11/22/2021
5/12/2021
DÉSŒUVRER L’EXPRESSIVITÉ DU MÉDIUM CINÉMATOGRAPHIQUE
À PROPOS DE "VOYAGE À TOKYO" DE YASUJIRO OZU
- écrit par Suzanne Beth
- le 12 mai 2021
Pendant le tournage de [Gosses de Tokyo] je décidai de ne jamais utiliser le fondu et de terminer chaque scène « cut ». Je n’ai jamais utilisé de fondu depuis, n’est-ce pas ? Le fondu n’est pas un élément de la « grammaire cinématographique » mais simplement une propriété de la caméra.
– Ozu Yasujirō [1]
1. Résistance et désœuvrement
Paru il y a quelques années, un court texte de Giorgio Agamben se penche sur les rapports entre art et résistance, dont le titre, « Qu’est-ce que l’acte de création », reprend délibérément celui d’une conférence prononcée trente ans plus tôt par Gilles Deleuze devant les étudiant·e·s de la FÉMIS. La description de l’œuvre d’art comme acte de résistance se trouvait en effet au cœur du propos de Deleuze, qui le conduisait notamment à distinguer le cinéma du régime de la communication. Élaborant sa pensée avec et contre celle de Deleuze, Agamben aborde la résistance en jeu dans les images à partir de de l’idée au cœur de sa pensée, le désœuvrement, dont il formule ainsi la part esthétique – et à vrai dire, on va le voir, indissociablement éthique et esthétique.
Les implications artistiques de sa conception du désœuvrement, discutées de manière récurrente mais relativement éparse dans le travail d’Agamben, a constitué de texte en texte une ligne de pensée développée à l’ombre de sa grande série « Homo sacer » pour finalement occuper le centre du dernier ouvrage la composant, L’usage des corps (Homo sacer, IV, 2). Procédant à une généalogie de la gouvernementalité, l’ensemble de cette recherche s’intéresse aux modalités par lesquelles le pouvoir a pris, dans l’Occident moderne, la forme d’un gouvernement des personnes – ou, pour reprendre un terme ayant désormais pénétré tous les pans de la vie, celle d’une « gestion » de nos capacités. De ce point de vue, concevoir des « images indociles » à partir de ce vaste champ de réflexion revient donc à considérer ce que peuvent être des images ingouvernables.
Cet enjeu peut également s’énoncer en soulignant que, dans la proposition d’Agamben, le cinéma est abordé depuis l’angle de l’action, de la pratique, comme « acte poétique [2] ». Sa réflexion sur le potentiel de résistance des images s’inscrit ainsi dans la lutte qu’il mène dans l’ensemble de son travail contre l’imaginaire d’efficacité et d’optimisation qui commande la conception moderne de l’agir, domine notre monde et le détruit. Il fait front avec ce qui échappe au règne des fins, des « à quoi ça sert ? » et donne à sentir, très concrètement, le fardeau d’une vie remplie par l’actualisation mur à mur de ce qui est possible. Dans « Sur ce que nous pouvons ne pas faire », un autre texte écrit en écho à la pensée deleuzienne, il écrit :
Il est arrivé à Deleuze de définir l’opération du pouvoir comme l’acte de séparer les hommes de ce qu’ils peuvent, c’est-à-dire de leur puissance. […] Il y a, cependant, une autre opération du pouvoir, plus insidieuse, qui n’agit pas immédiatement sur ce que les hommes peuvent faire — leur puissance — mais sur leur impuissance, sur ce qu’ils ne peuvent pas faire, ou, plus exactement, sur ce qu’ils peuvent ne pas faire. […]
Séparé de son impuissance, privé de l’expérience de ce qu’il peut ne pas faire, l’homme contemporain se croit capable de tout et répète son jovial « pas de problème » et son irresponsable « ça peut se faire » au moment précis où il devrait plutôt se rendre compte qu’il a été assigné de manière inouïe à des forces et à des processus sur lesquels il a perdu tout contrôle. Il est devenu aveugle, non pas à ses capacités, mais à ses incapacités, non à ce qu’il peut faire, mais à ce qu’il ne peut pas ou peut ne pas faire [3].
Ces remarques appellent donc un examen de ce qu’implique le paradigme de la création comme désœuvrement, dans lequel toute puissance de créer demeure auprès d’une impuissance à créer ou, plutôt, d’une puissance de décréation. La création (cinématographique) n’y est pas conçue comme l’effectuation d’une possibilité expressive et de sa transformation sans reste en acte – en un plan, en une œuvre –, mais s’y trouve décrite en des termes qui déposent le registre volontariste de la décision et du choix, au bénéfice, on le verra, d’une certaine passivité en jeu dans l’acte créateur.
Ces considérations s’ancreront dans l’analyse d’une scène de Voyage à Tokyo, réalisé en 1953 par le cinéaste japonais Ozu Yasujirō. Cet exemple remarquable de la logique de désœuvrement à l’œuvre dans la réalisation d’Ozu concerne les rapports du cinéma au mouvement et se noue autour des deux seuls travellings du film, qui encadrent la scène. Rarissimes dans les films d’Ozu à cette date, ils attirent l’attention parce qu’ils ne donnent lieu ni à une modification du point de vue ni à une clarification dramatique ; plus encore, la composition des images demeure étonnamment stable malgré le déplacement de l’appareil. S’accompagnant ainsi d’une désactivation de leurs effets, ces travellings interrogent la capacité, censément emblématique, du cinéma à montrer le mouvement.
2. Sur la passerelle d’Ueno : qu’est-ce qu’un mouvement ?
Située à peu près à la moitié de Voyage à Tokyo, la scène en question s’inscrit dans le traitement du rapport malheureux entre monsieur et madame Hirayama, un couple vieillissant d’une petite ville de l’ouest du Japon (Onomichi) et Tokyo, où habitent désormais leurs enfants devenus adultes [4]. Leur séjour dans la capitale ne donne pas lieu aux retrouvailles espérées mais à une forme d’abandon, qui s’affirme impitoyablement dans cette séquence. Elle précède en effet le moment où, chassé·e·s de chez leur fille aînée, les parents iront rejoindre les personnes chez qui chacun.e espère pouvoir passer la nuit, madame Hirayama ira chez la veuve de leur fils cadet, Noriko, et son mari retrouver un ancien ami d’Onomichi installé à Tokyo. Les parents s’apprêtent donc à se séparer dans cette ville inconnue sans l’assurance de trouver un lieu accueillant où coucher ce soir-là. Cette question angoissante est abordée dans le dialogue qu’ils échangent sur une passerelle bordée d’un muret surplombant les voies de chemin de fer de la gare d’Ueno. Le père commente l’immensité de la ville qui s’étend en contrebas et sa femme lui répond en décrivant Tokyo comme un lieu dangereux parce qu’on ne peut s’y repérer : non seulement on risque de s’y perdre, mais alors il serait impossible de se retrouver. Leur échange n’est pas suivi du contrechamp qu’il semble appeler : Tokyo n’apparaît pas dans le regard porté sur elle, absence caractéristique de la manière dont le film élabore la rencontre impossible des vieux parents à la métropole. Cette séquence porte à son maximum la détresse des personnages : bien que les mots de la mère soient au conditionnel, ils décrivent en fait assez précisément leur situation effective, perdu·e·s et isolé·e·s dans cette ville qui ne les a pas accueilli·e·s.
Monsieur et madame Hirayama constatent qu’ils n’ont nulle part où dormir la nuit suivant leur retour de la station thermale d’Atami. L’échec des retrouvailles avec leurs enfants tokyoïtes s’inscrit topologiquement dans la rencontre impossible avec la ville.
Or, l’extrémité à laquelle les parents sont rendu·e·s à ce moment-là n’est pas la seule chose qui attire l’attention sur la séquence de la passerelle d’Ueno, qui est ouverte et close par les deux seuls travellings du film, tous les autres plans étant fixes ainsi qu’il est d’usage dans les films d’Ozu à cette date. Ces mouvements d’appareil se remarquent d’autant plus que ni l’un ni l’autre ne sert à clarifier le trajet des personnages entre les deux points de vue depuis lesquels ils sont filmés : d’abord assis·e·s l’un·e à côté de l’autre devant le temple de Kan’eiji, ensuite debout sur la passerelle évoquée plus haut. Bien que proches dans la géographie de la ville, les deux emplacements ne sont pas situés l’un par rapport à l’autre, le hiatus entre eux demeure béant et la juxtaposition des deux plans fait surtout ressortir leur composition contrastée. Alain Bergala remarque de fait que les figures cinématographiques usuelles auxquelles Ozu a de moins en moins recouru, comme le travelling ou le panoramique d’accompagnement, sont celles « par lesquelles se gère ordinairement au cinéma l’illusion de l’antériorité du filmé sur le filmage [5] » particulièrement par l’établissement d’un espace filmique homogène et cohérent. Comment comprendre la présence des deux mouvements d’appareil qui encadrent cette scène ?
Le déplacement des parents depuis le temple de Kan’ei-ji vers la passerelle qui surplombe les voies de chemin de fer est monté cut, sans que les deux lieux soient situés l’un par rapport à l’autre.
Le premier travelling se déplace latéralement de la gauche vers la droite le long d’une succession serrée de piliers en pierre pour s’immobiliser une fois les parents entré·e·s dans le champ, qui sont alors cadré·e·s depuis le point où la caméra s’est arrêtée, à une dizaine de mètres d’eux, pratiquement de dos, assis·e·s devant le temple. Le mouvement de la caméra semble avoir pour seule fonction de faire apparaître les personnages dans le champ en créant une forme de suspension précédant leur apparition, la rareté des mouvements d’appareil dans le film (il s’agit du tout premier) en faisant un événement en soi. Celui-ci se caractérise toutefois par une tension entre le mouvement de la caméra, qui est tout à fait perceptible, et une forme de stabilité dans la composition tenant au caractère répétitif, pratiquement sériel, de la structure filmée. Il paraît ainsi plus marqué par la reprise et la réitération que par la modification, et le mouvement de la caméra s’arrête quand la composition du plan change véritablement, puisque le moment où la série de piliers se termine correspond à l’entrée du couple dans le champ.
Le tout premier traveling de Voyage à Tokyo longe une série de piliers (premier photogramme) et s’arrête lorsque le couple Hirayama apparaît, assis au loin, de trois-quarts, mangeant un morceau devant le temps de Kan’ei-ji (second photogramme).
Le second travelling, qui clôt la séquence, suit les personnages qui marchent sur la passerelle surplombant les voies de chemin de fer. Succédant au plan rapproché au cours duquel les parents ont évoqué l’immensité de la ville, le travelling les suit en légère contre-plongée le long du muret qui bloque la vue. Démarrant quand le père s’éloigne du muret et se met en marche, suivi de sa femme, le mouvement de la caméra donne le sentiment d’être tributaire de celui des personnages. À l’encontre du constat général de Bergala, il semble relever de ce que ce dernier appelle le « travail du cinéma [6] » et suggérer que le point de vue suit celui des personnages. L’effet de ce travelling intrigue toutefois parce qu’il ne fait que suivre le déplacement des personnages pendant un temps, pratiquement sans que le plan change du fait de la position relative de la caméra, des parents et du muret. Il ne produit pas de changement perceptible dans la composition du plan, qui reste concentré sur le corps en marche des personnages. Le mouvement physique de la caméra entretient une relation paradoxale avec son effet à l’image, qui tend à le nier puisque celle-ci demeure remarquablement stable. Le travelling, en outre, n’a pas pour fonction de simuler le point de vue des parents ou de suggérer qu’on s’en rapproche, rien de ce qui s’étend devant leurs yeux n’apparaît dans le champ. Il n’a pas non plus pour effet de matérialiser à l’image le lieu vers lequel ils se dirigent immédiatement (s’agit-il de la gare ?) : il ne possède pas de fonction d’explication ou de clarification dramatique et demeure ainsi dans l’indétermination. Ces deux travellings entretiennent donc un rapport paradoxal à deux dimensions du « mouvement » tel qu’on peut le concevoir au cinéma : d’une part ils ne produisent pas de changement visible dans le cadre pas plus qu’ils n’impliquent un avancement dramatique. En générant une forme de fixité et de stagnation, ces plans interrogent le statut du mouvement au cinéma.
Après le dialogue entre les parents commentant l’immensité de la ville en contrebas, dont on ne verra aucune image, le second travelling du film s’enclenche à la suite des personnages en demeurant attaché à leur corps en mouvement sans que la composition de l’image ne change véritablement.
3. Rapatrier les images dans le registre du geste
Dans « Notes sur le geste », texte consacré au geste et à son ordre propre, qu’il associe directement au cinéma, Agamben s’interroge sur les rapports entre image et mouvement. Il souligne l’immobilisation particulière que tendent à opérer les images, leur tendance à sidérer : « toujours, en toute image, est à l’œuvre une sorte de ligatio, un pouvoir paralysant qu’il faut exorciser ; et c’est comme si de toute l’histoire de l’art s’élevait un appel muet à rendre l’image à la liberté du geste [7] ». Agamben évoque alors les travaux de Deleuze sur le cinéma, selon lesquels « les images cinématographiques ne sont ni des “poses éternelles” […], ni des “coupes immobiles” du mouvement, mais des “coupes mobiles” des images elles-mêmes en mouvement, que Deleuze appelle des “images-mouvement” [8] ». Agamben estime qu’à ce titre le cinéma doit résoudre cette tension des images entre immobilité et mouvement en les ramenant « dans la patrie du geste [9] ». Mais la scène de la passerelle d’Ueno invite à questionner cette identification ou tout du moins à préciser ce qu’elle désigne : la séquence interroge les conditions permettant effectivement que le cinéma rapatrie les images dans le registre du geste, ce qui n’est jamais garanti.
En effet, le mouvement visible n’est pas ce qui permet de sortir du risque d’immobilisation propre aux images, qu’elles soient cinématographiques ou non : on peut créer de la pétrification même en montrant des choses qui bougent. C’est ce que font de nombreuses figures cinématographiques quand elles deviennent des procédés, générant ce que Deleuze appelle un cliché, c’est-à-dire « une image sensori-motrice de la chose [10] » qui sidère et gèle la pensée. Comme le souligne Paola Maratti, « alors que pour Bergson la perception sensori-motrice était au service des besoins – légitimes – du vivant, pour Deleuze, il s’agit beaucoup moins des exigences de la vie que d’un système de valeurs qui colle à la perception même des choses et risque toujours de faire glisser la pensée dans le conformisme de la doxa et les affects dans des schémas préétablis [11] », la question concernant aussi bien le mouvement physique que la mobilité des émotions. Plus que des images en mouvement, ce qui est alors produit sont des images du mouvement reposant sur des enchaînements prédéterminés, tendus vers un résultat préexistant, c’est-à-dire un effet, et déterminés par lui. La ligatio, pour reprendre le terme d’Agamben, à l’œuvre dans les images de cinéma tient ainsi à leur identification à une pure effectivité, réduisant l’expressivité du médium à l’exécution de ces successions préétablies – et peut donc se loger sans problème dans une caméra en déplacement. Cette forme d’immobilisation des images cinématographiques est le site où esthétique et politique s’articulent.
Les images issues d’une pure exécution des capacités expressives du médium s’opposent à celles qui résultent du désœuvrement de son expressivité ou, plus précisément, elles correspondent à une neutralisation de sa possibilité à se désœuvrer. Avec la question du désœuvrement, on arrive au cœur de la pensée d’Agamben, qui trouve son origine dans la manière dont Aristote élabore le rapport entre puissance et acte dans sa Métaphysique. Ce qui est toutefois central pour Agamben n’est pas tant la transformation d’une puissance en acte que le rapport d’une puissance à sa propre impuissance – ou, plutôt, sa « puissance-de-ne-pas », la puissance de ne pas faire ce dont on a la capacité. Pour l’illustrer, l’exemple classique qu’Agamben donne est celui du joueur de cithare, qui a la capacité de jouer de la cithare qu’il en joue ou non. Ainsi, la puissance peut exister comme telle, indépendamment de son passage à l’acte : son actualisation n’en est qu’une possibilité. Plus encore, la puissance-de-ne-pas constitue l’expérience la plus propre de la puissance, parce qu’alors elle existe effectivement sous la forme d’une puissance ou d’une potentialité, indépendamment de son actualisation : « la puissance est […] définie essentiellement par la possibilité de son non-exercice [12] ».
Mode d’existence de la sphère pratique, le désœuvrement conçoit la création comme le contact d’une puissance de créer et d’une puissance de décréation ; elle témoigne ainsi d’une logique qui, au moment même où elle donne lieu à une œuvre, va à son encontre : « une force opposée presque, qui, dans la création, résiste à la création et la défait [13] ». Cela ne signifie pas que l’œuvre ne doive pas avoir lieu ou que l’inachèvement soit valorisé pour lui-même, mais que l’œuvre tout comme l’activité qui la génère se comprennent comme un champ de forces polaires, tendu entre création et décréation. Par opposition à un acte créateur conçu comme l’exécution habile et maîtrisée d’une potentialité toujours déjà présente, qui s’épuise et se vide dans cette transformation, dans la création comme désœuvrement, la puissance expressive se maintient et demeure dans l’œuvre : « contrairement à une équivoque répandue, la maestria n’est pas la perfection formelle, mais, au contraire, précisément, conservation de la puissance [14] dans l’acte, sauvegarde de l’imperfection dans la forme parfaite [15] ».
Retrouvant la préoccupation deleuzienne pour le régime médiatique de la communication, Agamben souligne que c’est à ce titre que le cinéma peut faire le contraire de ce que font les médias, dans la mesure où ceux-ci « nous donnent toujours le fait, ce qui a été, sans sa possibilité, sans sa puissance, ils nous donnent donc un fait par rapport auquel on est impuissant [16] » puisque la potentialité de ne pas être ou d’être autrement y est anéantie. Maintenant la puissance au sein même de l’acte, la force de décréation caractérise ainsi la résistance à l’œuvre dans certaines images, une force qui résiste et s’oppose à l’expression et constitue donc une « résistance intime », interne à l’acte créateur [17]. La résistance ne tient donc pas principalement au sujet figuré qu’au témoignage de cette logique et de ce rapport à notre puissance pratique. Dans la scène de la passerelle d’Ueno, les travellings ne sont pas mobilisés comme des moyens de fabriquer des images où des choses, des personnages, un paysage bougent. Leur réalisation, en montrant avant tout une tension entre mobilité et immobilité, propose une pensée du mouvement cinématographique irréductible à l’exploitation d’une possibilité technique du médium – la caméra mobile – qu’il s’agirait de mettre en œuvre habilement.
4. Résistance des images et passivité
Cette élaboration de la résistance conduit à considérer de nouveau l’idée de geste, qui, en tant que « ce qui reste inexprimé dans chaque acte inexpressif [18] », désigne le désœuvrement de l’expression (ou de l’expressivité) et peut ainsi décrire un régime possible ou une potentialité du cinéma. Le geste, tout en s’inscrivant dans la sphère de l’action, se situe hors de l’opposition traditionnelle entre agir et produire. Produire, est en effet « un moyen en vue d’une fin [19] ». Agir, au contraire, est une fin sans moyen au sens où « bien agir est en soi-même sa propre fin [20] ». Le geste, en revanche, dépose la machinerie par laquelle les moyens sont enchaînés aux fins, au bénéfice d’un rapport d’usage, qui caractérise notamment le jeu et la contemplation. La danse incarne ce qui s’y joue dans la mesure où « elle consiste toute entière à supporter et à exhiber le caractère médial des mouvements corporels [21] », c’est-à-dire leur statut de moyens offerts à la possibilité.
Le désœuvrement de l’expression transmet non pas tant un résultat, inerte et figé, qu’il donne accès à la puissance de création elle-même : « l’œuvre […] qui résulte de cette suspension de la puissance ne représente pas seulement son objet : elle présente, en même temps la puissance – l’art – avec laquelle il a été peint [22] » ou avec laquelle il a été filmé, si on parle cinéma. En exposant la tension entre mobilité et immobilité, la réalisation des travellings de la scène de la passerelle d’Ueno en désœuvre l’effectuation : ils ne servent pas une fin – narrative ou spectaculaire – mais exposent plutôt la capacité emblématique du cinéma à créer, non pas des images du mouvement, mais des images en mouvement. Ozu propose ainsi que le mouvement cinématographique se comprend avant tout comme transformation et métamorphose, qui s’opère dans des images capables d’endurer dans le passage du temps. Cette logique s’incarne de manière emblématique dans les plans fort célèbres de la réalisation d’Ozu, dont la composition cadre soigneusement des objets et qu’Alain Bergala appelle en conséquence « plans sans personnages ». Ils éclairent de façon exemplaire la proposition agambinienne suivant laquelle, « ce qui caractérise le geste, c’est qu’il ne soit plus question en lui ni de produire ni d’agir, mais d’assumer et de supporter [23] ».
En tant que désœuvrement de l’expressivité, le geste nomme la dimension passive de la création dont la portée politique se manifeste dans la mise en scène de la séquence de la passerelle d’Ueno, qui accorde un enjeu dramatique (l’abandon des personnages) à une question d’éthique cinématographique. La réalisation des deux travellings attire en effet l’attention sur le fait qu’une simple fascination pour l’exécution efficace des possibilités du médium se fait au détriment des personnages et des lieux filmés, qui risquent de servir de simples faire-valoir à ses capacités techniques. Bien au contraire, « seule la vision lucide de ce que nous ne pouvons ou pouvons ne pas faire peut donner consistance à notre action [24] », qui est donc fondée dans sa part passive. La détresse des personnages tient aussi bien à leur exposition au risque d’être soumis à l’arbitraire des clichés cinématographiques qu’au manque d’hospitalité de leurs enfants tokyoïtes. Par la désactivation des deux travellings et le désœuvrement de cette capacité expressive du médium, le cinéma accueille la présence et le corps des personnages, qu’il accompagne et soutient dans ce moment de profonde vulnérabilité.
[1] La citation date de 1958. En français, elle se trouve dans « Pour parler de mes films », Positif no. 203, 1978, p. 20.
[2] Giorgio Agamben, Le feu et le récit, 2015, p.45.
[3] Giorgio Agamben, Nudités, Paris : Payot & Rivage, 2009, p. 77 & 79.
[4] En fait, parmi leurs cinq enfants, deux habitent Tokyo : leur fils aîné, Kōichi, qui est médecin, marié à Fumiko et père de deux garçons (Minoru et Isamu) ; leur fille aînée, Shigé, qui est propriétaire d’un salon de coiffure et mariée à monsieur Kaneko. Noriko, la veuve de leur fils cadet, Shōji, mort à la guerre, vit également à Tokyo. Leur autre fils, Keizō, habite Osaka. Leur benjamine, Kyōko, qui est institutrice, vit toujours avec eux, à Onomichi.
[5] Alain Bergala, « L’homme qui se lève ». Cahiers du cinéma, nº 311 (mai). 1980. p. 25-29, p. 26.
[6] Ibid., p. 25.
[7] Giorgio Agamben. Moyens sans fins. Notes sur la politique. Paris : Payot & Rivage. 2002, p. 66.
[8] Ibid., p. 65.
[9] Ibid., p. 67.
[10] Gilles Deleuze. Cinéma 2. L’image-temps. Paris : Minuit. 1985, p. 32.
[11] Paola Marrati. Gilles Deleuze. Cinéma et philosophie. Paris : PUF. 2003, p. 79.
[12] Ibid., p. 317.
[13] Giorgio Agamben. Nudités, op. cit., p. 17.
[14] La « puissance » est entendue ici dans son sens plein, c’est-à-dire comme contact et intimité d’une puissance (de faire) avec une puissance de ne pas (faire).
[15] Giorgio Agamben. Le feu et le récit. Paris : Payot & Rivage. 2015a, p. 52.
[16] Giorgio Agamben. Image et mémoire. Écrits sur l’image, la danse et le cinéma. Paris : Desclée de Brouwer. 2004, p. 92.
[17] Giorgio Agamben. Le feu et le récit, op. cit., p. 51.
[18] Giorgio Agamben, Profanations, op. cit., p. 84.
[19] Giorgio Agamben, Moyens sans fins, op. cit., p. 68.
[20] Ibid.
[21] Ibid.
[22] Giorgio Agamben. Le feu et le récit, op. cit., p. 58.
[23] Giorgio Agamben.Moyens sans fins, op. cit., p. 68.
[24] Giorgio Agamben. Nudités, op. cit., p. 80.
4/18/2021
REAR WINDOW
HITCHCOCK, THE VOYEUR: WHY REAR WINDOW REMAINS THE DIRECTOR'S DEFINITIVE FILM
Hitchcock was a master of obsessive looking and daydreamed about filming acts of sexual voyeurism. In Rear Window, he found a new vision.
In conversation with Andy Warhol, another artist who spent a great deal of his career silently staring at bodies in intimate situations, Alfred Hitchcock claimed he had glimpsed pornographic films only once in his life, and that was after the age of sixty, and by way of happenstance. It occurred after a steak dinner during a publicity trip to Tokyo, he said, when he was led blithely “into this upper room and there they had a screen that showed these awful films,” the specifics of which he didn’t divulge. However, he daydreamed about including acts of sexual voyeurism in his films. The story of Adelaide and Edwin Bartlett, which Hitchcock frequently cited as his favorite true-crime tale, entailed the willing cuckoldry of Edwin by Adelaide and a young clergyman named George Dyson. In 1953, Hitchcock published a magazine piece about the case in which he explained—with, as the scholar Sidney Gottlieb has also identified, an intriguing but perhaps unintentional, parallel to his situation with Alma and Whitfield Cook—that the Bartletts’ marriage “had been entirely platonic. Except for one occasion which resulted in a stillborn child, they lived together as friends and nothing more. . . . He had encouraged her friendship with George Dyson, and he urged them to become affectionate. In effect, he had ‘given’ her to Mr. Dyson.” Later, Hitchcock imagined making a film about the case, and explained how he would shoot the scene of the parson “making violent love to the young woman while the husband, sitting in his rocking chair and smoking his pipe, looked on.” In the first drafts of The Trouble with Harry, Jennifer—Harry’s widow, played by Shirley MacLaine—confesses that her late husband insisted on hanging a photograph of his brother over their marital bed, to create the impression that he was watching them make love. That risqué element was ultimately dropped, but approaching eighty and working on his final script, Hitchcock imagined a strange act of voyeurism that nobody had ever put in a Hollywood movie: a man and a woman exposing themselves to each other, a prelude to him combing her pubic hair.
Beyond the graphically or explicitly sexual, Hitchcock’s preoccupation with looking, its motivations, and its consequences, is one of the most fascinating aspects of his work and one that ensures its enduring relevance to our culture. It was three Hitchcock films—Rear Window, Vertigo, and Marnie—that formed the basis of Laura Mulvey’s argument that Hollywood movies display the world through the “male gaze,” favoring male desires and experiences, reinforcing the notion that women exist only to please men. Mulvey’s term, and its underlying concepts, have drifted into common parlance and, in certain quarters, have helped to solidify Hitchcock’s reputation as the supreme auteur of patriarchy. Doubtless, there is abundant evidence in Hitchcock to sustain Mulvey’s theory of the privileged male gaze, but it’s also true that Hitchcock’s male voyeurs are rarely gleeful in their obsessive looking. Often, their ogling causes them either guilt or regret, and hastens their downfall in some way. In that opening scene of The Pleasure Garden, Hitchcock shows us the dancers hurrying their way to the stage before cutting to a panning shot across the front row of the audience, a line of supposed gentlemen leering at the women before them. We then see through the binoculars of one particularly lecherous fellow as he stares at Patsy, the film’s heroine. After the show, hoping to make a fantasy come true, he approaches Patsy, only to be mortified as she removes her blonde wig—she’s a natural brunette—and laughs in his face. Within the first five minutes of the first Hitchcock film, the male gaze is presented, critiqued, and ridiculed.
Unease with a compulsion to look is what makes Rear Window so compelling. Not since the experimental Rope seven years earlier had Hitchcock found a project that so enthused him; despite various claims to the contrary that have been made over the years, he was heavily involved in building the script from the template of its source material. As the historian Bill Krohn notes, the drafts of the scripts feature so many small touches evocative of earlier Hitchcock—“the little people who inhabit it, and the way the man at the rear window becomes involved in their lives”—that they surely came from him rather than from a writer. An initial treatment for the film by Joshua Logan—written before Hitchcock had bought the rights to the story—begins with the camera surveying the windows of the various apartments, not unlike the opening sequence of Rear Window. However, Hitchcock had already filmed something very similar more than twenty years earlier, a shot at the start of Murder! in which the camera pans down a row of houses, allowing us to peer inside at private lives as lights come on and people respond to a commotion outside.
Rear Window stars James Stewart as Jeff, a globe-trotting photojournalist, confined to his Greenwich Village apartment while he recuperates from a broken leg. Bored and frustrated by his incapacitation, Jeff begins to spy on his neighbors, one of whom, Lars Thorwald, he suspects of having killed his wife. Although disturbed by his voyeurism, Jeff’s physiotherapist, Stella, and his glamorous young girlfriend, Lisa, help him investigate the murder, eventually bringing Thorwald to justice. Jeff never leaves his apartment (apart from one brief moment of defenestration), and the camera stays with him throughout. Exhibiting Hitchcock’s love of the subjective camera, almost all the action is told from Jeff’s perspective. We receive clues, red herrings, and revelations along with him, save one scene in which we see Thorwald exit his apartment with a woman while Jeff dozes in his chair. We see Jeff’s pleasure in spying on the woman he calls Miss Torso as she exercises in front of her window. But we also see his shame as he watches Miss Lonelyhearts being assaulted by a man she has invited into her home, and as she later contemplates suicide. When Thorwald discovers Lisa in his apartment—where she has been looking for incriminating evidence—Jeff is reduced to pathetic impotence, barely able to watch.
Rear Window is Hitchcock’s definitive film. It draws together various strands of the Hitchcock touch: ingenious production design; perfect casting; a taut, sparkling script; thrilling entertainment interwoven with dark, unsettling themes; beautifully judged use of colors and clothing. There’s also something inspired, in a gently subversive, Hitchcockian way, about the construction of the Greenwich Village apartments where the whole film takes place. In a period in which studios splashed vast sums creating epics such as Quo Vadis, The Robe, and Ben-Hur, Hitchcock persuaded Paramount to spend more than eighty thousand dollars—a vast sum in 1953—on a single studio set for a movie that takes place inside a nondescript apartment, where a middle-aged man sits in his pajamas, spying on the neighbors. Robert Burks, the film’s cinematographer, likened it to a DeMille production, though, as the historian John Belton points out, the themes of Rear Window hearken back to the earliest days of cinema when films were “more concerned with exhibition, presentation, and display, than with narration.” Hitchcock maintained that he was at his best when he adhered most strictly to the principles of silent filmmaking, as was the case with Rear Window. Ironically, the film also features some of the best dialogue of any Hitchcock movie. John Michael Hayes was chiefly responsible for that, but he conceded that in the process of writing the script, “Hitchcock taught me about how to tell a story with the camera and tell it silently.”
“Of all the films I have made,” reflected Hitchcock in 1968, “this to me is the most cinematic.” Today, the word “cinematic” is frequently used as a superlative, a synonym for something visually stunning. Hitchcock used it in its strictest sense, meaning the core principles and techniques that differentiate cinema from other visual arts. This has relatively little to do with cinematography, and a lot to do with editing. “Galloping horses in Westerns are only photographs of action, photographs of content,” explained Hitchcock. “It’s the piecing together of the montage which makes what I call a pure film.” Hitchcock’s template was laid down by early pioneers, especially Griffith, Eisenstein, Pudovkin, and Kuleshov, the latter of whom conducted an experiment to demonstrate the almost magical properties of film assembly, which Hitchcock referenced in explaining his own technique. “Show a man looking at something,” he ventured, “say a baby. Then show him smiling. By placing these shots in sequence—man looking, object seen, reaction to object—the director characterizes the man as a kindly person.” But replace the shot of the baby with a girl in a bikini, and the sequence is transformed. “What is he now? He’s a dirty old man.” A sequence just like that appears in Rear Window as Jeff ogles Miss Torso, stretching and twirling in her kitchen. But elsewhere in the film, Hitchcock adds an extra element: the voyeur as unreliable witness. In Kuleshov’s experiment, our opinion of the man is manipulated by the nature of what he has seen; in Rear Window, Jeff thinks he’s witnessing a man getting away with murder—but he can’t be sure whether he’s being deceived by his own eyes.
It’s a feeling shared by Scottie in Vertigo, again played by Stewart, who is driven mad by silent watching and the obsessive pursuit that follows. If Cary Grant was Hitchcock’s favorite man of action, some heroic, imaginary version of himself, Stewart was surely his favorite man of reaction, expressing through his silent gaze unsettling things about being an ordinary man that Hitchcock felt but rarely articulated. Stewart explained that his role in Rear Window “largely consisted of reacting. First Hitchcock would show what I was seeing through my binoculars. Then he’d show my face, and I’d reflect what I saw. I spent an astonishing amount of time looking into the camera and being amused, afraid, worried, curious, embarrassed, bored.”
It is in their dumb staring that Jeff and Scottie are at their loudest. Hitchcock’s original ending for Vertigo, only restored on its re-release in the 1980s, was not the dynamic chase up the bell tower that ends with Judy’s fall, but its aftermath: Scottie sitting in a chair, mute, gazing into space. His voyeurism has led him to misery; the male gaze has become an ugly hall of mirrors.
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2/18/2021
Chandler's feud with Alfred Hitchcock
Why Did Raymond Chandler Hate Strangers on a Train So Intensely?
Chandler's feud with Alfred Hitchcock had a special venom, but why?
Raymond Chandler had a complicated relationship with Hollywood. If you’re inclined to dig around there are any number of interesting and sometimes shocking anecdotes about his time working around movies, and he certainly left behind a litany of quips on the subject. (“Its idea of ‘production value’ is spending a million dollars dressing up a story that any good writer would throw away.”) My own personal favorite has a slightly lighter air than most of the matter on offer. It’s the now legendary, possibly apocryphal story about William Faulkner, hired for a script adaptation, desperately trying to work out the plot of The Big Sleep and inquiring of Chandler which of his characters killed Sternwoods’ chauffeur, to which Chandler replied, “I don’t know.” There’s a lesson in there for writers. Not necessarily a good or coherent lesson, but it just may get you through a few difficult days wrestling with a work in progress.
But there’s a slightly more bitter feud that’s always gripped my imagination. In 1950, Alfred Hitchcock, after failing to secure Dashiell Hammett’s services, approached Chandler with the job of adapting Strangers on a Train, a debut novel by the then-unknown Patricia Highsmith. The concept was a stroke of dark genius: two men, meeting on a train, agree each to commit a murder on the other’s behalf. Chandler took the job and after some consultation with the director went about writing a first draft of the script. Hearing little to nothing from Hitchcock, he took a stab at another version and sent that one along, too. Remember, at this time, Hitchcock was fairly celebrated, but not yet the master of suspense, Hollywood titan he would later become. He had made Rebecca, Notorious, and other admired films, but we’re still in the period before his masterpieces here, before Dial M for Murder, Vertigo, The Birds, Psycho and the rest. Surely Chandler knew that he was working with a skilled craftsman, but maybe we can allow that he believed himself worthy of at least a considered response from the man who hired him to do all that work.
Well, that wasn’t to be. Chandler never heard back from Hitchcock about the scripts he’d commissioned. In fact, Hitchcock had taken the drafts and, as he was want to do, quite famously in later years, arranged for a complete dismantling and evisceration of the work performed to date. Pretty standard Hollywood, you might argue, and you’d probably be right. But this is Chandler we’re talking about. A trembling wire of brilliance and resentment. Late in the year, Chandler was able to arrange a screening of the film, ultimately made from the script by Czenzi Ormonde. Ormonde was the protégée of Ben Hecht (renowned as the “Shakespeare of Hollywood”). The screening, well, it left Chandler pretty hot. Not the good kind of hot. After stewing on the matter for a while, he decided to write to Hitchcock, his one-time supposed employer, whom he addressed affectionately as “Dear Hitch,” then proceeded to lambast in utterly Chandler fashion.
Are Chandler’s objections warranted? Probably not. Strangers on a Train, released the following year, has generally been recognized as a classic of the form. It launched Hitchcock into a new stratosphere of acclaim and helped make Highsmith into a celebrity, though she didn’t much care for the movie herself.
Whatever you think of film’s bona fides, you might also admire the little bits of poetry Chandler dripped into his poisoned pen letter to Hitchcock. That letter, swinging wildly between self-effacement and grandiosity, understanding and condemnation, imploration and outright insult, is really a marvel.
Here’s the missive, in full:
December 6th, 1950
Dear Hitch,
In spite of your wide and generous disregard of my communications on the subject of the script of Strangers on a Train and your failure to make any comment on it, and in spite of not having heard a word from you since I began the writing of the actual screenplay—for all of which I might say I bear no malice, since this sort of procedure seems to be part of the standard Hollywood depravity—in spite of this and in spite of this extremely cumbersome sentence, I feel that I should, just for the record, pass you a few comments on what is termed the final script. I could understand your finding fault with my script in this or that way, thinking that such and such a scene was too long or such and such a mechanism was too awkward. I could understand you changing your mind about the things you specifically wanted, because some of such changes might have been imposed on you from without. What I cannot understand is your permitting a script which after all had some life and vitality to be reduced to such a flabby mass of clichés, a group of faceless characters, and the kind of dialogue every screen writer is taught not to write—the kind that says everything twice and leaves nothing to be implied by the actor or the camera. Of course you must have had your reasons but, to use a phrase once coined by Max Beerbohm, it would take a “far less brilliant mind than mine” to guess what they were.
Regardless of whether or not my name appears on the screen among the credits, I’m not afraid that anybody will think I wrote this stuff. They’ll know damn well I didn’t. I shouldn’t have minded in the least if you had produced a better script—believe me. I shouldn’t. But if you wanted something written in skim milk, why on earth did you bother to come to me in the first place? What a waste of money! What a waste of time! It’s no answer to say that I was well paid. Nobody can be adequately paid for wasting his time.
—Signed, ‘Raymond Chandler’
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“Written in skim milk.” When did you ever read a more withering piece of criticism?
Why did Chandler hate Strangers on a Train so intensely? We can puzzle over the letter, searching for answers, and I have. I imagine what it comes down to is this, the movie wasn’t his. Chandler, especially later in his life, was an unforgiving correspondent and often cruel. Shortly after this time, he would begin work on The Long Goodbye. In my view, it’s his greatest work, maybe the greatest crime novel ever written, and it may also be his most disenchanted. There’s a deep, rich vein of resentment running underneath it. In that late world of Marlowe and Terry Lennox, Los Angeles has a special kind of stain on it.
I don’t know if this sordid little episode with “Hitch” had anything to do with The Long Goodbye, but I’d like to think so. In any case, that’s one hell of a letter. Petty, nasty, and possibly wrong, with glimmers of genius.