières humaines de s'accorder au diapason du monde, Heidegger s'attache à distinguer des tonalités de fond, comme par exemple la joie, l'ennui, l'angoisse, l'étonnement, l'effroi, ou la retenue [...] ces tonalité nous permettent d'être accordés de fond en comble »-article Stimmung Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 1260
  • « Dans Être et Temps, c'est l'angoisse qui ouvre au Dasein la possibilité d'être soi-même et ouvert au monde ». « La tonalité ouvre co-originalement un monde et l'étant que nous sommes à nous-mêmes en rendant possible la rencontre de ce monde. Dans Être et Temps, c'est l'angoisse qui ouvre au Dasein la possibilité d'être soi-même et ouvert au monde. »Nikola Mirkovic 2017, p. 216
  • Ce dont il est question avec la retenue c'est « d'une transformation de ce que peut bien signifier, pour un être, exister, posséder un fondement »Tobias Keiling 2017, p. 199
  • L'usage de l'expression « autre commencement », vise à accentuer son altérité par rapport à un premier commencement. Il s'agit par-dessus l'histoire de la métaphysique, de reprendre source directement à l'origine, à l'écoute de la dynamique cachée de l'histoire de l'Être. Il s'agit, de se retourner pour retrouver à travers la « Répétition », le point inaugural d'un autre chemin possible de la pensée, d'un autre « commencement » . Martina Roesner écrit « Le premier commencement qu'est la métaphysique n'est pas une « cause », qui à un moment donné de l'histoire, aurait l'autre commencement de la pensée pour « effet », elle est une origine Ursprung qui demande à devenir plus « originaire » »-Martina Roesner 2007, p. 100-101.
  • « Les modalités sont des modalités de l'étant (de l'étantité) et ne disent absolument rien encore de la fissuration de l'Être lui-même »Claudia Serban 2017, p. 259
  • . Comme le constate Christian Sommer, avec leur publication il apparaît que les « Beitrage permettent de déchiffrer le second Heidegger, à savoir non seulement les cours de Fribourg des années 1930-1940, mais aussi tous les textes après 1945 dont les configurations thématiques s'organisent autour de l'Ereignis »-Christian Sommer 2017, p. 13
  • « la pensée authentique de l'histoire ne sera connaissable que pour le petit nombre, et ce petit nombre, seuls quelques rares êtres sauveront le savoir historial à travers l'embrouillamini général de la doxa historique, pour être prêts à décider, comme cela sied à une génération d'avenir » écrit Heidegger traduit et cité par Matthias Flatscher 2017, p. 52
  • Nuit d'été à Aasgaardstrand

    Nuit d'été à Aasgaardstrand munch_aasgaardstrand.JPGArtiste : Edvard Munch Date : 1864 Matériaux : Peinture à l'huile sur toile Acquisition : Acquisition (1986) Musée d'Orsay Symbolisme Premier étage - Section 60 Description Le peintre norvégien Edvard Munch est considéré comme l'un des précurseurs de l'expressionnisme. Son talent s'est imposé d'emblée en Allemagne et en Europe. Au fil des ans, son originalité et son rayonnement ont fait de lui une figure de proue de l'art mondial. Sa production des années 1890 est aujourd'hui largement connue et ses oeuvres ultérieures sont l'objet d'un regain d'intérêt. Quant aux artistes contemporains, ils reconnaissent l'inspiration qu'ils puisent à la source de son oeuvre. Enfant de la capitale, Edvard Munch est le fils d'un médecin militaire profondément religieux et peu argenté. Son oncle, P.A. Munch, est un historien réputé. Si l'ouverture à la culture a pu déclencher la vocation artistique d'Edvard, son environnement familial ­ éminemment morbide ­ l'a sans nul doute nourrie. Jugez-en. Sa mère, pourtant de vingt ans la cadette de son mari, meurt alors qu'Edvard n'a que cinq ans. Sa soeur aînée, quinze ans à peine, est emportée par la tuberculose. Sa soeur cadette est diagnostiquée "mélancolique". Son frère Andreas sera le seul des cinq enfants à se marier... pour décéder quelques mois après la cérémonie. Réalisme Après deux ans sur les bancs des Arts et Métiers, Munch se lance avec sérieux dans la voie artistique. Il étudie les classiques, s'inscrit à l'Ecole royale de dessin et devient le disciple de Christian Krogh, le plus grand peintre naturaliste du pays. Ses premières oeuvres s'inspirent du réalisme français. D'emblée, son talent séduit. En 1885, Edvard Munch effectue un bref voyage d'étude à Paris. La même année, il s'attelle à une oeuvre maîtresse, La Jeune Fille malade. Abordant un thème déjà traité par son mentor, Munch marque une coupure radicale avec le réalisme. Pour Munch, le sujet n'est autre que sa soeur Sophie. Il travaille longtemps à cette toile, à la recherche d'une «impression originelle» et d'une forme capable de restituer son expérience personnelle, aussi douloureuse fût-elle. Dédaigneuse de la stylistique de son temps, sa composition s'approche de celle des icônes. La texture grossière des surfaces révèle ici les tours et détours du processus créateur. La toile est très mal accueillie par la critique. Les principales oeuvres des années suivantes seront d'une structure formelle moins provocante. Nimbée du néoromantisme ambiant, Inger à la plage (1889) révèle le talent lyrique de Munch. La toile est peinte à Åsgårdstrand, petit village près de Horten, sur les rives du fjord d'Oslo. On y voit le littoral typique de cette région, dont les courbes sinueuses constituent l'un des leitmotivs essentiels de la sémantique de l'artiste. La bohême de Christiania En 1889, Edvard Munch peint le portrait de Hans Jæger, père spirituel de la bohême de Christiania. En fait, Munch fréquente Jaeger et son milieu d'anarchistes révolutionnaires dès 1885. C'est un tournant décisif. Ces contacts seront à l'origine d'un intense débat intérieur ... et de conflits déchirants. A cette époque, il s'attelle à une vaste (auto)biographie, tâche qu'il remettra plusieurs fois sur le métier au cours de son existence. Ces notes lui serviront plus tard à donner consistance aux thèmes majeurs des années 1890. A l'instar de Jæger, Munch s'efforce de donner une image vraie des frustrations et des souffrances de l'homme moderne: il veut "peindre sa vie". France A l'automne 1889, Munch expose à Christiania. L'événement lui vaut une bourse d'artiste "public", renouvelée trois ans de suite. Edvard la met à profit pour se rendre à Paris, où il travaille brièvement sous la direction de Léon Bonnat. Il découvre aussi le milieu artistique parisien, dont il gardera un souvenir plus durable. L'époque est en effet au postimpressionnisme, et les expériences antinaturalistes abondent. Pour Munch, c'est une libération. "La photographie ne peut faire concurrence à la palette et au pinceau, écrit-il, tant qu'elle ne peut servir au ciel et en enfer". C'est à Paris que Munch apprend la mort de son père. De l'avis général, la solitude et la mélancolie dont témoigne Nuit à Saint-Cloud sont l'expression de ce deuil. Dans une palette exclusivement bleue, la toile esquisse la silhouette d'un personnage solitaire assis à la fenêtre d'un intérieur, perdu dans l'obscurité. Cette toile toute en nuances ­ non sans évoquer le chromatisme nocturne de James McNeill Whistler ­ est une oeuvre moderne et originale, symptomatique d'une "décadence" fin de siècle. Au Salon de Christiania en 1891, Munch expose entre autres Mélancolie. Ici, les grandes lignes en arc et les larges touches de couleurs homogènes dominent, avec un dépouillement et une stylisation qui s'apparentent à ceux de Paul Gauguin et des synthétistes français. "Symbolisme -­ la nature est formée par l'état d'âme de l'observateur" écrit Munch. C'est à cette époque qu'il peint les premières esquisses du Cri. Parallèlement, il réalise aussi plusieurs toiles impressionnistes, presque pointillistes, inspirées des bords de la Seine et de Karl Johan, les grands boulevards d'Oslo. Mais c'est la vision de l'âme qui intéresse Munch, et non celle des yeux. Le Cri est souvent considéré comme la première toile expressionniste. C'est le paradigme de cette «peinture de l'âme», chère à l'artiste. L'expression repose avant tout sur le choix des couleurs et le tracé des lignes. La scène ­ en particulier le personnage principal ­ est caricaturée de façon grotesque et rendue dans une gamme chromatique qui ne doit plus rien à la réalité "vraie". Né de "l'enfer intérieur" de Munch, le tableau manifeste la face désespérée, angoissée et apocalyptique, qui marque la fin du siècle. Après tant d'années, force est de constater que l'impact visuel est inaltéré, preuve qu'il parle au coeur de l'homme contemporain. Berlin A l'automne 1892, Munch expose ses oeuvres peintes en France. Cette exposition lui vaut une invitation de la Künstlerverein de Berlin, qui souhaite monter une exposition de ses oeuvres. L'exposition est un énorme scandale. Le public ­ et la vieille garde ­ voit dans l'oeuvre de Munch provocation et anarchie. L'exposition est censurée derechef par les autorités.Elle a néanmoins permis à Munch de se faire un nom à Berlin, où il décide de s'installer. Il entre en contact avec un cercle d'écrivains, d'artistes et d'intellectuels en grande partie scandinaves. Parmi eux, August Strindberg, le poète polonais Stanislaw Przybyszewski, l'écrivain danois Holger Drachmann et l'historien de l'art allemand Julius Meier-Graefe. On y discute la philosophie de Nietzsche, l'occultisme, la psychologie et les aspects ténébreux de la sexualité. En décembre 1893, Munch expose à Unter den Linden. Il y présente notamment six toiles, groupées sous le titre Etude pour une série: l'Amour. Elles sont les germes de ce qui va devenir La Frise de la vie ­ un poème sur la vie, l'amour, la mort. Nous retrouvons ici de pures ambiances comme La tempête, Clair de lune et Nuit étoilée, où l'on devine l'influence de l'artiste suisse-allemand Arnold Böcklin. D'autres motifs, comme ceux de Rose et Amélie ou de Vampire, dépeignent les facettes peu reluisantes de l'amour. Plusieurs toiles ont pour thème la mort, la plus frappante étant La Mort dans la chambre de la malade. C'est dans cette composition que la dette de Munch envers les synthétistes et symbolistes français est la plus sensible. Blême, grinçante, l'image fige une scène qui pourrait être le baisser de rideau d'une pièce d'Ibsen. On retrouve ici le souvenir de la mort de Sophie, la soeur de l'artiste, entourée de toute la famille. La mourante, vue de dos, est cachée par son fauteuil, mais focalisée par le personnage qui représente Munch lui-même. L'année suivante, la frise prend de l'ampleur avec des motifs comme Angoisse, Cendre, Madone et Les trois âges de la femme, dont le monumentalisme est bien dans l'esprit du symbolisme. Avec entre autres contributions celle de Meier-Graefe, Przybyszewski publie en 1894 le premier ouvrage consacré à l'art de Munch. Il le baptise "Réalisme psychique". Retour à Berlin Munch quitte Berlin au début 1896 et s'installe à Paris, où l'ont précédé Strindberg et Meier-Graefe. Il s'y intéresse de plus en plus aux arts graphiques, délaissant quelque peu la peinture. A Berlin, il s'était essayé à la gravure et à la lithographie. Il crée maintenant d'exquises lithographies en couleur et ses premières gravures sur bois, en collaboration avec le célèbre imprimeur Auguste Clot. Munch avait aussi l'intention de publier un cycle intitulé Le miroir, conçu comme une frise graphique. Une maîtrise souveraine des techniques et une grande originalité artistique l'ont hissé au rang de classique des arts graphiques. A Paris, il crée des affiches pour deux pièces d'Ibsen, montées au Théâtre de l'Oeuvre, mais ne vient pas à bout d'une commande d'illustrations des Fleurs du Mal de Baudelaire. En 1898, de retour en Norvège, Munch illustre des textes de Strindberg publiés dans un numéro spécial de la revue allemande Quickborn. Le tournant du siècle Dans les dernières années du siècle, Munch tente d'achever sa frise. Il peint une série de nouvelles toiles, dont plusieurs de grand format, en partie inspirées par l'Art Nouveau. Pour Métabolisme, un tableau de grande taille, il fabrique lui-même un cadre qu'il orne de reliefs sculptés. D'abord baptisée Adam et Eve, la toile révèle la place centrale que tient le péché originel dans la philosophie de l'amour de l'artiste. Des motifs comme La croix vide et Golgotha (toutes deux de 1900) sont symptomatiques de l'attirance de l'époque pour la métaphysique, et se font l'écho de la jeunesse piétiste de l'auteur.A cette époque, une liaison amoureuse déchirante confirme l'artiste dans son optique de l'art comme vocation. Le tournant du siècle est une phase d'expérimentation fébrile. Un style plus coloré, plus décoratif voit le jour, sous l'influence des nabis et de leur maître Maurice Denis. Dès 1899, Munch peint La Danse de la vie qui, par son aspect monumental, peut être considérée comme une lecture audacieuse et personnelle de ce style décoratif. Une série de paysages du fjord de Christiania, études sensibles et décoratives, sont considérés comme autant de sommets du symbolisme nordique. Jeunes filles sur la jetée, oeuvre d'ambiance classique, est peinte à Åsgårdstrand durant l'été 1901. Le succès et après A la naissance du XXe siècle, Munch est un artiste établi. En 1902, il expose pour la première fois l'ensemble de sa frise à la "Sécession berlinoise". Une autre exposition ­ Prague 1905 ­ aura une profonde influence sur plusieurs artistes tchèques. Son oeuvre fait une large part aux portraits, souvent en pied. Le portrait de groupe intitulé Les fils du Dr Linde (1904) est considéré comme une oeuvre maîtresse du portrait moderne. Les fauves, Matisse en tête, partagent avec Munch de nombreux sujets de recherche. La «Brücke» de Dresden s'intéresse à son art, mais ne parvient pas à monter une exposition de ses oeuvres. Le succès artistique croise à cette époque de graves difficultés personnelles. L'abus d'alcool aggrave son déséquilibre psychique. Il ressasse jusqu'à la torture sa tragique histoire d'amour. Elle s'est terminée à l'automne 1902 par une fusillade dont Munch est sorti blessé à la main gauche. Il n'oubliera jamais cette humiliation, jusqu'à l'obsession. Les traits de cette femme apparaissent entre autre dans la Mort de Marat (deux versions en 1907), un archétype de ce qu'il appelle "le combat entre l'homme et la femme que l'on appelle amour". Henrik Ibsen disparaît en 1906, et Munch met l'automne de cette année à profit pour réaliser des décors pour Les revenants, mis en scène par Max Reinhardt au Deutsches Theater de Berlin. L'influence d'Ibsen ne cesse de croître. L'Autoportrait à Weimar montre un personnage sans force, attablé dans un café claustrophobique, très proche d'Osvald, le personnage d'Ibsen. Sur commande, Munch peint un monumental Portrait idéal de Friedrich Nietzsche, et profite de plusieurs visites à Weimar pour peindre la soeur du philosophe décédé, Elisabeth Förster-Nietzsche. De nouveaux thèmes laissent entrevoir un regain d'intérêt pour le monde. Hommes se baignant (1907-08) est un éloge sans détour de l'énergie virile. Les problèmes de nerfs et d'alcool atteignent pourtant un paroxysme, et Munch choisit de passer huit mois dans une clinique de Copenhague. En Norvège, on découvre enfin la valeur de son oeuvre. Il est décoré de l'ordre de St-Olav durant son séjour en clinique. Retour en Norvège De 1909 et jusqu'à la fin de ses jours, Munch va résider en Norvège. Il s'installe d'abord à Kragerø, petite ville de la côte sud du pays. Il y peint plusieurs toiles de facture classique, des paysages d'hiver, et se lance avec enthousiasme dans le concours pour la décoration de l'Aula, la nouvelle salle des fêtes de l'université d'Oslo. En 1912, avec l'exposition que lui consacre le Sonderbund de Cologne, Munch se voit reconnaître comme l'un des pionniers de l'art moderne. A Kragerø, il se fait construire de grands ateliers en plein air où il travaille plusieurs années de suite au projet de décoration de l'Aula. A l'issue d'interminables conflits, il emporte le concours et son oeuvre est installée dans le bâtiment en 1916. Selon les propres paroles de Munch, les motifs de l'Aula célèbrent les "forces éternelles de la vie". En toile de fond, un lever de soleil sur le fjord, reprenant la vue qui s'offre à Munch de la résidence qu'il loue à Kragerø, et qui exploite magistralement le potentiel symbolique de la lumière. Comme pendants, deux immenses toiles, L'Histoire et Alma Mater. Assis sous un grand chêne, dans un paysage rude et ingrat, un vieil homme conte à un petit enfant la saga de l'humanité. Dans un paysage serein et verdoyant, une mère est assise près d'une plage, un nourrisson à son sein, tandis que des enfants plus âgés s'initient à leur environnement naturel. Ces deux archétypes ne se contentent pas de renvoyer aux sciences de l'homme et de la nature, ils sont aussi l'illustration d'un principe masculin et féminin, contradiction fondamentale qui sous-tend l'univers pictural de l'artiste. Le mouvement ouvrier alors en plein essor n'est pas non plus oublié et inspire plusieurs toiles, parfois monumentales. Les Ouvriers rentrant chez eux (1913-15) est aussi une étude dynamique de la perspective et du mouvement. En 1916, Munch achète la propriété d'Ekely dans les faubourgs de Christiania. Paysages, personnages en harmonie avec la nature, chevaux au labour, les motifs sont dépeints en couleurs fortes et claires. D'un pinceau joueur et spontané, il célèbre les joies charnelles du sol, de l'air et de la terre. A Ekely, Munch vit de façon spartiate dans un isolement volontaire de plus en plus strict, préférant la seule compagnie de ses tableaux. Il est toujours productif, mais ne se sépare qu'à contre-coeur de ses "enfants". Il prête néanmoins ses oeuvres à de nombreuses expositions en Norvège comme à l'étranger. Dans les années suivantes, Munch peint de nombreuses études et compositions d'après des modèles. Certaines toiles laissent l'impression d'une joie de vivre régénérée, mais il n'en poursuit pas moins sa recherche sur les thèmes déchirants des années 1890. Sa production graphique est toujours importante, avec entre autre une série de portraits lithographiques. Lorsque Munch s'éteint en 1944, il lègue sa vaste collection d'oeuvres et de notes biographiques et littéraires à la municipalité d'Oslo. Le musée Munch, inauguré en 1963, gère donc une collection unique d'oeuvres de Munch ainsi que d'autres documents qui mettent en lumière les étapes de sa création artistique. La Galerie nationale d'Oslo possède elle aussi une collection unique de toiles et en particulier de chefs-d'oeuvre de sa première période, la plus novatrice. Le musée de Bergen Billedgalleri possède quant à lui plusieurs oeuvres de première importance. L'auteur de cet article, Frank Høyfødt, a travaillé de nombreuses années au musée Munch d'Oslo avant de présenter sa thèse de doctorat d'histoire de l'art sur la vie de Munch et son art.







    Le site est propriétaire exclusif de la structure et du contenu. La consultation du site ne peut se faire que dans un cadre privé. Toute reproduction, même partielle, est interdite. Insecula ne négocie pas de droits pour la reproduction des photos contenues dans le site. Inutile d'en formuler la demande. Conception/design/graphisme : Studio AK Pour contacter insecula : insecula@gmail.com Partenaires: Nouvelles destinations 2011 : Musée des arts asiatiques de San Francisco (Asian Art Museum) - Mausolée de l'empereur Qin - Luang Prabang - Songkran en Thaïlande - Bombay - Calcutta - Kolkata - Goa - Grottes d'Elephanta - Grottes d'Ajanta - Gwailor - Jaipur - Jodhpur - Khajurâho - Mandu - Orchhâ - Udaipur - Ujjain - Bhaktapur - Durbar Square à Katmandou - Katmandou - Palais Hanuman Dhoka - Swayambhunath - Temple Pashupatinath - Aspendos - Musée d'Antalya - Cappadoce : Göreme - Selime - Zelve - Cnide (Knidos) - Dalyan - Kaunos - Fethiye - Telmessos - Göcek - Gorges de Saklikent - Kalkan - Kekova - Kaleköy - Ucagiz - Limyra - Marmaris - Myra (Myre - Demre - Kale) - Olympos - Chimaera - Patara - Pergé - Sidé - Termessos - Tlos - Mosquée Hassan II de Casablanca - Volubilis - Pagode Shwedagon Insecula Insecula Nuit d'été à Aasgaardstrand Edvard Munch Musée d'Orsay






    Catalogue these books (A passage from Joyce’s Uylsses)

    Catalogue these books (A passage from Joyce’s Uylsses) Posted on June 16, 2020 by Biblioklept What final visual impression was communicated to him by the mirror? The optical reflection of several inverted volumes improperly arranged and not in the order of their common letters with scintillating titles on the two bookshelves opposite. Catalogue these books. Thom’s Dublin Post Office Directory, 1886. Denis Florence M’Carthy’s Poetical Works (copper beechleaf bookmark at p. 5). Shakespeare’s Works (dark crimson morocco, goldtooled). The Useful Ready Reckoner (brown cloth). The Secret History of the Court of Charles II (red cloth, tooled binding). The Child’s Guide (blue cloth). The Beauties of Killarney (wrappers). When We Were Boys by William O’Brien M. P. (green cloth, slightly faded, envelope bookmark at p. 217). Thoughts from Spinoza (maroon leather). The Story of the Heavens by Sir Robert Ball (blue cloth). Ellis’s Three Trips to Madagascar (brown cloth, title obliterated). The Stark-Munro Letters by A. Conan Doyle, property of the City of Dublin Public Library, 106 Capel street, lent 21 May (Whitsun Eve) 1904, due 4 June 1904, 13 days overdue (black cloth binding, bearing white letternumber ticket). Voyages in China by “Viator” (recovered with brown paper, red ink title). Philosophy of the Talmud (sewn pamphlet). Lockhart’s Life of Napoleon (cover wanting, marginal annotations, minimising victories, aggrandising defeats of the protagonist). Soll und Haben by Gustav Freytag (black boards, Gothic characters, cigarette coupon bookmark at p. 24). Hozier’s History of the Russo-Turkish War (brown cloth, 2 volumes, with gummed label, Garrison Library, Governor’s Parade, Gibraltar, on verso of cover). Laurence Bloomfield in Ireland by William Allingham (second edition, green cloth, gilt trefoil design, previous owner’s name on recto of flyleaf erased). A Handbook of Astronomy (cover, brown leather, detached, 5 plates, antique letterpress long primer, author’s footnotes nonpareil, marginal clues brevier, captions small pica). The Hidden Life of Christ (black boards). In the Track of the Sun (yellow cloth, titlepage missing, recurrent title intestation). Physical Strength and How to Obtain It by Eugen Sandow (red cloth). Short but yet Plain Elements of Geometry written in French by F. Ignat. Pardies and rendered into Engliſh by John Harris D. D. London, printed for R. Knaplock at the Biſhop’s Head, MDCCXI, with dedicatory epiſtle to his worthy friend Charles Cox, eſquire, Member of Parliament for the burgh of Southwark and having ink calligraphed statement on the flyleaf certifying that the book was the property of Michael Gallagher, dated this 10th day of May 1822 and requeſting the perſon who should find it, if the book should be loſt or go aſtray, to reſtore it to Michael Gallagher, carpenter, Dufery Gate, Enniſcorthy, county Wicklow, the fineſt place in the world.

    Projektion, une œuvre « Klee », entretien avec Hanspeter Kyburz

    Projektion, une œuvre « Klee », entretien avec Hanspeter Kyburz Entretien Par Véronique Brindeau, le 15/04/2005 Le titre que vous avez donné à votre -nouvelle œuvre, Projektion, rappelle votre intérêt pour tout ce qui touche à l’espace sonore. Ce titre renvoie-t-il à une interprétation plus particulière ? Le terme « Projektion » provient d’un -recueil de textes de Paul Klee, La pensée créatrice, rédigé à partir de son enseignement au Bauhaus de Weimar et Dessau, de 1921 à 1930. Dans ces textes, il présente quelques-uns des modèles qu’il utilise pour ses compositions. Les « projections » sont réalisées à partir de grilles -ordinaires faites d’horizontales et de verticales, comme un échiquier, grilles sur -lesquelles il trace des figures : par exemple un triangle, qui peut être irrégulier mais doit rester assez simple à saisir. Puis, en changeant la position des points de repère sur la grille, et selon la manière dont on opère une distorsion de la grille de départ, on obtient une déformation particulière de la figure initiale. Comment avez-vous transposé ce principe sur un plan musical ? Dans cette œuvre, j’utilise une « figure » principale constituée d’une suite de nombres qui peut revêtir différents -contenus musicaux. Comme Klee, je peux changer la grille, et la figure de départ s’en trouve modifiée, la modification de la base étant projetée sur l’objet situé au-dessus. C’est pourquoi j’ai donné à cette œuvre le titre de « Projektion ». Chaque transformation affecte les deux niveaux que constituent d’une part l’orchestre, d’autre part l’ensemble de neuf musiciens. Il existe différents effets d’échos, d’harmoniques, de corrélations entre les motifs mélodiques ou rythmiques. En fait, tous les matériaux présents le sont à la fois dans le groupe de neuf musiciens et dans l’orchestre, mais toujours modifiés, et selon une constante oscillation entre les deux niveaux. Pour autant, on ne peut dire que l’orchestre -forme une base au-dessus de laquelle évolue l’ensemble, car il existe un échange permanent entre ces deux groupes. Qu’est-ce qui caractérise pour vous cette pièce, par rapport à vos œuvres -antérieures ? Hormis cette construction géométrique, c’est le changement de perspective entre l’ensemble et l’orchestre qui m’a -intéressé. Les deux groupes possèdent beaucoup d’éléments similaires, toujours variés -cependant. On peut reconnaître une figure déjà jouée par l’ensemble, plus ou moins modifiée sur le plan de l’harmonie – qui peut être enrichie ou réduite, par exemple – et sur le plan rythmique. Les structures motiviques de l’orchestre et de l’ensemble sont très proches, ce qui me permet -d’obtenir un effet de perspectives changeantes, tout à fait comme dans un labyrinthe de miroirs, dans lequel on perçoit toujours ce qui a déjà été donné par l’autre groupe. Un autre aspect m’a intéressé, c’est l’absence de mouvements distincts, de sections contrastantes. Dans Projektion, il n’y a pas d’architecture globale comparable aux mouvements liés sans interruption de The Voynich Cipher Manustript, par exemple, où l’on pouvait repérer des sections de plusieurs minutes. Il s’agit plutôt ici de petits objets enchaînés, à travers lesquels se développent les trajectoires et les formes ; des « objets » de quelques -mesures, deux à six tout au plus, qui font perdre la sensation de continuité et favorisent les changements de perspective. La trajectoire d’ensemble est cependant perceptible grâce au développement très strict de l’harmonie. Ce qui m’a vraiment intéressé dans cette pièce, c’est la puissance d’intégration de l’harmonie, capable de donner une base à la comparaison des différences motiviques entre l’ensemble et l’orchestre. Jusqu’à présent, j’ai toujours recherché des contrastes d’ensemble pour les lier dans un plan dramaturgique. Maintenant, le lien est plus abstrait, et ce sont vraiment l’harmonie et la structure motivique qui relient les différents objets de la composition. Propos recueillis par Véronique Brindeau Extrait d’Accents n° 26 – avril-juin 2005 Partager Magazine Rubriques Éclairage Édito Entretien Grand Angle Instant M. Portrait Reportage Souvenirs de création Un.e soliste, une œuvre Dans la même rubrique De l’amitié en musique. Entretien avec Renaud Capuçon et Bertrand Chamayou. « Double Cheese Passions ». Entretien avec Raphaël Cendo, compositeur. « Ultimi Fiori ». Entretien avec Francesca Verunelli, compositrice. À contretemps. Entretien avec Marc Monnet, compositeur. « Un Engagement total ». Entretien avec Yann Robin, compositeur et Nicolas Crosse, contrebassiste. Contacts Mentions Légales Crédits Vers le haut Fermer Crédits Copyright : toute reproduction même partielle d’un article est soumise à l’autorisation de l’Ensemble intercontemporain. 
Les photographies et les images de ce site sont protégées par copyright. Il est interdit de les utiliser sans demander l’autorisation du détenteur des droits de la photographie ou de l’image. Conception graphique du site : belleville Intégration et développement du site : Hybrid & Doctype Fermer Mentions Légales Directeur de publication : 
Olivier Leymarie Copyright: Ensemble intercontemporain Toute reproduction même partielle d’un article est soumise à l’autorisation de l’Ensemble intercontemporain. 
Les photographies et les images de ce site sont protégées par copyright. Il est interdit de les utiliser sans demander l’autorisation du détenteur des droits de la photographie ou de l’image. Ensemble intercontemporain 
 Association loi 1901 N° Siret 30666486300033 Code NAF 9001Z Licence d’entrepreneur de spectacles n° 2- 1063215 cat 2 223 avenue Jean-Jaurès 
75019 Paris – France Tél. +33 (0) 1 44 84 44 50 contact@ensembleinter.com Utilisation des données personnelles Lorsque vous vous inscrivez à la newsletter de l’Ensemble intercontemporain, votre email est utilisé pour vous envoyer des informations régulières sur nos activités. Nous pouvons aussi relayer des informations ou des offres de nos partenaires auxquels nous ne communiquons pas vos données. Vous pouvez vous désabonner à tout instant de notre newsletter en cliquant sur « vous désinscrire de cette liste » dans le bas de page de la newsletter. Conformément à la loi «informatique et libertés» du 6 janvier 1978, vous bénéficiez d’un droit d’accès et de rectification aux informations qui vous concernent. Si vous souhaitez exercer ce droit et obtenir communication des informations vous concernant, veuillez vous adresser au Responsable du service communication Avertissement: Programmes et informations donnés sous réserve de modifications. Fermer Contacts Ensemble intercontemporain 223 avenue Jean-Jaurès 75019 Paris – France Tél. : +33 (0)1 44 84 44 50 Fax : +33 (0)1 44 84 44 51 Fermer Partager Mail Nous suivre sur Twitter Nous suivre sur Facebook Fermer S'inscrire à la newsletter

    "La pente de la rêverie" (extrait)

    Poème : "La pente de la rêverie", (28 mai 1830), de Victor Hugo, dans le recueil Les Feuilles d'automne. Extrait du poème : Amis, ne creusez pas vos chères rêveries ; Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries ; Et quand s'offre à vos yeux un océan qui dort, Nagez à la surface ou jouez sur le bord. Car la pensée est sombre ! Une pente insensible Va du monde réel à la sphère invisible ; La spirale est profonde, et quand on y descend, Sans cesse se prolonge et va s'élargissant, Et pour avoir touché quelque énigme fatale, De ce voyage obscur souvent on revient pâle !

    "L'urgence de ralentir" (84mn / ARTE / 2014) Un film de Philippe Borrel


    "L'urgence de ralentir" (84mn / ARTE / 2014) Un film de Philippe Borrel from Philippe Borrel on Vimeo.

    How Racist Was Flannery O’Connor?


    How Racist Was Flannery O’Connor?

    She has become an icon of American letters. Now readers are reckoning with another side of her legacy.

    Flannery OConnor
    A habit of bigotry, most apparent in her juvenilia, persisted throughout her life.Photograph © 1954; renewed 1982. Permission granted by Mary Flannery O'Connor Charitable Trust. All rights reserved / Courtesy Flannery O’Connor Collection, Rose Library, Emory University

    In 1943, eighteen-year-old Mary Flannery O’Connor went north on a summer trip. Growing up in Georgia—she spent her childhood in Savannah, and went to high school in Milledgeville—she saw herself as a writer and artist in the making. She created illustrated books “too old for children and too young for grown-ups” and dryly titled an assemblage of her poems “The Priceless Works of M. F. O’Connor”; she drew cartoons and submitted them to magazines, noting that her hobby was “collecting rejection slips.”

    On her travels, she and two cousins visited Manhattan: Chinatown, St. Patrick’s Cathedral, and Columbia University. Then they went to Massachusetts, and visited Radcliffe, where one cousin was a student. O’Connor disliked both schools, and said so in letters and postcards to her mother. (Her father had died two years earlier.) Back in Milledgeville, O’Connor studied at the state women’s college (“the institution of higher larning across the road”). In 1945, she made her next trip north, enrolling in the Iowa Writers’ Workshop, where she dropped the Mary (it put her in mind of “an Irish washwoman”) and became Flannery O’Connor.

    Less than two decades later, she died, in Milledgeville, of lupus. She was thirty-nine, the author of two novels and a book of stories. A brief obituary in the Times called her “one of the nation’s most promising writers.” Some of her readers dismissed her as a “regional writer”; many didn’t know she was a woman.

    We are still learning who Flannery O’Connor was. The materials of her life story have surfaced gradually: essays in 1969, letters in 1979, an annotated Library of America volume in 1988, and a cache of personal items deposited at Emory University in 2012, which yielded the “Prayer Journal,” jottings on faith and fiction from her time at Iowa. Each phase has deepened the portrait of the artist and furthered her reputation. Southerners, women, Catholics, and M.F.A.-program instructors now approach her with devotion. We call her Flannery; we see her as a wise elder, a literary saint, poised for revelation at a typewriter set up on the ground floor of a farmhouse near Milledgeville because treatments for lupus left her unable to climb stairs.

    O’Connor is now as canonical as Faulkner and Welty. More than a great writer, she’s a cultural figure: a funny lady in a straw hat, puttering among peacocks, on crutches she likened to “flying buttresses.” The farmhouse is open for tours; her visage is on a stamp. A recent book of previously unpublished correspondence, “Good Things Out of Nazareth” (Convergent), and a documentary, “Flannery: The Storied Life of the Writer from Georgia,” suggest a completed arc, situating her at the literary center where she might have been all along.

    The arc is not complete, however. Those letters and postcards she sent home from the North in 1943 were made available to scholars only in 2014, and they show O’Connor as a bigoted young woman. In Massachusetts, she was disturbed by the presence of an African-American student in her cousin’s class; in Manhattan, she sat between her two cousins on the subway lest she have to sit next to people of color. The sight of white students and black students at Columbia sitting side by side and using the same rest rooms repulsed her.

    It’s not fair to judge a writer by her juvenilia. But, as she developed into a keenly self-aware writer, the habit of bigotry persisted in her letters—in jokes, asides, and a steady use of the word “nigger.” For half a century, the particulars have been held close by executors, smoothed over by editors, and justified by exegetes, as if to save O’Connor from herself. Unlike, say, the struggle over Philip Larkin, whose coarse, chauvinistic letters are at odds with his lapidary poetry, it’s not about protecting the work from the author; it’s about protecting an author who is now as beloved as her stories.

    The work largely deserves the love it gets. O’Connor’s fiction is full of scenarios that now have the feel of mid-century myths: an evangelist preaching the gospel of a Church Without Christ outside a movie house; a grandmother shot by an escaped convict at the roadside; a Bible salesman seducing a female “interleckshul” in a hayloft and taking her wooden leg. The late story “Parker’s Back,” from 1964, in which a tattooed ex-sailor tries to appease his puritanical wife by getting a life-size face of Christ inked onto his back, is a summa of O’Connor’s effects. There’s outlandish naming (Obadiah Elihue Parker), blunt characterization (“The skin on her face was thin and drawn as tight as the skin on an onion and her eyes were gray and sharp like the points of two icepicks”), and pungent speech (“Mr. Parker . . . You’re a walking panner-rammer!”). There’s the way the action hurtles to an end both comic and profound, and the sense, as she put it in an essay, “that something is going on here that counts.” There’s the attractive-repulsive force of religion, as Parker submits to the tattooer’s needle in the hope of making himself a holy image of Christ. And there’s a preoccupation with human skin, and skin coloring, as a locus of conflict.

    O’Connor defined herself as a novelist, but many readers now come to her through her essays and letters, and the core truth to emerge from the expansion of her body of work is that the nonfiction is as strong and strange as the fiction. The 1969 book of essays, “Mystery and Manners,” is both an astute manual on the craft of writing and a statement of precepts for the religious artist; the 1979 book of letters, “The Habit of Being,” is bedside reading as wisdom literature, at once companionable and full of barbed, contrarian insights. That they are books was part of O’Connor’s design. She made carbon copies of her letters with publication in mind: fearing that lupus would cut her life short, as it had her father’s, she used the letters and essays to shape the posthumous interpretation of her fiction.

    Even much of the material left out of those books is tart and epigrammatic. Here is O’Connor, fresh from Iowa, on what a writing program can do for a writer:

    It can put him in the way of experienced writers and literary critics, people who are usually able to tell him after not too long a time whether he should go on writing or enroll immediately in the School of Dentistry.

    Here she is on life in Milledgeville, from a 1948 letter to the director of Yaddo, the writers’ colony in upstate New York:

    Lately we have been treated to some parades by the Ku Klux Klan. . . . The Grand Dragon and the Grand Cyclops were down from Atlanta and both made big speeches on the Court House square while hundreds of men stamped and hollered inside sheets. It’s too hot to burn a fiery cross, so they bring a portable one made with electric light bulbs.

    Advertisement

    On her first encounter, in 1956, with the scholar William Sessions:

    He arrived promptly at 3:30, talking, talked his way across the grass and up the steps and into a chair and continued talking from that position without pause, break, breath, or gulp until 4:50. At 4:50 he departed to go to Mass (Ascension Thursday) but declared he would like to return after it so I thereupon invited him to supper with us. 5:50 brings him back, still talking, and bearing a sack of ice cream and cake to the meal. He then talked until supper but at that point he met a little head wind in the form of my mother, who is also a talker. Her stories have a non-stop quality, but every now and then she does have to refuel and every time she came down, he went up.

    Reviewers of O’Connor’s fiction were vexed by her characters’ lack of interiority. Admirers of the nonfiction have reversed the charge, taking up the idea that the most vivid character in her work is Flannery O’Connor. The new film adroitly introduces the author-as-character. The directors—Mark Bosco, a Jesuit priest who teaches a course on O’Connor at Georgetown, and Elizabeth Coffman, who teaches film at Loyola University Chicago—draw on a full spread of archival material and documentary effects. The actress Mary Steenburgen reads passages from the letters; several stories are animated, with an eye to O’Connor’s adage that “to the hard of hearing you shout, and for the almost-blind you draw large and startling figures.” There’s a clip from John Huston’s 1979 film of her singular first novel, “Wise Blood,” which she wrote at Yaddo and in Connecticut before the onset of lupus forced her to return home. Erik Langkjaer, a publishing sales rep O’Connor fell in love with, describes their drives in the country. Alice Walker tells of living “across the way” from the farmhouse during her teens, not knowing that a writer lived there: “It was one of my brothers who took milk from her place to the creamery in town. When we drove into Milledgeville, the cows that we saw on the hillside going into town would have been the cows of the O’Connors.”

    In May, 1955, O’Connor went to New York to promote her story collection, “A Good Man Is Hard to Find,” on TV. The rare footage of O’Connor lights up the documentary. She sits, very still, in a velvet-trimmed black dress; her accent is strong, her demeanor assured. “I understand you are living on a farm,” the host prompts. “Yes,” she says. “I only live on one, though. I don’t see much of it. I’m a writer, and I farm from the rocking chair.” He asks her if she is a regional writer, and she replies:

    I think that to overcome regionalism, you must have a great deal of self-knowledge. I think that to know yourself is to know your region, and that it’s also to know the world, and in a sense, paradoxically, it’s also to be an exile from that world. So that you have a great deal of detachment.

    That is a profound and stringent definition of the writer’s calling. It locates the writer’s art in the refinement of her character: the struggle to overcome an outlook that is an obstacle to a greater good, the letting go of the comforts of home. And it recognizes that detachment can leave the writer alone and apart.

    Cartoon by Maggie Larson

    At Iowa and in Connecticut, O’Connor had begun to read European fiction and philosophy, and her work, old-time in its particulars, is shot through with contemporary thought: Gabriel Marcel’s Christian existentialism, Martin Buber’s sense of “the eclipse of God.” She saw herself as “a Catholic peculiarly possessed of the modern consciousness” and saw the South as “Christ-haunted.”

    All this can suggest points of similarity with Martin Luther King, Jr., another Georgian who was infused with Continental ideas up north and then returned south to take up a brief, urgent calling. Born four years apart, they grasped the Bible’s pertinence to current events, and saw religion as the tie that bound blacks and whites—as in her second novel, “The Violent Bear It Away,” from 1960, which opens with a black farmer giving a white preacher a Christian burial. O’Connor and King shared a gift for the convention-upending gesture, as in her story “The Enduring Chill,” in which a white man tries to affirm equality with the black workers on his mother’s farm by smoking cigarettes with them in the barn.

    O’Connor lectured in a dozen states and often went to Atlanta to visit her doctors; she saw plenty of the changing South. That’s clear from her 1961 story “Everything That Rises Must Converge.” (The title alludes to a thesis advanced by the French Jesuit Pierre Teilhard de Chardin, who saw the world as gradually “divinized” by human activity in a kind of upward spiral.) A white man, living at home after college, takes his mother to “reducing class” on a newly integrated city bus. The sight of an African-American woman wearing the same style of hat that his mother is wearing stirs him to reflect on all that joins them. The sight of a black boy in the woman’s company prompts his mother to give the boy a gift: a penny with Lincoln’s profile on it. Things get grim after that.

    Advertisement

    The story was published in “Best American Short Stories” and won an O. Henry Prize in 1963. O’Connor declared that it was all she had to say on “That Issue.” It wasn’t. In May, 1964, she wrote to her friend Maryat Lee, a playwright who was born in Tennessee, lived in New York, and was ardent for civil rights:

    About the Negroes, the kind I don’t like is the philosophizing prophesying pontificating kind, the James Baldwin kind. Very ignorant but never silent. Baldwin can tell us what it feels like to be a Negro in Harlem but he tries to tell us everything else too. M. L. King I dont think is the ages great saint but he’s at least doing what he can do & has to do. Don’t know anything about Ossie Davis except that you like him but you probably like them all. My question is usually would this person be endurable if white. If Baldwin were white nobody would stand him a minute. I prefer Cassius Clay. “If a tiger move into the room with you,” says Cassius, “and you leave, that dont mean you hate the tiger. Just means you know you and him can’t make out. Too much talk about hate.” Cassius is too good for the Moslems.

    That passage, published in “The Habit of Being,” echoed a remark in a 1959 letter, also to Maryat Lee, who had suggested that Baldwin—his “Letter from the South” had just run in Partisan Review—could pay O’Connor a visit while on a subsequent reporting trip. O’Connor demurred:

    No I can’t see James Baldwin in Georgia. It would cause the greatest trouble and disturbance and disunion. In New York it would be nice to meet him; here it would not. I observe the traditions of the society I feed on—it’s only fair. Might as well expect a mule to fly as me to see James Baldwin in Georgia. I have read one of his stories and it was a good one.

    O’Connor-lovers have been downplaying those remarks ever since. But they are not hot-mike moments or loose talk. They were written at the same desk where O’Connor wrote her fiction and are found in the same lode of correspondence that has brought about the rise in her stature. This has put her champions in a bind—upholding her letters as eloquently expressive of her character, but carving out exceptions for the nasty parts.

    Last year, Fordham University hosted a symposium on O’Connor and race, supported with a grant from the author’s estate. The organizer, Angela Alaimo O’Donnell, edits a series of books on Catholic writers funded by the estate, has compiled a book of devotions drawn from O’Connor’s work, and has written a book of poems that “channel the voice” of the author. In a new volume in the series, “Radical Ambivalence: Race in Flannery O’Connor” (Fordham), she takes up Flannery and That Issue. Proposing that O’Connor’s work is “race-haunted,” she applies techniques from whiteness studies and critical race theory, as well as Toni Morrison’s idea of “Africanist ‘othering.’ ” O’Donnell presents a previously unpublished passage on race and engages with scholars who have offered context for the racist remarks. Although she is palpably anguished about O’Connor’s race problem, she winds up reprising those earlier arguments in current literary-critical argot, treating O’Connor as “transgressive in her writing about race” but prone to lapses and excesses that stemmed from social forces beyond her control.

    The context arguments go like this. O’Connor was a writer of her place and time, and her limitations were those of “the culture that had produced her.” Forced by illness to return to Georgia, she was made captive to a “Southern code of manners” that maintained whites’ superiority over blacks, but her fiction subjects the code to scrutiny. Although she used racial epithets carelessly in her correspondence, she dealt with race courageously in the fiction, depicting white characters pitilessly and creating upstanding black characters who “retain an inviolable privacy.” And she was admirably leery of cultural appropriation. “I don’t feel capable of entering the mind of a Negro,” she told an interviewer—a reluctance that Alice Walker lauded in a 1975 essay.

    All the contextualizing produces a seesaw effect, as it variously cordons off the author from history, deems her a product of racist history, and proposes that she was as oppressed by that history as anybody else was. It backdates O’Connor as a writer of her time when she was a near-contemporary of writers typically seen as writers of our time: Gabriel García Márquez (born 1927), Maya Angelou (1928), Ursula K. Le Guin (1929), Tom Wolfe (1930), and Derek Walcott (1930), among others. It suggests that white racism in Georgia was all-encompassing and brooked no dissent, even though (as O’Donnell points out) Georgia was then changing more dramatically than at any point before or since. Patronizingly, it proposes that O’Connor, a genius who prized detachment, lacked the free will to think for herself.

    Advertisement

    Another writer of that cohort is Toni Morrison, who was born in Ohio in 1931 and became a Catholic at the age of twelve. Morrison published “Playing in the Dark: Whiteness and the Literary Imagination” in 1992. “The fabrication of an Africanist persona” by a white writer, she proposed, “is reflexive: an extraordinary meditation on the self; a powerful exploration of the fears and desires that reside in the writerly consciousness.” Invoking Morrison, O’Donnell argues that O’Connor’s fiction is fundamentally a working-through of her own racism, and that the offending remarks in the letters “tell us . . . that O’Connor understood evil in the form of racism from the inside, as one who has practiced it.”

    The clinching evidence is “Revelation,” drafted in late 1963. This extraordinary story involves Ruby Turpin—a white Southerner in middle age, the owner of a dairy farm—and her encounter in a doctor’s waiting room with a Wellesley-educated young woman, also white, who is so repulsed by Turpin’s condescension toward people there that she cries out, “Go back to hell where you came from, you old wart hog.” This arouses Turpin to quarrel with God as she surveys a hog pen on her property, and calls forth a magnificent final image of the hereafter in Turpin’s eyes—the people of the rural South heading heavenward. Some say this “vision” redeems the author on That Issue. Brad Gooch, in a 2009 biography, likened it to the dream that Martin Luther King, Jr., spelled out in August, 1963; O’Donnell, drawing on a remark in the letters, depicts it as a “vision O’Connor has been wresting from God every day for much of her life.” Seeing it that way is a stretch. King’s “I Have a Dream” speech envisioned blacks and whites holding hands at the end of time; Turpin’s vision, by contrast, is a segregationist’s vision, in which people process to Heaven by race and class, equal but separate, white landowners such as Turpin preceded (the last shall be first) by “bands of black niggers in white robes, and battalions of freaks and lunatics shouting and clapping and leaping like frogs.”

    After revising “Revelation” in early 1964, O’Connor wrote several letters to Maryat Lee. Many scholars maintain that their letters (often signed with nicknames) are a comic performance, with Lee playing the over-the-top liberal and O’Connor the dug-in gradualist, but O’Connor’s most significant remarks on race in her letters to Lee are plainly sincere. On May 3, 1964—as Richard Russell, Democrat of Georgia, led a filibuster in the Senate to block the Civil Rights Act—O’Connor set out her position in a passage now published for the first time: “You know, I’m an integrationist by principle & a segregationist by taste anyway. I don’t like negroes. They all give me a pain and the more of them I see, the less and less I like them. Particularly the new kind.” Two weeks after that, she told Lee of her aversion to the “philosophizing prophesying pontificating kind.” Ravaged by lupus, she wrote Lee a note to say that she was checking in to the hospital, signing it “Mrs. Turpin.” She died at home ten weeks later.

    Those remarks show a view clearly maintained and growing more intense as time went on. They were objectionable when O’Connor made them. And yet—the argument goes—they’re just remarks, made in chatty letters by an author in extremis. They’re expressive but not representative. Her “public work” (as the scholar Ralph C. Wood calls it) is more complex, and its significance for us lies in its artfully mixed messages, for on race none of us is without sin and in a position to cast a stone.

    That argument, however, runs counter to history and to O’Connor’s place in it. It sets up a false equivalence between the “segregationist by taste” and those brutally oppressed by segregation. And it draws a neat line between O’Connor’s fiction and her other writing where race is involved, even though the long effort to move her from the margins to the center has proceeded as if that line weren’t there. Those remarks don’t belong to the past, or to the South, or to literary ephemera. They belong to the author’s body of work; they help show us who she was.

    Posterity, in literature, is a strange god—consecrating Dickinson and Melville as American divines, repositioning T. S. Eliot as a man on the run from a Missouri boyhood and a bad marriage. Posterity has favored Flannery O’Connor: the readers of her work today far outnumber those in her lifetime. After her death, the racist passages were stumbling blocks to the next generation’s encounter with her, and it made a kind of sense to sidestep them. Now the reluctance to face them squarely is itself a stumbling block, one that keeps us from approaching her with the seriousness that a great writer deserves.

    There’s a way forward, rooted in the work. For twenty years, the director Karin Coonrod has staged dramatic adaptations of O’Connor’s stories. Following a stipulation of the author’s estate, she uses every word: narration, description, dialogue, imagery, and racial epithets. Members of the multiracial cast circulate the full text fluidly from actor to actor, character to character, so that the author’s words, all of them, ring out in her own voice and in other voices, too. ♦